Vente immobilière : quels risques lors des négociations ?
Quels risques encourent un vendeur et un acheteur lors de la négociation d’une vente immobilière ? Cette phase précontractuelle se trouve encore aujourd’hui dans l’ombre de la promesse de vente et de l’acte authentique de vente. Pourtant, contrairement à ce que l’on croit parfois, elle est cruciale aussi bien pour la détermination du prix que pour la formation de la vente…
Depuis quelques années, l’achat d’un bien immobilier est une opération qui se complexifie1. Pourtant, plus d’un Français sur deux y sera un jour confronté au moins une fois dans sa vie. En effet, selon les chiffres de l’INSEE de 2017, la part des ménages propriétaires occupants n’a cessé d’augmenter ces dernières années pour atteindre, en 2013, 57,9 %2. Si à compter de la rédaction de la promesse de vente, jusqu’à la signature de l’acte authentique, l’acheteur est, le plus souvent, assisté par un notaire, il n’en va pas ainsi au cours des négociations. Or, la phase précontractuelle est peu réglementée et laisse l’acheteur seul devant de redoutables questions : quand y a-t-il vraiment offre de vente et d’achat en matière immobilière ? Quel risque fait encourir une rétractation ? Quand la vente est-elle formée ? Quand les parties sont-elles engagées « une fois pour toutes » ? Tentons d’apporter des éléments de réponse à ces questions.
L’offre se définit comme un acte juridique unilatéral par lequel une personne (l’offrant, plus souvent appelé pollicitant) émet une proposition suffisamment ferme et précise pour que son acceptation entraîne, à elle seule, la formation du contrat3. Ce n’est donc pas une quelconque proposition. En particulier, une « offre » consentie avec des réserves explicites (ex. : j’accepte le prix de 200 000 € si les comptes de la copropriété me conviennent) n’est pas une offre4. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant notamment réforme du droit des contrats, l’article 1114 du Code civil énonce, en ce sens, que « l’offre (…) comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation ». Une première question se pose : quels sont les éléments essentiels d’une vente immobilière ? Suffit-il de désigner le bien (ex. : tel appartement situé à telle adresse) et le prix ? Si l’on s’en tient au droit spécial et, en particulier, à l’article 1583 du Code civil aux termes duquel la vente « est parfaite entre les parties (…) dès qu’on est convenu de la chose et du prix », la réponse paraît affirmative : le bien et le prix sont les seuls éléments essentiels et l’offre qui les mentionne constitue donc une proposition suffisamment précise. On sait pourtant qu’en matière de vente d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, l’article L. 721-2 du Code de la construction et de l’habitation énumère un certain nombre de documents et informations supplémentaires (ex. : fiche synthétique de la copropriété, état global des impayés de charges au sein du syndicat des copropriétaires, carnet d’entretien de l’immeuble, notice d’information relative aux droits et obligations des copropriétaires, conclusions du diagnostic technique global) qui doivent être remis à l’acheteur au plus tard à la date de signature de la promesse de vente. Peut-on considérer ces documents et informations comme faisant partie des éléments essentiels de la vente immobilière ? Selon la jurisprudence, non5. Cependant, seule la remise de ces documents et informations fait courir le délai de rétractation de l’acheteur (CCH, art. L. 721-3). S’ils ne sont pas essentiels pour la conclusion de la vente, ils le sont donc pour la rendre « irrévocable », « définitive ». Enfin, le support sur lequel est publiée l’offre est indifférent et, par conséquent, une proposition de vendre tel bien à tel prix sur Internet constitue bien une offre.
Une fois l’offre formulée, est-il possible de se rétracter ? Oui : comme le prévoit l’article 1115 du Code civil, « elle peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ». Bien évidemment, s’il s’agit d’une offre de vente, le destinataire est l’acheteur ; inversement, s’il s’agit d’une offre d’achat (ou, plus souvent, une contre-offre), le destinataire est le vendeur (et non, l’agent immobilier). Dans un cas comme dans l’autre, l’offre parvient à son destinataire lorsque celui-ci peut en prendre connaissance (ex. : réception de l’offre par courrier électronique) et non lorsqu’il en a connaissance (ex. : lecture du courrier électronique contenant l’offre)6. Cependant, à partir du moment où « l’offre est parvenue à son destinataire, elle ne peut plus être librement rétractée » (C. civ., art. 1116, al. 1er). Dire que l’offrant ne peut plus librement rétracter son offre ne signifie pas qu’il ne peut pas se rétracter et empêcher la formation de la vente ; cela signifie seulement que, s’il le fait, il engage sa responsabilité extracontractuelle. Comme le précise l’alinéa 3, il ne peut être obligé à compenser la perte des avantages attendus de la vente. Mais alors quels préjudices peut-il être tenu de réparer ? Le législateur ne l’a pas précisé, mais les juges du fond accordent couramment une indemnisation pour les « frais occasionnés par les négociations et les études préalables »7, les « frais liés au travail qu’elle [la victime] a accompli et aux études et prestations qui lui ont été facturées par ses conseils »8 ou encore les « frais de conseil et de recherche »9. En plus de ces frais engagés pour la négociation, les juges acceptent parfois d’indemniser la victime pour les frais occasionnés par la rupture elle-même et, en particulier, pour les frais exposés du fait qu’à la suite de cette rupture, une partie a « dû trouver, dans l’urgence et à des conditions plus onéreuses, un remplaçant »10. Enfin, lorsque les circonstances le justifient, les juges du fond peuvent réparer le préjudice tenant à « l’immobilisation du bien dont la vente était envisagée »11, au fait que le négociateur victime n’a pu, pendant la durée des négociations, « négocier avec un autre partenaire »12, ou encore au fait qu’il a perdu « une chance, fût-elle ténue, de trouver un autre repreneur »13. Il leur arrive même de prendre en compte « la déception de l’espérance légitime d’une transaction »14. Ce droit de se rétracter au prix d’engager sa responsabilité extracontractuelle subsiste jusqu’au moment où la vente est conclue, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’acceptation est parvenue à l’offrant (C. civ., art. 1121).
Supposons maintenant que le destinataire de l’offre l’ait acceptée et que l’acceptation soit parvenue à l’offrant. La vente immobilière est-elle pour autant formée ? Dans l’affirmative, le vendeur ou l’acheteur ont-ils encore le droit de se rétracter ? La vente peut-elle encore être rétroactivement anéantie ? Deux textes permettent de considérer que la vente est formée lorsque l’acceptation est parvenue à l’offrant. D’abord, l’article 1121 précité qui relève du droit commun. Ensuite, l’article 1583 qui relève du droit spécial : la vente, peut-on lire, « est parfaite entre les parties (…) dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé »15. Rappelons, au passage, qu’en principe16, la vente immobilière n’est pas un contrat formel et que, par conséquent, la forme authentique n’en est pas une condition de validité : en effet, l’article 1582, alinéa 2, précise que la vente « peut être faite par acte authentique ou sous seing privé ». Cela dit, on sait que l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 exige, autrefois sous peine d’amende17, la publication au fichier immobilier du service chargé de la publicité foncière des actes portant ou constatant entre vifs « mutation de droits réels immobiliers » et surtout que l’article 30 dispose que, s’ils n’ont pas été publiés, ces actes sont inopposables aux tiers. Le recours au notaire, seul professionnel pouvant établir un acte publiable au fichier immobilier du service chargé de la publicité foncière, est donc inévitable.
Cependant, le droit très spécial vient fragiliser la formation de cette vente. En effet, si la rétractation concernait à l’origine seulement des actes juridiques unilatéraux (avec une terminologie variée : on rétracte une offre, on révoque un testament), les contrats ne pouvant être révoqués que du « consentement mutuel » des parties (C. civ., art. 1134 anc. ; C. civ., art. 1193), le législateur a accordé d’abord aux consommateurs18, ensuite aux acquéreurs non professionnels le droit de se rétracter alors même que la vente est parfaite. Ainsi, l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que, « pour tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitation ou la vente d’immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l’acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de 10 jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte ». De surcroît, l’article L. 721-3 du même code énonce que, « lorsque les documents et les informations mentionnés aux 1° et 2° du II de l’article L. 721-2 (…) ne sont pas remis à l’acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente, le délai de rétractation prévu à l’article L. 271-1 ne court qu’à compter du lendemain de la communication de ces documents et informations à l’acquéreur ». Si le notaire ou, plus probablement, l’agent immobilier omet un seul des documents relatifs à l’organisation de l’immeuble ou une seule des informations financières mentionnés par l’article L. 721-2, l’acheteur se retrouve avec le droit de se rétracter jusqu’au jour de la signature de l’acte authentique19. Mais, surtout, l’exercice de ce droit de rétractation est discrétionnaire20 et ne peut, par conséquent, dégénérer en abus. Autrement dit, contrairement à la rétractation de l’offre d’achat parvenue au vendeur (qui engage la responsabilité extracontractuelle de l’acheteur), la rétractation de la promesse de vente, c’est-à-dire d’un acte juridique beaucoup plus contraignant, n’engage pas la responsabilité de l’acheteur. Voilà qui est surprenant ! Faut-il néanmoins en conclure que l’acheteur a intérêt à attendre de signer la promesse de vente avant de se rétracter plutôt que de se rétracter après que son offre soit parvenue au vendeur ? Rien n’est moins sûr. D’abord, d’un point de vue sociologique, lorsque le bien est un immeuble à usage d’habitation, les actions en justice sont rares, le vendeur préférant trouver un autre acheteur. Ensuite, d’un point de vue juridico-économique, la preuve du préjudice incombe au vendeur et son préjudice est parfois trop faible pour justifier une action en justice (ex. : frais de déplacement et coût de l’annonce sur Internet négligeables). Qui plus est, la rédaction par un notaire d’une promesse de vente a un coût (environ 400 €), même s’il est d’usage de stipuler que ces frais seront restitués à l’acheteur en cas de rétractation. Surtout, la signature de la promesse de vente est souvent précédée par le dépôt de garantie, ce qui constitue une immobilisation d’argent, même si elle est limitée dans le temps en cas de rétractation (21 jours)21.
En revanche, de son côté, le vendeur n’est pas titulaire d’un droit de rétractation. À compter de la formation de la vente, c’est-à-dire avant sa formalisation par la promesse synallagmatique de vente et, a fortiori, par l’acte authentique, il est définitivement engagé et l’acheteur peut, le cas échéant, agir en exécution forcée ou, à défaut, en responsabilité contractuelle. De surcroît, si le vendeur avait donné mandat à un agent immobilier, ce dernier est en droit de lui réclamer sa commission et des dommages-intérêts22. Bien évidemment, il en va autrement si la promesse est unilatérale et que son bénéficiaire est le vendeur : dans ce cas, ce dernier dispose d’une option et retrouve donc une voie de sortie. Ainsi, il est vrai que l’acheteur doit redoubler de prudence lors de la négociation d’une acquisition immobilière, car il risque de perdre son dépôt de garantie s’il refuse de signer l’acte authentique… Mais le vendeur doit l’être tout autant : s’il accepte une offre d’achat plus intéressante après en avoir accepté une première ou s’il refuse de formaliser la vente, il risque gros…
Notes de bas de pages
-
1.
V. par ex. L. n° 96-1107, 18 déc. 1996, améliorant la protection des acquéreurs de lots de copropriété (dite loi Carrez) ; L. fin. rect. 2008 n° 2008-1443, 30 déc. 2008, (dispositif Scellier) ; L. n° 2010-737, 1er juill. 2010, portant réforme du crédit à la consommation (dite loi Lagarde) ; L. n° 2014-366, 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) ; L. n° 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation (dite loi Hamon) ; L. fin. 2016 n° 2015-1785, 29 déc. 2015, (extension du prêt à taux zéro aux acquisitions de logements anciens avec travaux, quelle que soit la commune de situation du bien).
-
2.
INSEE, Les conditions de logement en France, 2017.
-
3.
V. Goût É. U. et Pansier F.-J., Petit lexique juridique, 2e éd., 2016, Larcier ; v. égal. Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Les obligations, 8e éd., 2016, Lextenso, n° 469.
-
4.
Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n° 96-20605 : Bull. civ. III, n° 153 ; RTD civ. 1999, p. 79, obs. Mestre J.
-
5.
Cass. 3e civ., 9 mai 2012, n° 11-15161 : Bull. civ. III, n° 74 – Cass. 3e civ., 29 sept. 2016, n° 14-26674.
-
6.
Chantepie G. et Latina M., La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2016, Dalloz, n° 244.
-
7.
Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10243 : Bull. civ. IV, n° 186 ; RTD civ. 2004, p. 80, obs. Mestre J. – Cass. com., 10 nov. 2015, n° 14-18844 (cession de clientèle).
-
8.
Cass. com., 13 oct. 2009, n° 08-16634 (rachat d’actions).
-
9.
Cass. 3e civ., 19 sept. 2012, n° 11-10532 (cession de bail).
-
10.
Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-12452 (contrat de construction).
-
11.
Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-16773 (vente).
-
12.
Cass. com., 7 avr. 1998, n° 95-20361 : JCP E 1999, note Schmidt-Szalewski J. ; D. 1999, p. 514, note Chauvel P.
-
13.
Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-16488.
-
14.
Cass. 3e civ., 30 juin 2009, n° 08-17475.
-
15.
De manière similaire, l’article 14, alinéa 2, de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux de l’association Henri Capitant énonce que « [la vente] est valablement formée dès que les parties sont convenues du bien et du prix ».
-
16.
Exceptions : contrat définitif de vente d’immeuble à construire dans le secteur protégé (CCH, art. L. 261-11), contrat définitif de vente d’immeuble à rénover (CCH, art. L. 262-4).
-
17.
D. n° 55-22, 4 janv. 1955, art. 33 C, dernier alinéa, supprimé par la L. n° 98-261, 6 avr. 1998 : « Sans préjudice des effets de droit pouvant résulter du défaut de publicité, l’inobservation des délais prescrits par le présent article est sanctionnée par une amende civile de 50 F à la charge des officiers publics ou ministériels visés à l’article 32, ou des successibles qui, n’ayant pas recouru au ministère d’un notaire, se sont abstenus de requérir un de ces officiers publics pour établir l’attestation après décès ».
-
18.
L. n° 72-1137, 22 déc. 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile (v. désormais C. consom., art. L. 221-18).
-
19.
Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-13064, P (« la signature par les acquéreurs de l’acte authentique de vente sans réserve vaut renonciation à se prévaloir de l’irrégularité de la notification du droit de rétractation ») : JCP N 2016, 1250, obs. Leveneur L. ; JCP E 2016, act. 343, obs. Garcia F. ; JCP E 2016, 1403, obs. Le Gac-Pech S. ; JCP N 2016, 1272, obs. Durand-Pasquier G.
-
20.
TGI Paris, 10 juin 2010 : AJDI 2011, p. 157, obs. Thioye M. : peu importe la bonne ou mauvaise foi de l’acheteur.
-
21.
CCH, art. L. 271-2.
-
22.
Cass. 3e civ., 12 nov. 2015, n° 14-17790.