La chronique est assurée par Lionel Andreu, Valerio Forti et Éric Savaux, respectivement professeur, maître de conférences et professeur à l’université de Poitiers et concerne la période allant de septembre 2019 à février 2020.
I – Les droits du créancier
A – Le droit à l’exécution
(…)
B – Les actions protectrices
Action paulienne et restructuration de société (CJUE, 30 janv. 2020, n° C-394/18). Qu’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne intéresse le régime général des obligations est un fait suffisamment rare pour qu’il mérite d’être signalé. Pour aller à l’essentiel, la Cour avait été saisie d’une question préjudicielle par une juridiction italienne : les créanciers d’une société scindée, dont les droits sont antérieurs à cette scission, et qui n’ont pas fait usage des instruments de protection résultant du régime d’origine européenne – droit d’opposition et action en nullité –, peuvent-ils intenter une action paulienne prévue par le droit interne pour faire déclarer la scission inopposable à leur égard ? Oui, répond la Cour de justice de l’Union européenne.
Inutile de revenir ici sur la question, qui concerne les sources du droit, de la compatibilité entre le régime d’origine européenne et le droit interne des obligations. Non pas qu’elle ne soit pas intéressante, bien au contraire. Mais parce qu’elle ne relève pas prioritairement du périmètre de cette chronique. On se contentera de renvoyer pour cet aspect aux observations formulées ailleurs à propos de la présente décision1. Mieux vaut revenir brièvement sur une question plus générale, de technique juridique, à savoir celle de la place de l’action paulienne en matière de restructuration de société2.
La jurisprudence française conçoit que les créanciers d’une société puissent utiliser l’arme de l’action paulienne pour lutter contre la fraude visant à soustraire certains biens de l’assiette de leur droit de gage général à l’occasion notamment d’une dissolution3. Toutefois, un aspect embarrasse parfois : certaines opérations de restructuration emportent la disparition de la personne morale débitrice. La question se pose alors de savoir si cette disparition fait obstacle à la recevabilité de l’action paulienne.
Il y a matière à hésiter. Une alternative s’ouvre en effet. La première branche de l’alternative consisterait à considérer que le régime de l’action paulienne ne suppose pas, au fond, que le débiteur – et, par conséquent, son patrimoine – subsiste4. Il serait possible d’obtenir l’effet escompté en ne visant que le patrimoine du tiers ayant bénéficié de l’acte critiqué. Ce raisonnement ne serait pas choquant. Il pourrait trouver appui dans la jurisprudence qui décide que « l’action paulienne doit être dirigée contre le tiers acquéreur »5. Mais la démonstration pèche sur un point : il n’est pas sûr, loin de là, que diriger l’action contre le tiers soit une condition non seulement nécessaire mais également suffisante, en ce sens que l’action devrait peut-être cibler également le débiteur lui-même. Aussi une autre branche de l’alternative mérite d’être envisagée. Elle consisterait à exclure l’action paulienne en pareil cas6. Ce qui ne reviendrait pas à priver le créancier de toute protection. Simplement, il serait tenu d’agir en invoquant le genre, le principe fraus omnia corrumpit, sans pouvoir bénéficier de l’espèce soumise à un régime précis, l’action paulienne7.
Dans la décision rapportée, la question ne se posait pas puisque la scission partielle de droit italien emporte le transfert d’une partie du patrimoine tout en laissant la société apporteuse subsister. De la solution adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne consistant à admettre l’action paulienne, on retiendra donc surtout qu’elle est aisément transposable à l’apport partiel d’actif de droit français. Mais quid, en droit français, de la scission qui entraîne la dissolution de la société scindée ? L’action paulienne peut-elle y prospérer ? Ce qui se fait jour, en définitive, c’est la nécessité d’une réponse fixée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe.
Valerio FORTI
II – Les modalités de l’obligation
A – Les modalités temporelles
(…)
B – Les modalités structurelles
L’étendue du recours du codébiteur solidaire contre les autres codébiteurs en cas de paiement partiel (Cass. 1re civ., 10 oct. 2019, n° 18-20429). Le fait qu’un paiement soit réalisé partiellement n’est pas sans soulever quelques difficultés. L’une d’elles concerne les rapports entre le créancier et le débiteur de l’obligation, les autres tiennent à des modalités particulières de l’obligation. La première est clairement tranchée par l’article 1342-4, alinéa 1er, du Code civil : un paiement partiel peut être refusé même si la prestation est divisible. Reste à régler les secondes. La tâche est moins facile car les textes ne s’y intéressent pas vraiment. L’une de ces difficultés peut être énoncée sous la forme d’une question : quelle est la mesure du recours contre les autres codébiteurs solidaires de la part de celui d’entre eux qui a payé partiellement8 ?
Deux réponses sont abstraitement envisageables. Deux réponses qui ne conduisent nullement au même résultat pratique. En peu de mots, la base de calcul peut être le montant du paiement partiel ou alors le montant de la dette. En clair, soit l’on autorise le codébiteur solvens à demander aux autres codébiteurs leurs parts contributives appliquées au montant du paiement partiel, soit on lui ouvre un recours contre les codébiteurs pour la différence entre sa propre part et la somme objet du paiement partiel. Pour le dire différemment encore, prenons un exemple. Deux codébiteurs sont solidairement tenus d’une dette de 100, et la part contributive de chacun est de 50. L’un des deux paye 80. Le recours contre son codébiteur a pour objet soit 40, c’est-à-dire le montant du paiement partiel divisé par tête (80 / 2 = 40), soit 30, à savoir ce qui a été payé au-delà de la part contributive (80 – 50 = 30).
Que la première solution soit fruste, cela ne fait pas de doute. Mais le problème n’est pas là. Il tient à ce que cette solution est contraire au mécanisme de l’obligation solidaire : s’il est vrai que chaque codébiteur ne contribue à la dette que pour sa part, il n’empêche qu’il y contribue pour toute sa part. Aussi la seconde solution s’impose-t-elle9. Ce que rappelle la Cour de cassation aux juges du fond à l’occasion de l’arrêt sous commentaire.
En l’espèce, une banque avait consenti un prêt à deux codébiteurs solidaires. À la suite d’impayés, la saisie des rémunérations de l’un des codébiteurs avait été ordonnée pour une somme de 17 400,76 € au titre du solde restant dû à la banque. Ce codébiteur avait assigné l’autre en paiement de la part de la dette incombant à ce dernier. Les juges du fond avaient condamné le second codébiteur à payer au premier 7 731,90 €, à savoir la moitié de la somme effectivement payée à la banque – 15 463,80 € –, qui était inférieure au solde restant dû. L’histoire était écrite : l’arrêt est cassé au motif que « le codébiteur solidaire qui a payé au-delà de sa part ne dispose d’un recours contre ses coobligés que pour les sommes qui excèdent sa propre part, de sorte que le recours de Mme T. était limité à la somme de 6 763,42 € ».
La solution est logique. Son fondement textuel n’en est pas moins fragile. À l’appui de sa décision, la Cour de cassation convoque l’ancien article 1214, alinéa 1er, du Code civil, applicable en l’occurrence. Mais, au vrai, elle est obligée d’aller au-delà de la lettre de cet article, qui ne s’intéressait expressément qu’à l’hypothèse d’un paiement intégral10 : « Le codébiteur d’une dette solidaire, qui l’a payée en entier, ne peut répéter contre les autres que les part et portion de chacun d’eux ». On peut alors se réjouir que sous l’empire des textes nouveaux, la même solution ait une assise textuelle plus claire – bien que celle-ci non plus ne s’intéresse pas expressément à la question11. En effet, aux termes de l’article 1317, alinéa 1er et 2, du Code civil : « Entre eux, les codébiteurs solidaires ne contribuent à la dette que chacun pour sa part [al. 1er]. Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d’un recours contre les autres à proportion de leur propre part [al. 2] ».
Valerio FORTI
III – Les opérations sur obligations
A – Les opérations modificatives
Absence de libération résultant de la seule acceptation d’une faculté de substitution (Cass. com., 14 nov. 2019, n° 18-18833). La « clause de substitution »12, qui permet le remplacement d’un contractant par une personne qu’il désigne, suscite de longue date des difficultés d’analyse et d’application pratique13. Un arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la chambre commerciale de la Cour de cassation14 se prononce sur les effets d’une telle clause stipulée par le candidat à la reprise du bail dont était titulaire un débiteur en liquidation judiciaire15.
Le juge-commissaire avait autorisé la cession de gré à gré du bail16 au profit du candidat à la reprise « ou toute autre personne morale ou physique qu’[il] le substituerait », dont il « resterait garant ». C’est principalement la précision relative à la garantie due par l’offrant qui était discutée par celui-ci devant la Cour de cassation : il faisait en substance valoir qu’il n’y avait nullement consenti et que les juges du fond avaient à tort pris appui sur les nouvelles règles relatives à la cession de contrat issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 pour la lui imposer17. À quoi la Cour de cassation répond, pour rejeter le pourvoi, que le candidat acquéreur n’avait pas soumis la clause de substitution à la condition que l’éventuelle substitution s’opérerait sans garantie de l’acquéreur substitué, ce dont l’arrêt « déduit exactement, en se bornant à faire référence à l’article 1216-1 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 sans en faire application, que le juge-commissaire devait retenir, dans ces circonstances, que, l’acceptation de la faculté de substitution ne déchargeant jamais, à elle seule, le débiteur originaire de sa dette, [l’intéressée] resterait tenue, aux termes de son offre, du paiement du prix de cession »18.
À s’en tenir à la lettre de l’arrêt, ses apports sont réduits. La question de la nature de la faculté de substitution tout comme celle de savoir si elle est soumise aux textes régissant la cession de contrat19 sont esquivées par la Cour de cassation, qui se contente de répondre que les juges du fond se sont « born[és] à faire référence à l’article 1216-1 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 sans en faire application ». Il n’y a donc semble-t-il rien à tirer de l’arrêt de ce point de vue20.
Quant aux obligations de l’offrant, l’arrêt n’est pas plus net21. Il envisage en effet la situation de l’intéressé au stade de l’acceptation de la faculté de substitution (qui ne saurait évidemment décharger l’intéressé) sans évoquer sa situation après mise en œuvre de celle-ci (qui pose précisément difficulté).
C’est dire que la question de savoir si celui qui fait usage d’une clause de substitution reste tenu des dettes issues du contrat concerné comme il en va en cas de cession de contrat reste sans réponse claire sous l’empire des textes issus de l’ordonnance du 10 février 201622. Aussi, les parties au contrat comportant la clause de substitution ont-elles tout intérêt à préciser le sort du contractant initial en cas de mise en œuvre de la stipulation.
Lionel ANDREU
La réforme de la cession de créance devant les juges du fond : les difficultés suscitées par la saisie-attribution (CA Lyon, 12 sept. 2019, n° 19/01943 ; CA Versailles, 6 févr. 2020, n° 18/07540 et CA Versailles, 5 mars 2020, n° 19/00018). Plus de quatre ans après l’ordonnance du 10 février 2016, il n’est pas surprenant de voir arriver devant les juges du fond des affaires mettant en cause les nouveaux textes23. À ce titre, plusieurs arrêts d’appel ayant trait à la cession de créance méritent d’être signalés24.
Trois décisions soulèvent la question de l’opposabilité de la cession au débiteur cédé et au débiteur de celui-ci dans le cadre d’une saisie-attribution pratiquée par le cessionnaire de la créance. Le cessionnaire doit-il notifier la cession au cédé préalablement à la saisie ou peut-il se contenter de lui dénoncer celle-ci dans les huit jours qui suivent en application de l’article R. 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution ? La cour d’appel de Lyon25 et la cour d’appel de Versailles26 répondent à cette question de manière opposée. La première prend appui sur le principe d’opposabilité immédiate de la cession aux tiers résultant du nouvel article 1323 du Code civil pour légitimer la saisie-attribution pratiquée entre les mains du tiers. La seconde prend au contraire appui sur l’article 1324 relatif à l’opposabilité particulière de la cession au débiteur cédé pour considérer qu’« il appartient au cessionnaire de procéder à la notification requise par ce texte s’il entend exercer à son encontre les droits attachés à la créance cédée ». En effet, « s’il résulte des dispositions de l’article 1323 du Code civil régissant le contrat bipartite que constitue la cession de créance, que le transfert s’opère à la date de l’acte et si celui-ci est opposable aux tiers dès la date de l’acte, contrairement à ce fait valoir [le cessionnaire], le débiteur cédé est un tiers bénéficiant d’un régime particulier d’opposabilité ».
On le voit, l’opposition des juges tient au point de savoir s’il faut avoir égard à l’article 1323 régissant l’opposabilité générale aux tiers (principe d’opposabilité immédiate) ou à l’article 1324 relatif à l’opposabilité particulière de la cession au débiteur (principe d’opposabilité différée). Il faut dire que l’hésitation est permise dès lors que la saisie-attribution s’opère contre un tiers, mais concerne la créance dont le débiteur cédé dispose contre lui…
Deux arguments nous paraissent plaider en faveur de l’inutilité d’une notification préalable.
D’un point de vue technique, d’abord, il faut observer que la saisie-attribution est un acte composite – une « pièce à trois rôles »27, comme cela a été joliment écrit – qui suppose l’accomplissement de deux formalités successives accomplies par une personne à l’égard de deux autres : la première s’adresse directement au tiers (CPC exéc., art. R. 211-1 : « Le créancier procède à la saisie par acte d’huissier de justice signifié au tiers »), tandis que la seconde s’adresse au débiteur (CPC exéc., art. R. 211-3 : « À peine de caducité, la saisie est dénoncée au débiteur par acte d’huissier de justice dans un délai de 8 jours »). Il suffit dès lors que la cession soit opposable à celui auquel s’adressent l’une puis l’autre formalité pour que chacune déploie ses effets légaux. En foi de quoi la première peut être accomplie immédiatement à l’égard du tiers, tandis que la dénonciation au débiteur pourrait intervenir dans un second temps à condition que la cession lui soit opposable à ce moment-là – étant précisé que la dénonciation peut elle-même valoir notification dès lors qu’elle mentionne l’existence de la cession et la porte ainsi à la connaissance du débiteur28.
D’un point de vue pratique, ensuite, l’analyse proposée dissipe les lourdeurs auxquelles conduirait l’exigence d’une notification préalable à la saisie. Alors que le créancier dispose d’un titre exécutoire et que la cession s’étend de plein droit aux accessoires de la créance, l’exigence d’une notification préalable compliquerait la mise en œuvre de ses droits par le cessionnaire en imposant exagérément pour la mise en œuvre de la saisie-attribution trois formalités (une notification préalable au débiteur, une signification au tiers, puis une dénonciation au débiteur). On s’éloignerait alors clairement de l’objectif poursuivi par le législateur qui entendait au contraire, grâce à la réforme, « simplifier [la cession de créance] pour en favoriser l’utilisation »29.
Lionel ANDREU
B – Les opérations créatrices
(…)
IV – L’extinction de l’obligation
A – Les modes d’extinction satisfactoires
Le régime de l’imputation volontaire du paiement en cas de pluralité de dettes (Cass. com., 9 oct. 2019, n° 18-15793 ; Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-15852 ; Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-21570). Le principal critère d’imputation du paiement est la volonté du débiteur : « Le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu’il paie, celle qu’il entend acquitter »30. Les autres critères d’imputation – échéance de la dette, intérêt du débiteur d’acquitter la dette, ancienneté de la dette, proportion de la dette – sont subsidiaires : ils n’opèrent qu’« à défaut d’indication par le débiteur »31. C’est dire l’importance de connaître le régime de l’imputation volontaire du paiement. Quelques arrêts récents contribuent à le préciser ou, plus exactement, à le rappeler. Ils portent à la fois sur les conditions et sur les effets de l’imputation par le débiteur.
D’une part, deux arrêts rendus par la Cour de cassation reviennent sur certaines des conditions auxquelles est soumis le choix d’imputation.
À la lecture de l’un de ces arrêts (Cass. com., 9 oct. 2019, n° 18-15793), on apprend que l’« imputation volontaire peut résulter [du] comportement non équivoque » du débiteur, lequel peut se déduire notamment d’une attestation et d’une lettre émanant de l’expert-comptable du débiteur ainsi que de feuillets manuscrits rédigés par celui-ci32. La solution est certes de facture classique33. La Cour de cassation avait déjà affirmé par le passé que l’« imputation volontaire peut résulter du comportement non équivoque du débiteur »34 ou « d’éléments de nature à établir, de manière non équivoque, quelle dette [le débiteur] entendait acquitter »35. Mais cette solution prend ici une portée tout à fait particulière, en raison des moyens de preuve de l’imputation retenus, à savoir des documents établis par le débiteur lui-même. En vertu du quoi ces documents constituent-ils des preuves recevables ? Tout bonnement, en application du constat selon lequel si « [n]ul ne peut se constituer de titre à soi-même »36, rien n’interdit en revanche de se constituer une preuve à soi-même37.
Dans l’autre arrêt relatif aux conditions de l’imputation volontaire du paiement (Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-21570), la Cour de cassation décide que « si le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter, l’exercice de ce droit implique, sauf accord de son créancier, qu’il procède au paiement intégral de cette dette ». De là, elle en déduit le raisonnement suivant : « L’arrêt constate qu’à l’issue de la première déchéance prononcée par le prêteur, les emprunteurs ont effectué différents paiements partiels dont ils ont demandé l’affectation au remboursement des deux prêts relatifs au bien de Courchevel, laquelle a été refusée par le prêteur ; (…) il s’en déduit que les emprunteurs n’étaient pas fondés à se prévaloir de leur droit légal d’imputer leurs paiements ». On notera que, là aussi, la Cour de cassation ne fait que confirmer sa jurisprudence antérieure38. La nouveauté est qu’elle le fait cette fois dans un arrêt publié au Bulletin. Au-delà de cette remarque, ce qui retient l’attention, c’est que la solution fournie en cache en réalité deux. Le débiteur ne peut pas unilatéralement imputer son paiement sur la dette de son choix lorsque ce paiement est seulement partiel39. Autrement, la faculté d’imputation volontaire que lui reconnaît l’article 1342-10, alinéa 1er, du Code civil pourrait conduire à contourner la disposition de l’article 1342-4, alinéa 1er, du Code civil, selon laquelle : « Le créancier peut refuser un paiement partiel même si la prestation est divisible ». En revanche, il est loisible aux deux parties à l’obligation, débiteur et créancier, de convenir d’un paiement partiel imputé, mais cela constitue ici une simple éventualité, sur la dette suggérée par le débiteur40. La difficulté se déplace alors sur un autre terrain : celui de la preuve de l’acceptation par le créancier de l’imputation de ce paiement partiel.
D’autre part, signalons un arrêt relatif cette fois aux effets de l’imputation volontaire (Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-15852).
Voici, en substance, l’enseignement que l’on peut en tirer : le « choix d’imputation des paiements effectués par le débiteur principal s’impos[e] au tiers qui s’était porté garant, que celui-ci en ait été informé ou non ». Une fois encore, la solution avait déjà été affirmée au moins dans un arrêt antérieur – qui visait simplement la « caution », non le « garant »41. Qu’en penser ? Certes, permettre au débiteur principal d’imputer le paiement sur une dette non cautionnée postérieure au lieu de choisir une dette cautionnée antérieure se révèle sévère pour la caution. Mais en faveur de la solution adoptée, on peut faire valoir que le débiteur principal ne fait qu’exercer une faculté qui lui est reconnue par la loi42. L’intérêt poursuivi par celui-ci apparaît donc parfaitement légitime43. Ne retrouve-t-on pas ici, au demeurant, la même logique qui sous-tend le critère légal d’imputation, à défaut d’imputation volontaire ou d’application d’autres critères légaux, en vertu duquel « (…) l’imputation a lieu (…) sur les dettes que le débiteur avait le plus d’intérêt d’acquitter (…) »44 ? Tout au plus, faut-il réserver, sur le fondement de l’adage fraus omnia corrumpit, l’hypothèse d’une fraude ourdie par le débiteur principal au détriment de la caution45.
Valerio FORTI
La compensation « constitue un mode normal de paiement » (Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-20586). Un arrêt non publié rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 24 octobre 2019 apporte une précision intéressante relative à la compensation46.
En l’espèce, un créancier hypothécaire reprochait au notaire ayant instrumenté la vente de l’immeuble hypothéqué d’avoir prévu un règlement par compensation du vendeur, alors qu’un paiement ordinaire aurait pu lui permettre d’être payé47. Débouté par les juges du fond, le créancier hypothécaire forma un pourvoi, rejeté par la Cour de cassation.
On n’insistera pas sur les motifs de l’arrêt ayant trait au droit des sûretés, par lesquels la Cour de cassation considère que « si le paiement par compensation a privé la banque de la possibilité d’obtenir le règlement de sa créance sur la partie du prix ainsi payée, celle-ci dispose, pour le recouvrement de sa créance sur [le vendeur] du droit de suite attaché à son hypothèque qu’il lui appartient de mettre en œuvre, et ne justifie pas de l’existence d’un préjudice consistant en la perte de sa créance, dès lors qu’elle conserve la sûreté ». On observera simplement qu’en affirmant cela, la Cour de cassation paraît s’éloigner d’une jurisprudence récente48 particulièrement sévère à l’égard des notaires49.
Plus intéressante au regard de l’objet de cette chronique est l’affirmation additionnelle que « la compensation constitue un mode normal de paiement ». Elle permet de justifier que le fait pour un notaire de prévoir un règlement par compensation au lieu d’un paiement ordinaire ne peut constituer une faute autorisant le créancier inscrit qui aurait pu tirer profit d’un paiement effectif à lui réclamer des dommages et intérêts.
Cette précision, inédite à notre connaissance, est bienvenue. Elle témoigne que la compensation est un procédé de désintéressement des créanciers aussi ordinaire et acceptable que le paiement lui-même50. N’oublions pas qu’elle réalise une satisfaction directe du créancier51. Comme l’écrivait Carbonnier, elle lui « procur[e] exactement la satisfaction à laquelle il avait droit »52. Elle éteint ainsi les obligations concernées à la manière d’un double paiement réciproque et instantané, dès lors, comme on l’a écrit, que « du fait de la fongibilité entre l’objet de l’obligation qu’il n’exécute pas et celui de l’obligation dont il n’est pas payé, l’intéressé évite de se dépouiller de choses fongibles de la même espèce que celles qu’il aurait dû recevoir »53. Elle revient ainsi à un paiement véritable pour l’une et l’autre des parties, ce qui autorise à considérer que le fait de prévoir un règlement par compensation au lieu d’un paiement véritable ne peut être considéré comme fautif.
Reste que la portée de l’arrêt pourrait bien dépasser le strict cadre de la responsabilité professionnelle des notaires. L’affirmation selon laquelle « la compensation constitue un mode normal de paiement » paraît en effet de nature à résoudre une autre question qui se pose dans le droit des entreprises en difficulté depuis que l’ordonnance du 10 février 2016 a subordonné les effets de la compensation à son « invocation »54. Peut-on désormais prononcer la nullité de la compensation intervenue en période suspecte sur le fondement des articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de commerce ? À cette question, on a récemment proposé de répondre de manière positive55, mais en excluant la nullité de droit prévue par l’article L. 632-1, 4°, sanctionnant les paiements dits « anormaux »56. L’affirmation, par le présent arrêt, que la compensation constitue un « mode normal de paiement » paraît abonder dans le sens de cette analyse et conduire à exclure ce cas de nullité à la compensation réalisée avant la cessation des paiements du débiteur57.
Lionel ANDREU
Autorité de chose jugée de la décision d’admission de créance et demande en paiement d’une créance non compensée (Cass. com., 9 oct. 2019, n° 18-17730). L’articulation de l’autorité de la chose jugée et de la compensation est un exercice de haute voltige. En témoigne une nouvelle fois58 un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 octobre 2019 qui, en dépit d’une certaine complexité dans sa motivation, contribue à dissiper le brouillard qui entoure encore la question59.
L’affaire concernait un créancier qui avait déclaré sa créance contre son débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde. Le créancier avait procédé à cette déclaration en tenant compte d’une compensation de sa créance avec des dettes dont il était réciproquement débiteur envers l’intéressé. Le juge-commissaire avait admis la créance pour un montant inférieur à celui déclaré, sans néanmoins se prononcer sur une éventuelle extinction de la créance par compensation60 – dont le débiteur en sauvegarde ne s’était pas prévalu dans la procédure de vérification du passif. Dans le cadre d’une procédure ultérieure, ce dernier avait agi en paiement de ses créances et s’était vu opposer par son cocontractant « une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée par la décision d’admission ». Cette fin de non-recevoir ayant été rejetée par les juges du fond, l’intéressé forma un pourvoi en cassation en invoquant le fameux principe de concentration des moyens résultant de l’arrêt Cesareo61. Selon lui, son adversaire aurait dû opposer le moyen de la compensation dès l’instance initiale relative à la déclaration de créance, sans pouvoir invoquer dans un procès ultérieur des créances dont la compensation aurait dû être opposée.
Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, au terme d’un long attendu comportant un « chapeau intérieur »62. Elle y indique que « la déclaration d’une créance au passif d’un débiteur soumis à une procédure collective ne tend qu’à la constatation de l’existence, de la nature et du montant de la créance déclarée, appréciés au jour de l’ouverture de la procédure » et ajoute que « la contestation de cette créance, au cours de la procédure de vérification du passif, n’a pas le même objet que la demande en paiement d’une somme d’argent formée contre le créancier déclarant ». Les juges du fond ayant relevé qu’à l’occasion de la contestation de la créance, la société en sauvegarde ne s’était pas prévalue de la compensation avec ses propres créances, la Cour de cassation les approuve d’avoir « exactement déduit que la demande en paiement de celles-ci, qui ne se heurtait pas à l’autorité de la chose jugée dans le cadre de la vérification des créances, était recevable ».
Cette longue motivation masque différentes idées63 qui, de manière convergente, conduisent à la même analyse : l’indifférence de la décision d’admission sur la possibilité pour celui qui n’a pas opposé la compensation de se prévaloir de sa créance pour en demander le paiement dans un procès ultérieur64. L’invocation de la compensation n’est ainsi pas érigée au rang d’obligation procédurale65, du moins dans le cadre de la procédure de vérification des créances. La décision d’admission se borne en effet à établir la créance existant au jour du jugement d’ouverture, sans que d’éventuelles compensations postérieures n’aient d’incidence66. Elle ne saurait donc couvrir par son autorité un constat d’extinction compensatoire des créances du débiteur en procédure collective qui adviendrait postérieurement au jugement d’ouverture67. Sachant que le moyen de la compensation ne constitue pas une « contestation » de la créance au sens du droit des entreprises en difficulté68, les contestations du débiteur qui s’inscrivent dans le cadre de la procédure de vérification de créance n’interdisent pas à celui-ci d’invoquer ensuite sa créance pour en réclamer le paiement.
Reste que si la solution retenue est claire dès lors qu’étaient en cause en l’espèce, d’un côté, une décision d’admission, et de l’autre, une demande en paiement de la créance non compensée, il est difficile de déterminer quelle serait la solution dans le cas, d’une part, où la décision dont l’autorité est en cause ne serait pas une décision d’admission, et dans celui, d’autre part, où le débiteur ne demanderait pas, dans le cadre d’un procès ultérieur, le paiement de sa créance, mais invoquerait plus banalement la compensation69.
Lionel ANDREU
B – Les modes d’extinction non satisfactoires
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