Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (1er semestre 2018) (4e partie)

Publié le 26/09/2019

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le premier semestre de l’année 2018.

Au cours de ce semestre, le Conseil a eu l’occasion de rendre une décision, n° 2017-681 R QPC du 16 février 2018, Sté Norbail-Immobilier, relative à une rectification d’erreur matérielle. La rectification d’erreur matérielle des décisions du Conseil est régie par l’article 13 du règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité : « Si le Conseil constitutionnel constate qu’une de ses décisions est entachée d’une erreur matérielle, il peut la rectifier d’office, après avoir provoqué les explications des parties et des autorités mentionnées à l’article 1er. Les parties et les autorités mentionnées à l’article 1er peuvent, dans les 20 jours de la publication de la décision au Journal officiel, saisir le Conseil constitutionnel d’une demande en rectification d’erreur matérielle d’une de ses décisions ».

La décision n° 2017-681 QPC du 15 décembre 2017, Société Marlin, avait jugé que la disposition contestée relative à l’exonération de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, était conforme à la constitution. L’entreprise Norbail-Immobilier était intervenue dans ce contentieux QPC. Si le conseil a bien admis la rectification d’erreur matérielle à propos de l’inversion des parties intervenantes au paragraphe 3 de la décision 681 QPC, il a considéré que la demande visant à faire réexaminer les motifs de sa décision parce que le conseil n’aurait pas répondu aux griefs invoqués du fait de cette inversion conduisait à une remise en cause de la décision du 15 décembre 2017 et a rejeté, pour cette raison, cette conclusion.

MV

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif (…)

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives (…)

2 – Le contrôle de la procédure législative

3 – La compétence et le domaine de la loi

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier

E – Les collectivités décentralisées

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

B – Les techniques contentieuses et la procédure

C – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

III – Les normes de références

A – Les sources matérielles

1 – Les textes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

B – Les droits et libertés

1 – Les libertés

a – Sécurité et libertés

Si le régime de l’état d’urgence a été levé le 1er novembre 2017, le Conseil constitutionnel continue d’être saisi de questions prioritaires de constitutionnalité qui ont été soulevées pendant la période de son application. Les questions qui lui ont été transmises lui ont donné l’occasion d’apprécier la constitutionnalité de nouvelles dispositions relevant de ce régime dérogatoire. Conformément à sa jurisprudence traditionnelle, il s’est assuré que le législateur avait assuré la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des libertés individuelles, comme la liberté d’aller et venir ou le droit au respect de la vie privée qui sont garantis par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Dans la décision n° 2017-684 QPC du 11 janvier 2018, le Conseil constitutionnel avait à examiner la conformité à la constitution du 2° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 2017 prorogeant l’application de la loi de 1955. Aux termes de ce dispositif, les préfets de département ont la faculté d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé. Après avoir constaté que la création de ces zones n’était soumise à une aucune autre condition que le fait que l’état d’urgence soit déclaré dans les territoires où ces zones sont créées et que les mesures susceptibles d’être prises par le préfet n’étaient pas définies ni assorties de garanties, le Conseil constitutionnel a déclaré ce dispositif contraire à la constitution. Dans le prolongement de la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 dans laquelle il avait censuré le 3° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955, il a estimé que le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté d’aller et de venir (6.). Il convient cependant de relativiser la portée de cette décision. En effet, si le 2° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 a été abrogé, entre temps il a été repris et précisé par des dispositions inscrites à l’article 2 de la loi du 11 juillet 2017 qui inscrit l’essentiel du régime de l’état d’urgence dans le droit commun.

Dans la période récente, le Conseil constitutionnel a justement eu l’occasion d’apprécier la constitutionnalité de deux dispositifs de cette loi du 11 juillet 2017. Dans la décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, il a examiné les articles L. 228-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure encadrant les « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance » (MICAS), qui constituent la transposition dans le droit commun des assignations à résidence prononcées par le ministre de l’Intérieur. Aux termes de l’article L. 228-2 du Code de la sécurité intérieure, les personnes suspectées de terrorisme peuvent se voir interdire de se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé et, le cas échéant, contraintes de se présenter périodiquement aux services de police et de déclarer leur lieu d’habitation. Le Conseil constitutionnel a estimé que, en lui-même, ce dispositif portait atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale (14.). Il lui revenait cependant d’apprécier si cette atteinte était disproportionnée au regard de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public poursuivi par le législateur. Le Conseil a estimé que la loi avait assuré une conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des libertés qui n’était pas manifestement déséquilibrée. Il a cependant exprimé une réserve d’interprétation et censuré une partie du dispositif. D’une part, il a indiqué que la durée des mesures d’assignation à résidence ne pouvait excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de 12 mois (17.). D’autre part, il a déclaré contraire à la constitution le délai d’un mois fixé pour contester ces mesures dans le cadre du recours pour excès de pouvoir et l’obligation faite au juge administratif de se prononcer dans un délai de 2 mois (18.). Dans la décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, le Conseil s’est prononcé sur la conformité à la constitution d’autres dispositions du Code de la sécurité intérieure, dont certaines avaient été introduites par la loi du 11 juillet 2017. Il a examiné, notamment, les prescriptions introduisant dans le droit commun le régime des perquisitions administratives. Après avoir relevé que ces perquisitions étaient assorties de plusieurs garanties, comme l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention et la visite en présence de l’occupant des lieux, le Conseil a jugé que législateur avait « strictement borné le champ d’application de la mesure qu’il a instaurée et apporté les garanties nécessaires » (66.). Par conséquent, il a estimé que la loi assurait une conciliation qui n’était pas manifestement déséquilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a également apprécié la constitutionnalité d’un article habilitant le ministre de l’Intérieur à prononcer des interdictions de fréquenter certaines personnes quand il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique. La mesure a été déclarée conforme à la constitution sous réserve du respect de deux interprétations directives et de la censure d’une phrase. Premièrement, le ministre de l’Intérieur doit tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée afin de s’assurer que l’interdiction ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale (51.). Deuxièmement, la durée totale de l’interdiction de fréquenter certaines personnes ne saurait être supérieure à 12 mois (52.). Enfin, la durée de 4 mois laissée au tribunal administratif pour statuer a été déclarée contraire à la constitution (53.).

BLC

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

Suivant une jurisprudence évolutive qui ne trouve pas nécessairement de justification très sûre, le Conseil constitutionnel rattache le principe de liberté individuelle, désormais resserré à la seule sûreté personnelle, à l’article 66 de la constitution1. La liberté personnelle et ses différentes composantes, comme la liberté d’aller et venir ou le respect de la vie privée, sont quant à elles protégées par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen2. Dans la période récente, le Conseil a été saisi de deux recours qui lui ont permis de préciser la portée de la protection conférée par le droit au respect de la vie privée.

Le premier concernait le refus exprimé par un gardé à vue de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, en l’espèce le « code PIN » de son téléphone portable. Saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil a dû, dans la décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018, apprécier la constitutionnalité de l’article 434-15-2 du Code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, qui punissait le fait de refuser la remise d’une telle convention aux autorités judiciaires quand elle est susceptible d’avoir été utilisée pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. Parmi les griefs invoqués par le requérant, figurait la violation du droit au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a rappelé que, pour être conformes à la constitution, les atteintes à l’article 2 de la Déclaration de 1789 devaient être « justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (4.). Or il a constaté d’une part, qu’en introduisant ce dispositif, le législateur avait « poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des infractions et de recherche des auteurs d’infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle » (7.). D’autre part, la mesure en cause lui est apparue adéquate et proportionnée dans la mesure où elle n’imposait la remise de la convention secrète que s’il était établi que la personne suspectée en avait connaissance et où ces données existaient indépendamment de la volonté de cette personne (8.).

Dans la décision n° 2018-765 DC du 12 juin 2018, le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi relative à la protection des données personnelles qui modifie la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin de la mettre en conformité avec un règlement et une directive de l’Union européenne datées du 27 avril 20163. Parmi les adaptations prévues par la loi, figurait un dispositif prévoyant la création de traitements de données à caractère personnel destinées à recenser les antécédents judiciaires et encadrant l’accès de certaines autorités investies de pouvoir de police à ces traitements (article 36 réécrivant l’article 230-8 du Code de procédure pénale). Selon les requérants, ce dispositif portait atteinte au respect de la vie privée dans la mesure où une personne n’ayant pas fait l’objet d’une décision définitive de relaxe, d’acquittement, ou encore de non-lieu ne pouvait pas demander l’effacement des mentions la concernant. Dans le cadre de son contrôle, le Conseil constitutionnel a mis en balance le droit au respect de la vie privée et les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de prévention des atteintes à l’ordre public. En l’espèce, il a écarté le grief tiré de la méconnaissance du respect de la vie privée en relevant, notamment, la possibilité pour la personne concernée de « demander l’effacement ou la rectification des données dès lors qu’il ne figure plus aucune mention de nature pénale dans le bulletin n° 2 de son casier judiciaire » (81.).

Le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur la conformité aux principes de liberté individuelle et de liberté d’aller et venir des articles 1er et 3 de la loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen dans la décision n° 2018-762 DC du 15 mars 20184. Les requérants estimaient, notamment, que l’autorisation du placement en détention de demandeurs d’asile en l’absence de menace à l’ordre public ou de nécessité de bonne administration de la justice était contraire à la liberté individuelle. Après avoir rappelé qu’« aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national », le Conseil constitutionnel a exercé sur la mesure un triple test de proportionnalité. Ce type de contrôle, apparu lors de l’examen de la loi sur la rétention de sûreté du 25 février 2008, est censé permettre une protection renforcée des libertés mises en cause5. En l’espèce, tenant compte du fait que le placement ne pouvait être décidé qu’à l’encontre d’un étranger présentant un risque non négligeable de fuite et qu’il n’intervenait qu’en cas d’insuffisance de la mesure d’assignation à résidence, le Conseil a jugé l’atteinte portée à la liberté individuelle nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur (16.).

BLC

c – Liberté d’expression / Liberté de conscience

Dans deux décisions récentes, le Conseil constitutionnel a rappelé l’importance accordée à la liberté d’expression qu’il rattache à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Suivant son considérant de principe bien établi, « [l]a liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Par conséquent, « [l]es atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi »6.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de mettre œuvre son triple contrôle de proportionnalité dans la décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018 relative à deux dispositions du Code pénal : l’article 11 du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000, relatif au secret de l’enquête et de l’instruction, et l’article 56 du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016, relatif aux perquisitions domiciliaires7. Dans un arrêt du 10 janvier 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré, en contradiction avec sa jurisprudence antérieure, que le fait pour un journaliste de filmer le déroulement d’une perquisition constituait une violation de ces deux dispositions8. En réponse à cet arrêt, le ministre de la Justice avait rédigé une circulaire par laquelle il invitait les procureurs généraux, procureurs de la République, premiers présidents et présidents de tribunaux à veiller désormais à ce qu’aucun journaliste ne puisse assister et filmer le déroulement d’une perquisition. À l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir exercé contre cette circulaire, la question de la constitutionnalité des deux dispositions du Code pénal telles qu’interprétées par la Cour de cassation avait été soulevée. En raison de son caractère sérieux, la question fût transmise au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État9. En l’espèce, le Conseil constitutionnel avait donc à examiner la constitutionnalité des dispositions en cause à la lumière de l’interprétation qui en était donnée par la Cour de cassation. Depuis 2010, il accepte d’exercer ce type de contrôle. Le Conseil considère, en effet, qu’« en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »10. Selon la requérante, en interdisant la présence d’un journaliste lors d’une perquisition afin de la filmer alors que cette présence serait autorisée par l’autorité publique et la personne concernée par la perquisition, les dispositions du Code pénal telles qu’interprétées par la Cour de cassation portaient atteinte à la liberté d’expression (3.). Le Conseil constitutionnel n’a pas accueilli le moyen. Il a jugé, au contraire, que l’atteinte à l’article 11 de la Déclaration de 1789 était nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi. À l’appui de cette analyse, il a d’abord relevé que ces dispositions ne privaient pas les journalistes « de la possibilité de rendre compte d’une procédure pénale et de relater les différentes étapes d’une enquête et d’une instruction » (9.). Ensuite, il a souligné qu’il existait des dérogations au principe du secret de l’enquête et de l’instruction et que les parties et leurs avocats conservaient la faculté de communiquer des informations sur le déroulement de l’enquête ou de l’instruction (10. et 11.).

Aux termes de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, il revient au législateur de fixer des bornes au principe de liberté, dont la liberté d’expression constitue l’une des composantes. Lorsqu’il est saisi, le Conseil constitutionnel doit, quant à lui, s’assurer que le cadre fixé par le législateur ne porte pas une atteinte disproportionnée à cette liberté d’expression. Dans la décision n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018, il s’est ainsi prononcé sur la conformité à l’article 4 de la Déclaration de 1789 du délit d’apologie publique du terrorisme. Initialement introduit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le dispositif a été déplacé dans un chapitre du Code pénal spécifiquement consacré aux actes de terrorisme par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Parmi les griefs soulevés par le requérant, figurait l’atteinte à la liberté d’expression et de communication11. À l’issue de son triple test de proportionnalité, le Conseil a jugé que le délit d’apologie publique du terrorisme était nécessaire, adapté et proportionné à l’objectif poursuivi par le législateur (24.). Après avoir constaté que le législateur avait poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions (20.), il a relevé le caractère proportionné du dispositif en mobilisant trois arguments. D’une part, le fait que le juge se prononce en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction et des circonstances de cette dernière (21.). D’autre part, la définition suffisamment précise des faits incriminés (22.). Enfin, la particulière gravité des actes de terrorisme (23).

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d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

Selon le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle comptent parmi les libertés protégées par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. La transmission de trois questions prioritaires de constitutionnalité l’a conduit à rappeler la portée de la protection qu’il accordait à ces deux libertés. Selon une jurisprudence constante depuis 2012, le Conseil constitutionnel considère qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle des « limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (15.)12. Depuis une décision du 27 novembre 2001, il estime en outre que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 »13.

Dans la décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a été saisi de dispositions du Code de la consommation instaurant un droit de résiliation permettant à un emprunteur de changer d’assurance à chaque date anniversaire du contrat, au-delà des douze premiers mois14. L’une de ces dispositions, ajoutée par la loi du 21 février 2017, a prévu en outre l’application de cette règle aux contrats d’assurance en cours d’exécution. Selon la fédération bancaire requérante, de telles dispositions portaient atteinte aux articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789. Le Conseil constitutionnel a rejeté ce moyen. En application de sa jurisprudence relative aux garanties légales des exigences constitutionnelles, qui s’est substituée depuis plusieurs années à la règle de l’effet cliquet qu’il appliquait aux droits et libertés de premier rang, le Conseil a rappelé que le législateur ne pouvait, sans motif d’intérêt général suffisant, « ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations » (9.)15. Toutefois, il a rejeté toute atteinte à une situation légalement acquise pour les contrats conclus après l’entrée en vigueur des dispositions comme pour ceux conclus avant, dans la mesure où « aucune disposition du droit applicable avant la loi du 21 février 2017 aux contrats d’assurance de groupe en cause n’a pu faire naître une attente légitime des établissements bancaires (…) proposant ces contrats » (13.).

La décision n° 2018-697 QPC du 6 avril 2018 concernait également l’application d’une loi à des conventions en cours d’application16. En l’espèce, était en cause une disposition de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé prévoyant l’application aux contrats en cours d’un droit de résiliation. Le Conseil a d’abord décelé dans la volonté du législateur d’augmenter significativement le nombre de logements susceptibles d’être mis à la disposition de leur personnel un objectif d’intérêt général (11.). Ensuite, en considération de cet objectif, il a estimé que le droit au maintien des contrats légalement conclus découlant de la liberté contractuelle n’avait pas été méconnu. Il a relevé, en particulier, que le législateur avait pris soin de prévoir un délai de préavis et d’exclure l’application du pouvoir de résiliation aux contrats en cours aux locataires ayant des ressources inférieures à un niveau établi par le texte (12.).

Enfin, dans la décision n° 2018-707 QPC du 25 mai 2018, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la liberté contractuelle de l’article L. 142-4 du Code rural et de la pêche maritime qui prévoyait que « [p]endant la période transitoire et qui ne peut excéder 5 ans, nécessaire à la rétrocession des biens acquis, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural prennent toutes mesures conservatoires pour le maintien desdits biens en état d’utilisation et de production (…) ». Les requérants soutenaient que, en l’absence de sanction de la méconnaissance de ce délai de cinq ans, la disposition était privée d’effectivité. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre. Le Conseil n’a pas accueilli ce moyen. Il a relevé que l’article L. 143-3 du Code rural imposait aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de justifier leur décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un des objectifs fixés à l’article L. 143-2 (par exemple la réinstallation des agriculteurs ou la lutte contre la spéculation foncière). En outre, il a considéré que « [l]’éventualité d’un détournement de la loi ou d’un abus lors de son application n’entach[ait] pas celle-ci d’inconstitutionnalité » tout en rappelant que l’action en responsabilité, quant à elle, demeurait ouverte (8.).

Dans la période récente, le Conseil constitutionnel a également rendu deux décisions dans lesquelles il a apprécié la constitutionnalité de plusieurs dispositions à la lumière de la liberté d’entreprendre, qui est la première liberté à avoir été expressément rattachée à l’article 4 de la Déclaration de 178917.

C’est au visa de cet article qu’il a examiné, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, l’article L. 621-42 du Code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine18. Selon les associations requérantes, la soumission à autorisation préalable de l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux portait atteinte, notamment, à la liberté d’entreprendre. Après avoir énoncé son considérant de principe, selon lequel le législateur peut apporter des limitations à la liberté d’entreprendre liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général tant qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi, le Conseil n’a pas suivi cet argumentaire. Il s’est appuyé sur trois séries de considérations. D’abord, il a considéré qu’en souhaitant permettre la valorisation économique du patrimoine, le législateur avait poursuivi un objectif d’intérêt général (10.). Ensuite, le Conseil a relevé que l’autorisation préalable n’était pas requise lorsque l’image est utilisée à des fins qui ne sont pas uniquement commerciales et qu’elle ne pouvait être refusée que lorsque l’exploitation commerciale porte atteinte à l’image de ce bien (11.). Enfin, il a précisé que, dans l’hypothèse où l’autorisation était accordée à titre onéreux, elle devait être fixée dans le respect du principe d’égalité (13.).

La liberté d’entreprendre est également l’un des fondements qui a été utilisé pour apprécier la constitutionnalité d’une disposition du Code du commerce relative à l’Autorité de la concurrence dans la décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 201819. Selon l’article 461-3, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le président de cette autorité ou un vice-président désigné par celui-ci peut adopter certaines décisions. Selon la société requérante, en ne prévoyant pas que les décisions sont prises collégialement la loi méconnaissait, notamment, la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel a estimé, à l’inverse, que le législateur n’avait pas apporté une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’objectif poursuivi, à savoir « assurer l’exécution effective et rapide des décisions de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration » (9.). Le Conseil a souligné, en particulier, que « la liberté d’entreprendre n’impos[ait] pas que les décisions en cause soient prises par une autorité collégiale » (10.).

BLC

2 – Le droit de propriété

Le Conseil fait usage de la règle désormais établie selon laquelle, en l’absence de privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la DDHC de 1789, le contrôle de constitutionnalité porte, aux termes de l’article 2 de la DDHC, sur les atteintes aux conditions d’exercice de ce droit. Faute d’être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi, elles encourent la censure. Si aucune des questions de constitutionnalité afférant au droit de propriété n’a abouti, dans le courant de la période concernée, à la reconnaissance d’une privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la DDHC, le Conseil a néanmoins relevé des cas de limitation de l’exercice du droit de propriété, toutefois justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Ainsi en va-t-il, dans la décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018, à propos de l’exclusion par l’article L. 561-1 du Code de l’environnement de la procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs en cas d’érosion côtière. Aux termes du premier alinéa de cette disposition, l’État peut déclarer d’utilité publique l’expropriation des habitations exposées à un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine dès lors qu’il menace gravement des vies humaines. Si la procédure d’expropriation s’accompagne bien d’une indemnisation du propriétaire, il n’en reste pas moins, comme le rappelle le Conseil, que son objet principal est de priver le propriétaire de son bien. Naturellement, l’absence d’application de cette procédure au propriétaire d’un bien soumis à un risque d’érosion côtière ne peut, en conséquence, constituer une atteinte au droit de propriété. Par ailleurs, la circonstance que le maire puisse, dans le cadre de son pouvoir de police, prescrire l’exécution des mesures de sûreté exigées par la prévention des accidents naturels, au nombre desquels figure l’érosion côtière, ne peut influer sur les compétences du Conseil constitutionnel qui n’étant pas saisi des dispositions en vertu desquelles de telles mesures peuvent être ordonnées, ne peut examiner l’argument tiré de ce qu’il en résulterait une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété.

Dans la décision n° 2018-707 QPC du 25 mai 2018, le Conseil considère que les limites apportées aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées par le dispositif qui institue au profit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural un droit de préemption en cas d’aliénation à titre onéreux de certains biens immobiliers à vocation agricole ou de certains biens ou droits qui leur sont attachés, sont effectivement liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général et qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Aucune violation du droit de propriété ne résulte donc des dispositions de l’article L. 142-4 du Code rural et de la pêche maritime qui prévoit que : « Pendant la période transitoire et qui ne peut excéder 5 ans, nécessaire à la rétrocession des biens acquis, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural prennent toutes mesures conservatoires pour le maintien desdits biens en état d’utilisation et de production. En particulier elles sont autorisées à consentir à cet effet les baux nécessaires, lesquels, à l’exception des baux en cours lors de l’acquisition, ne sont pas soumis aux règles résultant du statut des baux ruraux en ce qui concerne la durée, le renouvellement et le droit de préemption ». Le fait qu’aucune sanction n’ait été prévue en cas de non-respect du délai de rétrocession auquel ces dispositions conditionnent l’exercice du droit de préemption ne le prive pas pour autant de son effectivité et n’entame en rien le respect du droit de propriété.

En ce qui concerne le droit de préemption en cas de vente consécutive à une division d’immeuble, qui a été institué dans un objectif d’intérêt général de protéger le locataire ou l’occupant de bonne foi du risque de se voir signifier leur congé à l’échéance du bail ou à l’expiration du titre d’occupation par le nouvel acquéreur de l’immeuble, à la suite d’une opération spéculative, facilitée par la division de l’immeuble – l’exercice de ce droit de préemption leur permettant de se maintenir dans les lieux –, le Conseil considère, dans la décision n° 2017-683 QPC du 9 janvier 2018, que la protection ainsi apportée ne peut, toutefois, sans méconnaître le droit de propriété, bénéficier à un locataire ou à un occupant de bonne foi dont le bail ou l’occupation sont postérieurs à la division ou la subdivision de l’immeuble et qui ne sont donc pas exposés au risque décrit précédemment. Ce n’est que sous cette réserve que le droit de préemption reconnu au locataire ou à l’occupant de bonne foi par les dispositions contestées de l’article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ne porte pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi.

S’agissant du droit de préemption dont la commune dispose en une telle situation et qui ne peut être mis en œuvre qu’à défaut d’exercice par le locataire ou l’occupant de bonne foi de son propre droit de préemption, le Conseil relève une atteinte disproportionnée au droit de propriété. D’une part, l’usage que la commune est susceptible de faire du bien ainsi acquis n’est pas suffisamment restreint en ce que la commune n’est assujettie à aucune obligation d’y maintenir le locataire ou l’occupant de bonne foi à l’échéance du bail ou à l’expiration du titre d’occupation. D’autre part, le défaut d’accord amiable conduit à ce que le prix de vente soit fixé par le juge de l’expropriation et que le propriétaire ne puisse reprendre la libre disposition de son bien, en l’absence de paiement, qu’à l’échéance d’un délai de six mois après la décision de la commune d’acquérir ce bien au prix demandé, la décision définitive de la juridiction de l’expropriation ou la date de l’acte ou du jugement d’adjudication.

LB

3 – Le principe d’égalité

a – Principe d’égalité devant la loi

La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

En ce qui concerne le droit de préemption en cas de vente consécutive à une division d’immeuble, le Conseil considère, dans la décision n° 2017-683 QPC, que la vente consécutive à une transmission, à titre gratuit entre parents, se distingue de la vente directe à un parent en ce qu’une cession à titre gratuit ne peut faire l’objet d’un droit de préemption. La différence de traitement entre ces deux opérations repose ici sur une différence de situation. Elle est en rapport avec l’objet de la loi et n’emporte pas de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

C’est aussi en raison d’une différence de situation qu’a été instituée une différence de traitement, conforme au principe d’égalité devant la loi, entre le propriétaire d’un bien exposé à un risque d’érosion côtière et le propriétaire d’un bien exposé à un risque mentionné au premier alinéa de l’article L. 561-1 du Code de l’environnement dans le cadre de la procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs en cas d’érosion côtière. Ainsi en a décidé le Conseil dans la décision n° 2018-698 QPC. Cette disposition permet à l’État de déclarer d’utilité publique l’expropriation des habitations exposées à un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine dès lors qu’il menace gravement des vies humaines. En revanche, cette disposition n’inclut pas le risque d’érosion côtière. Pour autant, elle ne crée pas une différence de traitement injustifiée de nature à remettre en cause le principe d’égalité devant la loi.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité est écarté dans la décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 2018 à propos des conditions selon lesquelles l’Autorité de la concurrence procède à l’examen approfondi des opérations de concentration économique. La possibilité donnée par l’article L. 430-7 du Code de commerce au président de l’Autorité de la concurrence, ou à un vice-président, de décider seul lorsque l’affaire ne présente pas de difficultés particulières ou lorsque des exigences de délai le justifient a pour but d’assurer l’exécution effective et rapide des décisions de l’Autorité. Elle n’instaure aucune différence de traitement entre les personnes intéressées par les décisions en cause.

À propos de la résiliation des contrats de location d’habitation par certains établissements publics de santé, ce n’est que sous réserve que ce pouvoir de résiliation ne puisse s’appliquer par les établissements hospitaliers bailleurs à l’égard de leurs propres agents en activité qu’ils emploient que la différence de traitement instituée par l’article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 est en rapport avec l’objet de la loi. Cette disposition permet à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, aux hospices civils de Lyon et à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille de résilier les contrats de location de logements dont ils sont propriétaires, afin de les attribuer à leurs agents en activité afin que ces derniers soient à proximité du lieu d’exercice de leurs fonctions et répondent ainsi au mieux à l’objectif d’intérêt général de la continuité du service public dans des zones où le marché du logement est particulièrement tendu. La conformité au principe d’égalité devant la loi de la différence de traitement entre les établissements bailleurs concernés et les autres bailleurs ainsi que, par voie de conséquence, entre leurs locataires respectifs est, aux termes de la décision n° 2018-697 QPC du 6 avril 2018, assujettie au respect de cette réserve.

L’autorisation accordée à l’Administration de choisir discrétionnairement de sanctionner la méconnaissance de l’obligation déclarative instituée par l’article 1649 A du Code général des impôts d’une amende dont le montant diffère selon qu’elle est infligée sur le fondement du paragraphe IV de l’article 1736 de ce code ou sur celui de l’article L. 152-5 du Code monétaire et financier, institue une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi. Néanmoins, selon la décision n° 2017-692 QPC du 16 février 2018, la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être nuancée selon la période à considérer. En effet, à compter de son entrée en vigueur et avant celle de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, l’article L. 152-5 du Code monétaire et financier qui n’a eu que pour objet de reproduire à l’identique la sanction prévue au troisième alinéa de l’article 1768 bis du Code général des impôts puis au paragraphe IV de l’article 1736 du même code n’a institué aucune différence de traitement entre les personnes ayant manqué à l’obligation déclarative prévue à l’article 1649 A du Code général des impôts. En revanche, à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2008 et jusqu’à l’abrogation expresse de l’article L. 152-5 du Code monétaire et financier par la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, cet article sanctionnait d’une amende de 750 € le manquement à l’obligation déclarative prévue par l’article 1649 A du Code général des impôts tandis que ce même manquement était sanctionné par le paragraphe IV de l’article 1736 du Code général des impôts d’une amende de 1 500 €. Ainsi, un même manquement pouvait être sanctionné par une amende dont le montant était différent selon la disposition en vertu de laquelle elle était infligée. Le Conseil condamne une telle différence de traitement qui n’est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi. Durant cette période (après le 1er janvier 2009), l’article L. 152-5 du Code monétaire et financier était donc contraire au principe d’égalité devant la loi alors qu’il était conforme à la constitution avant le 1er janvier 2009.

Le Conseil a établi, dans la décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, la non-conformité totale des dispositions de l’article 13 de la loi du 31 juillet 1963 qui créent un régime d’indemnisation des personnes de nationalité française victimes de dommages physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 du fait d’attentats ou de tout autre acte de violence, ainsi que de leurs ayants-droit de nationalité française. Ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi, en ce qu’elles réservent aux personnes de nationalité française ou à leurs ayants-cause de nationalité française le bénéfice du droit à pension qu’elles instaurent. La différence de traitement entre les victimes françaises et celles de nationalité étrangère résidant sur le territoire français au moment du dommage qu’elles ont subi est déclarée contraire à la constitution.

LB

b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale

Les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 desquels le principe d’égalité devant les charges publiques tire sa substance, autorise la loi à déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Il faut toutefois que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et qu’elle repose sur des critères objectifs et rationnels.

Plus spécifiquement, les exigences issues du principe d’égalité devant les charges publiques qui découlent des dispositions de l’article 13 de la DDHC de 1789 imposent que l’appréciation des facultés contributives dont il appartient au législateur de déterminer les règles, repose sur des critères objectifs et rationnels afin d’éviter toute rupture caractérisée du principe. La tâche du Conseil consiste donc en la recherche de l’existence ou non, dans la loi, de tels critères au regard du but qu’elle poursuit.

L’exigence de ces critères est remplie, aux termes de la décision n° 2018-699 QPC du 13 avril 2018 par la différence de traitement instaurée entre les groupes de sociétés fiscalement intégrés, selon que leurs autres filiales sont ou non implantées dans un État membre de l’Union européenne, pour la prise en compte, dans leur résultat d’ensemble, de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus de ces filiales. La différence de traitement est en lien avec l’objet des dispositions contestées du deuxième alinéa de l’article 223 B du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, qui est de définir l’un des avantages attachés à l’intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés-mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d’une unique société dotée de plusieurs établissements.

À propos de la réintégration de certaines charges financières dans le résultat d’ensemble d’un groupe fiscalement intégré sur laquelle le Conseil s’est prononcé dans la décision n° 2018-701 QPC du 20 avril 2018, et plus spécifiquement, dans l’hypothèse où une société membre d’un groupe fiscalement intégré acquiert, auprès d’un de ses actionnaires, les titres d’une société qui devient ensuite membre de ce groupe, le fait d’imposer, pour la détermination du résultat d’ensemble du groupe soumis à l’impôt sur les sociétés, la réintégration des charges financières exposées pour cette acquisition n’emporte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le législateur a voulu éviter un cumul d’avantages fiscaux en faisant obstacle à ce que, dans une telle opération financée en tout ou partie par l’emprunt, la prise en compte des bénéfices de la société rachetée, pour la détermination du résultat d’ensemble, soit compensée par la déduction des frais financiers exposés pour cette acquisition.

Dans la décision n° 2018-708 QPC du 1er juin 2018, le Conseil juge conforme aux exigences issues des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, les modalités d’assujettissement des installations de gaz naturel liquéfié à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux. En effet, les dispositions contestées de l’article 1519 HA du Code général des impôts n’instituent aucune différence de traitement entre les installations de gaz naturel liquéfié selon qu’elles relèvent, pour leurs tarifs d’utilisation, des articles L. 452-1 et L. 452-5 ou de l’article L. 452-6.

Aux termes de la décision n° 2018-711 QPC du 8 juin 2018, n’emporte pas non plus de violation du principe d’égalité devant les charges publiques la différence de traitement au sein de la catégorie des communautés d’agglomération, entre celles qui ont plus de 3 ans d’existence et qui sont assurées de recevoir 95 % de la dotation d’intercommunalité qu’elles percevaient l’année précédente et celles nouvellement créées ou celles résultant de la transformation de communautés de communes, qui ne bénéficient pas d’une garantie équivalente. Les différences de traitement sont justifiées par une différence de situation. En assortissant l’attribution de la dotation d’intercommunalité de garanties proportionnelles aux attributions individuelles par habitant perçues les années précédentes, le législateur a entendu assurer aux établissements publics de coopération intercommunale la stabilité et la prévisibilité de leurs ressources. Or à cet égard, les communautés d’agglomération d’au moins 3 ans d’existence ne sont pas placées dans la même situation que les établissements publics de coopération intercommunale nouvellement créés, qui n’ont jamais perçu une telle dotation. Elles ne sont pas davantage placées dans la même situation que les communautés d’agglomération issues de la fusion ou de la transformation d’établissements publics, dont l’attribution de dotation d’intercommunalité était, jusqu’alors, déterminée en fonction des règles et de la composition propres à la catégorie dont elles relevaient. Par ailleurs, la différence de traitement instaurée n’est pas pérenne en ce sens que si la garantie contestée assure, selon les cas, une attribution individuelle par habitant supérieure à celle garantie aux communautés d’agglomération nouvellement créées, son montant diminue chaque année, puisqu’elle s’élève à 95 % de l’attribution individuelle par habitant de l’année précédente.

En ce qui concerne les droits de plaidoirie et financement du régime d’assurance vieillesse des avocats, le principe d’égalité devant les charges publiques n’est pas remis en cause par l’absence de plafonnement de la contribution au financement du régime d’assurance vieillesse des avocats lorsqu’elle est versée sous la forme de droits de plaidoirie là où elle l’est, pour les avocats dont la plaidoirie n’est pas l’activité principale, lorsqu’ils acquittent la « contribution équivalente » à ces droits. La décision n° 2018-716 QPC du 29 juin 2018 valide cette différence de traitement fondée sur une différence de situation entre les avocats dont la plaidoirie est l’activité principale et leurs confrères et dont l’objet est de tenir compte de la participation particulière au service public de la justice que constitue l’activité de plaidoirie.

À l’inverse, dans la décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018, le principe d’égalité devant les charges publiques est méconnu par les dispositions du paragraphe 7 de l’article 151 septies du Code général des impôts qui prévoit une exonération des plus-values de cession en faveur des redevables de l’impôt sur le revenu exerçant une activité de location d’appartements meublés à titre professionnel. Plus particulièrement, le bénéfice de l’exonération des plus-values de cession prévue par l’article 151 septies du Code général des impôts en faveur des loueurs en meublé professionnels est soumis à une condition d’inscription au registre du commerce et des sociétés. Or, l’article L. 123-1 du Code de commerce prévoit que seules peuvent être inscrites au registre du commerce et des sociétés les personnes physiques « ayant la qualité de commerçant », laquelle est, en vertu de l’article L. 121-1 du même code, conférée à « ceux qui exercent des actes de commerce… ». Dès lors, en subordonnant le bénéfice de l’exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l’activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l’article L. 110-1 du même code, le législateur ne s’est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé, celui d’empêcher que des personnes exerçant l’activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques.

LB

(À suivre)

4 – Les droits sociaux

5 – Les principes du droit répressif

a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines

b – Droits de la défense – sanctions ayant le caractère de punition

6 – Les droits processuels

a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

b – Le principe de sécurité juridique

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 16 mars 2017, n° 2017-624 QPC, M. Sofiyan I, 5.
  • 2.
    Cons. const., 16 mars 2017, n° 2017-624 QPC, M. Sofiyan I, 13.
  • 3.
    V. égal. la rubrique III. A. 2. « Les rapports de systèmes ».
  • 4.
    V. égal. la rubrique III. A. 1. « Les textes constitutionnels ».
  • 5.
    Cons. const., 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC, cons. 14 à 23.
  • 6.
    Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 DC, cons. 15.
  • 7.
    V. égal. les rubriques II. A. « Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel » et III. A. 5 et a., « Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines ».
  • 8.
    Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 16-84740.
  • 9.
    CE, 27 déc. 2017, n° 411915.
  • 10.
    Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC.
  • 11.
    V. égal. la rubrique III. A. 5 et a. « Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines ».
  • 12.
    Cons. const., 14 mai 2012, n° 2012-242 QPC, association Temps de Vie, 6.
  • 13.
    Cons. const., 27 nov. 2001, n° 2001-451 DC, cons. 27.
  • 14.
    V. égal. la rubrique II. A. « Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel ».
  • 15.
    Cons. const., 4 déc. 2003, n° 2003-485 DC, loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, cons. 2.
  • 16.
    V. égal. la rubrique III. A. 1 et a. « Principe d’égalité devant la loi ».
  • 17.
    Cons. const., 16 janv. 1982, n° 81-132 DC, loi de nationalisation, cons. 16.
  • 18.
    Cons. const., 2 févr. 2018, n° 2017-687 QPC.
  • 19.
    V. également la rubrique III. A. 1. et a. « Principe d’égalité devant la loi ».
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