Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (1er trimestre 2015) (3e partie)

Publié le 01/02/2017

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

Afin d’être plus réactive, cette chronique est désormais trimestrielle et celle présentée ci-dessous couvre les mois de janvier à mars 2015.

I – Les sources du droit constitutionnel et les normes de référence

A – Les normes de la Constitution

1 – La compétence du législateur (…)

2 – Le contrôle du domaine de la loi et du règlement

3 – La Constitution numérotée (…)

4 – La Déclaration de 1789 (…)

5 – Les droits garantis par le Préambule de 1946

6 – Les PFRLR

7 – La Charte de l’environnement (…)

8 – Les objectifs de valeur constitutionnelle

B – Normes constitutionnelles non invocables dans le cadre de la QPC

C – L’articulation entre le droit interne et les normes internationales et européennes

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs du contentieux constitutionnel (…)

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel

C – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

D – Les actes susceptibles de contrôle

III – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

La décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur la délimitation des régions, les élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, en date du 15 janvier 2015 (n° 2014-709 DC), confirme l’absence d’obligation de consultation des collectivités territoriales préalablement à la modification de leur territoire, apporte d’importantes précisions sur l’usage du droit d’amendement en lecture définitive et fait une application habituelle de la règle de l’entonnoir.

Les requérants soutenaient que la procédure suivie n’était pas conforme à la Constitution car les collectivités concernées n’avaient pas été consultées préalablement à l’adoption de la loi1. La saisine des députés reposait d’ailleurs uniquement sur ce moyen. Cette obligation de consultation préalable aurait été fondée sur le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, la Charte européenne de l’autonomie locale et un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Le Conseil refuse de considérer qu’une telle obligation résulterait de la Constitution elle-même (cons. 3 et 5). S’agissant de l’exigence conventionnelle, elle était indéniable. L’article 5 de la Charte relatif à la « protection des limites territoriales des collectivités locales » prévoit que : « Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ». Le Conseil a refusé de contrôler le respect de cette exigence en vertu de la jurisprudence IVG2. Le Conseil d’État a également refusé d’exercer toute forme de contrôle en estimant que : « si, en vertu des dispositions de l’article 55 de la Constitution, le juge devant lequel un acte administratif est contesté au motif que les dispositions législatives dont il fait application sont contraires à une norme juridique contenue dans un traité ou un accord régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne est habilité à écarter l’application de celle-ci, il ne peut être utilement saisi d’un moyen tiré de ce que la procédure d’adoption de la loi n’aurait pas été conforme aux stipulations d’un tel traité ou accord »3.

En conséquence, une exigence relative à la procédure législative contenue dans un traité ou accord international ne fait l’objet d’aucune sanction en droit interne : ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d’État ne s’estiment compétents pour exercer un tel contrôle.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a également clarifié les conditions dans lesquelles s’exerce le droit d’amendement en lecture définitive. Après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) ou le rejet du texte adopté par elle, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de se prononcer par une lecture définitive (art. 45 C). Toutefois, il ne peut le faire qu’après une nouvelle lecture dans chaque assemblée (art. 45 C). À l’occasion de cette nouvelle lecture, les deux chambres peuvent encore modifier et amender les articles restant en discussion. Lorsque le texte revient devant l’Assemblée nationale pour une lecture définitive, cette dernière peut reprendre soit le texte élaboré par la CMP, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat (art. 45 C). Dans ce dernier cas, c’est par voie d’amendements devant l’Assemblée nationale que les amendements adoptés par le Sénat sont repris.

Depuis la révision du 23 juillet 2008, la discussion des projets de loi s’engage sur la base du texte adopté en commission. Ainsi, alors qu’auparavant tous les amendements devaient être adoptés en séance pour modifier le projet de loi, ils peuvent maintenant également être adoptés en commission. Or une divergence d’interprétation entre les deux assemblées est alors apparue.

L’Assemblée nationale a estimé que seuls pouvaient être repris, à l’occasion de la lecture définitive, les amendements ayant été adoptés en séance au Sénat. C’est ce que rappelle le président de la commission des lois, devant cette dernière, à l’occasion de la lecture définitive de la loi contestée : « L’article 45 évoque clairement les amendements votés par le Sénat dans son ensemble, et non pas simplement en commission »4. Ainsi, si un amendement adopté en commission au Sénat était repris par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, il était déclaré irrecevable. Les présidents du Sénat successifs avaient manifesté leur désaccord en vain et, si les sénateurs voulaient voir leurs amendements repris, ils étaient contraints de se conformer à la doctrine de l’Assemblée nationale.

À l’occasion de l’adoption de la loi en cause, des amendements déposés en lecture définitive par des députés et reprenant des amendements adoptés en commission par le Sénat avaient été déclarés irrecevables. Les sénateurs auteurs de la saisine contestaient, pour la première fois, cette irrecevabilité devant le Conseil. Les présidents des assemblées ont également produit des observations devant le Conseil pour faire valoir leur point de vue. Cette faculté, qui n’est prévue par aucun texte, n’avait été utilisée qu’une fois par chaque président auparavant5.

À l’occasion de cette décision, le Conseil constitutionnel transpose la règle du préalable parlementaire, qui s’appliquait déjà pour la contestation de la recevabilité financière6 (art. 40 C) ou réglementaire7 (art. 41 C), à la contestation de la recevabilité des amendements adoptés en vertu du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution8 : pour contester utilement la décision de recevabilité devant le Conseil constitutionnel, la question doit déjà avoir été « soulevée devant l’assemblée parlementaire concernée » (cons. 15). De plus, les décisions ne doivent pas simplement avoir été discutées mais réellement « contestées quant à leur contenu »9. Le Conseil considère alors qu’aucune des décisions d’irrecevabilité n’ayant été « contestée en séance », la constitutionnalité de la procédure ne pouvait être remise en cause sur ce fondement (cons. 16). Paul Molac a déploré, en séance, que les sénateurs ne se soient pas soumis à la doctrine de l’Assemblée10 mais ce fait, qui n’est mentionné ni dans la décision ni dans le commentaire de celle-ci, n’a pas paru suffisant. L’absence de contestation formelle n’est pourtant pas surprenante : la position de l’Assemblée nationale était présentée comme inflexible par le président de la commission des lois : « Le texte même de l’article 45 de la Constitution est sans équivoque… », « L’article 45 évoque clairement… », « Il s’agit là de l’interprétation stricte de la Constitution, qui est la doctrine de l’Assemblée et que je vais respecter »11. Aussi, l’application stricte de la règle du préalable parlementaire peut sembler trop rigoureuse.

Cette considération aurait dû suffire à écarter le grief formulé par les sénateurs et repris par président du Sénat. Pourtant, le Conseil, dans un long obiter dictum, énonce la règle applicable à l’espèce et reconnaît une violation de celle-ci, tout en ne la sanctionnant pas.

Il rappelle qu’en vertu de l’article 42, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 au visa de laquelle la décision est rendue, « le droit d’amendement s’exerce en commission ou en séance et, lorsque la commission saisie du texte adopte ce dernier, la discussion en séance porte sur le texte adopté par la commission et comportant, le cas échéant, les modifications introduites par amendement en commission » (cons. 12). Ainsi, il n’y a pas lieu de distinguer entre les amendements selon qu’ils ont été adoptés en commission ou en séance.

Tranchant le litige en faveur du Sénat, le Conseil estime donc que toutes les modifications adoptées par le Sénat – qu’elles résultent d’amendements en séance, en commission ou de la combinaison des deux – sont susceptibles d’être reprises, sous réserve de leur recevabilité (cons. 13). En l’espèce, le Conseil considère donc qu’il a été porté atteinte au droit d’amendement des députés, « tel qu’il est consacré par le dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution » (cons. 12).

Le Conseil joue ici un vrai rôle d’arbitre entre les pouvoirs publics quant à l’interprétation de la Constitution. Cela était d’ailleurs souligné par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat qui écrivaient dans leurs observations que « faute de pouvoir disposer de l’interprétation du Conseil constitutionnel, seule autorité dont les décisions s’imposent, elle [l’Assemblée nationale] a retenu une pratique » et qu’« il est important, pour la clarté du débat parlementaire, que cette question soit tranchée ».

Enfin, les sénateurs considéraient que les dispositions de l’article 11 de la loi constituaient un cavalier législatif. En première lecture, pour qu’un amendement soit recevable, il doit présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis (art. 45 C). L’article 11 trouve sa place dans le chapitre V de la loi consacré aux « dispositions relatives aux conséquences de la modification du calendrier électoral sur le calendrier d’achèvement de la carte intercommunale en Île-de-France ». Il a pour objet de modifier les délais dont dispose la commission régionale de coopération intercommunale (CRCI) pour se prononcer sur le projet de schéma régional de coopération intercommunale dans les départements de l’Essonne, de la Seine-et-Marne, du Val-d’Oise et des Yvelines. Le Conseil a considéré que les dispositions en cause permettaient de « tenir compte de l’incidence des échéances électorales sur les travaux de la commission régionale de la coopération intercommunale, laquelle est consultée pour avis au cours de la procédure d’élaboration du schéma régional de coopération intercommunale » et présentaient ainsi un lien avec le projet de loi initial (cons. 31).

MB

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier (…)

E – Les collectivités décentralisées

1 – La délégalisation d’outre-mer

Dans la décision du 8 janvier 2015 n° 2014-8 LOM, Droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations en Polynésie française, le Conseil constitutionnel était saisi dans le cadre de la procédure dite de « délégalisation d’outre-mer » prévue dans la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française (art. 12), pris en application de l’article 74, alinéa 9, de la Constitution, et ce afin de savoir ce que signifiait dans les dispositions contrôlées l’expression « en Polynésie française »12. Il revenait au Conseil de vérifier si les dispositions des articles 1er et 30-1 de la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et les dispositions des articles 59 et 77- I de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes en tant qu’elles s’appliquent aux administrations de la Polynésie française ressortissent ou non de la compétence de cette collectivité territoriale, ou si au contraire le législateur national est intervenu dans une matière relevant de sa compétence. Les dispositions déférées portent comme d’autres décisions antérieures13 sur la motivation des actes administratifs et sur les règles d’accès aux documents administratifs et de réutilisation des informations publiques.

Le Conseil constitutionnel a fait application de son raisonnement désormais habituel en la matière. La loi organique du 27 février 2004 (art. 7, al. 2 à 11), prise en application de l’article 74, alinéa 3, de la Constitution, détermine les matières pour lesquelles les dispositions législatives et réglementaires de l’État sont applicables de plein droit en Polynésie française. On y trouve les « droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations de l’État et de ses établissements publics ou avec celles des communes et de leurs établissements publics » (art. 7, 7°). Relatives à l’abrogation des règlements illégaux ou sans objet, et aux correspondances avec les usagers, les dispositions contrôlées relèvent ainsi des droits des citoyens dans leurs relations avec l’Administration. Le Conseil constitutionnel en déduit qu’en Polynésie française les dispositions déférées s’appliquent de plein droit aux actes administratifs des administrations de l’État et de ses établissements publics, ainsi qu’à ceux des administrations des communes et de leurs établissements publics. En conséquence, les dispositions relatives à l’abrogation des règlements et aux correspondances avec les usagers sont applicables aux administrations de la Polynésie française et de ses établissements publics ou des autres personnes publiques créées par elle ou des personnes de droit privé chargées par elle d’une mission de service public (cons. 4).

Toutefois les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations de la Polynésie française ne figurent pas au nombre des matières énumérées par l’article 14 de la loi organique du 27 février 2004 comme ressortissant de la compétence de l’État. Le Conseil juge donc que le législateur national est intervenu dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française (cons. 5).

2 – Le contrôle des lois du pays

Dans la décision du 27 février 2015 n° 2014-5 LP, loi du pays portant création de centimes additionnels sur la taxe sur les jeux, spectacles et divertissements au profit des provinces, le Conseil constitutionnel affirme pour la première fois de manière explicite dans un considérant de principe que son contrôle sur les lois du pays doit s’exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l’accord de Nouméa et des dispositions organiques prises pour leur application (cons. 2) qui ont été constitutionnalisées par leur mention dans les articles 76 et 77 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel conforte sa jurisprudence qui a déjà fait de l’accord de Nouméa une norme de référence pour le contrôle de la loi organique prise sur le fondement de l’article 77 de la Constitution14, et implicitement une norme de référence pour le contrôle des lois du pays15.

Sur le plan procédural, le Conseil constitutionnel valide en l’espèce la procédure d’adoption de la loi du pays déférée. D’une part, celle-ci ayant pour objet exclusif de créer des centimes additionnels au profit des provinces, son objet ne concerne pas les relations financières entre la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes de Nouvelle-Calédonie. Le Conseil reprend ici un raisonnement déjà suivi dans une décision antérieure, la décision 2000-1 LP (cons. 7). En conséquence, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n’était pas tenu de consulter le comité des finances locales de la Nouvelle-Calédonie sur cette proposition de loi du pays (cons. 4), comme le prévoit le cas échéant la loi organique du 19 mars 1999 (art. 48).

D’autre part, le Conseil a déclaré constitutionnelle la consultation préalable du Conseil d’État exigée pour les propositions de loi du pays avant leur première lecture par la loi organique précitée (art. 100, al. 2) qui a certes eu lieu après le dépôt de la proposition de loi du pays déférée, mais avant l’adoption d’amendements par le Congrès, notamment pour tenir compte des observations du Conseil d’État (cons. 6). Le Conseil constitutionnel a ainsi retenu l’interprétation selon laquelle les dispositions de la loi organique de 1999 imposent que soit soumis à l’examen du Conseil d’État le projet ou la proposition de loi du pays tel que le Congrès de Nouvelle-Calédonie en a été saisi, et non tel que le Congrès de Nouvelle-Calédonie envisage de l’adopter. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que le Conseil d’État doit être consulté sur le projet ou la proposition de loi du pays initiale, sans préjudice du droit d’amendement qui s’exerce ensuite au cours de l’examen du texte par le Congrès de Nouvelle-Calédonie. Cette interprétation va dans le sens des travaux préparatoires de la loi organique du 19 mars 199916.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel rappelle que sa compétence dans le cadre du contrôle des lois du pays ne saurait porter sur un projet de dispositions réglementaires, en l’espèce une proposition de délibération, qui relèvent du contrôle de la juridiction administrative (cons. 9).

En outre, le grief de détournement de pouvoir soutenu par les requérants n’a pas été retenu par le Conseil constitutionnel. En effet, ceux-ci reprochaient à la loi du pays d’avoir opéré au profit de la province Sud une modification de la clé de répartition de la dotation de fonctionnement, ce qui exige une majorité des 3/5e, par le biais de la création de centimes additionnels à la taxe sur les jeux au profit des provinces. Toutefois, de jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge que le détournement de pouvoir n’est pas susceptible d’entacher un acte législatif. Il a pris l’habitude d’écarter ce grief en jugeant que le Parlement ou le Gouvernement a exercé les pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution17. Aussi, dans la décision n° 2014-5 LP, le Conseil constitutionnel a procédé de même. Il a vérifié en l’espèce que le Congrès de Nouvelle-Calédonie est compétent pour adopter les dispositions déférées : la loi organique du 19 mars 1999 (art. 22, 1°) lui attribue cette compétence et en fixe le cadre (art. 52). Le Conseil constitutionnel a donc jugé que les dispositions de la loi organique précitées ne sont pas méconnues (cons. 10).

3 – La libre administration et l’égalité devant le suffrage applicables aux EPCI

Dans la décision du 5 mars 2015 n° 2015-711 DC, Loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire, le Conseil constitutionnel a été amené à examiner dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, la loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération (que l’on désignera ici sous l’appellation « EPCI »).

Dans la mesure où les requérants, par ailleurs parlementaires favorables au texte déféré, précisaient expressément les dispositions à examiner et les normes de référence constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a limité son contrôle à ce cadre fixé par la saisine.

La décision n° 2015-711 DC fait suite à celle n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014, Commune de Salbris18, par laquelle le Conseil constitutionnel avait censuré l’article L. 5211-6-1, paragraphe I, alinéa 2, du CGCT, portant sur la représentation des communes au sein de l’organe délibérant des communautés de communes et des communautés d’agglomération. En effet, selon le Conseil constitutionnel, en permettant un accord sur la détermination du nombre et la répartition des sièges des conseillers communautaires et en imposant seulement que, pour cette répartition, il soit tenu compte de la population, ces dispositions permettaient qu’il soit dérogé au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de l’EPCI dans une mesure manifestement disproportionnée. Ces dispositions méconnaissaient donc le principe d’égalité devant le suffrage et étaient contraires à la Constitution (cons. 8).

La décision n° 2015-711 DC porte ainsi sur la proposition de loi qui a été adoptée afin de réintroduire la possibilité de fixer le nombre de conseillers communautaires et de les répartir entre les communes membres d’un EPCI par un accord local conclu à la majorité des conseils municipaux des communes membres.

Le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé ses considérants de principe en matière d’égalité devant le suffrage selon lesquels « une élection doit être organisée sur des bases essentiellement démographiques »19. Dans la présente décision, le Conseil applique ainsi sa jurisprudence aux EPCI, confortant ainsi sa décision précédente n° 2014-405 QPC, Commune de Salbris (préc.). Il vérifie que les organes délibérants des EPCI sont élus sur des bases essentiellement démographiques ; et après avoir indiqué que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale membre de l’établissement public de coopération, le Conseil rappelle qu’il peut être tenu compte, dans une mesure limitée, d’autres considérations d’intérêt général (cons. 4 et 5).

Puis, après avoir relevé que les dispositions déférées permettent de répartir les sièges entre les communes selon la règle de la représentation proportionnelle, il a examiné et jugé conformes à la Constitution les dérogations prévues par la loi, toutefois en formulant une réserve d’interprétation portant sur la troisième dérogation. D’une part, en garantissant à chaque commune au moins un siège, sans qu’aucune ne puisse disposer de plus de la moitié des sièges, « le législateur a entendu assurer la représentation de chaque commune au sein de l’organe délibérant de l’établissement public et éviter qu’une commune puisse disposer à elle seule de la majorité du nombre des membres de l’organe délibérant » (cons. 7). D’autre part, en permettant d’attribuer à une commune une part des sièges excédant l’écart de 20 % à la moyenne lorsque cette attribution n’a pas pour effet d’accentuer l’écart qui résulterait d’une répartition selon les règles de droit commun, « le législateur a entendu prendre en compte le fait que l’attribution des sièges à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aboutit, dans certains cas, à de substantielles différences de représentation, lesquelles peuvent être ainsi corrigées » (cons. 9). Enfin, en permettant d’attribuer un second siège à une commune ayant obtenu un seul siège au titre de la répartition à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, « le législateur a entendu assurer une représentation plus adaptée de ces communes et réduire les écarts de représentation entre les plus petites communes et des communes plus peuplées ». Toutefois, le Conseil constitutionnel a relevé qu’une « telle attribution d’un second siège est susceptible d’accroître l’écart à la moyenne de la commune à laquelle ce siège est attribué au-delà d’un seuil de 20 % et, le cas échéant, l’écart à la moyenne des autres communes membres de l’établissement public ». Aussi, par une réserve d’interprétation, le Conseil a précisé que « l’attribution de ce second siège aux communes remplissant les conditions pour pouvoir en bénéficier ne saurait, sans méconnaître le principe d’égalité devant le suffrage, être réservée à certaines communes à l’exclusion d’autres communes dont la population serait égale ou supérieure » (cons. 10).

Quant à l’attribution de sièges supplémentaires en l’absence d’accord local de représentation, en sus des sièges attribués au sein de l’EPCI par application des règles de droit commun, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur avait poursuivi des objectifs identiques à ceux précédemment relevés et a statué de la même manière, en recourant à la même réserve d’interprétation (cons. 13 et 14).

Enfin, concernant les dispositions visant à permettre l’application de la loi déférée (art.  4), le Conseil constitutionnel a jugé que celles-ci ne portent pas atteinte à l’autorité de chose jugée de la décision n° 2014-405 QPC, Commune de Salbris. En effet, l’article 4 de la loi prévoit l’application facultative de ces dispositions à des EPCI qui avaient dû procéder à une nouvelle répartition des sièges de leur organe délibérant, d’une part, et, d’autre part, leur application à ceux qui devraient procéder à cette nouvelle répartition dans le futur pour tirer les conséquences de la décision Commune de Salbris. Cet article n’a donc pas pour effet de remettre en cause la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée dans la décision n° 2014-405 QPC (cons. 18).

4 – La libre administration et les élections locales

Dans la décision du 15 janvier 2015 n° 2014-709 DC, Loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le Conseil constitutionnel a été amené à examiner différentes questions touchant à la procédure législative et à l’autonomie locale.

Concernant la procédure d’adoption de la loi, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief tiré de l’absence de consultation préalable des départements et régions. D’une part, ce grief était fondé sur l’article 55 de la Constitution et la Charte européenne de l’autonomie locale, invoquée pour la première fois comme norme de référence : le Conseil constitutionnel a écarté le grief en réaffirmant sa jurisprudence bien établie en matière de normes de référence pour le contrôle de constitutionnalité, née avec la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Interruption volontaire de grossesse, et réaffirmée depuis l’introduction de la QPC20, selon laquelle il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international (cons. 4). Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité restent donc bien distingués.

D’autre part, le grief était fondé sur les articles 72 et 72-1 de la Constitution : le Conseil constitutionnel a jugé que ni ces dispositions constitutionnelles ni aucune autre exigence constitutionnelle n’imposent la consultation préalable des collectivités territoriales au dépôt d’un projet ou à l’adoption d’une loi modifiant leurs délimitations territoriales (cons. 5). Cela signifie qu’en dehors des collectivités d’outre-mer dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, il n’existe aucune obligation de consulter les collectivités territoriales préalablement à la modification de leur délimitation territoriale par le législateur. Le Conseil l’a d’ailleurs affirmé dans le cadre de la QPC dans sa décision du 2 juillet 2010 n° 2010-12 QPC, Commune de Dunkerque (cons. 3). Cela signifie également que le Conseil constitutionnel a refusé de consacrer, comme l’y invitaient les requérants, un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel une telle consultation constituait une obligation résultant de plusieurs textes antérieurs à 1946, à savoir la loi municipale du 5 avril 1884 et la loi d’attributions municipales du 18 juillet 183721.

Concernant la réattribution de sièges au sein de la liste arrivée en tête au niveau régional au bénéfice du ou des départements qui ne compteraient pas, après la répartition des sièges, un nombre de conseillers régionaux minimal fixé par la loi (art. 6 de la loi), les requérants ont invoqué la méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage. Ceux-ci s’appuyaient notamment sur l’exemple du département de la Lozère, seul département à compter une population inférieure à 100 000 habitants et à ne recevoir que deux sièges.

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’organe délibérant d’une région, comme de toute autre catégorie de collectivités territoriales, doit être élu « sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l’égalité devant le suffrage » sur le fondement des articles 1er, 24 et 72 de la Constitution (cons. 23). Il fait ainsi application de la jurisprudence qu’il a déjà développée dans la décision du 9 décembre 2010 n° 2010-618 DC, Loi de réforme des collectivités territoriales (cons. 38). Il relève ainsi que si les conseillers régionaux sont élus sur une liste régionale unique, et non sur des listes départementales, le législateur a pu, dans l’objectif de maintenir un lien entre les résultats régionaux et les départements pour l’attribution des sièges aux différentes listes, fixer un nombre minimal de sièges attribué à chaque section départementale (cons. 24 et 26). Toutefois, il affirme également que les dispositions nouvelles introduites par l’article 6 de la loi ne sauraient, sans instaurer des différences de traitement qui ne seraient pas en rapport direct avec cet objectif, conduire à ce que soit attribué à une section départementale un nombre de sièges tel que le rapport de ce nombre à la population du département s’écarte dans une mesure manifestement disproportionnée de la moyenne constatée dans la région. En l’espèce, le Conseil constate d’une part que les dispositions de l’article 6 de la loi examinée « pondèrent la règle de répartition des sièges au prorata des voix recueillies en prenant en compte le nombre d’habitants dans chaque département » et d’autre part que « cet aménagement, qui repose sur des seuils de population, est en rapport direct avec l’objet de la loi ». Le Conseil constitutionnel en déduit que l’article 6 de la loi ne conduit pas à une répartition manifestement disproportionnée des sièges entre les sections départementales de la liste, et n’est donc pas contraire au principe d’égalité devant la loi. Cette décision montre que l’équilibre territorial au sein d’un conseil régional doit être pris en compte.

Concernant le financement de la campagne électorale, la loi examinée prévoit que certaines dispositions du Code électoral ne seront applicables qu’à compter du 17 septembre 2014, date à laquelle a été annoncé l’abandon du report des élections départementales de mars à décembre 2015. Le Conseil constitutionnel ne se prononce ni sur le choix de découpler les élections régionales et départementales ni sur le choix de cette date pour l’application de dispositions du Code électoral, à savoir la période des six mois précédant l’élection et durant laquelle par exemple est interdit tout affichage en dehors des panneaux électoraux (cons. 32).

Toutefois, le Conseil constitutionnel censure la disposition introduite par l’article 10 de la loi et qui suspend de façon rétroactive pour la période antérieure à la date du 17 septembre 2014 la règle selon laquelle « aucun candidat ne peut utiliser, directement ou indirectement, les indemnités et les avantages en nature mis à disposition de leurs membres par les assemblées parlementaires pour couvrir les frais liés à l’exercice de leur mandat »22. Pour prononcer cette censure, le Conseil constitutionnel rappelle ses décisions du 1er mars 2013, rendues en qualité de juge électoral, selon lesquelles l’indemnité représentative de frais de mandat versée aux députés et sénateurs correspond à une indemnité versée à titre d’allocation spéciale pour frais de mandat par les assemblées à tous leurs membres ; qu’elle est par suite destinée à couvrir des dépenses liées à l’exercice du mandat de député ; qu’en conséquence, cette indemnité ne saurait être affectée au financement d’une campagne électorale à laquelle le député est candidat23 (cons. 33). Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 10 de la loi instaurent, entre les candidats aux élections départementales qui sont membres du Parlement, selon qu’ils avaient ou non utilisé conformément à leur destination les indemnités et les avantages en nature mis à leur disposition pour couvrir les frais liés à l’exercice de leur mandat, des différences de traitement qui méconnaissent le principe d’égalité des candidats devant le suffrage. Ces dispositions sont donc déclarées contraires à la Constitution (cons. 34).

CR

F – La régulation des élections et des référendums

Le contentieux des élections sénatoriales, comme des législatives (et dans une moindre mesure des présidentielles) a son lot de contestations infondées (1) mais il a été cette fois-ci porteur de grandes innovations (2). Il faut ajouter à ce panorama des décisions de confirmation des principes constitutionnels applicables (3).

1 – Le rejet des requêtes : l’absence de portée suffisante du vice et autres florilèges de moyens infondés

Le plus souvent, la réponse du juge électoral est assez rapide, il se fonde sur l’absence d’importance (de minimis non curat praetor) des vices constatés – quand il ne conteste pas leur existence même. C’est ainsi que certaines erreurs sur la liste des grands électeurs ne sont pas susceptibles d’avoir rompu l’égalité entre les candidats, ni d’ailleurs l’accord d’un avantage matériel par l’octroi d’un local à l’un des deux candidats24. Il en est de même des pressions exercées sur l’électorat pouvant conduire à des manœuvres insidieuses. Ainsi, les pressions qui résultent d’un témoignage isolé – produit par un électeur du camp adverse25 – ou encore celles consécutives à la distribution de tracts (sans lien avec l’élection) devant les bureaux de vote26, ne sont pas de nature à influencer la décision du juge. On peut estimer plus fondée la critique selon laquelle un des candidats aurait favorisé le report de l’élection du président de région pour pouvoir se prévaloir de ce titre ensuite durant sa campagne sénatoriale. Il est en effet dommageable que cette concordance puisse influencer négativement les électeurs. On notera néanmoins qu’aucun élément ne permettait au juge d’avérer cette manœuvre du candidat, ce qui rendait nécessairement l’argument inutile27.

Concernant l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors des France, les irrégularités traditionnelles ont encore été pointées. Le remplacement d’un délégué consulaire ou encore la possibilité ouverte de voter par procuration n’ont pas été de nature à vicier l’élection28.

2 – Du constat de manœuvres à la réformation des résultats : un juge électoral renforcé

Du nouveau sur la portée d’une manœuvre…

Cons. const., 6 févr. 2015, déc. n° 2014-4907 SEN, Polynésie française. Si des griefs classiques ont été présentés devant le juge électoral, il n’en reste pas moins que celui-ci a, cette année, bousculé tous les codes traditionnels de ses décisions.

Les griefs tirés de l’irrégularité de certains votes émis ou encore les pressions qui se seraient exercées sur le corps électoral sont traditionnellement rejetés par le juge électoral en raison de l’écart de voix constaté qui démontre que l’irrégularité, même si elle était réelle, n’aurait pas pu, à elle seule, conduire à inverser les forces. C’est ce qu’il a encore été conduit à décider29.

Mais, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a été plus loin dans une situation des plus inattendue.

À l’occasion de l’examen de la requête visant les élections sénatoriales en Polynésie française – dont les frasques ont alimenté les colonnes de journaux et les décisions de justice à l’instar d’un vrai feuilleton –, le Conseil constitutionnel a annulé l’élection sénatoriale de la Polynésie française. Alors que l’on aurait pu particulièrement tolérer le caractère rocambolesque de certaines situations de soutien aux candidats du parti de Gaston Flosse – du fait du caractère particulièrement « exotique », dans tous les sens du terme, des scrutins dans cette localité –, le Conseil constitutionnel semble au contraire avoir adopté un ton presque agacé pour annuler l’élection. La requête avançait que des pressions auraient été exercées sur les électeurs – et auraient rompu l’égalité entre les candidats – par le fait que près de 400 personnes proches du parti de Gaston Flosse étaient vêtues en orange (la couleur du parti) à proximité des bureaux de vote et s’étaient constituées en cortège pour aller voter. Un journal télévisé local relatait ces événements (démontrant que le cortège était dirigé par Gaston Flosse et de nombreux grands électeurs) au moment de l’entrée dans les bureaux de vote.

Le Conseil constitutionnel a considéré qu’une telle action a « constitué une manœuvre pour faire pression sur les électeurs, membres du collège sénatorial, de nature, en raison de son organisation et de son importance, à porter atteinte à la sincérité du scrutin ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs de la requête, il y a lieu d’annuler l’élection contestée » (cons. 2). L’organisation et l’importance, autant que la proximité du scrutin et du bureau de vote – auxquelles on pourrait ajouter le caractère particulièrement ostentatoire de la manifestation – ont été autant d’éléments qui ont conduit le Conseil à se servir de cette « pression électorale » pour annuler l’élection. Les commentaires aux Cahiers accentuent cette annulation en relatant que : « La jurisprudence du Conseil constitutionnel apparaît relativement tolérante en matière de manifestations de soutien pouvant faire pression sur les électeurs, puisqu’il a déjà été jugé, précisément à propos de la Polynésie française, que le fait que des électeurs, et même un membre du bureau de vote, soient habillés de vêtements de couleur orange pour venir voter ne pouvait être assimilé, “dans les circonstances de l’espèce, à une pression de nature à avoir influencé le corps électoral”, pas plus d’ailleurs que le fait que des sympathisants de l’un des candidats soient assis devant l’entrée des bureaux de vote et puissent ainsi gêner l’entrée des électeurs ».

Il est important de noter que le Conseil constitutionnel abandonne le critère de l’écart de voix pour considérer qu’une manœuvre est susceptible de conduire à l’annulation de l’élection. Il aura donc particulièrement innové dans cette affaire qui pimente la lecture des décisions polynésiennes…

Le remplacement du candidat élu

Cons. const., 12 févr. 2015, déc. n° 2014-4902 SEN, Vaucluse. Le Vaucluse a été le lieu d’une évolution fondamentale de l’office du juge électoral.

L’élection des trois sénateurs devait avoir lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne (sans panachage ni vote préférentiel) en vertu des règles de l’article L. 295 du Code électoral. Trois listes étant arrivées en tête, les sièges devaient leur être attribués (le nombre de sièges est obtenu en divisant, liste après liste, le nombre de suffrages recueillis par le nombre de sièges déjà attribués plus un (qui représente le siège à attribuer).

Les résultats permirent d’attribuer le premier siège à la liste conduite par M. Haut et le second à M. Milon. Au stade de l’attribution du troisième siège, la moyenne des deux listes étant identique, il convenait d’appliquer la solution de repli prévue par l’article R. 169 du même code qui veut que « le siège revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages », soit à la liste de M. Haut.

La contestation émanait de M. Dufaut (candidat de la liste adverse) qui critiquait la nullité d’un bulletin non décompté en faveur de sa liste. Le bulletin en cause avait été inséré dans l’enveloppe par erreur avec la circulaire de soutien de la liste. Un texte aurait, en l’espèce pu apparaître pertinent, l’article R. 170 du Code électoral qui prévoit le cas de circulaires introduites dans l’enveloppe qui doivent, dans ce cas être déclarées comme nulles. Mais cet argument de défense n’était pas adapté en l’espèce puisque la circulaire, mais également le bulletin, se trouvaient dans l’enveloppe. Le second argument de défense avancé qui consistait à décompter un bulletin nul pour la liste adverse également, n’était pas valable non plus puisque le bulletin pouvait être considéré comme valide (il était simplement raturé).

Ce vote nul, finalement décompté, faisait basculer le choix du troisième siège et l’annulation de l’élection ne semblait certes pas la solution adéquate en présence d’une telle irrégularité.

On sait que l’article 41 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit que « Lorsqu’il fait droit à une requête, le Conseil peut, selon les cas, annuler l’élection contestée ou réformer la proclamation faite par la commission de recensement et proclamer le candidat qui a été régulièrement élu ».

Pour une première fois, historique, le Conseil constitutionnel a choisi de faire usage de cette faculté (offerte également au juge des élections locales) de réformer la proclamation des résultats au profit du candidat injustement évincé. Cette décision n’étant pas rétroactive a conduit la sénatrice indument élue à céder son siège, à la date de prise d’effet de la décision du Conseil, à l’autre candidat donné vainqueur à sa place.

Un mouchoir de poche…

3 – Le rappel bienveillant des principes constitutionnels du droit électoral

L’affaire du 23 janvier 2015, n° 2014-4909 SEN, Yonne est sans doute la moins « intéressante » sur le fond des QPC électorales. Elle a en effet conduit le Conseil constitutionnel à donner son interprétation de dispositions constitutionnelles nouvelles d’une manière relativement bienveillante. Il a d’abord fondé son appréciation en QPC sur le constat d’un changement des circonstances. Il convient en effet de rappeler que l’article LO 135 du Code électoral est issu de l’ordonnance portant loi organique du 17 novembre 1958 relative à l’Assemblée nationale prise en vertu de l’article 92 de la Constitution relative à la mise en place des institutions. En vertu de la jurisprudence constante du Conseil, ces ordonnances portant loi organique de mise en place des institutions sont insusceptibles de contrôle de constitutionnalité30. Modifiées à plusieurs reprises après sa codification, les différentes lois organiques ont fait l’objet d’un contrôle obligatoire de la part du Conseil. La condition du déjà jugé était ainsi assurément remplie31.

La modification de la norme constitutionnelle que la loi organique applique, l’article 25 de la Constitution, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008 permit un changement de circonstances de droit.

La loi organique de 2009, qui prit la mesure de cette évolution, précisa les conditions pour qu’un député nommé membre du gouvernement puisse retrouver son siège sans élections partielles. Cette même loi organique modifia l’article LO 135 du Code électoral pour qu’une référence y soit insérée interdisant au remplaçant d’un député (l’article L. 296 du même code rend applicable aux sénatoriales les mêmes dispositions) de se présenter à l’élection suivante contre lui s’il l’a effectivement remplacé à la suite de l’occupation d’une fonction gouvernementale (dans les conditions prévues à l’article LO 176 du Code électoral).

M. Villiers ayant été le remplaçant de M. de Raincourt lors de l’élection sénatoriale du 26 septembre 2004 et l’ayant remplacé temporairement à l’occasion de sa fonction gouvernementale, il lui était impossible de se présenter à ces mêmes élections.

La QPC consistait à contester la constitutionnalité de l’interdiction de se présenter au motif qu’elle serait contraire au principe d’égalité et à la liberté de candidature. Liant cette interdiction à l’innovation constitutionnelle de l’article 25 de la Constitution dont le but est de faciliter le retour au Parlement des anciens ministres, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en visant cet objectif constitutionnel, le législateur organique a conservé une juste proportion, qu’il a poursuivi un intérêt général.

Le cadre constitutionnel était certes contraignant, mais l’on peut s’interroger sur l’opportunité de cette incompatibilité qui conduit grandement à faciliter la tâche du député dont le remplaçant se voit privé de tout avenir politique. Une injustice proportionnée !

La loi déférée dans le cadre de la décision n° 709 DC du 15 janvier 2015, Loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral mettait en conformité le droit des élections régionales avec le nouveau découpage du territoire.

Depuis 2003, le scrutin régional est très complexe. Les conseillers régionaux, bien qu’élus d’une circonscription régionale unique, sont répartis sur des listes constituées en sections départementales.

L’article 5 de la loi qui modifie le tableau n° 7 annexé au Code électoral prend en compte les effectifs nouveaux des conseils régionaux et fixe une règle originale qui veut que l’effectif régional soit réparti entre sections départementales en proportion de la population de chaque département.

L’article 6 de la loi déférée fixe une nouvelle exigence qui consiste à poser un nombre minimal (L. 338-1 du Code électoral) de conseillers régionaux pour les départements. Ce minimum est fixé à 4 et à 2 pour les départements dont la population est inférieure à 100 000 habitants. Pour garantir ce seuil minimal, si après répartition des sièges, un département n’obtient pas ses deux ou quatre conseillers régionaux, un ou plusieurs sièges de la liste arrivée en tête au niveau régional sera réattribué à la section départementale de cette liste.

Les requérants contestaient la constitutionnalité du dispositif visant à attribuer seulement deux sièges minimum à des départements dont le seuil de population est inférieur à 100 000 habitants, sachant que seule la Lozère se trouvait dans ce cas.

Le Gouvernement faisait valoir en défense que les conseillers régionaux sont élus dans une circonscription régionale unique et que les sections départementales ne sont pas des circonscriptions ; en ce sens, le principe d’égalité devant le suffrage – et la jurisprudence constitutionnelle qui lui est attachée – ne mériterait pas de s’appliquer. En effet, le Conseil constitutionnel veille à ce que le rapport du nombre d’élus d’une circonscription par rapport à la population ne puisse s’écarter, dans une mesure disproportionnée, de la moyenne de ce rapport par rapport à l’ensemble des circonscriptions.

Néanmoins, pour éviter un contournement de ce principe d’égalité – on peut rapidement imaginer que le législateur aurait tôt fait de diviser les circonscriptions en sections pour que ne soit pas appliquées à celles-ci les règles d’égalité démographique – le Conseil constitutionnel a émis la même réserve qu’à l’accoutumée en matière d’égalité devant le suffrage. Néanmoins, tout en retenant l’argumentation du gouvernement – implacable – suivant laquelle, les sections ne sont pas des circonscriptions, le Conseil a attaché cette interprétation à l’égalité devant la loi. Il a donc considéré l’article 6 – qui poursuivait l’objectif de donner une assise démographique à l’élection – conforme à l’égalité, sous réserve qu’une mesure proportionnée soit maintenue entre les sièges et les sections départementales de la liste.

La discrimination de sièges en fonction du territoire est donc en lien direct avec l’objectif d’instaurer un « plancher » du législateur qui est un objectif d’intérêt général.

ACB

IV – Les droits et libertés

A – Les libertés

1 – Liberté individuelle, respect de la vie privée (…)

2 – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

B – Le droit de propriété

C – Le principe d’égalité

1 – Principe d’égalité devant la loi

2 – Principe d’égalité devant les charges publiques

3 – Principe d’égal accès aux emplois publics (…)

D – Le droits sociaux (…)

E – Les principes du droit répressif

1 – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines

2 – Droits de la défense et respect des garanties procédurales (…)

F – Les garanties des droits

1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif et les principes d’impartialité et d’indépendance

2 – Le principe de sécurité juridique

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. infra.
  • 2.
    Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC.
  • 3.
    CE, 27 oct. 2015, n° 393026.
  • 4.
    Urvoas J.-J., Rapp. AN, n° 2462, 16 déc. 2014, projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
  • 5.
    À l’occasion de la décision Cons. const., 27 oct. 2012, n° 2012-655 DC, pour le président du Sénat et Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC du pour le président de l’Assemblée nationale.
  • 6.
    Cons. const., 20 juill. 1977, n° 77-82 DC, loi tendant à compléter les dispositions du Code des communes relatives à la coopération intercommunale et notamment de ses articles 2, 4, 6 et 7.
  • 7.
    Cons. const., 13 janv. 1994, n° 93-329 DC, loi relative aux conditions de l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales.
  • 8.
    V. not. le commentaire de la décision p. 8 et 9.
  • 9.
    Ibid., cons. 19.
  • 10.
    « Je regrette que nous n’ayons pas pu déposer d’amendements en quatrième lecture. Les sénateurs ne seraient-ils donc pas au courant de la doctrine de l’Assemblée nationale concernant l’article 45 de la Constitution, qui nous empêche de présenter des amendements ayant été adoptés au Sénat en troisième lecture ? Diantre ! », AN, Première séance du 17 décembre 2014.
  • 11.
    Urvoas J.-J., Rapp. AN, n° 2462, préc.
  • 12.
    Pour un raisonnement identique : Cons. const., 19 sept. 2014, n° 2014-4 LOM, Motivation des actes administratifs en Polynésie française, cons. 2 ; Cons. const., 23 oct. 2014, n° 2014-5 LOM, Accès aux documents administratifs en Polynésie française, cons. 2 ; Cons. const., 7 nov. 2014, n° 2014-6 LOM, Droit de la propriété intellectuelle en Polynésie française, cons. 8 ; Cons. const., 19 nov. 2014, n° 2014-7 LOM, Dispositions de droit civil en Polynésie française, cons. 4.
  • 13.
    Cons. const., 19 sept. 2014, n° 2014-4 LOM préc., cons. 3 ; Cons. const., 23 oct. 2014, n° 2014-5 LOM préc., cons. 3.
  • 14.
    Cons. const., 15 mars 1999, n° 99-410 DC, loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, cons. 3.
  • 15.
    Cons. const., 27 janv. 2000, n° 2000-1 LP, loi du pays relative à l’institution d’une taxe générale sur les services ; Cons. const., 1er oct. 2013, n° 2013-3 LP, loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, cons. 10.
  • 16.
    Le projet de loi organique prévoyait de soumettre les projets et propositions de lois du pays à un avis du tribunal administratif préalable à leur adoption ; v. les débats du 21 décembre 1998 (2e séance), JOAN Débats.
  • 17.
    V. par ex. : Cons. const., 6 juill. 1994, n° 94-341 DC, loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux, cons. 3 et 5 ; Cons. const., 13 déc. 1985, n° 85-198 DC, loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, cons. 3 et 4.
  • 18.
    V. « Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (premier semestre 2014) », LPA 9, 10 et 12 nov. 2015.
  • 19.
    Cons. const., 8 août 1985, n° 85-196 DC, loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 16 ; Cons. const., 23 août 1985, n° 85-197 DC, loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 35 ; Cons. const., 2 juill. 1986, n° 86-208 DC, loi relative à l’élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales, cons. 20 à 24.
  • 20.
    Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, cons. 10.
  • 21.
    V. « Les nouvelles régions sont constitutionnelles », Verpeaux M., JCP A 2015, n° 12.
  • 22.
    C. élect., art. L. 52-8-1, introduit par L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 13, relative à la transparence de la vie publique.
  • 23.
    Cons. const., 1er mars 2013, n° 2012-4715 AN, Haute-Vienne, 2e Circ ; Cons. const., 1er mars 2013, n° 2013-4793 AN, Yvelines, 6e Circ ; Cons. const., 1er mars 2013, n° 2013-4795 AN, Bouches-du-Rhône, 14e Circ.
  • 24.
    Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-4916 SEN (Saint-Martin).
  • 25.
    Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-4916 SEN (Saint-Martin).
  • 26.
    Cons. const., 23 janv. 2015, n° 2014-4911 SEN (Rhône).
  • 27.
    Cons. const., 23 janv. 2015, n° 2014-4914 (Hérault).
  • 28.
    Cons. const., 13 févr. 2015, n° 2014-4900 SEN (Français établis hors de France).
  • 29.
    Cons. const., 23 janv. 2015, n° 2014-4911 SEN (Rhône).
  • 30.
    Cons. const., 23 janv. 2015, n° 2014-4911 SEN ; Cons. const., 15 janv. 1960, n° 60-6 DC, loi organique portant promotion exceptionnelle des Français musulmans dans la magistrature et modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.
  • 31.
    Cons. const., 10 juill. 1985, n° 85-195 DC, loi organique modifiant le Code électoral et relative à l’élection des députés, cons. 12 à 14.
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