L’ordre public de proximité en matière de filiation à l’épreuve des droits fondamentaux dédiés à l’intérêt de l’enfant et à son droit à l’identité

Publié le 31/01/2018

C’est à bon droit qu’une cour d’appel a exactement retenu que les dispositions de la loi étrangère en matière de filiation étaient contraires à l’ordre public international français.

Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, no 16-19654

1. Les faits à l’origine du litige1 se rencontrent fréquemment en droit international privé de la filiation. Le 2 août 2012, Mme X, de nationalité camerounaise, a donné naissance, en France, à l’enfant Justin X. Par la suite, Mme X, agissant tant en son nom qu’en celui de son fils, a assigné en recherche de paternité M. Y, de nationalité suédoise. Ce dernier a soutenu que l’action était irrecevable, au regard du droit camerounais applicable, compte tenu de l’inconduite notoire de la mère, Mme X. Conformément à l’article 311-14 du Code civil, le droit de la filiation est régi par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, en l’occurrence par l’article 340 du Code civil camerounais qui dispose que « l’action en reconnaissance de paternité ne sera pas recevable s’il est établi que, pendant la période légale de conception, la mère était d’une inconduite notoire ou a eu commerce avec un autre individu » (I)2. Aussi, M. Y, pour faire écarter la présomption de paternité, se prévalait de ces dispositions pour soulever l’irrecevabilité de la demande. En appel, M. Y fait grief à la cour d’appel d’avoir écarté l’article 340 du Code civil camerounais, car les juges du fait ont estimé que cette disposition heurtait l’ordre public international français, et qu’il convenait d’écarter l’application de la loi camerounaise compétente en faveur de la loi française et d’ordonner par conséquent une mesure d’expertise biologique3. Le pourvoi est rejeté. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a exactement retenu que ces faits étaient contraires à l’ordre public international français (II).

I – Loi personnelle de la mère en droit international privé de la filiation

2. Selon la Cour de cassation, l’action en recherche de paternité est établie en vertu de l’article 340 du Code civil camerounais (B), ce qui confirme la bilatéralisation prévue à l’article 311-14 du Code civil français (A).

A – Le recours à l’article 311-14 du Code civil

3. On observe qu’il résulte de l’article 311-14 du Code civil que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ». La règle de conflit de lois issue de l’article 311-14 du Code civil est bilatérale dans la mesure où elle désigne la loi du for ou une loi étrangère4. Force est de poursuivre en ce que la règle de conflits est neutre, car elle ne va pas prendre en considération les règles substantielles des différentes lois envisagées. Il ne nous paraît pas absurde de considérer que la mise en œuvre de la règle de conflit de lois issue de l’article 311-14 du Code civil implique des difficultés quant à la question de l’application de la théorie du renvoi. On enseigne que les règles de conflit de lois permettaient le renvoi inhérent au bilatéralisme5. D’illustres auteurs ont même considéré que « le problème le plus délicat est évidemment celui du renvoi. Le législateur aurait bien été inspiré en précisant que la loi applicable à la filiation était la loi interne de la mère »6. C’est sans doute la raison pour laquelle l’article 311-14 du Code civil a donc vocation à s’appliquer d’une part, aux conditions de l’établissement de la filiation et d’autre part, quant à la contestation de la filiation. Le critère de rattachement principal est donc la loi de la mère, critère choisi en raison de sa certitude supposée7.

B – L’application de la loi étrangère : l’action en recherche de paternité

4. L’arrêt rapporté paraît donc dans la droite ligne de la jurisprudence classique en matière d’application neutre de l’article 311-14 du Code civil. C’est ainsi que la Cour de cassation a récemment rendu un arrêt8 qui concernait le Dahir marocain n° 1.04.22 du 3 février 2004 portant homologation de la loi n° 70.0 contenant le Code de la famille en droit interne. Ce dernier prévoit, au chapitre II intitulé : « De la filiation paternelle et de ses moyens de preuve », la disposition suivante à l’article 158 : « La filiation paternelle est établie par Al firache (rapports conjugaux), l’aveu du père, le témoignage de deux adouls, la preuve fondée sur le ouï-dire et par tout moyen légalement prévu, y compris l’expertise judiciaire ». Dans cette affaire, les juges du fond ont appliqué sèchement l’article 158 du Dahir marocain en vertu de la bilatéralisation de l’article 311-14 du Code civil9.

5. Dans l’affaire rapportée, M. Y se prévalait de l’article 340 du Code civil camerounais pour soulever l’irrecevabilité de l’action en recherche de paternité. Le demandeur au pouvoir soutenait, en effet, qu’en jugeant contraire à l’ordre public international français l’application de la loi camerounaise, motif pris qu’elle aboutirait à priver un enfant mineur né en France et y demeurant habituellement de son droit d’établir sa filiation paternelle, tout en constatant que ses dispositions, identiques à celles des articles 340 et 340-1 du Code civil français dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 janvier 1993, prévoyant la reconnaissance judiciaire de la paternité hors mariage dans des cas d’ouverture et des fins de non-recevoir limitativement énumérés, n’emportait pas prohibition générale de l’établissement de la filiation paternelle, la cour d’appel a violé les articles 3 et 311-14 du Code civil.

6. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant qu’aux termes de la loi camerounaise, l’action en recherche de paternité est irrecevable lorsque, pendant la période légale de conception, la mère a été d’une inconduite notoire ou si elle a eu commerce avec un autre homme ; la cour d’appel a exactement retenu que ces dispositions, qui privaient l’enfant de son droit d’établir sa filiation paternelle, étaient contraires à l’ordre public international français ; que le moyen n’est pas fondé.

II – Exception d’ordre public international de la filiation

7. La haute juridiction, en considérant que les dispositions contenues dans l’article 340 du Code civil camerounais étaient contraires à l’ordre public international (A), fait progresser les droits fondamentaux dédiés à l’intérêt de l’enfant et à son droit à l’identité (B).

A – La relativité de l’exception d’ordre public de la filiation : recul de l’ordre public de proximité

8. Il est fréquent que l’ordre public international influence fortement la loi étrangère reconnue normalement compétente par le juge du for. C’est d’ailleurs ce souci qu’ont relevé d’illustres auteurs en soulignant : « La portée de cet ordre public est universelle, en ce sens que toute situation portée à la connaissance du for et soumise à une loi étrangère est couverte, quels que soient ses liens avec le for. Or l’idée que toute loi étrangère compétente non conforme soit systématiquement visée – idée qui va de pair avec celle d’atteinte à un principe essentiel de notre ordre juridique – est parfois un peu gênante. Il est en effet des principes auxquels le droit français tient plus que dans les seuls cas où la loi française est désignée comme applicable par la règle de conflit, sans pour autant y tenir au point de les imposer en toutes circonstances à toutes lois étrangères compétentes ; seules les situations suffisamment reliées à la France méritent alors d’être couvertes par eux. Ces principes sont précisément ceux qui composent l’ordre public de proximité ici envisagé »10.

9. C’est un important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation qui va marquer un net recul de la règle de l’ordre public de proximité en considérant : « Mais attendu qu’ayant, à bon droit, mis en œuvre la loi ivoirienne, désignée par la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil français, qui rattache l’établissement de la filiation à la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant et, ayant relevé que M. A, étant marié au moment de la naissance de cet enfant, l’action en recherche de paternité était irrecevable en application des articles 22 et 27 du Code de la famille ivoirien, la cour d’appel a exactement décidé que ces dispositions étaient contraires à l’ordre public international français dès lors qu’elles privaient l’enfant de son droit d’établir sa filiation paternelle ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n’est pas fondé pour le surplus »11. Aux termes de cette décision, la haute juridiction écarte, pour contrariété à l’ordre public international français, une loi étrangère qui prive un enfant du droit d’établir en justice sa paternité12.

B – Les droits fondamentaux dédiés à l’intérêt de l’enfant et à son droit à l’identité

10. Le droit international privé de la filiation a, en ce domaine, considérablement évolué tant au regard des conventions internationales que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Pour s’en convaincre il suffit de relever le nombre de publications dédié à cette matière13. De plus, la CEDH a rendu une importante décision le 16 juin 201114 dont la portée semble « accorder une certaine prédominance à l’intérêt de l’enfant et à son droit à l’identité »15. Une décision plus ancienne rendue par la CEDH16 avait ouvert la voie à une réflexion selon laquelle « les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle »17. Au regard de la jurisprudence de la CEDH, cette dernière semble donc se livrer à un contrôle de proportionnalité mettant en balance l’ensemble des données de la cause : avantage que représente pour l’intérêt de l’enfant et à son droit à l’identité plutôt qu’une mesure d’irrecevabilité de l’action en recherche de paternité. Espérons qu’en renforçant son test de proportionnalité, la CEDH poursuivra son effort de contrôle de l’obligation négative pour l’État de ne pas s’ingérer dans l’autonomie de la famille et dans l’autorité parentale qui gouverne la vie familiale18.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lonné-Clément A.-L., « Irrecevabilité de l’action en recherche de paternité en cas d’inconduite notoire de la mère : contrariété à l’ordre public international français », Actualités droit, Lamy line, 4 oct. 2017 ; Mélin F., « Précisions sur l’ordre public international en matière de filiation », Dalloz actualité, 16 oct. 2017 ; Bourel P., Muir Watt H. et Gallant E., « Filiation – Établissement de la filiation : Mise en œuvre des règles de conflit – Effets de la filiation » JCl. Civil Code, Fasc. 20 ; Lonné-Clément A.-L., « Irrecevabilité de l’action en recherche de paternité en cas d’inconduite notoire de la mère : contrariété à l’ordre public international français », Lamy line, 4 oct. 2017.
  • 2.
    Mélin F., « Précisions sur l’ordre public international en matière de filiation », Dalloz actualité, 16 oct. 2017, op. cit.
  • 3.
    Ibid.
  • 4.
    Morin M. et Niel P.-L., « L’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond en droit international privé de la filiation », LPA 28 mars 2017, n° 124x7, p. 11.
  • 5.
    Mélin F., « Régime procédural de la loi étrangère devant le juge français », Dalloz actualité, 23 janv. 2017.
  • 6.
    Simon-Depitre M. et Foyer J., « Le nouveau droit international privé de la filiation », RD 1973, n° 24, p. 28.
  • 7.
    Montillet de Saint-Pern L., La notion de filiation en droit comparé droit français et droit anglais, 2013, thèse université Panthéon-Assas, p. 314, n° 534.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 16-10754, FS-PB, Morin M. et Niel P.-L., « L’interprétation de la loi étrangère par les juges du fond en droit international privé de la filiation », LPA 28 mars 2017, n° 124x7, p. 11.
  • 9.
    Fulchiron H., « La séparation du couple en droit international privé », LPA 28 mars 2001, p. 4.
  • 10.
    Loussouarn Y., Bourel P. et De Vareilles-Sommières P., Droit international privé, 2013, Précis Dalloz, p. 284, n° 304.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 09-71369.
  • 12.
    Meyzeaud-Garaud M.-C., « Vers un abandon de l’ordre public de proximité en matière d’action en recherche de paternité », RLDC 2012/04, n° 92, p. 32.
  • 13.
    Bourel P., Muir Watt H. et Gallant E., « Filiation – Établissement de la filiation : Mise en œuvre des règles de conflit – Effets de la filiation » JCl. Civil Code, Fasc. 20, op. cit., n° 25.
  • 14.
    CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pascaud c/ France.
  • 15.
    Hervieu N., obs. sous CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pascaud c/ France, Actualités Droits-Libertés, 20 juin 2011 ; Siffrein-Blanc C., « Le refus d’établir la véritable filiation d’un homme est contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme », Dalloz actualité, 5 juill. 2011.
  • 16.
    CEDH, 13 juill. 2006, n° 58757/00.
  • 17.
    Mélin F., « Précisions sur l’ordre public international en matière de filiation », Dalloz actualité, 16 oct. 2017, op. cit.
  • 18.
    Dekeuwer-Défossez F., « Autonomie de la famille », Le Lamy Droit des Personnes et de la Famille, n° 150-67.
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