Responsabilité des parents pour le fait de leur enfant : quid du rôle passif du second et de la faute des premiers

Publié le 10/02/2017

La responsabilité des parents, du fait de leur enfant, est connue pour être devenue très lourde. Deux arrêts, rendus fin 2016, ont précisé que le rôle passif de l’enfant était sans importance et que la responsabilité pouvait également être retenue sur le fondement de l’article 1240 (ex-1382) du Code civil.

Voilà plus de deux siècles que l’article 1384 du Code civil, devenu l’article 1242 depuis le 1er octobre dernier, dispose que les parents sont responsables du fait de leur enfant.

Ce régime de responsabilité a été marqué par deux évolutions. D’abord, son fondement est passé d’une présomption de faute à une présomption de responsabilité. Peu importe que les parents aient commis une faute, ils sont présumés responsables et ne peuvent s’exonérer qu’en démontrant que le dommage est dû à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Ce fut l’œuvre des arrêts Fullenwarth1 et Bertrand2, en 1984 et 1997. Ensuite, la responsabilité des parents, du fait de leur enfant, est passée d’une responsabilité subjective à une responsabilité objective, avec les arrêts Derguini et Lemaire3, en 1984, et l’arrêt Levert4, en 2001.

À présent, la responsabilité des parents n’est plus une responsabilité de second rang, mais une responsabilité de premier rang. Ceux-ci sont responsables de tous les faits dommageables de leur enfant, même si celui-ci est privé de discernement et même si l’acte n’est pas fautif. Ils sont responsables de leurs enfants comme des choses dont ils ont la garde. Ils sont même davantage responsables de leurs enfants que d’eux-mêmes, puisque la responsabilité de leur fait personnel suppose l’illicéité de l’acte. D’un point de vue théorique, cette solution est conforme aux termes de l’alinéa 4 de l’article 1242 du Code civil qui vise « le fait dommageable » de l’enfant. En pratique, le fait de l’enfant entraînant la responsabilité de ses parents est souvent un fait illicite. Celui-ci pourrait probablement entraîner la responsabilité de l’enfant, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, étant donné la conception objective de la faute admise par les tribunaux.

Deux arrêts, rendus fin 2016, ont précisé que le rôle passif de l’enfant était indifférent, pour retenir la responsabilité des parents sur le fondement de l’article 1242, et que ces derniers peuvent aussi être tenus pour responsables lorsque la victime invoque l’article 1240 (ex-1382) du même code.

I – Si l’enfant n’a qu’un rôle passif : application de l’article 1242 du Code civil

La responsabilité des parents du fait de leur enfant suppose, depuis 1804, que celui-ci soit mineur, qu’il cohabite avec ses père et mère et que ces derniers soient titulaires de l’autorité parentale. C’est parce qu’ils doivent éduquer et surveiller leur progéniture que le Code civil a mis à la charge des parents une responsabilité pour le fait de leurs enfants. Cette obligation d’éducation et de surveillance ne peut concerner que les mineurs et suppose, pour être effective, de pouvoir réellement éduquer (avoir l’autorité parentale) et surveiller (cohabiter) avec le mineur. Le parent qui n’exerce qu’un droit de visite et d’hébergement ne peut pas être responsable sur le fondement de l’article 1242, alinéas 4 et 7, du Code civil, même s’il est titulaire de l’autorité parentale5.

Dès les premières affaires, les juges ont fait preuve de réalisme. La cohabitation a été entendue dans le sens d’une communauté de vie. Peu à peu, la jurisprudence a apprécié la notion de cohabitation juridiquement (abstraitement) et non matériellement. Désormais, la cohabitation ne correspond plus à une communauté de vie mais à la résidence habituelle de l’enfant. Il a par exemple été admis que la cohabitation subsiste lorsque l’enfant est provisoirement dans un centre médico-éducatif6, quelques jours chez sa grand-mère7, en internat8, dans un centre de vacances pendant trois semaines, à 1 000 km du domicile familial9, ou même lorsque, âgé de treize ans au moment de l’acte dommageable, il avait été confié à sa grand-mère depuis l’âge d’un an10.

Il est vrai que, dès lors que la responsabilité des parents ne repose plus sur une présomption de faute mais sur une présomption de responsabilité, la condition matérielle de cohabitation, indispensable pour pouvoir retenir une faute d’éducation ou de surveillance, n’a plus de justification. Puisqu’ils sont responsables même s’ils n’ont pas commis de faute, il importe finalement peu que les parents aient effectivement le moyen d’éviter de commettre des fautes d’éducation ou de surveillance. Puisque les parents sont responsables de plein droit de tous les faits de leurs enfants, il est indifférent qu’il y ait réellement cohabitation. Cette solution est favorable à la victime et sévère pour les parents qui, parfois, n’ont vraiment aucun pouvoir effectif sur leur enfant. Leur exonération est très difficile.

En effet, les parents ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité qu’en démontrant que le dommage est dû à un cas de force majeure ou à une faute de la victime.

La force majeure est un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Doit-elle être appréciée par rapport à l’enfant ou par rapport aux parents ? Pour certains, il semble plus cohérent d’apprécier la force majeure au regard de la personne qui a participé à l’acte à l’origine du dommage. Or, la responsabilité prévue à l’article 1242, alinéa 4, du Code civil n’a pas pour origine un fait des parents mais un fait de l’enfant. Néanmoins, selon une autre partie de la doctrine, l’exonération par la preuve de la force majeure est théorique et s’apprécie à l’égard des parents11. La jurisprudence n’a pas clairement tranché la question, mais semble plutôt opter pour une appréciation à l’égard des parents12. En pratique, la force majeure est rarement retenue. Même si les parents démontrent l’imprévisibilité et l’irrésistibilité du comportement de l’enfant, la condition d’extériorité fait souvent défaut. La force majeure n’est réellement invoquée qu’en cas d’événement naturel.

S’agissant de la faute de la victime, les juges ont précisé qu’il n’est pas exigé que celle-ci ait un caractère volontaire pour exonérer partiellement les parents de leur responsabilité13. Alors qu’ils avaient admis un partage de responsabilité entre le père de l’auteur d’un dommage et la victime14, les hauts magistrats semblent avoir abandonné cette position. En effet, dans un arrêt du 17 février 2011 (visant les alinéas 1er, 4 et 7 de l’article 1384 du Code civil – devenu article 1242 –, ce qui tend une fois de plus à assimiler la responsabilité des parents pour le fait de leur enfant à la responsabilité générale du fait d’autrui), la Cour de cassation a reproché à une cour d’appel d’avoir exonéré le père de sa responsabilité sans constater que la faute de la victime avait constitué, pour lui, un événement imprévisible et irrésistible15. Cela signifierait que la seule cause d’exonération admise est la force majeure, qu’il s’agisse d’un événement naturel ou de la faute de la victime.

Si la faute de l’enfant n’est plus requise, ses parents peuvent-ils, au moins, invoquer le fait qu’il a eu un rôle passif ?

La distinction entre rôle actif et rôle passif est retenue à propos de la responsabilité pour le fait des choses que l’on a sous sa garde (C. civ., art. 1242, al. 1er). Si la chose en mouvement ou ayant un dynamisme propre est entrée en contact avec la victime ou le bien détérioré, le rôle actif (intervention causale) dans la réalisation du dommage est présumé. La victime doit seulement prouver l’intervention matérielle de la chose dans le dommage. Cette présomption de rôle actif n’est qu’une présomption simple. Le gardien peut s’exonérer en démontrant que la chose a eu un rôle passif ou normal et que le dommage n’est pas dû au fait de la chose, mais à une autre cause. Si la chose était en mouvement mais n’est pas entrée en contact avec la victime ou si elle était inerte mais est entrée en contact, le rôle actif n’est pas présumé. La victime doit prouver l’intervention matérielle et le rôle actif de la chose16 (caractère anormal, vice interne : escalier glissant, porte vitrée automatique ne s’ouvrant pas à l’approche des personnes).

Cette distinction est indispensable si l’on veut éviter que la responsabilité de l’article 1242, alinéa 1er, du Code civil, ne dérive vers un système d’indemnisation automatique de tous les dommages impliquant une chose. Le caractère anormal est toutefois apprécié de manière objective, sans qu’il y ait lieu de rechercher une faute du gardien.

Peut-on transposer ce raisonnement à la responsabilité des parents pour le fait des enfants « dont ils ont la garde » ? Telle était la question posée à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et à laquelle elle a répondu par la négative, le 1er décembre dernier17. Le fait qu’un enfant n’ait eu qu’un rôle passif, dans un accident pour lequel la responsabilité de ses parents est recherchée, ne constitue pas une cause d’exonération pour ces derniers. Les parents d’un enfant qui chute en faisant du ski (activité oh combien propice à la chute) pour en éviter un second, et en fasse tomber un troisième dans un ravin, entraîne la responsabilité de ses parents, sans qu’il y ait lieu d’analyser ce comportement. Le fait qu’il soit à l’origine du dommage suffit.

La réification de l’enfant est donc limitée… Certains (parents) diront qu’il est en réalité vain d’essayer de distinguer les comportements normaux et anormaux des enfants, de rechercher (d’espérer) chez eux des moments de passivité ou d’inertie… On évite un nouveau contentieux… au profit des victimes.

II – Si l’enfant n’a aucun rôle : application de l’article 1240 du Code civil

La conception très large de la responsabilité des parents pour le fait de leur enfant n’empêche pas d’invoquer, aussi, la responsabilité pour le fait personnel. La jurisprudence admet que la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1242 du Code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement de l’article 124018. Ce texte peut-il aussi être invoqué contre les parents ?

Selon les articles 1240 et 1241 du Code civil (ex-1382 et 1383), chaque personne doit réparer les dommages causés par « son fait ». Ce fait de la personne, appelé fait personnel, est assimilé à une faute, plus ou moins objective. Les juges disposent de larges pouvoirs dans l’appréciation de la norme de conduite qui a été méconnue. Il peut s’agir de la violation d’une règle écrite ou coutumière (violation du Code de la route, d’une règle de jeu). Il importe peu que l’auteur du dommage ait eu ce comportement de manière volontaire ou par imprudence ou négligence. S’il y a faute à faire ce qui ne doit pas être fait (fait positif), il y a également faute à ne pas faire ce qui doit être fait (fait négatif). Une omission ou une abstention, même involontaire, peut aussi être fautive.

Dans une affaire jugée par la cour d’appel de Bordeaux, le 14 novembre dernier19, une adolescente, âgée de 14 ans, participa à une soirée organisée au domicile de la mère et du beau-père d’une amie. Lors de cette soirée, alors qu’elle était alcoolisée, elle se rendit seule aux toilettes et se blessa entre le périnée et l’anus. Du sang a été retrouvé au sol. Les parents de l’adolescente ont déposé plainte pour viol et agression sexuelle, mais une enquête et des prélèvements ont conduit à un classement sans suite.

Les parents de la victime ont également recherché la responsabilité des parents de l’organisatrice de la soirée, afin d’obtenir réparation des préjudices subis par leur fille et de leur propre préjudice moral. Ils leur reprochaient un défaut de surveillance de la soirée. Ils estimaient que leur absence les avait empêchés de veiller au bon déroulement de la fête et notamment d’intervenir lorsque des invités introduisirent de l’alcool, ce qu’ils n’étaient pas supposés faire.

Alors que les premiers juges ont rejeté cette demande, à défaut de preuve des circonstances des faits et d’un lien de causalité entre un défaut de surveillance et le préjudice, la cour d’appel a retenu la responsabilité des parents de l’organisatrice de la soirée. Elle a relevé que l’accident s’était déroulé concomitamment ou peu après le retour des parents, de sorte qu’il aurait peut-être pu être évité si ceux-ci étaient passés s’assurer que la soirée se déroulait bien, au lieu de monter discrètement dans leur chambre. La cause de la blessure résidant vraisemblablement dans « l’empalement » de la victime, sur le support de la balayette des toilettes, et la chute résultant également probablement de son état éthylique antérieur, les magistrats ont considéré qu’il y avait lieu d’opérer un partage de responsabilité. Ils ont ainsi estimé que le dommage était dû, pour les deux tiers, au fait que la mineure avait bu massivement, sans manger, selon ses dires, et, pour un tiers, au fait que les parents n’avaient pas surveillé, au moins discrètement, une soirée d’adolescents à leur domicile.

Le dommage subi par la victime ne résultait pas du fait d’un enfant. L’article 1242 du Code civil ne pouvait pas être invoqué, certes. La victime avait trop bu et a glissé dans des conditions très particulières et avec des conséquences graves, certes encore. Néanmoins, il fallait trouver un responsable… et un texte… puisqu’il n’est désormais quasiment plus admis qu’un dommage peut survenir sans responsable. Et les parents de l’organisatrice de la soirée (et non ceux des invités qui avaient apporté de l’alcool, trop difficiles à déterminer) et l’article 1240 du Code civil (interprété aussi très largement) firent l’affaire… Il est désormais tellement classique de concevoir ces personnes et ce texte comme des « réparateurs de préjudices »… des « débiteurs de dommages et intérêts » !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n° 79-16612 : Bull. civ. ass. plén., n° 4.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n° 94-21111 : Bull. civ. II, n° 56.
  • 3.
    Cass. ass. plén., 9 mai 1984, nos 80-93031 et 80-93481 : Bull. civ. ass. plén., nos 2 et 3.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n° 99-11287 : Bull. civ. II, n° 96.
  • 5.
    Cass. crim., 6 nov. 2012, n° 11-86857 : Bull. crim., n° 241 – Cass. crim., 29 avr. 2014, n° 13-84207 : Bull. crim., n° 116.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 9 mars 2000, n° 98-18095 : Bull. civ. II, n° 44.
  • 7.
    Cass. 2e civ., 20 janv. 2000, n° 98-14479 : Bull. civ. II, n° 14 – Cass. 2e civ., 5 févr. 2004, nos 01-03585 et 02-15383 : Bull. civ. II, n° 50.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 29 mars 2001, n° 98-20721 : Bull. civ. II, n° 69.
  • 9.
    Cass. crim., 29 oct. 2002, n° 01-82109 : Bull. crim., n° 197.
  • 10.
    Cass. crim., 8 févr. 2005, n° 03-84447 : Bull. crim., n° 44.
  • 11.
    Brun P., « L’évolution des régimes particuliers de responsabilité du fait d’autrui », in colloque sur La responsabilité du fait d’autrui – Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur. 2000, hors-série, p. 10 et s.
  • 12.
    CA Aix-en-Provence, 1er déc. 2016, n° 15/21844.
  • 13.
    Cass. 2e civ., 29 avr. 2004, n° 02-20180 : Bull. civ. II, n° 202.
  • 14.
    Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, n° 04-14177 : Bull. civ. II, n° 281.
  • 15.
    Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 10-30439 : Bull. civ. II, n° 47.
  • 16.
    Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, nos 03-13536 et 03-18135 : Bull. civ. II, nos 51 et 52 – Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 10-27553 : Bull. civ. II, n° 66.
  • 17.
    CA Aix-en-Provence, 1er déc. 2016, n° 15/21844, préc.
  • 18.
    Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-16897.
  • 19.
    CA Bordeaux, 14 nov. 2016, n° 14/06098.
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