Recevabilité des prétentions nouvelles en cause d’appel d’une partie non-comparante en première instance

Publié le 17/03/2022
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Par un arrêt du 20 mai 2021 passé inaperçu, la Cour de cassation semble avoir procédé à un revirement de jurisprudence : les prétentions en appel d’une partie non comparante en première instance doivent être appréciées au regard des conditions de recevabilité des demandes nouvelles en appel.

Cass. 2e civ., 20 mai 2021, no 20-14339, F–D

Passé inaperçu l’année dernière, l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2021 risque de donner quelques sueurs froides aux praticiens. Cet arrêt est relatif à l’application de l’article 564 du Code de procédure civile relatif à l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel aux demandes faites par un appelant non-comparant en première instance.

Dans cette affaire, un matelot est devenu tétraplégique à la suite d’un accident à bord d’un chalutier. L’Établissement national des invalides de la marine (ENIM), le régime de santé et de retraite des marins, a reconnu qu’il s’agissait d’un accident du travail. La victime, par l’intermédiaire de ses représentants légaux, a assigné l’assureur du responsable de l’accident, à la suite de la condamnation au pénal de ce dernier, aux fins d’expertise et de provision. L’ENIM était également assignée.

Devant le juge des référés, l’ENIM a envoyé un courrier faisant état de ses débours et en a demandé le remboursement par l’assureur. Cette demande de provision est déclarée irrecevable en raison de sa non-comparution à l’audience, s’agissant d’une procédure orale. L’ENIM interjette appel de cette ordonnance.

La cour d’appel infirme l’ordonnance : la lettre de l’ENIM n’a pas saisi le juge des référés. Par conséquent, le juge ne pouvait pas déclarer cette demande irrecevable. Non-comparante en première instance, l’ENIM était donc recevable à présenter une demande de provision pour la première fois devant la Cour.

Cette solution était parfaitement cohérente avec la position de la jurisprudence jusqu’à présent. Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait considéré que « l’application de l’article 564 du Code de procédure civile suppose que la partie à laquelle on l’oppose ait été constituée en première instance »1 : l’irrecevabilité des prétentions nouvelles n’est donc pas applicable à la partie défaillante. Les cours d’appel ont retenu cette solution à plusieurs reprises. En 2020, la cour d’appel de Versailles jugeait ainsi que « selon une jurisprudence constante, il ne peut être reproché à une partie d’avoir présenté une prétention nouvelle en appel au sens de l’article 564 du Code de procédure civile alors qu’étant non comparante en première instance, elle n’en avait présenté aucune devant le premier juge »2.

La Cour de cassation adopte cependant en l’espèce une solution différente. Elle considère en effet qu’« alors qu’elle avait constaté que l’ENIM n’avait pas comparu en première instance, la cour d’appel, qui aurait dû rechercher si cette demande présentée pour la première fois en appel était recevable au regard des textes susvisés, n’a pas donné de base légale à sa décision ». La recevabilité de la demande en appel faite par une partie non comparante en première instance doit donc être appréciée au regard des articles 564 et suivants du Code de procédure civile.

La demande en appel ne nous semble pas pouvoir bénéficier des exceptions des articles 565 et suivants du Code de procédure civile. En particulier, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de considérer qu’une « demande formée par [un] défendeur contre un autre défendeur qui n’avait fait valoir aucune prétention à son encontre n’était pas une demande reconventionnelle »3 et ne pouvait donc pas bénéficier de l’exception de l’article 567 du Code de procédure civile prévoyant la recevabilité en cause d’appel des demandes reconventionnelles.

Ce revirement de jurisprudence risque d’emporter des conséquences importantes, en particulier pour les compagnies d’assurance ou pour les dossiers de responsabilité complexes où plusieurs parties sont assignées avec un débat sur le partage de responsabilité. Cela incitera l’ensemble des parties à profiter de la première instance pour présenter l’ensemble de ses demandes, tant en référé qu’au fond.

Notons que, heureusement, cette solution n’empêchera pas à une partie de se défendre en appel contre une condamnation par défaut en première instance, l’article 564 du Code de procédure civile prévoyant les recevabilités des prétentions visant à faire écarter les prétentions adverses.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-18864.
  • 2.
    CA Versailles, 9 avr. 2020, n° 19/02188 ; v. également CA Lyon, 21 janv. 2014, n° 13/05620 ; CA Paris, 15 déc. 2021, n° 21/06775.
  • 3.
    Cass. com., 18 juin 2000, n° 00-16487.
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