La loi applicable au contrat de commerce électronique
A priori, la question de la loi applicable au contrat de commerce électronique n’est pas nouvelle. Divers instruments permettent de répondre à cette question tout en se gardant d’une approche spécifique au mode de formation de ce contrat. Mais, la facilité et la rapidité qui caractérisent la conclusion des contrats électroniques emportent une difficulté : le nombre potentiellement indéfini de lois applicables. Pour le professionnel cela implique d’adapter ses conditions d’affaires. Pour le consommateur, c’est une source d’insécurité juridique. Que faire pour y remédier ? Au niveau communautaire, deux propositions de directives sur le commerce en ligne tentent une harmonisation maximale des règles régissant les contrats en ligne de manière à transcender les questions liées aux conflits de lois. Cependant, cette approche, si originale soit-elle, ne conduit pas à un résultat satisfaisant.
Le commerce électronique se définit comme l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services1. Ainsi le contrat de commerce électronique serait un simple contrat conclu à distance mais ce dernier présente une particularité : celle de pouvoir être conclu avec un opérateur de commerce électronique situé à l’autre bout du monde. La facilité déconcertante avec laquelle le réseau internet permet de commercer à un niveau international, voire mondial, devrait être perçue comme une formidable opportunité tant par les professionnels que les consommateurs. De fait, les premiers peuvent jouir d’un accès au commerce international sans se soucier d’ouvrir une succursale ou de créer un réseau de distribution à l’étranger, ce qui rend l’exportation à la portée des petites entreprises qui n’ont pas forcément les moyens humains et financiers nécessaires à leur implantation à l’étranger. Quant aux seconds, ils disposent grâce à internet d’un outil leur offrant l’accès à un large éventail d’offres afin de pouvoir bénéficier des meilleurs prix.
Cependant, l’internationalisation des contrats conclus par internet est aussi perçue comme une source d’insécurité juridique. Assurément, il n’existe pas de règle de conflit de lois spécifique au commerce électronique2. Mais la question de la loi applicable aux contrats internationaux n’est pas nouvelle et il existe des règles de conflit de lois issues d’instruments internationaux, comme la convention de La Haye du 15 juin 1955, sur la loi applicable à la vente internationale de meubles corporels et plus généralement le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Toutefois, cette question prend de l’ampleur car avec internet, le commerce international n’est plus réservé aux grandes entreprises susceptibles d’employer des juristes rompus au droit international privé. D’ailleurs, des études récentes montrent que la perspective d’être soumis à une autre loi que sa loi nationale est plutôt un facteur dissuasif à l’export. Ainsi 67 % des détaillants qui envisagent de vendre en ligne au-delà des frontières nationales considèrent que les divergences de lois potentiellement applicables au contrat freinent leurs initiatives3. Il en va de même pour les consommateurs qui craignent de ne pas pouvoir se prévaloir de leurs droits. Il en résulte qu’en 2014 seuls 18 % d’entre eux ont effectué des transactions en ligne avec des opérateurs étrangers4.
Devant un tel constat il serait tentant de s’affranchir de la méthode des conflits de lois et de privilégier des règles de droit matériel directement applicables aux contrats de commerce électronique. Or, le réseau internet étant un réseau transnational dématérialisé, certains y ont vu un cyberespace soustrait à la souveraineté des États et partant, devant être régi par des règles d’origine transnationale, autrement dit des usages du commerce électronique. Si l’idée d’une « lex electronica » a ainsi pu être soutenue5, elle a suscité beaucoup de critiques car les opérateurs sont inévitablement soumis à une loi étatique puisqu’ils agissent nécessairement à partir d’un territoire national et à destination d’un ou plusieurs territoires nationaux6.
Parallèlement, des instruments internationaux posent des règles matérielles pour le commerce international, particulièrement la convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises. Mais cette convention ne s’applique qu’aux ventes internationales de biens corporels. Dès lors, elle devient inapplicable chaque fois que le contrat conclu en ligne a pour objet la fourniture d’un contenu numérique7. En outre, les parties doivent se situer sur des États contractants différents au moment de la conclusion du contrat, et la localisation géographique ne peut pas résulter de l’adresse électronique ou de l’implantation du serveur ; elle doit ressortir des termes du contrat, ce qui n’est pas évident pour un contrat en ligne8. Par ailleurs, la convention de la CNUDCI du 23 novembre 2005 sur l’utilisation de communications électroniques dans les contrats internationaux, entrée en vigueur le 1er mars 2013, ne porte que sur les questions nées de l’utilisation d’internet lors de la formation et de l’exécution du contrat. Le texte ne prévoit rien quant aux droits et obligations découlant du contrat. De plus, elle ne s’applique que lorsque la loi applicable en vertu des règles de conflits de la juridiction saisie est celle d’un État partie, à moins que les parties n’aient volontairement choisi de s’y soumettre.
Enfin, au niveau européen, la directive n° 2000/31/CE sur le commerce européen a instauré des règles harmonisées sur divers points comme les exigences en matière de transparence et d’information imposées aux fournisseurs de services en ligne, les communications commerciales, les contrats par voie électronique ou les limites de la responsabilité des prestataires intermédiaires, mais cette directive ne règle pas le régime des contrats conclus par internet9.
Par conséquent, force est de reconnaître que l’on ne peut pas se passer de rechercher la loi applicable au contrat de commerce électronique avec l’aléa que cela implique quant aux prévisibilités des parties qui peuvent se voir soumises à une loi qu’elles n’avaient pas prévue.
Dans ce contexte le Parlement européen et le Conseil ont présenté à la fin de l’année 2015, deux propositions de directives destinées à harmoniser les règles applicables à deux contrats fondamentaux du commerce électronique : les contrats de vente en ligne10 et les contrats de fourniture de contenu numérique11. L’objectif de ces textes est de supprimer l’obstacle que constitue la pluralité de lois potentiellement applicables aux contrats électroniques transfrontaliers12. Ces propositions ont cependant été diversement accueillies par la doctrine13.
Quoi qu’il en soit, pour mesurer l’impact des futures directives sur la confiance des acteurs du commerce électronique (II), encore faut-il vérifier que la question de la loi applicable est réellement source d’insécurité juridique détournant les professionnels et les consommateurs du commerce en ligne au-delà des frontières nationales (I).
I – La loi applicable au contrat de commerce électronique : source d’insécurité juridique ?
Dans la mesure où le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles14 ne s’attache pas au mode de formation ou d’exécution du contrat, il a vocation à s’appliquer aux contrats en ligne dès lors qu’ils présentent un élément d’extranéité. Ce texte prévoit des règles de conflit de lois différentes selon que le contrat est conclu entre deux professionnels (B), ou qu’il s’agit d’un contrat de consommation (A). Cependant, son application aux contrats électroniques appelle des adaptations qui soulèvent des difficultés qui sont donc susceptibles d’induire la défiance des consommateurs et des professionnels.
A – La loi applicable au contrat de consommation électronique : l’article 6 du règlement Rome I et la confiance des acteurs ?
Le législateur européen a entendu protéger les consommateurs en leur accordant la protection de la loi de leur résidence habituelle même lorsqu’ils passent un contrat avec un professionnel établi dans un État tiers, ce qui, a priori, semblerait être source de sécurité juridique pour les consommateurs, et devrait leur donner confiance pour acheter en ligne. Toutefois, pour que cette solution s’applique, l’article 6 du règlement Rome I exige que le professionnel exerce ses activités dans l’État du consommateur, ou du moins qu’il dirige ses activités vers ce pays par tout moyen. Or bien que cette condition de « direction des activités vers l’État de résidence du consommateur » ait été posée spécialement pour prendre en compte le commerce en ligne, elle n’a fait l’objet d’aucune définition et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est propice à une casuistique qui introduit l’insécurité juridique (1) et amène en pratique à distinguer deux situations différentes selon que le professionnel a dirigé ses activités vers l’État du consommateur ou pas (2)
1 – L’incertitude liée à l’applicabilité de l’article 6 du règlement Rome I
Assurément, le règlement Rome I a considérablement amélioré la situation du consommateur par rapport à l’ancien article 5 de la convention de Rome. En vérité, l’article 5, § 2, de la convention de Rome visait à limiter la protection aux seuls consommateurs passifs car deux conditions cumulatives étaient requises par le texte pour que le contrat de consommation soit soumis à la loi de l’État de résidence habituelle du consommateur.
D’une part, celui-ci devait avoir fait l’objet d’une sollicitation personnalisée dans son pays. Or, le consommateur accède très souvent spontanément à un site internet15. D’autre part, le consommateur devait avoir accompli dans son pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat, ce qui une fois de plus posait des difficultés en présence d’un contrat électronique puisqu’il est difficile de savoir si le consommateur s’est réellement connecté dans son pays de résidence pour passer le contrat. Par conséquent cela pénalisait le consommateur qui avait répondu à un courrier électronique personnalisé alors qu’il était temporairement dans un autre État que celui de sa résidence habituelle.
Le règlement Rome I, au contraire, se détache des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et il a substitué à ces deux conditions l’exigence que le professionnel exerce, ou ait dirigé, ses activités vers l’État du consommateur.
On comprend que ce critère revête une importance cruciale car de lui dépend la sécurité juridique du consommateur, avec pour corollaire, l’insécurité du professionnel qui devra s’adapter à la loi de la résidence habituelle des consommateurs avec lesquels il contracte.
L’interprétation que la Cour de justice a donnée de cette notion est cependant assez décevante.
Dans deux affaires jointes, jugées le 7 décembre 201016, la Cour de justice a rejeté l’idée que la simple accessibilité d’un site dans le pays du consommateur permette d’affirmer que le professionnel dirige ses activités vers ce pays. Cette solution est opportune. Juger le contraire aurait eu pour effet de protéger systématiquement le cyberconsommateur et d’obliger le professionnel à connaître le droit de tous les États membres pour adapter ses contrats en fonction des consommateurs qui passeraient commande sur son site.
Cependant, la Cour n’a pas été très convaincante. Elle a énuméré les éléments sans valeur indicative comme l’adresse électronique ou les coordonnées téléphoniques, qui sont d’ailleurs rendus obligatoires par la directive sur le commerce électronique. De même, peu importe que le site soit une simple « vitrine » ou au contraire qu’il s’agisse d’un site interactif permettant de passer des commandes car cela n’implique pas la volonté de l’opérateur de commercer avec les consommateurs d’autres États membres. À la vérité, il faut établir la volonté du commerçant d’établir des relations commerciales avec les consommateurs d’un ou plusieurs autres États membres, dont celui du consommateur. À cet égard, elle a donné quelques indices, comme l’engagement de frais pour se faire référencer pour plusieurs États membres, ce qui risque d’être difficile à démontrer. La Cour de justice a aussi mentionné la nature internationale de l’activité, la mention d’un numéro d’appel avec le préfixe international, ou bien l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi mais ce critère est bien trop général. Qu’en conclure si une société espagnole exploite un site en « .fr » et qu’un Italien passe commande sur ce site ? Pourra-t-on considérer que le commerçant a dirigé ses activités vers l’Italie ? En outre, l’utilisation d’un site en .com ou .eu ne témoigne pas forcément du caractère international d’une activité. Le professionnel a pu être simplement guidé par des considérations d’économie17. En tout état de cause, le problème tient à ce qu’il est difficile de rapporter la preuve d’une volonté et, le doute risquant de profiter au professionnel, le consommateur sera alors privé de la protection que lui offre la loi de sa résidence18.
2 – L’incertitude liée à l’applicabilité de la loi du pays du consommateur
En définitive, si le consommateur parvient à établir que le professionnel ciblait la clientèle de son pays de résidence, le juge appliquera la loi de sa résidence. À ce propos, il convient de noter que cette solution s’imposera même à l’opérateur établi dans un État tiers. Effectivement, du fait du caractère universel du règlement Rome I19, il suffit que les juridictions d’un État membre soient compétentes pour qu’il s’applique. Or, les règles de compétence internationale du règlement Bruxelles 1 bis dédiées aux consommateurs reposent sur le même critère de direction des activités du professionnel. Il résulte ainsi de l’application combinée de l’article 17, § 1, c) et de l’article 18, § 1, du règlement Bruxelles 1 bis que le consommateur peut attraire son co-contractant professionnel, y compris s’il est établi dans un État tiers à l’Union, devant le for de son domicile. En clair il suffirait qu’un consommateur français parvienne à démontrer que l’opérateur chinois auprès duquel il a passé commande dirige ses activités vers la France pour que les juridictions françaises soient internationalement compétentes pour juger d’un éventuel litige en application de la loi française. Cela dit, tout ne sera pas réglé pour notre consommateur qui sera sans doute obligé de réclamer l’exequatur de la condamnation française en Chine ! Le fera-t-il pour un litige portant sur quelques centaines d’euros… ?
Si l’on reste au sein de l’Union, en revanche, le consommateur est dans une situation confortable, puisque les décisions circulent librement sans exequatur20.
Dès lors, le professionnel pourrait être tenté d’introduire dans les conditions générales des contrats qu’il propose, une clause prévoyant l’application de sa propre loi. Assurément, l’article 6, § 2 du règlement admet la possibilité pour les parties à un contrat de consommation de choisir la loi applicable mais en tout état de cause, ce choix ne peut avoir pour effet de priver le consommateur des dispositions impératives du droit de son État de résidence. Ainsi, la clause ne sera pleinement efficace que si la loi choisie assure un niveau de protection identique ou supérieur à la loi du consommateur.
En outre, si la loi choisie est la loi d’un État tiers, l’article L. 232-6 du Code de la consommation21 prévoit que le consommateur résident français ne peut pas être privé des dispositions protectrices du droit français. Ce qui devrait le mettre en confiance d’autant plus que la Cour de justice a jugé en juillet 201622 qu’une telle clause peut être abusive si elle est rédigée de manière à laisser croire au consommateur que cette loi choisie s’applique exclusivement au contrat. Autrement dit, pour échapper au grief, le professionnel doit informer le consommateur qu’il jouit de toute façon de la protection que lui assurent les lois impératives de son for. Reste à savoir le degré de précision de cette information. Il semble évident que si le professionnel doit recenser l’ensemble des règles relevant de l’ordre public national de protection des consommateurs de tous les pays de l’UE dans lesquels il cible sa clientèle, les coûts induits vont se répercuter sur une politique de prix adaptée et sans doute moins attractive pour les consommateurs : la protection a un coût.
Parallèlement, si le consommateur ne parvient pas à démontrer que le professionnel dirige ses activités vers son pays de résidence, il se retrouve soumis à la loi du professionnel puisque l’on applique alors les principes généraux de l’article 4 du règlement Rome I, applicable à tous types de contrat et notamment aux contrats d’affaires. Il est donc prégnant de constater que le consommateur est à la merci de la notion de « ciblage » qu’il lui revient de prouver…
B – La loi applicable aux contrats d’affaires électroniques : l’article 4 du règlement Rome I et la confiance des acteurs ?
Généralement les professionnels entre eux prévoient la loi applicable à leurs contrats mais, à défaut, l’article 4 du règlement Rome I pose des rattachements objectifs qui conduisent à l’application de la loi de l’opérateur. A priori, la situation est plus prévisible que pour les contrats de consommation (1) d’autant plus que la clause marché intérieur de la directive Commerce électronique n’est pas véritablement un élément perturbateur (2).
1 – Relative prévisibilité des solutions du conflit de lois
L’article 3 du règlement Rome I pose le principe de l’autonomie de la volonté. Généralement, dans le commerce « matériel », le choix résulte d’une clause figurant dans les conditions générales du vendeur ou du prestataire et la jurisprudence considère que les conditions générales n’ont pas besoin d’être signées pour produire leurs effets23. En outre, leur acceptation peut être tacite et résulter d’un commencement d’exécution du contrat. Dès lors, la clause d’electio juris sera opposable à l’autre partie.
Mais dans le commerce en ligne, les conditions générales d’affaires de l’opérateur seront probablement sur son site mais comment s’assurer du consentement de l’autre partie. Cette question relève de la lex contractus. Or, si la loi choisie est celle d’un État membre, l’article 10, § 3, de la directive n° 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique exige que les conditions générales d’affaires soient fournies au co-contractant d’une manière qui lui permette de les conserver et de les reproduire. En droit français, cette exigence est transposée à l’article 1127-1 du Code civil. Cela évitera donc toute mauvaise surprise au co-contractant. Toutefois, cette sécurité juridique, au sein de l’Union Européenne est remise en cause si la lex contractus choisie est celle d’un État tiers.
En l’absence de choix, l’article 4 du règlement Rome I prévoit une liste de rattachements objectifs en fonction de la qualification donnée au contrat. Ainsi, s’agissant d’une vente, le texte renvoie à la loi de l’État de résidence habituelle du vendeur et un contrat de prestation de service est soumis à la loi de la résidence habituelle du prestataire. En d’autres termes, c’est en principe la loi du pays de l’opérateur qui s’applique.
Certes, il n’est pas toujours aisé de déterminer le lieu d’établissement d’un partenaire à partir de son adresse électronique, surtout lorsque le suffixe est neutre tel que « .com ». Cependant, la question est résolue au sein de l’Union par l’article 5 de la directive Commerce électronique qui requiert que l’opérateur mentionne son adresse géographique. Par contre le problème reste entier lorsque le prestataire est établi en dehors de l’Union.
Le jeu des règles de conflit de lois paraît donc globalement satisfaisant sur le plan de la prévisibilité, du moins en ce qui concerne les contrats transfrontaliers au sein de l’UE. Pourtant, au lendemain de la loi pour la confiance en l’économie numérique qui a transposé en droit français la directive Commerce électronique, la question de l’impact de l’article 17 de cette LCEN24 sur le règlement des conflits de lois s’est posée. En réalité ce texte n’apporte pas de perturbation.
2 – L’impact négligeable de la clause Marché intérieur
L’article 17 de la LCEN transpose l’article 3 de la directive Commerce électronique dont l’objet est de garantir les libertés de circulation au sein de l’Union. Or, il résulte de ce texte que le juge de l’État membre d’origine du prestataire doit le soumettre à la lex fori qui transpose la directive, et le juge de l’État membre de destination ne peut appliquer la loi désignée par la règle de conflit de loi que pour autant que celle-ci n’entrave pas la liberté de prestation de service et l’accès au marché de l’État de destination, sinon il devra appliquer la loi d’origine de l’opérateur.
Toutefois, ce principe ne s’applique pas lorsque les parties ont choisi la loi applicable à leurs relations25. En outre, il concerne uniquement les questions d’accès et de statut des professionnels26. Les aspects du régime du contrat ne sont pas concernés. Et, en tout état de cause, la loi d’origine correspond précisément à la loi du prestataire ou du vendeur tel que le prévoit l’article 4, § 2, du règlement Rome I. Il n’y a guère que dans l’hypothèse exceptionnelle où le juge aura appliqué la clause d’exception de l’article 4, § 3, lorsqu’il résulte des circonstances qu’une autre loi présente des liens manifestement plus étroits avec le contrat que cette clause d’exception pourra produire effet. En effet, dans ce cas, le juge devra vérifier préalablement que cette loi n’entrave pas la libre circulation des services pour, le cas échéant, appliquer la loi d’origine du prestataire, ce qui en fin de compte profite à l’opérateur. Certes l’article 17 de la LCEN a transposé la clause Marché intérieur de manière maladroite en posant la règle que l’activité de commerce électronique est gouvernée par la loi d’origine du prestataire, mais les auteurs s’accordent pour lui refuser la valeur d’une règle de conflit et estiment qu’il faut l’interpréter à la lumière de la directive27. Et quoi qu’il en soit, du fait de la corrélation entre la loi d’origine et les rattachements prévus par l’article 4 du règlement Rome I, les prévisions des opérateurs sont respectées.
Il résulte de ce qui précède que s’il y a un domaine dans lequel il convient de faire évoluer la situation, c’est plutôt celui des contrats de consommation. Or c’est précisément sur ce front que s’est engagé le législateur communautaire avec les deux propositions de directives sur les ventes en ligne et les fournitures de contenu numérique. Il convient à présent d’évaluer par anticipation l’impact de ces futurs textes.
II – L’impact des futures directives sur la vente en ligne et la fourniture de contenu numérique
Qu’il s’agisse de la proposition de directive sur la vente en ligne ou de la proposition de directive sur les contrats de fourniture de contenu numérique, ces deux instruments n’ont pas pour ambition de supplanter le règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles. En réalité, les règles qu’ils édictent visent à établir un niveau impératif et uniforme de protection des consommateurs dans tous les États membres ce qui devrait profiter aux consommateurs mais également aux professionnels en transcendant le conflit de lois. Or, les champs d’application personnel et matériel respectifs des deux propositions de directives ne permettent que très imparfaitement d’atteindre ce résultat.
A – L’impossible dépassement du conflit de lois dû au champ d’application personnel des futures directives
Les notions centrales de fournisseur de contenu numérique et de vendeur sont définies strictement et ont pour conséquence de soustraire des acteurs majeurs de l’e-commerce au champ d’application des textes en gestation.
D’une part, selon l’article 2, point 3, de la proposition de directive sur la fourniture de contenu numérique, le fournisseur est « toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». En outre, il résulte de l’article 5 que lorsque le fournisseur exécute le contrat de fourniture de contenu numérique, il fournit le contenu au consommateur ou il le fournit à un tiers qui exploite un lieu de fourniture physique ou virtuel qui met à disposition du consommateur le contenu numérique. La lecture combinée de ces deux dispositions montre qu’en réalité l’intermédiaire qui met à disposition du consommateur le contenu numérique ou qui lui en permet l’accès, n’est pas visé par la directive. Or, ce tiers peut être un fournisseur d’accès à internet ou l’exploitant d’une plate-forme.
La même observation s’impose à l’égard de la proposition de directive relative à la vente en ligne. En effet, son article 2 retient pour le vendeur une définition similaire à celle du fournisseur. Les places de marché (market places) du type Amazon ou Cdiscount qui mettent à disposition des vendeurs professionnels une plate-forme technique pour gérer leur activité sortent donc du champ de la future directive.
Malheureusement, cette exclusion des plates-formes risque de générer une situation parfois complexe car celles-ci vont souvent au-delà de la simple intermédiation et proposent des services complémentaires au profit du client tels que des services de paiement en ligne ou le service après-vente. Parfois même, la plate-forme occupe un rôle plus central et assume certes le rôle de représentant jusqu’à ce que le vendeur ait fourni le produit jusqu’à un centre logistique mais endosse ensuite la qualité de cotraitant ou de sous-traitant du fournisseur, et accomplira à ce titre, une partie de la livraison du produit, notamment la dernière étape de la livraison, du centre logistique de la plate-forme jusqu’au domicile du client. En matière de fourniture de contenu numérique, c’est la plate-forme qui assurera l’interopérabilité effective du contenu numérique, permettant de ce fait le téléchargement ou la lecture effective du contenu numérique28. Dans toutes ces hypothèses, le consommateur insatisfait du service rendu par la plate-forme ne pourra pas compter sur la protection de la future directive. Cela dit, il n’est pas démuni pour autant puisque l’article 6 du règlement Rome I reste applicable à condition que la plate-forme dirige ses activités vers l’État de résidence du consommateur. Dès lors, le consommateur se verra appliquer les règles du droit de la consommation de son pays. Parallèlement, pour l’exploitant de la plate-forme, les incertitudes liées à la divergence des droits internes demeurent. Ainsi, la plate-forme Amazon précise que ses conditions générales d’utilisation sont soumises au droit luxembourgeois mais en cas de conflit avec un consommateur, les dispositions protectrices de la loi de l’État de résidence de ce consommateur ont vocations à s’appliquer. De plus, lorsqu’il ne sera pas démontré qu’une plate-forme dirigeait ses activités vers l’État du consommateur, en l’absence de professio juris, il faudra en revenir à l’article 4.2 du règlement qui désigne la loi du pays de celui qui exécute la prestation caractéristique, compte tenu de la difficulté pour qualifier le contrat unissant le professionnel au consommateur, avec l’insécurité juridique qui en résulte pour le consommateur qui n’est pas sûr de pouvoir faire valoir efficacement ses droits. À la vérité, l’objectif du législateur européen qui consiste à dépasser le conflit de lois par des règles substantielles harmonisées ne cible que l’éditeur du contenu numérique, lequel sera parfois difficile à identifier lorsqu’il agit par l’intermédiaire d’une plate-forme. En outre, l’harmonisation des législations des différents États membres n’atteint véritablement son objectif de simplification et de protection que dans le cadre du marché intérieur à l’UE. En effet, il ne faut pas oublier que les consommateurs sont de plus en plus séduits par les prix attractifs pratiqués par des professionnels établis hors de l’Europe (notamment la Chine). Dans ce cas, pour que les règles de la future directive s’appliquent, il faut que la loi d’un État membre s’applique au contrat de vente. On passe alors à nouveau par l’article 6 du règlement Rome I qui permet l’application de la loi de la résidence du consommateur sous condition de ciblage par le professionnel. Ainsi, il ne suffira pas pour que les futures règles uniformisées s’appliquent que la résidence du consommateur soit située dans l’Union européenne. On pourrait alors comparer le raisonnement à celui qui conduit à l’application des lois de police du for, qui exige un lien particulier avec l’État du for pour que ce dernier applique ses règles impératives. Or, ce lien particulier consiste dans le ciblage de la clientèle du for. Malheureusement, les difficultés d’appréciation du ciblage seront encore exacerbées par le caractère extra communautaire du contrat. En effet, suffira-t-il de démontrer que le professionnel chinois ciblait au moins un État membre pour que tous les consommateurs de n’importe quel État membre puissent se prévaloir des dispositions de la directive ? Ou bien seuls les consommateurs du pays-cible pourront en bénéficier ? De plus, comment sera apprécié le critère de direction des activités du professionnel vers le pays du consommateur lorsqu’il utilise les services d’une plate-forme ?
À cette première série de difficultés, s’en ajoute une seconde. Celle-ci tient au champ d’application matériel des futures directives.
B – L’impossible dépassement du conflit de lois dû au champ d’application matériel des futures directives
D’abord les règles des deux propositions de directives ne concernent que la conformité du contenu numérique ou du bien au contrat, ainsi que les remèdes en cas de non-conformité29. L’harmonisation complète grâce à laquelle il n’y aurait plus besoin de s’interroger sur la loi applicable au contrat devrait concerner tous les aspects du contrat, ce qui n’est pas le cas. Cela implique donc d’en revenir à la loi applicable au contrat pour toutes les questions relatives à la formation, à la validité et aux effets des contrats, avec les interrogations qui peuvent en découler quant à la loi applicable30. Et, il s’ensuit que contre toute attente, les professionnels ne pourront pas rédiger une fois pour toutes leurs conditions générales d’affaires. De fait, la directive européenne sur les droits des consommateurs31 qui a appréhendé nombre d’aspects du droit de la consommation a laissé aux États membres des marges de manœuvre. Ainsi, par exemple, s’agissant des effets de l’exercice du droit de rétractation d’un contrat à distance sur des contrats accessoires, chaque État membre a déterminé librement les modalités pour mettre fin à ces contrats accessoires32. Donc en fonction de la loi nationale applicable, ces modalités sont susceptibles de varier.
Parallèlement, les deux propositions de directives excluent de leur champ d’application les contrats conclus en la présence physique du professionnel et du consommateur qui relèvent de la directive n° 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, laquelle était une directive d’harmonisation minimale. Par conséquent, les États membres gardaient la possibilité d’accorder un niveau de protection plus élevée. Ce fut le cas pour les États membres qui ont choisi de laisser le consommateur choisir discrétionnairement entre les différents remèdes au défaut de conformité prévus par la directive. Or, si ces remèdes sont les mêmes dans le cadre de la proposition de directive Vente en ligne, celle-ci exclut toute possibilité de choix. Il en résulte que les professionnels qui choisissent de diversifier leurs canaux de distribution à l’international sans recourir exclusivement à l’internet seront soumis simultanément à des régimes distincts selon qu’ils choisissent de s’implanter localement par le biais d’un établissement de type succursale ou par le biais du réseau internet.
Un autre instrument avait été brièvement envisagé pour triompher des incertitudes liées à la loi applicable au contrat de commerce en ligne : un modèle de contrat assorti d’un label européen de confiance. Il semble qu’une telle option aurait sans doute été plus simple et aurait permis à tous les professionnels désireux de commercer sur la toile, de proposer ce contrat-type à tous les consommateurs de l’Union européenne. Ce système pouvait séduire des professionnels des États tiers comme de l’UE pour tenter de séduire les consommateurs européens !
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique : JO, 22 juin 2004.
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2.
Sur ce point, v. Caprioli E., Règlement des litiges internationaux et droit applicable dans le commerce électronique, 2002, LGDJ, nos 50 et s. ; v. égal. Huet J., « Le droit applicable dans les réseaux numériques », JDI 2002, p. 737.
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3.
Eurobaromètre Flash 396 « Retailers’ attitudes towards cross-border and consumer protection » (2015).
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4.
Enquête Eurostat sur l’utilisation des TIC par les ménages et les particuliers (2014).
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5.
Gautrais V., Lefebre G. et Benyekhlef K., « Droit du commerce électronique et normes applicables : l’émergence de la lex electronica », RD aff. int 1997, p. 547.
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6.
Cachard O. : La régulation internationale du marché électronique, 2002, LGDJ, p. 11, nos 18 et s. ; Passat J., « Le contrat électronique international : conflits de lois et de juridictions », CCE 2005, n° 5, étude 17 ; Pironon V., « L’internet et la mondialisation » Gaz. Pal 3 nov. 2007, n° H0181, p. 11.
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7.
Cachard O., « Le contrat électronique et la convention de Vienne », in Les deuxièmes journées internationales du commerce électronique, 2005, Litec, p. 107 et s.
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8.
Jacquet J.-M., Delebecque P. et Corneloup S., « Droit du commerce international », 2010, Précis Dalloz, p. 233, nos 473 et s.
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9.
V. Bureau D., « À la pointe de la modernité ? Le contrat électronique international », RDC 2005, p. 450.
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10.
Prop. dir. n° COM(2015)635, 9 déc. 2015, concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens.
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11.
Prop. dir. n° COM(2015)634, 9 déc. 2015, concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique.
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12.
Loiseau G., « Vers une harmonisation totale des règles nationales de protection des consommateurs dans les ventes en ligne ? », CCE 2016, comm. 23.
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13.
Pour une approche relativement critique : Usunier L., « Du droit commun européen de la vente aux propositions de directives sur les contrats de vente en ligne et la fourniture de contenu numérique : la montagne accouche d’une souris », RTD civ. 2016, p. 304.
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14.
Règl. (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008.
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15.
Mas F., La conclusion des contrats de commerce électronique, 2005, LGDJ, nos 33 et s. V. aussi Passat J., art. préc.
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16.
CJUE, 7 déc. 2010, nos C-585/08 et C-144/09 : D. 2011, p. 990, note Pancrazi M.-E. ; JCP G 2011, 129, note D’Avout L. ; RDC 2011, p. 567, note Treppoz É.
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17.
V. en ce sens Manara C., « Vendre en ligne dans un pays étranger sans y être poursuivi », D. 2011, p. 990.
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18.
En ce sens, D’Avout L., art. préc.
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19.
Règl. (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008, art. 2
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20.
Règl. Bruxelles 1 refondu, art. 39.
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21.
C. consom., art. L. 232-6 : « Le consommateur ne peut être privé de la protection mentionnée à la section 7 du chapitre IV du titre III du présent livre, y compris lorsque la loi applicable est celle d’un pays tiers, dès lors que :
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22.
(…) pour les autres contrats définis à l’article L. 224-70, le professionnel exerce une activité commerciale ou professionnelle dans un État membre ou que celui-ci dirige de quelque manière que ce soit son activité vers un État membre et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité. »
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23.
CJUE, 28 juill. 2016, n° C-191/15, Verein für konsumenteninformation c/ Sté Amazon EU ; CCE 2016, comm. 90, comm. Loiseau G.
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24.
Cass. 1re civ., 3 mars 1981 : Bull. civ. I, p. 62.
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25.
L. n° 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique : JO, 22 juin 2004, p. 11168.
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26.
Pas plus qu’il ne s’applique aux contrats de consommation.
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27.
En ce sens, CJUE, 25 oct. 2011, nos C-509/09 et C-161/10 : RLDI 2011/76, n° 2524, obs. Costes J.
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28.
V. Bureau D., « À la pointe de la modernité ? Le contrat électronique international », art. préc. ; v. égal. Pironon V., « l’internet et la mondialisation », art. préc.
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29.
Sénéchal J., « La diversité des services fournis par les plates-formes en ligne et la spécificité de leur rémunération, un double défi pour le droit des contrats », AJCA 2016, p. 79.
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30.
Loiseau G., « Vers une harmonisation totale des règles nationales de protection des consommateurs dans les ventes en lignes ? », CCE 2016, comm. 23.
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31.
V. supra I/A/2°).
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32.
Dir. (UE) n° 2011/83, 25 oct. 2011, relative aux droits des consommateurs.
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33.
Ibid., art. 15.2.