L’interdiction de sortie du territoire des enfants sans l’accord des deux parents : une mesure conforme au droit de l’Union et dont la nécessité est appréciée souverainement par la cour d’appel

Publié le 05/10/2017

Les juges du fond apprécient souverainement la situation familiale pour ordonner l’interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents, prévue à l’article 373-2-6 du Code civil. Selon la Cour de cassation, cette mesure a pour but la protection des droits et libertés d’autrui en ce qu’elle vise à préserver les liens des enfants avec leurs deux parents et à prévenir les déplacements illicites. La mesure est donc nécessaire et proportionnée au regard des textes européens relatifs à la liberté de circulation, dès lors qu’elle n’est pas absolue et qu’elle peut faire l’objet d’un réexamen à tout moment par le juge. Dans ces conditions, une telle mesure n’est donc pas illimitée dans le temps.

Cass. 1re civ., 8 mars 2017, no 15-26664

En l’espèce, un homme, de nationalité française, et une femme, de nationalité britannique, ont eu trois enfants. Tous trois ont été reconnus par leurs deux parents. Après la séparation des parents, le juge aux affaires familiales a, le 12 avril 2012, fixé la résidence des enfants au domicile du père et organisé le droit de visite et d’hébergement de la maman. Un appel ayant été interjeté, un arrêt en date du 3 octobre 2013 a confirmé ce jugement mais dit que le droit de visite et d’hébergement s’exercerait uniquement sur le territoire français et ordonné l’interdiction de sortie du territoire des enfants sans l’autorisation des deux parents. Le 12 août 2014, la maman, qui réside alors en Angleterre, a assigné le père afin de voir la résidence des enfants transférée à son domicile.

La cour d’appel de Caen, le 17 septembre 2015, rejette les demandes et notamment celle tendant à voir ordonner la mainlevée de l’interdiction de sortie du territoire français des enfants sans l’autorisation des deux parents, interdiction prononcée sur le fondement de l’article 373-2-6 du Code civil.

La cour d’appel a estimé que, dans le contexte de relations parentales toujours tendues et compte tenu de l’état de défiance persistant entre les parents, il est nécessaire « que soit recueilli l’accord des deux parents, préalablement à la sortie des enfants du territoire français ». Cette mesure « n’est qu’une garantie de la bonne exécution par chacun des parents des devoirs attachés à l’exercice en commun de l’autorité parentale ». Elle a en effet relevé pour justifier sa décision, que la mère qui réside en Angleterre avait « refusé de restituer les mineurs au père pendant 4 mois en 2012, seule la décision prise par les juges anglais l’ayant contrainte à exécuter le jugement, puis qu’en août 2014, elle ne les avait ramenés que cinq jours après la date convenue ».

La mère se pourvoit en cassation sur le fondement, notamment, de l’article 373-2-6 du Code civil. Elle estime que le prononcé d’une interdiction de sortie du territoire d’un enfant sans l’autorisation de ses deux parents suppose que soit « caractérisé le risque d’enlèvement international par l’un des deux parents » et que la cour d’appel n’a pas apporté assez d’éléments pour caractériser ce risque. Elle aurait donc pris une décision manquant de base légale.

Toujours selon l’auteure du pourvoi, la décision serait en elle-même « contraire au principe de libre circulation dès lors qu’une telle interdiction n’est assortie d’aucune limitation temporelle ou possibilité de réexamen périodique des circonstances de fait ou de droit qui la sous-tendent et qu’il existe en droit de l’Union des normes juridiques telles que le règlement (CE) n° 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale de nature à protéger les droits des parents sans que la liberté de l’un d’eux soit nécessairement limitée ». La mère estime que la cour d’appel a « violé l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 et le principe de primauté du droit de l’Union, ensemble les articles 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, 27 de la directive n° 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, et 2 du protocole n° 4 de la convention européenne des droits de l’Homme ».

Enfin, elle estime nécessaire, le cas échéant, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : « l’article 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 27 de la directive 2004/38 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit, comme le fait l’article 73-6-3 du Code civil, la possibilité pour le juge de prononcer une mesure d’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans l’autorisation de deux parents pour garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents dès lors qu’une telle mesure n’est ni limitée dans le temps ni assujettie à réexamen périodique et qu’il existe en droit de l’Union des normes juridiques telles que le règlement (CE) n° 2201/2003 celles de nature à protéger les droits des deux parents sans que la liberté de l’un d’eux soit nécessairement limitée ? ».

La Cour de cassation devait ainsi non seulement confirmer que les juges du fond avaient justifié légalement leur décision, mais aussi juger de la comptabilité de l’article 373-3-6 du Code civil avec le droit européen et notamment le principe de libre circulation.

La Cour suprême rejette le pourvoi. Elle estime en effet que l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire sans l’accord des deux parents, prévue à l’article 373-2-6, alinéa 3, du Code civil, « est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui en ce qu’elle vise à préserver les liens des enfants avec leurs deux parents et à prévenir les déplacements illicites, conformément aux objectifs poursuivis par le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale et la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ». Elle estime également que l’interdiction est proportionnée aux buts poursuivis, « dès lors que, n’interdisant la sortie du territoire de l’enfant que faute d’accord de l’autre parent, elle n’est pas absolue, et que, pouvant faire l’objet d’un réexamen à tout moment par le juge, elle n’est pas illimitée dans le temps ».

De plus, en l’espèce, la Cour de cassation considère que c’est par une appréciation souveraine de la situation familiale que la cour d’appel, « prenant en considération la nécessité pour les enfants de maintenir des relations avec chacun des parents et le risque pouvant affecter la continuité et l’effectivité de ces liens », a pu ordonner l’interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents.

Enfin, selon la Cour, « en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ».

Ainsi, la Cour de cassation confirme la comptabilité de l’article 373-2-6, alinéa 3, du Code civil avec les normes européennes en question, cette interdiction étant proportionnée aux buts poursuivis (I). Elle confirme en même temps que les juges du fond sont souverains quant à l’appréciation du bien fondé de l’interdiction (II).

I – La mesure d’interdiction prévue à l’article 373-2-6 du Code civil : une mesure nécessaire et proportionnée aux buts poursuivis par le droit de l’Union

Le droit de l’Union influe inévitablement sur le droit national dans de nombreux domaines juridiques et le droit de la famille n’échappe pas à cette influence. Parfois, des dispositions nationales peuvent être suspectées d’être contraires au droit de l’Union, supérieur dans la hiérarchie des normes au droit français. En l’espèce, la Cour de cassation confirme que la mesure d’interdiction prévue à l’article 373-2-6 du Code civil est une mesure nécessaire (A) et proportionnée aux buts poursuivis par le droit de l’Union (B).

A – Une mesure nécessaire

Selon la Cour de cassation, l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire sans l’accord des deux parents, prévue à l’article 373-2-6, alinéa 3, du Code civil, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui. En effet, lorsque les parents sont séparés, cette séparation est, selon l’article 373-2 du Code civil « sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». De plus, selon le même article « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent » et « tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent ». En cas de désaccord des parents, le parent le plus diligent peut saisir le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu’exige « l’intérêt de l’enfant », critère de référence en la matière1.

De plus, selon l’article 373-2-6 du Code civil, c’est le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales qui règle les questions qui lui sont soumises en veillant spécialement à la « sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ». Il peut ainsi « prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents ». Parmi ces mesures, il peut, selon la loi du 9 juillet 2010 notamment, « ordonner l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire français sans l’autorisation des deux parents ». Cette interdiction de sortie du territoire est par ailleurs inscrite au fichier des personnes recherchées par le procureur de la République. C’est ce que confirme l’article 1180-3 du Code de procédure civile qui précise que c’est le greffe du juge aux affaires familiales qui avise aussitôt le procureur de la République et fait inscrire cette mesure au fichier des personnes recherchées ou fait procéder à la modification de l’inscription2.

Cette disposition vise donc à préserver les liens des enfants avec leurs deux parents et à prévenir les déplacements illicites. Le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, appelé règlement Bruxelles II bis3, a pour objectif d’éviter que les parents ne se trouvent dans des situations où ils ne peuvent plus jouir de leurs droits parentaux. La convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, a aussi pour but de dissuader les enlèvements parentaux entre États signataires. Ces textes prévoient ainsi un ensemble de dispositions pour atteindre ces objectifs.

La disposition du Code civil relative aux interdictions de sorties du territoire s’inscrit dans le cadre plus général des objectifs européens notamment et est donc, selon la Cour de cassation, une mesure « nécessaire ».

En l’espèce, les parents sont de nationalités différentes et séparés. Les droits de chacun des parents doivent être garantis par le juge. Le juge avait donc fixé la résidence des enfants au domicile du père, de nationalité française, et organisé le droit de visite et d’hébergement de la mère. Un arrêt du 3 octobre 2013 a confirmé ce jugement mais dit que le droit de visite et d’hébergement s’exercerait uniquement sur le territoire français. Dans la même décision, les juges ordonnaient l’interdiction de sortie du territoire des enfants sans l’autorisation des deux parents, conformément aux dispositions prévues par le Code civil. Quelques mois plus tard, la mère qui résidait désormais en Angleterre, a assigné le père afin de voir la résidence des enfants transférée à son domicile. La cour d’appel a donc rejeté, valablement pour la haute juridiction, sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée de l’interdiction de sortie du territoire français des enfants sans l’autorisation des deux parents.

B – Une mesure proportionnée

Pour la Cour de cassation, la mesure envisagée par le Code civil et prise par les juges est proportionnée aux buts poursuivis.

Cette exigence de proportionnalité entre les mesures et les buts poursuivis est commune lorsqu’une législation nationale est confrontée aux normes européennes. Ce sont en général les juges européens qui, en dernier recours, jugent du caractère proportionné.

Ici, la Cour de cassation justifie sa position en précisant que la mesure n’interdit pas la sortie du territoire de l’enfant d’une façon absolue mais simplement en cas d’absence d’accord entre les deux parents. De plus, pour répondre aux arguments de l’auteure du pourvoi, la décision interdisant la sortie du territoire de l’enfant sans l’accord des deux parents peut « faire l’objet d’un réexamen à tout moment par le juge, elle n’est pas illimitée dans le temps ».

En effet, il n’y a pas d’interdiction absolue, puisque les deux parents peuvent être d’accord pour que l’enfant quitte le territoire. Il faut donc considérer que la sortie du territoire est une décision grave qui requière l’accord des deux parents.

De plus, comme le souligne la Cour de cassation, le juge aux affaires familiales peut régulièrement être saisi pour réexaminer la situation et, le cas échéant, s’il estime cela légitime, il peut mettre fin à la mesure d’interdiction. C’est ce que prévoit l’article 373-2-13 du Code civil, selon lequel les dispositions contenues dans la convention homologuée « ou dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire » ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public ». Toutes les décisions prises en matière d’exercice de l’autorité parentale sont à considérer comme étant, d’une certaine façon, des décisions temporaires et modifiables. Il faut néanmoins des éléments nouveaux afin de faire évoluer la position du juge.

Les mesures prises sont donc proportionnées aux buts poursuivis : le maintien des relations entre les parents et les enfants et éviter qu’une situation ne dégénère en enlèvement international d’enfant. Cette interdiction de sortie est une garantie dans ce domaine. C’est ce que souligne une auteure : « la limitation au territoire français du droit d’hébergement du parent étranger est le mode de prévention des non-représentations d’enfants le plus utilisé »4.

Ainsi, pour ces raisons, la Cour de cassation considère qu’il n’y a ni atteinte aux droits issus de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, ni au principe de primauté du droit de l’Union. Les juges du fond n’ont pas plus porté atteinte aux articles 21 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ni même 27 de la directive 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Enfin, la Cour de cassation ne relève aucune atteinte à l’article 2 du protocole n° 4 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Ce dernier article prévoit en effet que toute personne qui « se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence ». Aussi, selon le même article « toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ». Mais le troisième alinéa de l’article prévoit aussi que « l’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». En l’espèce, cette mesure répond à ces exigences : la restriction est prévue par le Code civil et elle est nécessaire pour préserver et protéger les droits d’autrui, en l’occurrence les droits de l’autre parent sur ses enfants.

II – L’appréciation souveraine du bien-fondé de la mesure d’interdiction de sortie du territoire

La Cour de cassation rappelle que l’appréciation du bienfondé de la mesure est une appréciation souveraine des juges du fond. Les éléments pris en compte par la cour d’appel, notamment les faits antérieurs, justifient donc dans la décision (A). Cette décision de la haute juridiction s’inscrit donc dans la ligne jurisprudentielle donnée antérieurement. Enfin, la Cour conclut à l’inexistence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, « il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle » (B).

A – Une jurisprudence constante de la cour : l’appréciation souveraine des juges du fond de la nécessité de la mesure

Ce que valide indirectement la haute juridiction, c’est l’interprétation souveraine des juges quant à la nécessité de la mesure. En effet, la cour d’appel a relevé, « par motifs adoptés », que la mère qui réside en Angleterre, avait « refusé de restituer les mineurs au père pendant quatre mois en 2012 ». Pour la contraindre, il avait été nécessaire de saisir le juge anglais, qui l’avait obligé à exécuter le jugement rendu par les juges français. De plus, autre élément important relevé par les juges du fond, en août 2014, la mère avait ramené les enfants 5 jours après la date convenue. La haute juridiction estime donc que « c’est par une appréciation souveraine de la situation familiale que la cour d’appel, prenant en considération la nécessité pour les enfants de maintenir des relations avec chacun des parents et le risque pouvant affecter la continuité et l’effectivité de ces liens, a ordonné l’interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents ».

Déjà dans une décision du 3 janvier 2010, la Cour de cassation avait considéré que le juge apprécie souverainement le risque que l’un des parents quitte le territoire et la difficulté de mettre en place un droit de visite et d’hébergement pour l’autre parent. En l’espèce, la mère avait une activité professionnelle qui lui permettait de se déplacer facilement dans d’autres pays pour y travailler. La Cour de cassation avait donc considéré que les juges du fond pouvaient prononcer l’inscription sur le passeport des parents de l’interdiction de sortie du territoire français de l’enfant sans leur autorisation5.

Dans une autre espèce, une cour d’appel avait justifié l’interdiction de sortie du territoire par le fait que la mère, de nationalité française, ne justifiait pas du caractère durable et stable de son installation en France. La cour relevait aussi qu’il existait des relations entre les parents n’étant pas assez sécurisées, celles-ci étant très conflictuelles6.

De la même façon, la Cour de cassation, le 16 décembre 2015, confirmait la décision d’une cour d’appel qui avait fait interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents, dans le but de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens avec eux. Les juges du fond avaient notamment noté un conflit parental très prégnant. La Cour ne revenait donc pas sur l’appréciation des juges du fond7 et sur la nécessité d’une telle mesure.

Ainsi, il est constant que ce sont les juges du fond qui analysent la situation familiale pour édicter ou non une mesure d’interdiction de sortie du territoire sans l’accord des deux parents.

En l’espèce, les juges du fond ont donc pris en compte les éléments antérieurs et notamment les difficultés liées au retour des enfants dans le foyer du père. Cette interdiction est donc préventive et permet d’éviter tout risque futur de non-retour des enfants. Le raisonnement sous-jacent est peut-être celui selon lequel une mère qui a pu ne pas respecter une décision de justice en gardant ses enfants illégalement, peut aussi prendre d’autres initiatives plus graves pour parvenir à ses fins, comme partir avec ses enfants dans un pays étranger. Elle a par ailleurs voulu que le juge modifie le lieu de résidence des enfants pour qu’elle puisse les accueillir, ce que le juge a refusé en plus de l’interdiction en cause.

À l’évidence, les conséquences de la décision sont importantes pour la mère mais ses arguments et ses demandes sont tous rejetés, notamment sa requête relative à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne.

B – L’inutilité d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.

La Cour de cassation refuse de poser une question préjudicielle8, car elle estime qu’il n’existe aucun doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne sur la question de la comptabilité de la norme française aux normes européenne. Elle estime en effet que la norme française en matière d’interdiction de sortie du territoire n’est pas incompatible avec les normes européennes.

L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) précise que « la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités. b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction de l’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question ». Ainsi, la juridiction française peut estimer qu’il n’est pas nécessaire de demander à la Cour de donner sa position. De plus, le mécanisme européen n’a pas pour « fonction de juger le litige soumis aux juridictions nationales ni de se prononcer sur les dispositions nationales éventuellement applicables, mais de donner une interprétation du droit de l’Union européenne afin que le juge national l’applique ensuite pour régler le litige particulier »9.

Les juridictions internes ont en principe l’obligation de poser une telle question si la juridiction saisie rend des décisions définitives, non susceptibles de recours. Mais ce principe est atténué puisqu’il existe des hypothèses où la juridiction peut refuser de poser une telle question. C’est le cas notamment lorsque la jurisprudence établie de la Cour de justice permet de résoudre le problème10. C’est aussi le cas lorsque, selon la Cour de justice de l’Union européenne, « l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ; l’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit communautaire, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de la Communauté »11.

C’est ce que retient la Cour de cassation afin de refuser le recours. Elle considère que la norme européenne est claire. Cette solution est logique, puisque les mesures prises par le juge, sur la base légale de l’article 73-2-6 du Code civil, sont conformes aux objectifs fixés par les textes européens pris en référence. L’atteinte à la liberté de circulation est limitée et justifiée pour atteindre des objectifs légitimes relatifs aux droits des parents.

Les voies de recours internes étant épuisées, la seule possibilité est de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme, mais les chances de succès sont semble-t-il assez limitées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sur cette notion, V. Rubellin-Devichi J. et Carbonnier J., « Le principe de l’intérêt de l’enfant dans la loi et la jurisprudence françaises », JCP G 1994, I 3739 ; v. aussi Fermaud L., « L’intérêt de l’enfant, critère d’intervention des personnes publiques en matière de protection des mineurs », RDSS 2011, p. 1136 ; Hisquin J.-M., Liberté de religion et droit de la famille, Thèse, sept. 2012, université Jean Moulin Lyon 3, nos 602 et s.
  • 2.
    Pour des éléments précis sur cette mesure, V. par ex. Briand L., « Prévenir l’enlèvement international : les pratiques juridictionnelles après la loi du 9 juillet 2010 », AJ fam. 2011, p. 416.
  • 3.
    V. par ex. des éléments sur ce règlement, Gallant E., « Vol. Compétence, reconnaissance et exécution (Matières matrimoniale et de responsabilité parentale) », Rép. civ 2013, comm. 1 et s. ; V. aussi le guide pratique pour l’application du Règlement Bruxelles II bis, disponible sur le site http://ec.europa.eu/justice/civil/files/brussels_ii_practice_guide_fr.pdf.
  • 4.
    Fortis E., « Vol. Divorce (Conséquences) », Rép. civ. sept. 2011, n° 413, actualisation : octobre 2016.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 3 mars 2010, n° 08-21059.
  • 6.
    CA Paris, 13 févr. 2014, n° 12/19957.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 15-10442.
  • 8.
    Sur cette notion, V. Flores P., « Question préjudicielle », Rép. proc. civ., mars 2014, 9.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    CJCE, 6 oct. 1982, n° C-283/81, CILFIT c/ ministero della Sanità.
  • 11.
    Ibid.
X