Abandon de famille : caractérisation et charge de la preuve de l’impécuniosité du débiteur alimentaire
Par un arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation rappelle que l’article 227-3 du Code pénal réprime le fait, pour une personne, de ne pas exécuter intégralement, pendant plus de deux mois, une décision judiciaire lui imposant de verser une contribution due, en raison d’une obligation familiale prévue par le Code civil, à un enfant mineur, à un descendant, à un ascendant ou au conjoint. Si la partie poursuivante doit rapporter la preuve que le prévenu est demeuré, plus de deux mois, sans payer la somme ainsi mise à sa charge et qu’il connaissait cette obligation, ce dernier, qui se prévaut d’une impossibilité absolue de payer, doit en rapporter la preuve.
Cass. crim., 19 janv. 2022, no 20-84287, FS–B
Lorsqu’un couple vient à se séparer, le juge aux affaires familiales peut être amené à fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation à la charge du parent qui n’a pas la garde de l’enfant. Cependant, il arrive assez souvent que le parent, sur qui pèse cette obligation, ne s’en acquitte pas.
Le Code pénal réprime cette défaillance au titre du délit d’abandon de famille, prévu par l’article 227-3 du Code pénal1.
Ainsi, dès lors que le parent, astreint à verser une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ne s’exécute pas pendant deux mois2, il peut être poursuivi pour abandon de famille par l’autre parent.
Tel est le cas en l’espèce où, à la suite de la séparation d’un couple, dont sont issus deux enfants, le juge aux affaires familiales a fixé la contribution du père à la somme mensuelle globale de 800 euros. La mère a ensuite déposé plusieurs plaintes pour abandon de famille à l’encontre du père.
Par un jugement en date du 11 mars 2019, le tribunal correctionnel a déclaré le père coupable d’abandon de famille en récidive, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement, a ordonné la révocation totale du sursis prononcé par le tribunal correctionnel le 26 mars 2014 et a prononcé sur les intérêts civils.
Ce dernier a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions. Le ministère public et la partie civile ont interjeté des appels incidents.
Dans ses conclusions, le père a notamment3 critiqué l’arrêt en ce qu’il l’a déclaré coupable d’abandon de famille alors qu’il appartenait, selon lui, au ministère public et à la partie de rapporter la preuve de la volonté du prévenu de ne pas honorer sa dette. Or, a-t-il soutenu, il était dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation en raison d’une procédure de sauvegarde de justice ouverte à son encontre. Ainsi, en « se bornant à constater que l’élément intentionnel de l’infraction ne faisait pas de doute en raison de l’absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité totale, la cour d’appel a inversé la preuve et a méconnu les articles préliminaires du Code de procédure pénale et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».
La Cour de cassation était appelée à se prononcer sur la question de savoir dans quelle mesure le parent, à la charge duquel a été mise une obligation de verser une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, peut être condamné pour abandon de famille et sur qui pèse la charge de la preuve.
Les juges suprêmes rappellent les dispositions de l’article 227-3 du Code pénal et retiennent que la cour d’appel a justifié sa décision.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation est d’autant plus intéressant qu’il permet de revenir sur la caractérisation de l’infraction d’abandon de famille (I) et la question de la charge de la preuve en la matière (II).
I – Caractérisation de l’infraction d’abandon de famille
L’article 227-3 du Code pénal dispose que « le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire […] lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le Code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Ainsi, ledit article réprime, au titre de l’abandon de famille, le fait, pour une personne condamnée à verser une pension alimentaire, de demeurer volontairement4 deux mois sans fournir la totalité des sommes mises à sa charge par une décision judiciaire.
Il convient de rappeler qu’auparavant la volonté était présumée5. Elle doit désormais être prouvée6. Aussi, un des éléments préalables du délit d’abandon de famille est qu’il existe, à la base de la poursuite correctionnelle, une décision de justice civile définissant l’obligation mise à la charge du prévenu7. Le délit d’abandon de famille n’est constitué que lorsque la décision de justice fixant la pension alimentaire peut être mise à exécution, comme ayant été portée à la connaissance du débiteur8. En effet, à la base de la poursuite correctionnelle pour abandon de famille doit exister une décision de justice civile exécutoire (jugement ou convention judiciairement homologuée) définissant l’obligation de famille mise à la charge du prévenu (pension alimentaire, prestation compensatoire – même en capital). Ainsi, le défaut de versement d’une prestation compensatoire qui ne résulte ni d’un jugement, ni d’une convention judiciairement homologuée ne peut caractériser le délit d’abandon de famille, telle une convention notariée réglant les effets du divorce sous la condition de son prononcé alors que le jugement de divorce, qui en avait seulement constaté le principe, n’avait ni fixé le montant de la prestation compensatoire, ni homologué la convention ainsi intervenue entre les parties9.
Dans l’espèce commentée, le juge aux affaires familiales avait fixé la contribution du père à l’entretien et à l’éducation des enfants à la somme mensuelle globale de 800 euros. L’existence d’une décision de justice civile exécutoire ne fait l’objet d’aucun doute.
Aussi, plus de deux mois se sont écoulés entre la notification de la décision et l’action engagée par la mère des deux enfants.
Il est utile de rappeler que le délit d’abandon de famille est consommé du seul fait que le débiteur s’abstient volontairement de fournir pendant plus de deux mois l’intégralité des subsides mis à sa charge. C’est la date de la poursuite et non celle de la plainte qui doit être prise en considération pour savoir si l’infraction est caractérisée10.
Sans surprise, le tribunal correctionnel avait condamné le père pour abandon de famille en prononçant une première fois un sursis, qui a été ensuite révoqué par le jugement du 26 mars 2014, qui a, en outre, prononcé sur les intérêts civils.
La décision a été confirmée en appel par les juges qui ont retenu que l’élément intentionnel de l’infraction ne faisait pas de doute en raison de l’absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité totale.
Insatisfait, le père, qui ne conteste pas l’existence des éléments caractéristiques de l’abandon de famille que sont l’existence d’une décision exécutable et le dépassement du délai de deux mois, s’est pourvu en cassation en soutenant que la cour d’appel avait, selon lui, inversé la charge de la preuve.
II – Charge de la preuve dans l’infraction d’abandon de famille
C’est le deuxième point sur lequel il importe de s’appesantir. En effet, pour prétendre s’exonérer de son obligation indéniable de verser la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, le père des deux enfants a soutenu qu’il appartenait au ministère public et à la partie civile de rapporter la preuve de la volonté du prévenu de ne pas honorer sa dette, ce qui est pour le moins incontestable. Toutefois, poursuit-il, il résultait de ses conclusions et des pièces qui les accompagnaient qu’une procédure de sauvegarde de justice avait été ouverte à son encontre par un jugement du 13 mai 2013, le mettant dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation.
Pourtant, la cour d’appel n’aurait pas pris en compte cet élément, se bornant à constater que l’élément intentionnel de l’infraction ne faisait pas de doute en raison de l’absence de justification sérieuse par le prévenu de son impécuniosité totale. La cour d’appel aurait ainsi inversé la charge de la preuve et méconnu, par conséquent, les articles préliminaires du Code de procédure pénale et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
En réalité, son argumentation est irrecevable. S’il est vrai que la preuve de l’abstention volontaire de verser la pension alimentaire est à la charge du créancier de la dette alimentaire ou du ministère public11, c’est au débiteur de prouver qu’il est dans l’impossibilité absolue de s’en acquitter. Seule la preuve de l’impossibilité absolue d’exécuter la décision est opérante12.
Or, en l’espèce, le père soutient qu’une procédure de sauvegarde de justice avait été ouverte à son encontre par un jugement du 13 mai 2013, ce qui justifiait son incapacité à s’acquitter de sa dette. Ce moyen est rejeté, à juste titre, par la Cour de cassation. En effet, les juges suprêmes confirment la décision des juges d’appel.
De cette décision, il résulte que, dès lors que le créancier de la pension alimentaire prouve que le débiteur avait connaissance de la décision le condamnant au paiement et s’est abstenu de s’en acquitter pendant plus de deux mois, la charge revient à ce dernier de prouver qu’il était dans l’impossibilité totale de verser la pension mise à sa charge.
La preuve de son impécuniosité totale doit correspondre aux périodes visées par la poursuite ; ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, le père débiteur de la contribution n’a pas été en mesure de prouver que la procédure de sauvegarde de justice qui a été prononcée contre lui l’a mis dans l’incapacité totale de verser la pension alimentaire mise à sa charge pendant deux mois.
Cette décision de la chambre criminelle, qui a eu les honneurs d’une publication dans la lettre de la chambre criminelle, marque la volonté de la Cour de suivre le législateur dans sa volonté d’obliger par tout moyen le débiteur alimentaire à s’acquitter de sa contribution13.
Elle marque l’intransigeance de la Cour de cassation face aux tentatives malicieuses du débiteur alimentaire de s’exonérer de ses obligations légales et garantit une meilleure protection du créancier alimentaire.
Notes de bas de pages
-
1.
Les éléments constitutifs du délit d’abandon de famille sont définis en des termes clairs et précis ; en ce sens, Cass. ch. mixte, 12 mai 2000, n° 96-80077.
-
2.
P. Conte, « Abandon de famille : calcul du délai de 2 mois », Dr. pén. 2019, n° 4.
-
3.
Il convient de préciser que le père contestait aussi bien la déclaration de culpabilité que la révocation intégrale de la peine d’emprisonnement assortie du sursis simple qui avait été prononcé. Dans le cadre de cette analyse, seule la question relative à l’abandon de famille retiendra notre attention.
-
4.
La volonté doit être caractérisée ; en ce sens, Cass. crim., 28 juin 1995, n° 94-84811 : Bull. crim., n° 243 ; JCP G 1996, II, 22576, note D. Dekeuwer-Defossez.
-
5.
L’article 357-2 ancien qui présumait volontaire le défaut de paiement.
-
6.
Il a été jugé qu’encourt la cassation la cour d’appel qui a condamné le prévenu pour abandon de famille sans caractériser l’élément intentionnel du délit : Cass. crim., 28 juin 1995, n° 94-84811 : Dr. pén. 1995, 223, note M. Véron – v. en ce sens, Cass. crim., 21 mai 1997, n° 96-83504.
-
7.
L’infraction est inconcevable si la décision n’était pas exécutoire à la date des faits ; ainsi en est-il par exemple lorsque le jugement donne acte d’une offre de verser une pension alimentaire (Cass. crim., 13 déc. 2017, n° 16-83256). Sur ce point, lire P. Conte, Droit pénal spécial, 6e éd., 2019, LexisNexis, n° 694.
-
8.
La simple connaissance qu’a le débiteur d’aliments de la décision allouant ou modifiant une pension ne peut justifier une poursuite pour abandon de famille dès lors que ladite décision n’a pas acquis le caractère exécutoire par la notification ou l’exécution volontaire ; en ce sens, Cass. crim., 23 oct. 1991, n° 90-16011 : Dr. pén. 1992, 60 – v. égal. Cass. crim., 19 juin 1991, n° 90-83677 : Bull. crim., n° 265.
-
9.
Cass. crim., 15 oct. 1996, n° 94-82848 : Dr. pén. 1997, 16, obs. M. Véron.
-
10.
Cass. crim., 14 janv. 1991, n° 89-84056 : Dr. pén. 1991, 172
-
11.
Il appartient au ministère public de rapporter la preuve du caractère intentionnel du défaut de paiement ; v. P. Conte, Droit pénal spécial, 6e éd., 2019, LexisNexis, n° 698 – v. égal. Cass. crim., 28 juin 1995, n° 94-84811 : JCP G 1996, 22576, note F . Dekeuwer.
-
12.
Cass. crim., 25 sept. 2002, n° 01-88556.
-
13.
A. Batteur et L. Mauger-Vielpeau, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, 11e éd., 2021, LGDJ, n° 649.
Référence : AJU004b1