La nullité encourue pour le non-respect des règles impératives régissant la vente d’immeuble à construire est relative

Publié le 07/12/2018

Dans un arrêt du 4 octobre 2018, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence dès lors qu’elle estime que la nullité d’ordre public encourue pour le non-respect des règles impératives régissant la vente d’immeuble à construire est relative car l’objet étant d’assurer la seule protection de l’acquéreur.

Cass. 3e civ., 4 oct. 2018, no 16-22095

1. Un arrêt rendu le 4 octobre 2018 par la Cour de cassation, promis à une large diffusion, revient sur la question délicate de la nature de la nullité résultant de l’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation. En l’espèce1, par actes des 9 mars et 19 août 2000, la société Cabinet de conseil et de gestion (la société CCG) a vendu des lots d’un immeuble en l’état à M. Y et à la société civile immobilière La Poulnais plage (la SCI Poulnais). Par la suite, par acte du 1er décembre 2000, elle a vendu un lot en état futur d’achèvement dans le même immeuble à M. X. Logiquement, les trois acquéreurs ont souscrit un emprunt pour financer leurs acquisitions et les travaux auprès de la Banque financière régionale de crédit immobilier de Bretagne, devenue le Crédit immobilier de France Bretagne (le CIFB). Pour ce faire, ils ont confié la réalisation des travaux à la société CCG qui, mise en liquidation judiciaire le 12 juin 2001, ne les a malheureusement pas achevés. En date du 1er octobre 2010, MM. Y et X et la SCI Poulnais ont assigné le liquidateur de la société CCG et le CIFB en nullité des actes de vente et des contrats de prêts. De plus, le 7 février 2011, le CIFB a appelé le notaire en garantie et le 18 février 2012, les acquéreurs ont recherché sa responsabilité. Pour les juges du fond, il s’agit d’une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire. Sur pourvoi, la haute juridiction censure les juges du fond au regard de l’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Cette affaire invite la Cour de cassation à s’expliquer sur la nature (I) et le régime de la nullité sanctionnant l’irrégularité résultant de l’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation (II).

I – Nature de la nullité résultant de l’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation

2. Après plusieurs atermoiements jurisprudentiels (A), la haute juridiction a estimé que la nullité d’ordre public encourue pour le non-respect des règles impératives régissant la vente d’immeuble à construire est relative, l’objet étant d’assurer la seule protection de l’acquéreur (B).

A – Retour sur l’arrêt du 5 décembre 1978 : une jurisprudence devenue obsolète

3. Sitôt que l’on parcourt la jurisprudence, on s’aperçoit que la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 5 décembre 19782 que « la nullité, édictée par l’article 6 de la loi du 3 janvier 1967, modifiée par celle du 7 juillet 1967, des contrats qui, ayant pour objet le transfert de propriété de tout ou partie d’un immeuble à usage d’habitation ou professionnel et d’habitation, et comportant l’obligation pour l’acquéreur d’effectuer des versements avant l’achèvement de la construction, ne revêtent pas la forme de ceux prévus aux articles 1601-2 et 1601-3 du Code civil peut être invoquée par l’un ou l’autre des cocontractants »3. Bien que le Code de la construction et de l’habitation ne donne aucune précision à ce sujet, la doctrine considère que « la nullité impliquée par une qualification inappropriée du contrat conclu entre les parties est donc absolue et, à ce titre, peut être invoquée par l’un ou l’autre des cocontractants »4. En l’espèce, les juges du fond avaient estimé que « pour déclarer non prescrite l’action en nullité des ventes et accueillir la demande en nullité de l’ensemble des actes, l’arrêt retient que la nullité encourue est une nullité absolue se prescrivant par trente ans à compter du jour où l’acte irrégulier a été passé et que, malgré l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, la prescription, bien qu’étant devenue quinquennale, n’était pas encourue, le point de départ du délai étant le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure et que cette date limite fixée au 18 juin 2013 n’était pas atteinte ».

4. D’emblée on signalera que des difficultés existent en matière de sanctions dans le domaine des VEFA5. À maints égards, on a le sentiment qu’il y a un risque d’amalgame entre les différentes sanctions civiles telles que nullité absolue, nullité relative et clause réputée non écrite6. Comme le fait remarquer la doctrine en commentant l’arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 1978 : « La jurisprudence a été fort mal inspirée en considérant que les violations de l’article L. 261-10 étaient sanctionnées par la nullité absolue. Il aurait été préférable d’admettre une nullité relative, comme dans le cas de l’article L. 261-11, car la nullité absolue a pour résultat choquant de permettre au vendeur/promoteur, qui est à l’origine de l’irrégularité, d’invoquer lui-même la sanction pour se dégager de ses obligations »7. Il faut noter que des juges du fond avaient résisté à la jurisprudence de la Cour de cassation du 5 décembre 1978 en estimant que le non-respect des dispositions relatives à la conclusion d’une vente d’immeuble à construire relève de la nullité relative8.

B – Revirement opéré par l’arrêt rapporté : une nullité relative de protection de l’acquéreur

5. L’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation dispose : « Tout contrat ayant pour objet le transfert de propriété d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation et comportant l’obligation pour l’acheteur d’effectuer des versements ou des dépôts de fonds avant l’achèvement de la construction doit, à peine de nullité, revêtir la forme de l’un des contrats prévus aux articles 1601-2 et 1601-3 du Code civil, reproduits aux articles L. 261-2 et L. 261-3 du présent code. Il doit, en outre, être conforme aux dispositions des articles L. 261-11 à L. 261-14 ci-dessous. Celui qui s’oblige à édifier ou à faire édifier un immeuble ou une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsqu’il procure directement ou indirectement le terrain ou le droit de construire sur le terrain à celui qui contracte l’obligation d’effectuer les versements ou les dépôts ci-dessus définis, doit conclure un contrat conforme aux dispositions de l’alinéa précédent, sauf si le terrain ou le droit est procuré à une société régie par les chapitres Ier, II (sections I et II) et III du titre Ier du présent livre, ou si celui qui les procure est un organisme d’habitations à loyer modéré agissant comme prestataire de service ». La formule « à peine de nullité » ne distingue pas les différentes catégories de nullité, esquissées par le texte. Contre toute attente, l’arrêt d’espèce a considéré qu’il résultait de l’article L. 261-10 du Code de la construction et de l’habitation « que la nullité d’ordre public encourue pour le non-respect des règles impératives régissant la vente d’immeuble à construire est relative, l’objet étant d’assurer la seule protection de l’acquéreur ». La solution à l’évidence est rassurante dans la mesure où le secteur protégé dans lequel l’acquéreur bénéficie d’un ordre public de protection sanctionné par une nullité relative. A contrario la nullité absolue est ouverte aux parties cocontractantes mais aussi au ministère public, qui peut agir en partie principale aux termes de l’article 423 du Code de procédure civile qui dispose : « En dehors de ces cas, il peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ». Tout porte à croire que l’action en nullité relative est une action attitrée puisque son exercice est réservé à la personne que la loi a entendu protéger9. On enseigne qu’en matière d’action attitrée, que l’on retrouve en matière de droit de la filiation, lorsque la nullité est relative, l’action appartient alors à la personne ou aux personnes dont la loi10 ou la jurisprudence a entendu assurer la protection.

II – Régime juridique de la nullité résultant de la solution retenue par la Cour de cassation

6. Alors que les juges du fond avaient estimé que la nullité absolue se prescrivait par 30 ans, la solution inverse retenue par la Cour de cassation incite à revenir sur la question du délai de prescription de l’action (A) mais également sur la confirmation de l’acte nul (B).

A – Prescription de l’action en nullité relative

7. Avant la réforme de la prescription adoptée par la loi du 17 juin 2008, la Cour de cassation avait censuré les juges du fond en décidant : « Attendu que pour déclarer prescrite l’action en nullité fondée sur les textes susvisés, l’arrêt attaqué relève que les dispositions législatives prohibant ou réglementant le démarchage applicable à la négociation de parts de sociétés civiles de placements immobiliers émises par des sociétés autorisées à faire appel public à l’épargne ne sont destinées qu’à la protection des épargnants, de sorte que la nullité de la souscription que serait susceptible de justifier leur violation ne pourrait qu’être relative et relever de la prescription quinquennale de l’article 1304 du Code civil ; Attendu, cependant, que les textes susvisés ne concernent pas seulement la protection des épargnants, mais aussi celle des autres établissements financiers ; qu’ils relèvent donc de l’ordre public de direction lorsqu’ils dressent la liste des établissements pouvant recourir au démarchage ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel les a violés »11. Dans l’arrêt rapporté, les juges du fond avaient fait la même interprétation en considérant « (…) que la nullité encourue est une nullité absolue se prescrivant par trente ans à compter du jour où l’acte irrégulier a été passé et que, malgré l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, la prescription, bien qu’étant devenue quinquennale, n’était pas encourue, le point de départ du délai étant le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure et que cette date limite fixée au 18 juin 2013 n’était pas atteinte ».

8. La notion de prescription extinctive a fait l’objet d’un changement important par la loi du 17 juin 200812, puisqu’il n’y a désormais plus lieu de distinguer selon que la nullité est absolue ou relative de telle sorte que dans les deux cas le délai de prescription de l’action en nullité est de 5 ans. En somme, la distinction fondamentale entre nullité absolue et nullité relative semble donc en la matière perdre de son intérêt. Pour autant, d’aucuns estiment que « l’aplanissement des délais de prescription par la loi du 17 juin 2008 pouvait laisser croire que la distinction entre nullité relative et absolue s’était aplanie ; bien au contraire, il a participé à raidir les oppositions entre nullités »13. Quoi qu’il en soit, selon l’article 2224 du Code civil, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Concrètement, le délai de prescription de l’action en nullité relative ne court qu’« à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

B – La confirmation de l’acte nul

9. Depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, la confirmation est prévue à l’article 1182 du Code civil qui dispose que « la confirmation est l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce. Cet acte mentionne l’objet de l’obligation et le vice affectant le contrat. La confirmation ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat. L’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation. En cas de violence, la confirmation ne peut intervenir qu’après que la violence a cessé. La confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés, sans préjudice néanmoins des droits des tiers »14. Ainsi, dans le même ordre d’idées, il a été jugé récemment que le contrat de VEFA encourt l’annulation à raison de l’irrégularité de la garantie extrinsèque d’achèvement dont il aurait dû être assorti au bénéfice des acquéreurs. Le régime de cette nullité, dont la constatation est ouverte aux seuls acquéreurs, est celui de la nullité relative, de sorte que l’acte nul restait susceptible de confirmation15.

10. La doctrine estime par ailleurs que « l’on ne peut confirmer un acte que dans la mesure où on a le droit de renoncer à en demander la nullité »16. C’est ainsi qu’il a été jugé que « la nullité encourue, fondée sur un ordre public de protection, est relative et, conformément aux dispositions de l’article 1338 ancien du Code civil, à défaut d’acte de confirmation ou ratification, l’exécution volontaire du contrat entaché de nullité après l’époque à laquelle l’obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée emporte renonciation aux exceptions de nullité »17. En d’autres termes : « Dès lors que le contrat de réservation signé est entaché d’une cause de nullité, la signature par les acquéreurs de l’acte authentique qui en est la suite et la conséquence, ne peut être considérée comme valant, en l’absence de tout élément permettant de présumer qu’ils ont eu connaissance de cette cause de nullité, renonciation à s’en prévaloir et confirmation dudit contrat de réservation »18.

11. Gageons que la nullité relative encourue pour le non-respect des règles impératives régissant la vente d’immeuble à construire, d’une logique indéniable, sera pour l’acquéreur une protection efficace compte tenu du délai de prescription en découlant !

Cause de nullité

Texte du Code de la construction et de l’habitation

Délai de prescription de l’action en nullité

Point de départ du délai de prescription

Titulaire du droit d’agir en nullité

VEFA

Contrat non conforme aux exigences du texte

Article L. 261-11 du Code de la construction et de l’habitation

Nullité relative

5 ans

Avant achèvement des travaux

L’acquéreur

Le contrat conclu n’est ni une VEFA ni une vente à terme.

Ce contrat est non conforme aux conditions prévues aux articles 1601-2 et 1601-3 du Code civil, reproduits aux articles L. 261-2 et L. 261-3 du présent code.

Contrat non conforme aux dispositions des articles L. 260-11 à L. 260-14 CCH

Article L. 260-11 du Code de la construction et de l’habitation

Nullité relative

5 ans

Le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer

L’acquéreur

Notes de bas de pages

  • 1.
    « VEFA : la violation des règles impératives est sanctionnée par une nullité relative », Defrénois flash 29 oct. 2018, n° 147s3, p. 15 ; Zalewski-Sicard V., « Vente en l’état futur d’achèvement et nullité : tout est relatif », JCP N 2018, 1327, n° 43-44 ; Florence Gall-Kiesmann F., « Vefa : le non-respect des règles impératives sanctionné par la nullité relative de l’acte », La Quotidienne, 17 oct. 2018, Éd. Francis Lefebvre.
  • 2.
    Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Sanctions civiles en cas de violation du régime renforcé », Le Lamy Droit Immobilier, n° 4207, mise à jour juin 2018.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 5 déc. 1978, n° 77-12640, cité par Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Sanctions civiles en cas de violation du régime renforcé », Le Lamy Droit Immobilier, n° 4207, mise à jour juin 2018.
  • 4.
    Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., « Sanctions civiles en cas de violation du régime renforcé », Le Lamy Droit Immobilier, n° 4207, mise à jour juin 2018.
  • 5.
    Jestaz P., Jourdain P. et a., Droit de la promotion immobilière, 2014, Dalloz Précis, n° 451, p. 445.
  • 6.
    Jestaz P., Jourdain P. et a., Droit de la promotion immobilière, 2014, Dalloz Précis, n° 451, p. 445.
  • 7.
    Jestaz P., Jourdain P. et a., Droit de la promotion immobilière, 2014, Dalloz Précis, n° 451, p. 445.
  • 8.
    Par ex. : CA Montpellier, 1re ch., 26 oct. 1988, SA Anrigo : Juris-Data n° 1988-034228 et CA Pau, 3 avr. 1996 : Juris-Data n° 1996-044286 ; JCP 1996, IV 117, citées par Sizaire D. et Carole Steimlé C., JCl. Fasc. 83-20 : Ventes d’immeubles à construire. – Secteur protégé. – Caractère impératif. – Sanctions de nullité, n° 16, dernière mise à jour 28 mars 2017.
  • 9.
    Legros J.-P., JCl. Commercial, Fasc. 1107 : Nullités des sociétés. – Sanctions des irrégularités de constitution, n° 20, dernière mise à jour 17 oct. 2016 ; v. aussi Milhac O., « La nullité des contrats de construction ou les chausse-trapes éventuelles rencontrées dans son application » RDI 2002, p. 9.
  • 10.
    Legros J.-P., JCl. Commercial, Fasc. 1107 : Nullités des sociétés. – Sanctions des irrégularités de constitution, n° 20, dernière mise à jour 17 oct. 2016.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 99-12498 : Gall-Kiesmann F., « Vefa : le non-respect des règles impératives sanctionné par la nullité relative de l’acte », La Quotidienne, 17 oct. 2018, Éd. Francis Lefebvre.
  • 12.
    L. n° 2008-561, 17 juin 2008.
  • 13.
    Houtcieff D., « La remise en cause du caractère accessoire du cautionnement », RD bancaire et fin. 2012, dossier 38, n° 17.
  • 14.
    Sana-Chaillé de Néré S., JCl. Synthèse – Nullités et confirmation, nos 43 et s., date de fraîcheur 10 oct. 2018.
  • 15.
    CA Riom, 3e ch. civ. et com. réunies, 6 juill. 2017, n° 13/03203.
  • 16.
    Sana-Chaillé de Néré S., JCl. Synthèse – Nullités et confirmation, nos 43 et s., date de fraîcheur 10 oct. 2018.
  • 17.
    CA Bourges, ch. civ., 6 sept. 2018, n° 17/00168.
  • 18.
    Analyse Juris-Data : 2018-016177, LexisNexis.