Une nouvelle interprétation par la Cour de cassation des articles 220, alinéa 3, et 1415 du Code civil
L’ouverture de crédit contractée par un époux sans le consentement de son conjoint désolidarise ce dernier au regard de l’article 220, alinéa 3, du Code civil en limitant le gage des créanciers aux seuls biens propres et aux revenus du seul époux engagé au sens de l’article 1415 du Code civil.
Cass. 1re civ., 5 oct. 2016, no 15-24616, FS-PB
1. Ceux qui s’intéressent un tant soit peu au droit patrimonial de la famille et en l’occurrence au droit des régimes matrimoniaux, constateront sans peine que le régime de la communauté universelle n’a pas encore livré tous ses secrets et ne cesse d’alimenter, voire de défrayer la chronique des régimes matrimoniaux. En l’espèce1, Mme X et Jean-Jacques Y, qui s’étaient mariés sous le régime de la communauté, ont souhaité changer de régime matrimonial et adopter celui de la communauté universelle avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. La BPLC a consenti le 7 août 2008 une ouverture de crédit à M. Jean-Jacques Y pour un montant de 400 000 € durant 36 mois, avec intérêts au taux fixe de 4,75 % et commission d’engagement de 0,125 % l’an, au titre d’une autorisation de découvert sur le compte n° 30119439328, cette ouverture de crédit étant réductible selon un échéancier fixé jusqu’au 21 juillet 2011. À la suite du décès de Jean-Jacques Y survenu le 19 juillet 2009, la Banque populaire Lorraine Champagne, a fait pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de Mme X puis l’a assignée pour obtenir sa condamnation à lui payer le solde d’une ouverture de crédit, signée par les deux époux, mais dont celle-ci contestait sa signature, et du découvert d’un compte ouvert au nom de son mari.
2. Les juges du fond estiment que pour condamner à payer à la banque la somme de 107 112,04 € correspondant au solde débiteur du compte ouvert au nom de son mari, il ressort de l’historique de ce compte qu’il a servi au paiement des charges courantes et des factures du ménage, lesquelles correspondent à des dépenses relevant de la définition de l’article 220 du Code civil, de sorte qu’elles relèvent de la catégorie des dettes communes et, à ce titre, sont valablement poursuivies à l’encontre de l’époux survivant, recueillant la communauté en application de la convention matrimoniale conclue entre les époux.
3. La décision des juges du fond tombe sous la censure de la Cour de cassation qui précise qu’il résulte de l’article 220, alinéa 3, du Code civil, que la solidarité entre époux n’a pas lieu pour les emprunts qui n’auraient été contractés que par un seul d’entre eux, à moins qu’ils ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. En revanche, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir décidé qu’aux termes de l’article 1415 du même code, chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres.
4. En invalidant partiellement la décision rendue par les juges du fond, la Cour de cassation n’hésite pas à revenir à une interprétation stricte de l’article 220, alinéa 3, du Code civil (I). Au demeurant, en approuvant les juges du fond, qui ont considéré que les dispositions de l’article 1415 du Code civil sont impératives et applicables aux époux mariés sous un régime de communauté universelle, la haute juridiction interprète de manière extensive l’article 1415 du Code civil (II).
I – Interprétation stricte de l’article 220, alinéa 3, du Code civil
5. La haute juridiction, tout en rappelant les conditions de l’article 220, alinéa 3, du Code civil (A), souligne la particularité de son application à l’égard de l’ouverture de crédit (B).
A – L’absence de solidarité des dettes domestiques
6. Dans le régime primaire2, il existe un principe général de la solidarité ménagère prévu à l’article 220, alinéa 1, du Code civil qui dispose que : « Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. Toute dette, qui a pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, contractée par l’un des époux, oblige l’autre solidairement ». Ce principe général connaît, toutefois, deux exceptions importantes qui ont, toutes deux, pour justification d’exclure la solidarité dans certaines hypothèses. C’est ainsi que l’article 220, alinéa 2, du Code civil dispose que « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ». De plus, l’article 220, alinéa 3, du Code civil dispose qu’« elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage »3.
7. Il convient de souligner que l’arrêt rapporté a été rendu sous l’ancienne disposition prévue à l’article 220, alinéa 3. Il s’agissait de savoir si les sommes modestes doivent être nécessaires aux besoins de la vie courante, ainsi qu’à l’emprunt lui-même, ou fallait-il exclure ce dernier ? La Cour de cassation a ainsi jugé : « Attendu que pour condamner les époux X en leur qualité de coemprunteurs solidaires au paiement du solde du prêt impayé, l’arrêt attaqué relève que si la signature de Mme X ne figurait pas sur le contrat définitif, elle avait signé avec son époux les demandes de prêt ainsi que le récépissé de l’offre préalable, que les factures fournies étaient au nom des époux et que le prêt relevant du « 1 % logement » avait été souscrit dans l’intérêt de la famille ; Qu’en statuant ainsi sans expliquer en quoi la seule signature de M. X apposée en face de la mention « signature des emprunteurs » et précédée de la mention « bon pour acceptation » sans autre précision, alors que l’offre de prêt était rédigée au nom de M. et Mme X en leur qualité de coemprunteurs, démontrait la croyance légitime du tiers, en l’occurrence un spécialiste du prêt immobilier, en l’existence d’un mandat donné par Mme X à son époux ni, à défaut, rechercher s’il s’agissait d’un prêt d’un montant modeste nécessaire aux besoins de la vie courante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1998 et 220 du Code civil »4. En d’autres termes, les emprunts, eux-mêmes, devaient être nécessaires aux besoins de la vie courante5.
8. Même si le nouvel article 220, alinéa 3, du Code civil issu de la réforme du 17 mars 2014 a ainsi mis fin à un débat doctrinal très partagé et à l’incertitude jurisprudentielle et pratique en découlant, force est de relever que l’arrêt rapporté permet de revenir sur cette problématique au regard de l’ouverture de crédit sans le consentement de son conjoint.
B – Défaut de consentement du conjoint à l’ouverture de crédit
9. En l’espèce, les juges du fond avaient estimé que pour condamner Mme X à payer à la banque la somme de 107 112,04 € correspondant au solde débiteur du compte ouvert au nom de son mari, les magistrats retiennent qu’il ressort de l’historique de ce compte qu’il a servi au paiement des charges courantes et des factures du ménage, lesquelles correspondent à des dépenses relevant de la définition de l’article 220 du Code civil, de sorte qu’elles relèvent de la catégorie des dettes communes et, à ce titre, sont valablement poursuivies à l’encontre de l’époux survivant, recueillant la communauté en application de la convention matrimoniale conclue entre les époux.
10. Une application littérale de l’article 220, alinéa 3, du Code exclut à l’évidence la solidarité entre époux sans qu’il soit nécessaire de pousser très loin l’étude des conditions posées par cet article issu du statut impératif de base. Il est clair que l’article 220, alinéa 3, du Code civil ne pouvait pas, au cas particulier, servir de fondement à la prétendue solidarité. Il est vrai que le découvert autorisé par la banque s’élevant à la somme de 107 112,04 €, devait exclure la solidarité domestique. Certes, l’exclusion ne concerne pas une ouverture de crédit à caractère ménager. Ainsi, la cour d’appel de Colmar précise qu’« Au surplus le crédit a été contracté alors que M. B. était marié. Si l’article 220 du Code civil exclut la solidarité pour les achats à tempérament s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, cette exclusion ne concerne pas une ouverture de crédit à caractère ménager. En l’espèce, il s’agit d’un crédit utilisable par fractions assorti d’une carte de crédit ayant servi à l’achat d’un téléviseur et d’un caméscope dont il a reconnu à l’audience du 10 février 2005 qu’ils avaient été installés à son domicile et que le coût n’était pas excessif au regard du salaire qu’il percevait »6.
II – Interprétation extensive de l’article 1415 du Code civil
11. Là encore, les magistrats de la haute juridiction se fondent sur une interprétation extensive de l’article 1415 du Code civil en soutenant l’application de cet article aux époux mariés sous le régime de la communauté universelle (A), même s’il apparaît difficilement conciliable avec l’esprit du régime de la communauté universelle (B).
A – Applicabilité de l’article 1415 du Code civil aux époux mariés sous le régime de la communauté universelle
12. Cet article 1415 du Code civil a fait naître une controverse doctrinale importante sur la question de l’application de l’article 1415 au cautionnement réel7. Cet article 1415 du Code civil issu du régime légal de la communauté réduite aux acquêts continue à défrayer les chroniques judiciaires et à susciter des difficultés d’interprétation. L’article 1415 du Code civil s’applique-t-il aux régimes conventionnels et en particulier au régime de la communauté universelle ? Depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 mai 2000, cette dernière considère que l’article 1415 du Code civil s’applique aux époux mariés sous le régime de la communauté universelle. Les magistrats rejettent le pourvoi en précisant « que les dispositions de l’article 1415 du Code civil sont impératives et applicables aux époux mariés sous un régime de communauté universelle ; qu’en l’absence de consentement exprès de l’épouse aux engagements d’aval souscrits par le mari, ce dernier ne pouvait engager les biens communs par de telles garanties ; que les moyens sont sans fondement »8. En effet, l’article 1415 du Code civil dispose que : « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». On avait souligné que : « La communauté n’est donc pas engagée par un emprunt ou une caution contractés par un seul des époux. Ne doutons pas cependant que les créanciers demanderont maintenant systématiquement la signature de l’autre époux »9.
13. Par le prisme de la notion de « dettes présentes et futures » prévue à l’article 1526 du Code civil, la Cour de cassation justifie le fondement de sa décision10 en précisant : « qu’en jugeant que les dispositions de l’article 1415 du Code civil faisaient obstacle à l’application des dispositions des articles 1524 et 1526 du Code civil, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1415 du Code civil et, par refus d’application, l’article 1526 du Code civil ». En effet, l’article 1526 du Code civil dispose que : « Les époux peuvent établir par leur contrat de mariage une communauté universelle de leurs biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir. Toutefois, sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté. La communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures ».
B – Solution difficilement conciliable au regard de l’esprit du régime de la communauté universelle
14. Il n’en demeure pas moins vrai que cette solution rendue par la haute instance semble difficilement conciliable avec l’article 1526, alinéa 2, du Code civil qui dispose que « la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux présentes et futures »11. Il en résulte qu’au regard de la portée de l’ouverture de crédit souscrit par le de cujus, le gage des créanciers est réduit aux seuls biens propres et aux revenus du seul époux engagé12. Au cas d’espèce, le gage maximum est doublement écarté. En revanche, le gage maximum des créanciers s’applique lorsque les époux s’engagent en qualité de cautions ou d’emprunteurs solidaires tant est si bien que les créanciers bénéficient d’un gage maximum sur l’ensemble des biens du couple13. Par ailleurs, en ce qui concerne, les dettes ménagères prévues par l’article 220 du Code civil, le législateur a donc choisi d’accorder au créancier un gage maximum afin de garantir le crédit du ménage14.
15. L’on peut sans doute constater que l’article 1526, alinéa 2, du Code civil, disposition particulièrement favorable pour le conjoint survivant n’ayant pas consenti à l’ouverture de crédit, reste sujette à bien des difficultés d’interprétation notamment au regard du caractère définitif des dettes du couple.
Notes de bas de pages
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1.
Louis D., « Communauté universelle et prêts consentis par un époux seul : application de l’article 1415 du Code civil », Dalloz actualité, 4 nov. 2016 ; « Emprunt contracté par l’époux et compte à découvert : consentement de l’épouse », JCP N 2016, act. 1131.
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2.
Statut impératif de base.
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3.
Art. 220, al. 3, modifié par L. n° 2014-344, 17 mars 2014, art. 50. Avant cette réforme l’article 220, alinéa 3, disposait qu’« Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ».
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4.
Cass. 1re civ., 28 sept. 2004, n° 02-17469 : « Emprunt et solidarité ménagère : retour à la lettre de l’article 220, alinéa 3, du Code civil ? », Le Lamy Droit civil, nº 41, 1er sept. 2007, op. cit.
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5.
Ibid.
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6.
CA Colmar, 3e ch. civ., sect. A, 26 janv. 2009, n° 05/02937.
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7.
Cabrillac R., « Le cautionnement et les époux : les dernières évolutions jurisprudentielles », Le Lamy Droit civil, nº 5, 1er mai 2004.
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8.
Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 97-21592.
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9.
Le Lamy Patrimoine, 610-70 ; Maintien du gage initial du créancier, Lamy.
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10.
Louis D., « Communauté universelle et prêts consentis par un époux seul : application de l’article 1415 du Code civil », op. cit.
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11.
Beignier B., « La communauté universelle est universelle pour le meilleur, voire le pire… », note ss. CA Paris, 27 janv. 2006 : Dr. Fam. 2006, p. 169 ; Vauvillé F., « Les dispositions de l’article 1415 du Code civil sont impératives et applicables aux époux mariés sous un régime… », RJPF 2000/10.
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12.
Legeais D., « Le prêt, opération de crédit de droit commun », JCl. Commercial, Fasc. 355, n° 80.
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13.
Mouligner-Baud N., « Communauté légale. – Passif propre et passif commun. – Obligation et contribution à la dette en régime légal », JCl. Civil Code, art. 1409 à 1420, Fasc. unique, n° 71.
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14.
Op. cit., n° 75.