Le cautionnement entre époux

Publié le 20/12/2018

Profiter n’est pas consentir : c’est ainsi que l’on pourrait résumer le droit positif s’agissant du cautionnement entre époux. L’époux débiteur dont les dettes sont garanties par son conjoint n’est pas traité différemment de l’époux dont le conjoint garantit les dettes d’un tiers. On lui applique pareillement l’article 1415 du Code civil : on recherche si l’époux débiteur a consenti expressément à ce que son conjoint se porte garant de ses dettes. Ne conviendrait-il pas, dans cette hypothèse, d’écarter l’article 1415, ou, à tout le moins, de l’apprécier très restrictivement lorsque le cautionnement procure un intérêt personnel à l’époux non caution ?

1. L’article 1415 du Code civil dispose que : « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint, qui dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». Le cautionnement par un époux des dettes de son conjoint mérite-t-il la même protection que le cautionnement par l’un d’eux des dettes d’un tiers ? Quid de l’intérêt commun des époux ? Doit-on appliquer l’article 1415 du Code civil lorsque l’époux non caution éprouve un intérêt personnel au cautionnement ? Si la réponse à ces questions est, au regard de la pratique, positive, il semble pourtant nécessaire de s’interroger : le cautionnement entre époux doit-il obéir aux mêmes règles que le cautionnement d’un époux ?

2. Le droit patrimonial de la famille a ceci de spécifique qu’il constitue un enchevêtrement de règles disparates, tantôt propres au droit de la famille, tantôt relevant du droit commun des contrats ou des sûretés. La superposition des régimes est un exercice ardu qui nécessite, parfois, un certain nombre de compromis. L’article 1415 du Code civil en est un parfait exemple. Deux conceptions s’affrontent : à l’exigence de crédit du couple s’oppose la volonté de protéger le patrimoine des époux envisagés en tant que composant essentiel de la société1. La loi du 23 décembre 1985 réformant les régimes matrimoniaux a profondément modifié les règles du passif applicables dans les régimes de communauté.2 Alors qu’auparavant les actes de cautionnement et d’emprunt étaient considérés comme des actes ordinaires, la loi de 1985 a instauré un régime de protection propre à ces institutions. Le cautionnement, engagement « indolore insidieux »3, est un acte dangereux pour le patrimoine commun du couple car les risques en sont rarement bien mesurés par celui qui le souscrit. En 1985, rien ne permettait de parer ce danger4.

3. On peut, sans doute, s’interroger sur le bien-fondé d’une protection spécifique, notamment parce que nombre de droits étrangers ne connaissent pas de protection particulière de l’époux caution5. Mais ce qui surprend le plus, c’est l’insuffisante prise en compte des spécificités du lien matrimonial qui ne correspond pas à l’apparente volonté d’adapter le droit du cautionnement aux impératifs du mariage. L’époux qui consent au cautionnement par son conjoint de la dette d’un tiers est considéré comme un tiers au contrat, un véritable penitus extrane.6 Il ne peut d’ailleurs invoquer une obligation de mise en garde du banquier envers lui7. Paradoxalement, la Cour de cassation apprécie parfois dans son ensemble, et avec beaucoup de réalisme, la situation des époux 8. L’époux consentant est un tiers intéressé et certains auteurs admettent que cette qualité aurait pour effet de le rendre créancier d’une obligation d’information tant précontractuelle que contractuelle9. Sans aller jusque-là, il est possible d’admettre que l’époux qui consent au cautionnement de son conjoint n’est pas un tiers comme les autres.

4. Ce constat est d’autant plus vrai dans deux situations bien particulières : lorsque la dette cautionnée n’est pas celle d’un tiers comme les autres mais celle d’un proche du couple, par exemple un enfant, et lorsqu’un époux cautionne les dettes de son conjoint. Dans ces deux cas, la notion d’intérêt de l’époux pourrait conduire à une application différente de l’article 1415, voire à une réécriture de cet article. Cette référence à la situation particulière de l’époux est en général invoquée afin de lui octroyer des protections particulières, informations ou mises en garde, mais elle pourrait aussi avoir pour effet de limiter la protection qui lui est offerte par l’article 1415 du Code civil, dont la justification peut se discuter lorsque l’époux profite du cautionnement auquel il n’a pas consenti. Il convient néanmoins de distinguer le cautionnement donné dans l’intérêt commun des époux du cautionnement souscrit dans l’intérêt propre de l’époux non caution. Il est ainsi nécessaire d’envisager, d’une part, le cautionnement conclu dans l’intérêt commun des époux (I) et, d’autre part, le cautionnement conclu dans l’intérêt personnel de l’époux non caution (II).

I – Le cautionnement conclu dans l’intérêt commun des époux

Le conjoint de la caution peut être un tiers intéressé au contrat de cautionnement (A). Mais l’article 1415 du Code civil ne mérite pas une appréciation particulière lorsque le cautionnement est souscrit dans l’intérêt du couple (B).

A – Le conjoint de la caution, un tiers intéressé

Le gage du créancier dépend du consentement du conjoint de la caution. Or, si ce consentement doit exister (1), il est rarement apprécié de manière réaliste (2).

1 – Le consentement du conjoint de la caution

5. Rappelons brièvement que l’article 1415 du Code civil énonce qu’un époux ne peut engager par un cautionnement que ses biens propres et ses revenus10 à moins que son conjoint n’ait expressément consenti à l’acte de cautionnement. Deux cas de figure se présentent donc : en l’absence de consentement exprès, seuls les biens propres et les revenus de l’époux caution sont engagés alors qu’en présence de ce consentement, le cautionnement engage également les biens communs. Dans les deux cas, les biens propres de l’époux qui n’a pas souscrit le cautionnement ne font pas partie du gage des créanciers. La saisissabilité des gains et salaires de l’époux qui consent devrait, en principe, être exclue, conformément à l’article 1414 du Code civil mais un arrêt de la chambre commerciale a jeté le doute sur cette question11. Dans l’attente d’une réponse claire de la Cour de cassation, il semble que la première solution corresponde davantage à la philosophie de l’article 1415, d’autant plus qu’il n’y a pas de nécessaire identité entre la proportionnalité de l’engagement qui vise à comparer l’engagement au train de vie de celui qui s’engage et le fait que les biens soient effectivement saisissables par les créanciers.

6. 
Le « consentement autorisation » – L’objectif de l’article 1415 est de protéger l’époux qui ne s’est pas engagé. Le « consentement autorisation » n’est pas un « consentement engagement »12, c’est pourquoi l’époux non caution n’engage pas ses biens propres : le conjoint qui autorise un cautionnement n’a pas entendu s’engager aux côtés de son époux. D’ailleurs, la jurisprudence est souvent réticente à considérer que les époux ont entendu s’engager ensemble13.

7. 
Forme et moment du consentement – Le consentement doit être exprès « mais ne suppose aucune formule sacramentelle »14. Il peut être préalable mais il est le plus souvent concomitant au cautionnement. La Cour de cassation précise que la simple connaissance de l’engagement ou même l’approbation de l’acte par le conjoint qui n’a pas contracté, exprimées postérieurement, sont insuffisantes15. Le consentement doit être donné au moment même du cautionnement et être certain et non équivoque, ce qui pose le problème de son appréciation.

2 – L’appréciation du consentement de l’époux non caution

8. Le consentement doit être certain et non équivoque16, c’est-à-dire manifester clairement la volonté de l’époux de consentir au cautionnement de son conjoint. En pratique, les professionnels exigeront que le conjoint de la caution appose sur l’acte la mention « bon pour consentement à l’engagement ci-dessus »17. Mais peut-on déduire du comportement de l’époux un consentement exprès ? Est-ce le cas lorsque deux époux s’engagent à cautionner la même dette ? La Cour de cassation considère, dans ce cas, que la connaissance réciproque de l’acte souscrit par le conjoint est une condition déterminante de l’engagement de la communauté18. Mais la réponse est différente selon que les époux se sont engagés sur le même instrumentum ou dans des actes séparés.

9. 
Cautionnements simultanés dans le même acte – Lorsque deux époux s’engagent en termes identiques dans le même acte, la Cour de cassation exclut l’application de l’article 1415 du Code civil19. La simultanéité des engagements respectifs des époux constituerait-elle une présomption de consentement ? En réalité, on ne se pose pas la question puisque la Cour de cassation n’applique pas l’article 1415. La protection n’a pas ici de raison d’être20.

10. 
Cautionnement dans des actes séparés – Le plus souvent, la jurisprudence considère que lorsque les époux se portent caution de la même dette dans des actes distincts, ils n’ont pas entendu engager les biens communs et que chacun des époux n’engage que ses biens propres et ses revenus21. S’engager soi-même dans les mêmes termes que son conjoint ne signifie pas nécessairement que l’on consente à l’engagement de ce dernier. L’article 1415 joue pour chacun des époux. Un arrêt dissident de la première chambre civile du 13 octobre 1999 retient néanmoins que lorsque deux époux se constituent caution par actes séparés pour la garantie d’une même dette, l’article 1415 du Code civil n’a plus lieu de s’appliquer22. Cette divergence pourrait trouver une explication dans la théorie du professeur Bernard Vareille qui estime que plusieurs cas de figure sont à distinguer lorsque deux époux cautionnent la même dette par des actes séparés23. Il y aurait trois degrés sur l’échelle des cautionnements séparés : les cautionnements consentis dans l’ignorance l’un de l’autre, les cautionnements où seul l’un des conjoints a connaissance de l’engagement de l’autre et ceux acceptés en connaissance réciproque. Le premier arrêt correspondrait au premier degré : les cautionnements avaient été consentis indépendamment l’un de l’autre. Le second arrêt correspondrait au troisième degré : « les cautionnements auraient été consentis en contemplation l’un de l’autre. »24

11. 
La réalité du consentement entre époux ? La Cour de cassation tente ainsi de pallier l’absence de réglementation du consentement mais recherche-t-elle réellement ce qu’a voulu l’époux ? La Cour de cassation utilise deux critères. Elle use, en premier lieu, d’un critère matériel25. Y a-t-il pluralité d’actes ou les époux se sont-ils portés caution sur le même acte ? La Cour fait de la connaissance réciproque une condition déterminante. Le second critère est « intellectuel » : les époux ont-ils une connaissance réciproque de l’engagement de l’autre ? Sur ce point, il appartient au créancier de rapporter la preuve de la connaissance réciproque des époux. Cette double démarche apparaît adaptée et réaliste. Cependant, s’il est opportun de rechercher la connaissance effective des époux en présence d’actes séparés, en présence d’un acte unique, ce n’est pas la connaissance de l’engagement qu’il convient de rechercher mais la volonté non équivoque d’y consentir. La jurisprudence a souvent affirmé que le consentement exprès ne peut être déduit de la seule connaissance du cautionnement par le conjoint. Le fait de s’engager dans les mêmes termes que son conjoint sur le même acte montre une volonté de s’engager ensemble en connaissance de cause et de renoncer à la protection de l’article 1415 alors que s’engager sur des actes séparés démontre au contraire la volonté de ne pas renoncer à cette protection.

12. La protection de l’article 1415 est paradoxale : il est parfois possible de considérer qu’il s’agit d’une protection abusive des époux qui a pour effet de réduire à néant les prévisions du créancier26. Mais le créancier n’est pas totalement démuni. Il peut contourner la protection du patrimoine des époux en exigeant, simplement, un cautionnement solidaire27. Si la protection des époux et plus particulièrement de celui qui n’a pas conclu le cautionnement est indispensable, il apparaît néanmoins que les applications de l’article 1415 révèlent parfois un manque de réalisme qui conduit à porter atteinte aux droits du créancier alors même que la protection des époux n’a pas lieu d’être. C’est notamment le cas lorsque les deux époux ont un intérêt, moral ou financier, au cautionnement.

B – L’incidence de l’intérêt commun du couple

Le cautionnement peut profiter aux deux époux à l’image des dettes solidaires (1) mais cela ne signifie pas pour autant que l’existence d’un intérêt commun des époux au cautionnement doit influer sur l’article 1415 du Code civil (2).

1 – Intérêt commun et solidarité

13. Le cautionnement souscrit par un époux peut procurer un intérêt aux deux époux. Celui-ci peut être patrimonial ou extrapatrimonial. Il est patrimonial, par exemple, lorsque le cautionnement donné par l’époux a pour effet d’augmenter le crédit du couple. Il est extrapatrimonial, notamment, lorsque le bénéficiaire du cautionnement est un proche du couple, par exemple un enfant. L’intérêt commun n’est pas sans rappeler la solidarité ménagère. Le cautionnement devrait-il être traité comme une dette ménagère solidaire ? La solidarité prévue par l’article 220 du Code civil a pour effet d’engager l’ensemble du patrimoine du couple, biens communs et biens propres de chacun. La sanction pourrait être jugée sévère. Peut-on considérer que l’intérêt commun, patrimonial ou extrapatrimonial, se résume à l’entretien du ménage et l’éducation des enfants ? « L’intérêt commun est sans doute autre chose que la somme des intérêts particuliers des deux époux 28 », sa finalité est familiale et, en réalité, il est ce qui est censé animer l’époux lorsqu’il exerce ses pouvoirs. En cas de doute, on présume même que ce dernier agit dans l’intérêt de la communauté29. L’intérêt commun des époux est plus large que la solidarité ménagère et existe dès lors qu’un acte procure un avantage à la communauté. Cet intérêt ne doit pas influer sur le fonctionnement de l’article 1415 : profiter n’est pas consentir, profiter n’est pas connaître.

2 – L’indifférence de l’intérêt commun

14. Nombreux sont les contrats conclus par un époux commun en bien qui profiteront au couple. En principe, chacun des époux se doit d’agir dans l’intérêt de la communauté. Pour autant, cette conception trouve ses limites dans de nombreux cas où l’époux agit dans son intérêt exclusif. Le cautionnement souscrit par un époux peut profiter au couple mais il peut également s’agir d’un acte « égoïste ». Pourtant, dans bien des cas, l’époux non caution trouvera un intérêt au cautionnement. C’est le cas par exemple lorsqu’un époux cautionne les dettes de la SARL dont il est gérant puisqu’il sauvegarde, par-là, ses revenus et dividendes30. La notion d’intérêt commun, trop vague, pourrait conduire à écarter trop facilement l’article 1415 du Code civil. L’intérêt commun des époux à un cautionnement ne doit, ainsi, pas conduire à écarter la règle protectrice énoncée par l’article 1415 du Code civil.

Il en va différemment, en revanche, lorsque l’époux de la caution tire un intérêt propre du cautionnement, notamment lorsque la dette cautionnée est la sienne.

II – Le cautionnement conclu dans l’intérêt personnel de l’époux non caution

Le cautionnement consenti par un époux au bénéfice de son conjoint présente des particularités (A) qui devraient conduire à une prise en compte de l’intérêt personnel que l’époux non caution (B).

A – Les particularités du cautionnement par un époux des dettes contractées par son conjoint

Si le cautionnement des dettes d’un époux par son conjoint présente d’évidentes particularités (1), elles ne sont pas prises en compte par le droit positif (2).

1 – La spécificité du cautionnement entre époux

15. Le cautionnement donné par l’époux au bénéfice de son conjoint est soumis au droit commun et traité comme n’importe quel cautionnement. Les époux qui se portent caution de leur conjoint sont traités comme des cautions étrangères à l’affaire. Lorsqu’un époux cautionne les dettes de son conjoint, l’article 1415 trouve naturellement à s’appliquer : l’époux caution n’engagera que ses biens propres, à moins que son conjoint – le débiteur dont la dette est cautionnée – ne donne son consentement exprès au cautionnement. Pourtant, le cautionnement entre époux est une situation fort singulière qui devrait appeler un traitement particulier.

16. 
Spécificités du gage du créancier en cas de cautionnement entre époux – Contrairement au cautionnement de la dette d’un tiers, le cautionnement de la dette du conjoint conduit à mettre en danger tous les biens du couple mais en deux temps. L’époux débiteur engage ses biens propres et ses revenus31 mais également les biens communs32 à l’exception des gains et salaires de son conjoint33. Si l’époux débiteur ne paie pas, le créancier pourra alors poursuivre l’époux caution qui n’engagera que ses biens propres et ses revenus. L’assiette du gage du créancier est alors moins importante34 en cas de recours contre la caution. Il est paradoxal d’exclure du gage du créancier des biens sur lesquels il dispose d’un droit. Néanmoins, contrairement à la solidarité, le créancier ne pourra pas saisir l’un quelconque des biens des époux ou de l’un d’eux. S’il poursuit la caution, en cas de carence du débiteur ou dans l’hypothèse d’un cautionnement solidaire, le créancier est privé du droit d’agir à l’encontre du débiteur et sera donc privé de son gage sur les biens communs35. Il est donc toujours préférable pour le créancier d’agir contre le débiteur, sauf dans l’éventualité où ce dernier aurait exclu certains biens du gage des créanciers. En effet, l’application ponctuelle de la théorie du patrimoine d’affectation permet désormais à l’époux commerçant de déclarer insaisissable sa résidence principale36 ainsi que ses autres biens fonciers non affectés à l’exploitation de l’entreprise37 ou encore, dans le cadre d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée38, d’établir une distinction entre ses patrimoines professionnels et personnels39. S’adresser à la caution pourrait donc permettre au créancier de contourner ces mécanismes protecteurs lorsque les biens soustraits à son gage sont communs et, ainsi, de réduire à néant les prévisions du débiteur. Le cautionnement entre époux conduit à un résultat singulier. Pour autant, l’article 1415 s’y applique de la même manière que s’agissant du cautionnement par un époux de la dette d’un tiers. L’appréciation du consentement nécessaire à la mise en œuvre de l’article 1415 du Code civil semble mal aisée s’agissant du cautionnement entre époux.

2 – L’absence de prise en compte du cas particulier du cautionnement entre époux

17. 
L’interdiction du cautionnement entre époux ? – Une position, radicale, aurait pu consister en l’interdiction du cautionnement entre époux au motif qu’un époux ne saurait refuser de se porter caution des dettes de son conjoint. Il y aurait alors impossibilité morale de refuser le cautionnement. D’autres domaines du droit civil prennent en compte, de manière réaliste, les relations familiales afin de déroger au droit commun. C’est notamment le cas du nouvel article 136040 du Code civil qui prévoit une exception à l’exigence d’une preuve littérale lorsque l’une des parties était dans l’impossibilité morale de se procurer un écrit. Les juges estiment que des relations de parenté41, d’alliance42 ou encore les liens particuliers et quasi familiaux d’estime et d’affection qui s’établissent entre les parties peuvent placer le débiteur dans l’impossibilité morale de se procurer une preuve littérale43. Un époux est-il réellement libre de refuser de garantir les dettes de son conjoint ? La question mérite peut-être d’être posée. Sans normativiser cette question, il semble que les juges pourraient apprécier toutes les circonstances entourant la conclusion du cautionnement. D’autant plus que la sévérité de la jurisprudence a eu un effet pervers : le plus souvent, le crédit des époux dépendra entièrement du double engagement des époux exigé par le créancier.

18. 
Le recours au droit commun du cautionnement – Peut-être faudrait-il rechercher dans le droit commun du cautionnement une prise en compte des spécificités du cautionnement entre époux ? La question s’est posée à propos de l’ancien article 2015 du Code civil, aujourd’hui article 2292, qui prévoit que « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Une jurisprudence, certes ancienne, offre une piste intéressante. Pourrait-on admettre, afin de faciliter la preuve d’un cautionnement, qu’un époux est « personnellement et directement intéressé » aux affaires traitées par son conjoint44
 ? Dans cet arrêt, c’est pour invalider un cautionnement solidaire que la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 3 avril 1990 et, à sa suite, la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 avril 1992, retiennent, notamment, « qu’il n’était pas soutenu que Mme X aurait été directement et personnellement intéressée aux affaires traitées par son mari ». Est-ce à dire qu’a contrario, il est possible de présumer le consentement exprès de la caution personnellement intéressée aux affaires du débiteur ? L’argument pourrait servir à faciliter la preuve du consentement exprès de l’époux.

B – La prise en compte de l’intérêt personnel de l’époux non caution

L’époux dont la dette est cautionnée par son conjoint trouve un intérêt personnel au cautionnement de son conjoint (1), ce qui pourrait influer sur l’appréciation de son consentement (2).

1 – L’intérêt personnel de l’époux non caution

19. 
Le cautionnement exogène – L’époux de la caution peut profiter du cautionnement que le cautionnement soit exogène ou endogène. Dans le cas d’un cautionnement exogène, autrement dit dans le cas où l’époux de la caution n’est pas le débiteur de la dette, ce dernier peut avoir intérêt au cautionnement de son conjoint dans deux cas. Il peut y trouver un intérêt moral ou un intérêt patrimonial. Il peut d’abord trouver au cautionnement un intérêt moral lorsque la dette cautionnée est celle d’un proche, par exemple d’un enfant. Si le constat est indéniable, il semble néanmoins difficile d’apprécier l’existence de cet intérêt du conjoint de la caution. Il faut alors admettre que seul l’intérêt financier du conjoint doit être pris en compte. L’intérêt qu’un époux peut trouver au cautionnement de son conjoint est difficile à cerner. Il peut s’agir d’un intérêt financier « par ricochet », lorsque le cautionnement donné par son conjoint a pour effet d’augmenter le crédit du couple. C’est notamment le cas lorsque le cautionnement sert à garantir les revenus professionnels de l’époux débiteur. Cet intérêt ne doit pas influer sur l’appréciation de l’article 1415 et faire présumer un consentement. Dans ce cas, en effet, l’époux non caution mérite d’être protégé qu’il ait, ou non, eu connaissance de l’acte et le fait qu’il ait pu en tirer un avantage patrimonial ne devrait pas avoir d’influence tant qu’il n’a pas consenti. Dans cette hypothèse, « le cautionnement est exogène au couple »45.

20. 
Le cautionnement endogène – Il en va différemment du cautionnement endogène, autrement dit du cautionnement d’un époux débiteur par l’autre. Lorsque l’époux dont le consentement devrait être recherché en application de l’article 1415 est le débiteur cautionné, il peut sembler inopportun de considérer ce dernier comme un étranger à l’acte. Tiers au sens du droit des contrats, il est néanmoins difficile de croire que l’opération lui soit inconnue, voir qu’il ne l’a pas sollicitée. La jurisprudence a déjà admis que la connaissance de l’engagement du conjoint en cas d’engagements concomitants pour la même dette conduit à écarter l’article 1415. Même si la caution est un tiers à la relation contractuelle entre le créancier et le débiteur et que le débiteur est tiers au contrat de cautionnement, il semble difficile d’admettre que le débiteur n’ait pas connaissance de l’engagement de son conjoint. Plus encore, la raison d’être de l’article 1415, protéger un époux des actes du conjoint dont il n’aurait pas connaissance, est ici absente puisque le cautionnement est consenti dans son intérêt, éventuellement exclusif. Si, le plus souvent, l’application de l’article 1415 est judicieuse, il nous semble que, dans le cas précis du cautionnement entre époux, elle n’a pas de raison d’être.

2 – Une présomption de consentement ?

21. Deux solutions sont envisageables : l’une prétorienne, l’autre légale. La première consiste à écarter, purement et simplement, l’article 1415 du Code civil lorsque les juges constatent que le cautionnement a été conclu au profit de l’époux débiteur non caution. Cette voie aurait le mérite de la simplicité mais ne permettrait pas au créancier de prévoir de manière certaine l’assiette de son gage. La seconde solution consiste en une réécriture de l’article 1415 du Code civil en y intégrant la notion d’intérêt. La nouvelle rédaction pourrait être la suivante :

« Le cautionnement ou l’emprunt contracté par l’un des époux engage ses biens propres et ses revenus. Il n’engage les biens communs que si le conjoint a donné son consentement exprès à l’acte ou si celui-ci lui a personnellement profité. Les biens propres de l’époux qui n’a pas contracté ne sont jamais engagés ».

Il serait ainsi possible d’admettre qu’il existe une présomption simple de consentement lorsque le cautionnement est donné en garantie de la dette du conjoint46, à charge pour l’époux de démontrer l’absence de consentement. Quelle que soit la solution retenue, il semble essentiel de prendre en compte la spécificité du cautionnement entre époux afin d’éviter un détournement d’institution. L’article 1415 n’a pas vocation à protéger le conjoint qui prend soin de ne pas donner son consentement exprès à un cautionnement qu’il a sollicité au seul motif de protéger une partie du patrimoine du couple.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. « La stabilité de la famille est garante de celle de la société, que la famille est la pépinière de l’État », tiré de Dekeuwer-Défossez F., « Droit des personnes et de la famille : de 1804 au pacs (et au-delà...) », Pouvoirs 2003, p. 37 et s, n° 107.
  • 2.
    V. par ex. Cornu G., Régimes matrimoniaux, 9e éd., 1997, Thémis, p. 370 et s. ; v. égal. Terré F. et Simler P., Régimes matrimoniaux, 2015, Dalloz, p. 342.
  • 3.
    V. Flour J. et Champenois G., Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 2001, Armand Colin, n° 457.
  • 4.
    V. La jurisprudence avait refusé de qualifier le cautionnement d’acte de disposition à titre gratuit, soumis à l’article 1422 du Code civil, au motif qu’il n’emportait aucun dessaisissement immédiat et définitif d’un élément du patrimoine : voir Cass. 1re civ., 27 janv. 1982, n° 80-17124 : Bull. civ. I, n° 146.
  • 5.
    V. De Toledo E. et Fiora J.-J., « Les régimes matrimoniaux en Europe » Defrénois 30 avr. 1992, n° 35246, p. 490.
  • 6.
    V. Zio M., « Banque et couple face au cautionnement. Pourquoi et comment concilier des intérêts divergents ? », LPA 13 avr. 2017, n° 125e2, p. 6.
  • 7.
    V. Moliere A., « L’époux qui autorise la conclusion d’un cautionnement par son conjoint doit-il être mis en garde ? », D. 2016 p. 1415 ; v. égal. Avena-Robardet V., « Le conjoint commun en bien de la caution n’a pas à être mis en garde », AJ fam. 2016, p. 218 ; v. égal. Delpech X., « Pas de mise en garde du banquier au profit de l’époux de la caution », Dalloz actualité, 18 mars 2016 ; v. égal. JCP 2016, p. 553, n° 6, obs Simler P. ; v. enfin Legeais D., « Portée du consentement donné au conjoint ? » RD bancaire et fin. 2016, comm. 68.
  • 8.
    V. par ex., Cass. com., 22 févr. 2017, n° 15-14915, qui prend en compte les biens et revenus du couple et non de la seule caution pour apprécier le caractère disproportionné de l’engagement.
  • 9.
    V. Zio M., « Banque et couple face au cautionnement. Pourquoi et comment concilier des intérêts divergents ? », LPA 13 avr. 2017, n° 125e2, p. 6.
  • 10.
    Le terme désigne à la fois les gains et salaires d’un époux et les fruits et revenus de ses biens. V. Cabrillac R., « Les restrictions au droit de poursuite des créanciers dans le régime de la communauté légale », Dr. et patri. 1997, p. 56.
  • 11.
    En effet, la Cour de cassation a admis, le 22 février 2017, que « le consentement exprès donné en application de l’article 1415 du Code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d’étendre l’assiette du gage du créancier aux biens communs, c’est à bon droit que la cour d’appel a apprécié la proportionnalité de l’engagement contracté par M. X, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ». Deux conceptions sont envisageables : soit la Cour de cassation a entendu décorréler saisissabilité du bien et assiette de la proportionnalité de l’engagement, soit elle estime que l’article 1415 doit s’appliquer indépendamment de l’article 1414 et permettre la saisie des gains et salaires de l’époux qui a consenti au cautionnement au titre des biens communs. V. par ex. Mignot M., « L’extension du gage des créanciers aux biens communs », LEDB avr. 2017, n° 110n0, p. 7 ; v. égal. Pla-Busiris S., « Consentement du conjoint de la caution et appréciation de la disproportion manifeste », Rev. sociétés 2017, p. 586 ; v. égal. Bouchard V., « Proportionnalité et saisissabilité des revenus professionnels du conjoint de la caution : consentir, c’est s’engager… » JCP N 2017, n° 1201.
  • 12.
    V. not. Flour Y., « Le cautionnement et le patrimoine des couples », Dr. et patri. 2001, p. 80 et s., p. 6.
  • 13.
    V. Puygauthier J.-L., « Cautionnement ou emprunt souscrit par un époux commun en biens : une jurisprudence bienveillante », Defrénois 30 sept. 2005, n° 38229, p. 1393.
  • 14.
    V. Grimaldi M., « États généraux du droit de la famille » : L’emprunt et le cautionnement, Gaz. Pal. 11 déc. 2008, n° H2944, p. 23 ; 106e congrès des notaires de France, n° 2074, p. 330.
  • 15.
    V. Barberot C., « Manifestation du consentement exprès de l’article 1415 du Code civil », D. 2002, p. 3290.
  • 16.
    V. par ex. Cass. 1re civ., 28 nov. 2006, n° 04-19725 : D. 2007, p. 88, obs. Avena-Robardet V. ; JCP G 2007, p. 142, obs. Simler P. ; AJ fam. 2007, p. 41, obs. Hilt P.
  • 17.
    V. Vauvillé F., note sous Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-15669 : RJPF 2011.
  • 18.
    V. Chabot G., « Le cautionnement par actes séparés sous le régime de communauté légale », JCP G 1999, p. 10102, à propos de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 mars 1999.
  • 19.
    V. Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 96-19126 : Bull. civ. I, n° 273 ; Defrénois 2000, n° 37196, p. 784, obs. Champenois G. ; JCP G 2000, p. 10307, note Casey J. ; Contrats, conc., consom. 2000, comm. 20, obs. Leveneur L ; RTD civ. 2000, p. 393, obs. Vareille B. − Cass. com. 5 févr. 2013, n° 11-18644 : D. 2013 p. 507, note Dauriac I. ; AJ fam. 2013, p. 187, obs. Hilt P. ; D. 2013, p. 1253, obs. Avena-Robardet V. ; Goût O., « Le cautionnement d’une même dette donné par deux époux mariés sous le régime de la communauté : nouvelles précisions jurisprudentielles » : JCP A 2013, p. 1283.
  • 20.
    V. Goût O., « La protection de l’article 1415 ne saurait dépasser le but fixé par le législateur : éviter par une initiative unilatérale de mettre en péril la communauté », JCP A 2013, p. 1283.
  • 21.
    Cette solution a notamment été retenue par la cour d’appel de Reims dans un arrêt du 11 décembre 1996, dans une hypothèse où les époux avaient signé deux actes distincts d’un montant identique et le même jour. Elle estime que : « si ce double engagement avait pour but d’engager la communauté, le but poursuivi n’a pas été atteint, puisque, en s’engageant séparément, les époux P. n’ont précisément engagé que leurs biens propres ». V. égal. Cass. 1re civ., 9 mars 1999, n° 97-12357, D : RTD civ. 2000 p. 393 note Vareille B. – Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n° 00-13527 : Bull civ I, n° 129 − Cass. 1re civ., 8 mars 2005, n° 01-12734 : JCP G 2005, p. 163, n° 10, obs. Simler P. ; Dr famille 2005, comm. 81, obs. Beigner B. ; Dr et patri. 2005, p. 86, note Lécuyer H.
  • 22.
    V. Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 96-19126 : Bull civ I, n° 273; JCP G 2000, p. 10307, note Casey J. ; Defrénois 2000, n° 37196, obs. Champenois G. ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. 20, note Leveneur L. ; Dr. famille 2000, comm. 25, note Beignier B. ; RTD civ. 2000, p. 393, obs. Vareille B.
  • 23.
    V. RTD civ. 2000, p. 393, obs. Vareille B.
  • 24.
    V. RTD civ. 2000, p. 393, obs. Vareille B.
  • 25.
    V. Chabot G., « Le cautionnement par actes séparés sous le régime de communauté légale », JCP G 1999, p. 10102, note 68.
  • 26.
    N’est-ce pas le cas quand la jurisprudence applique l’article 1415 aux cautionnements des époux de la même dette sur des actes différents ?
  • 27.
    V. Sadi D., « L’autorisation du conjoint donnée à l’époux caution : étude prospective », D. 2014, p. 231.
  • 28.
    V. Godon L., « La protection d’un époux contre les agissements de l’autre en régime légal de communauté, (première partie) », Defrénois 15 sept 1998, p. 977.
  • 29.
    V. « Champenois G., Régimes matrimoniaux, libéralités, successions », Defrénois 15 nov 2008, n° 38854, p. 2207.
  • 30.
    Rappelons que les gains et salaires sont des biens communs et que les dividendes attachés aux droits d’associés sont revenus de biens propres et constituent donc des biens communs.
  • 31.
    V. C. civ., art. 1413.
  • 32.
    V. C. civ., art. 1413.
  • 33.
    V. C. civ., art. 1413.
  • 34.
    En masse de biens, pas nécessairement en valeur.
  • 35.
    Sauf si le conjoint débiteur a expressément consenti au cautionnement de son époux.
  • 36.
    V. L. n° 2003-721, 1er août 2003, pour l’initiative économique ;
  • 37.
    V. L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie ;
  • 38.
    V. L. n° 2010-658, 15 juin 2010, relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
  • 39.
    V. C. com., art. L526-6 et s.
  • 40.
    Qui reprend en termes presque similaires l’ancien article 1348 du Code civil.
  • 41.
    V. Cass. 1re civ., 6 déc. 1972, n° 71-13427 : Bull. civ. I, n° 279.
  • 42.
    V. Cass. 1re civ., 27 juin 1973, n° 70-13723 : Bull. civ. I, n° 220.
  • 43.
    V. Cass. 3e civ., 7 janv. 1981, n° 79-14831 : Bull. civ. III, n° 7.
  • 44.
    V. Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, n° 90-17735 : Bull. civ I n° 129, p. 86 ; Bandrac M., « Cautionnement donné par un époux aux dettes de son conjoint chef d’entreprise, ou de la personne morale qu’il dirige. Application des articles 1326 et 2015 du Code civil », RTD civ. 1992, p. 306.
  • 45.
    V. Sadi D., « L’autorisation du conjoint donnée à l’époux caution : étude prospective », D. 2014, p. 231.
  • 46.
    Directement ou par personne interposée, par exemple lorsque l’époux garantit les dettes de l’entreprise de son conjoint.
  • 47.
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