Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2016) (Suite et fin)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
La chronique présentée ci-dessous couvre l’année 2016 dans son intégralité.
I – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative
1 – Les validations législatives
2 – Le contrôle de la procédure législative
3 – La compétence et le domaine de la loi
a – Partage des compétences entre la loi et le règlement
b – Incompétence négative
c – Dispositions législatives expérimentales
d – Contenu normatif de la loi
C – Le pouvoir juridictionnel
D – Le pouvoir financier
E – Les collectivités décentralisées
F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums
II – Le procès constitutionnel
A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)
C – Les techniques contentieuses
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel
1 – Les dispositions « spécialement examinées » au sens de l’article 23-2 de la loi organique du 7 novembre 1958
2 – Les décisions d’abrogation des décisions avec effet immédiat
3 – Les décisions d’abrogation avec effet différé
4 – L’argument de la chose jugée dans le contrôle a priori
III – Les normes de référence
A – Les sources matérielles
1 – Les textes et principes constitutionnels
2 – Les rapports de systèmes
3 – Les droits et libertés
a – Sécurité et libertés
b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité
c – Liberté d’expression/liberté de conscience
d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
B – Le droit de propriété
C – Le principe d’égalité
1 – Principe d’égalité devant la loi
2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – droits et libertés en matière fiscale
D – Les droits sociaux
E – Les principes du droit répressif
1 – Cumul de sanctions et principe non bis in idem
2 – Principe de légalité des délits et des peines
3 – Principe de proportionnalité des peines
4 – Principe de la présomption d’innocence
F – Les droits processuels
1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions
Le Conseil constitutionnel reconnaît, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, un droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif1. Ce droit peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité2. Sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789, le Conseil reconnaît également le droit à un procès équitable3, le principe du contradictoire4 et les droits de la défense5.
En conséquence, « il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »6. Dans la décision n° 2016-541 QPC du 18 mai 2016, Société Euroshipping Charter Company Inc. et autres [Visite des navires par les agents des douanes II], le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser la notion de « personnes intéressées ». Il avait à connaître du premier alinéa du paragraphe 5 de l’article 62 et du premier alinéa du paragraphe 5 de l’article 63 du Code des douanes (§ 4). Ces dispositions avaient été adoptées par la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires (art. 28) suite à une censure du Conseil constitutionnel des dispositions antérieurement en vigueur7. Ces dernières, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, autorisaient les agents des douanes à visiter tous les navires, y compris les parties des navires à usage privé et affectées à l’usage de domicile ou d’habitation, sans que de telles visites soient autorisées par le juge des libertés et de la détention. Le Conseil constitutionnel avait considéré qu’elles privaient « de garanties légales les exigences qui résultent de l’article 2 de la Déclaration de 1789 »89. Les dispositions en cause prévoient donc maintenant que « l’occupant des locaux à usage privé ou d’habitation visités » dispose d’un droit de recours. Selon le Conseil constitutionnel, cela permet de « garantir le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile de ces occupants » (cons. 8). Cette possibilité de contester directement la régularité de la visite par voie d’action n’est ouverte qu’à l’occupant et non propriétaire du navire ou d’un objet saisi à l’occasion de ces opérations de visite. Néanmoins, comme le souligne le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne permettent aux agents des douanes « ni de saisir, ni de retenir, des objets ou documents mais les autorisent uniquement à accéder aux lieux et à les visiter » (§ 7). Le propriétaire du navire ou d’un objet saisi à l’occasion de ces opérations de visite n’ont donc pas intérêt à contester la visite et, comme le relève le Conseil, si de telles saisies illégales avaient lieu, ils disposent d’autres voies de recours (§ 9 et 10). Ainsi, l’intérêt à agir d’une personne – et donc son droit au recours – est apprécié non pas in abstracto en fonction de la procédure considérée, mais in concreto, en fonction des autres voies de recours dont disposent les personnes concernées. Une même catégorie de personnes peut donc être considérée comme étant intéressée ou non en fonction des autres voies de recours étant à sa disposition au moment où le Conseil rend sa décision.
Dans sa décision n° 2016-543 QPC du 24 mai 2016, Section française de l’observatoire international des prisons [Permis de visite et autorisation de téléphoner durant la détention provisoire], le Conseil avait à connaître des dispositions fixant les règles de procédure applicables à la délivrance des permis de visite et des autorisations de téléphoner au profit des personnes placées en détention provisoire10. Ces dispositions « ne prévoient une voie de recours qu’à l’encontre des décisions refusant d’accorder un permis de visite aux membres de la famille de la personne placée en détention provisoire au cours de l’instruction » (§ 12). Ainsi, si la demande de visite n’a pas lieu au cours de l’instruction ou si elle n’émane pas d’un membre de la famille, aucune voie de recours n’existe contre la décision de refus du juge d’instruction (§ 12). S’agissant du refus de l’autorisation de téléphoner, aucune voie de recours n’est prévue (§ 13). En raison de « l’absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat » et des « conséquences qu’entraînent ces refus pour une personne placée en détention provisoire », le Conseil a considéré que ces procédures méconnaissaient « les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (§ 14). Par ailleurs, il a estimé que la seule voie de recours ouverte, contre la décision de refus de délivrer un permis de visite aux membres de la famille au cours de l’instruction, méconnaissait également ces exigences (§ 16). La décision de refus du juge d’instruction doit être écrite et motivée, mais aucun délai n’est prévu pour prendre une telle décision. Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de juger que « l’impossibilité d’exercer une voie de recours devant la chambre de l’instruction ou toute autre juridiction en l’absence de tout délai déterminé imparti au juge d’instruction pour statuer conduit à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 »11. En l’espèce, il considère donc également que « l’absence de tout délai déterminé imparti au juge d’instruction pour statuer n’ouvre aucune voie de recours en l’absence de réponse du juge » méconnaît les exigences de l’article 16 (§ 16). L’ensemble de la procédure, en raison du défaut de voie de recours ou de délai imposé au juge pour se prononcer, est donc déclarée inconstitutionnelle.
En revanche, dans sa décision n° 2016-583/584/585/586 QPC du 14 octobre 2016 Société Finestim SAS et autre [Saisie spéciale des biens ou droits mobiliers incorporels], le Conseil a estimé qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à l’article 16 alors même que l’article 706-153 du Code de procédure pénale ne prévoit aucun délai pour que la chambre de l’instruction statue en appel de l’ordonnance autorisant la saisie de certains biens ou droits mobiliers incorporels (§ 11). Il considère donc qu’il n’y a pas d’atteinte « au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété » (§ 11), car « le juge [doit] toujours statuer dans un délai raisonnable ». Cela peut s’expliquer pour deux raisons. D’une part, le justiciable a déjà obtenu une décision de justice, son droit au recours a donc été satisfait. D’autre part et de surcroît, le Conseil considère que « le principe du double degré de juridiction n’a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle »12 ; le justiciable n’a donc pas de droit constitutionnel à un appel et encore moins de droit à un appel dans un délai déterminé. Par ailleurs, cet article ne prévoit « pas de débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention et devant le juge d’instruction et ne conf[ère] pas d’effet suspensif à l’appel devant la chambre de l’instruction ». Selon le Conseil, « le législateur a entendu éviter que le propriétaire du bien ou du droit visé par la saisie puisse mettre à profit les délais consécutifs à ces procédures pour faire échec à la saisie par des manœuvres » (§ 10). Cela justifierait l’absence d’effet suspensif et de débat contradictoire (commentaire, p. 15). Il déclare ainsi la procédure conforme à la constitution (§ 12).
Dans sa décision n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, Société Brenntag [Droit de communication de documents des agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence et des fonctionnaires habilités par le ministre chargé de l’économie], le Conseil constitutionnel avait à connaître des articles L. 450-3, alinéa 4 et L. 450-3, alinéa 4, du Code de commerce qui autorisent des agents habilités à exiger la communication d’informations et de documents dans les enquêtes de concurrence (§ 5). Aucun recours ne permet de contester une demande de communication et, en cas de refus, l’entreprise s’expose à une injonction sous astreinte, une amende administrative ou une sanction pénale (§ 7). L’entreprise peut ainsi refuser de communiquer des informations ou documents, mais elle s’expose à des sanctions (§ 7). Le Conseil avait eu à connaître d’une procédure similaire concernant le droit de communication dont disposent les agents des douanes et reprend le même raisonnement dans la présente décision. Il estime qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits de la défense car les agents ne disposent pas d’un pouvoir coercitif : ils ne disposent pas d’un pouvoir d’exécution forcée, d’audition ou de perquisition13 (§ 7). Ainsi, le Conseil considère que le caractère volontaire de la remise de documents, même si elle intervient sous la menace d’une sanction, garantit l’absence d’atteinte aux droits de la défense. Par ailleurs, l’absence de recours ouvert contre la décision a été jugé conforme à la constitution pour deux raisons. La première est que ces demandes de communication ne sont pas des actes faisant grief14, ainsi l’entreprise ne disposerait pas d’un droit au recours contre ces actes. La seconde est qu’elle serait toujours en mesure soit de contester leur légalité par voie d’exception à l’occasion de la contestation d’actes subséquents faisant grief (procédure engagée contre elle à la suite de l’enquête, astreinte ou sanction), soit de demander la réparation de son préjudice dans le cadre d’un recours indemnitaire. Le droit au recours n’est donc pas le droit à un recours optimal qui permettrait à l’entreprise de contester directement à la décision et de ne pas avoir à choisir, provisoirement, entre la communication ou le paiement d’une somme d’argent. La faculté dont dispose l’entreprise de récupérer, a posteriori, les sommes indument versées et de voir indemniser son préjudice constitue un recours effectif (§ 9) et le droit à un procès équitable n’est ainsi pas méconnu (§ 10).
Dans sa décision n° 2016-551 QPC du 6 juillet 2016, M. Éric B. [conditions tenant à l’exercice de certaines fonctions ou activités en France pour l’accès à la profession d’avocat], le Conseil a considéré qu’« il incombe au législateur, lorsqu’il fixe les conditions d’accès à [la] profession [d’avocat], de déterminer les garanties fondamentales permettant d’assurer le respect des droits de la défense et de la liberté d’entreprendre » (§ 7). Cette obligation constitutionnelle résulte des articles 4 (liberté d’entreprendre) et 16 (droits de la défense) de la Déclaration de 1789.
Dans sa décision n° 2016-602 QPC du 9 décembre 2016, M. Patrick H [incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen], le Conseil constitutionnel avait à connaître de l’article 695-28 du Code de procédure pénale, alinéas 2 et 3 relatif à la décision d’incarcération en exécution d’un mandat d’arrêt européen. Ce texte n’impose ni n’interdit l’assistance d’un avocat. Le Conseil a estimé que le respect des droits de la défense exige que « la personne présentée au premier président de la cour d’appel ou au magistrat qu’il a désigné [qui ordonne l’incarcération de la personne recherchée par le mandat d’arrêt européen] puisse être assistée par un avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions du procureur général » (§ 16). Il a donc déclaré ces dispositions conformes à la constitution sous cette réserve (§ 18).
De même, dans sa décision n° 2016-569 QPC du 23 septembre 2016, Syndicat de la magistrature et autres [transaction pénale par officier de police judiciaire – participation des conseils départementaux de prévention de la délinquance et des zones de sécurité prioritaires à l’exécution des peines], le Conseil a estimé que, « pour que les droits de la défense soient assurés dans le cadre d’une procédure de transaction ayant pour objet l’extinction de l’action publique, la procédure de transaction doit reposer sur l’accord libre et non équivoque, avec l’assistance éventuelle de son avocat, de la personne à laquelle la transaction est proposée » (§ 8). Or, cela n’était pas prévu par les dispositions en cause. Il les a donc déclarées conformes à la constitution sous réserve de l’information de la personne suspectée d’avoir commis une infraction de son « droit à être assistée de son avocat avant d’accepter la proposition qui lui est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu’elle est placée en garde à vue » (§ 9). Ainsi, le Conseil maintient sa jurisprudence selon laquelle la transaction pénale n’est pas une sanction ayant le caractère d’une punition15 (§ 10). Néanmoins, il considérait auparavant que « le grief tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable est inopérant »16 car, d’une part, la transaction n’organise pas un procès, mais une procédure « qui suppose l’accord libre et non équivoque, avec l’assistance éventuelle d’un avocat, de l’auteur des faits » et, d’autre part, elle ne présente par elle-même aucun caractère exécutoire. Il est progressivement revenu sur cette jurisprudence, d’abord de manière implicite17 et explicitement dans la présente décision en contrôlant la conformité du dispositif de transaction pénale au droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, au droit à un procès équitable, ainsi qu’aux droits de la défense (§ 5). Alors même que la transaction n’a pas de caractère exécutoire (§ 7), la procédure qui conduit à sa conclusion doit respecter les exigences tirées de l’article 16 (§ 8 à 10). Cette position jurisprudentielle semble relativement délicate puisqu’elle conduit à considérer : « même si cette procédure n’aboutit pas à une sanction ayant le caractère d’une punition, elle n’est pas étrangère au domaine répressif » (commentaire, p. 11) – distinction quelque peu byzantine. D’un point de vue théorique, le simple fait que la personne consente à la transaction ne semble pas en lui-même exclure le caractère punitif d’une mesure : le choix de la sanction n’est pas l’absence de sanction. Pour l’instant, telle n’est pas la position du Conseil constitutionnel.
Sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits, le Conseil constitutionnel considère également que « les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice des fonctions juridictionnelles »18.
Dans sa décision n° 2016-548 QPC du 1er juillet 2016, Société famille Michaud apiculteurs SA et autres, [Saisine d’office du président du tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels sous astreinte], le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de revenir sur la conformité au principe d’impartialité des juridictions des procédures de saisine d’office. Il a, ces cinq dernières années, développé une jurisprudence assez précise relative à la saisine d’office des juridictions fondée sur le principe d’impartialité19. Dans un considérant de principe repris dans la présente décision (§ 3), il exclut, par principe, la constitutionnalité d’une saisine d’office. Selon cette jurisprudence, la saisine d’office est « la faculté d’introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle [la juridiction] prononce une décision revêtue de l’autorité de chose jugée » (§ 3). Ainsi, la juridiction doit maîtriser l’intégralité de la procédure de son déclenchement au prononcé de la décision. Néanmoins, lorsqu’il ne permet pas le prononcé d’une sanction, un tel dispositif peut être constitutionnel à deux conditions. D’une part, il doit être fondé sur un motif d’intérêt général. D’autre part, la loi doit instituer des garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité. En l’espèce, l’article L. 611-2, § 2, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010, prévoit que « lorsque les dirigeants d’une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. » Le Conseil a considéré que ce dispositif était conforme à la constitution. D’abord, il a estimé que l’injonction sous astreinte « n’est pas une sanction ayant le caractère d’une punition », car elle a « pour seul objet d’assurer la bonne exécution des décisions des juridictions » (§ 4). Il avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de juger que « l’astreinte est une mesure comminatoire qui a pour objet de contraindre son débiteur à exécuter une décision juridictionnelle »20. Ensuite, il a estimé que l’objectif « de détection et de prévention des difficultés des entreprises » est d’intérêt général (§ 5). Enfin, il a considéré « que la constatation par le président du tribunal de commerce du non-dépôt des comptes, qui lui permet de se saisir d’office, présente un caractère objectif » (§ 6), ce qui garantit l’exigence d’impartialité. Il a donc déclaré le dispositif conforme à la constitution.
Le Conseil constitutionnel reconnaît également, sur le fondement de l’article 16, « l’indépendance des juridictions ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le gouvernement, non plus qu’aucune autorité administrative »21. Ce principe peut être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité22.
Dans sa décision n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016, M. Abdel Manane M. K. [gel administratif des avoirs], le Conseil constitutionnel avait à connaître des articles L. 562-1 et L. 562-2 du Code monétaire et financier qui autorisent le ministre de l’économie à ordonner le gel d’avoirs. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il s’agissait de mesures de police administrative et que dès lors il n’y avait pas d’atteinte au principe d’indépendance des juridictions (cons. 9). Il s’est fondé sur la finalité de la mesure de police (la préservation de l’ordre public et la prévention des infractions) pour estimer que la faculté offerte au ministre de l’économie de prendre de telles décision ne le conduisait pas à exercer une fonction juridictionnelle et n’empiétait dès lors pas sur l’exercice de telles fonctions (cons. 9). Par ailleurs, il estime que « la possibilité de contester ces décisions devant le juge administratif, y compris par la voie du référé » assure le respect du droit au recours (cons. 10). Ce raisonnement n’est pas nouveau puisqu’il avait, par exemple, déclaré constitutionnelles les mesures d’assignation à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence qui ne peuvent être contestées que par ces mêmes voies23. Il convient toutefois de relever que dans le cadre du référé en droit administratif, la personne sujette à une mesure de police supporte la charge de la preuve, alors que, dans le cadre de la procédure pénale, elle pèse sur l’autorité publique. Il appartient alors aux personnes soumises à la mesure d’apporter la preuve de l’illégalité de la mesure (un doute sérieux sur la légalité dans le cadre du référé-suspension, ou une illégalité manifeste, dans le cadre du référé-liberté). Cette personne devra également apporter la preuve du caractère urgent de sa demande.
Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a expressément admis l’invocation « par ricochet » d’un grief tiré du principe de séparation des pouvoirs dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Dans sa décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016, M. Karim B. [subordination de la mise en mouvement de l’action publique en matière d’infractions fiscales à une plainte de l’administration], il a considéré que la « méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la constitution garantit » (§ 9). Il suit donc le même raisonnement qu’en matière d’incompétence négative du législateur24 : ce principe ne peut être invoqué que si sa méconnaissance conduit à la violation « par ricochet » d’un droit ou d’une liberté constitutionnellement garantis. En l’espèce, l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales, tel qu’interprété par la Cour de cassation, subordonne « la mise en mouvement de l’action publique au dépôt d’une plainte par l’administration » (cons. 4), ce qui limite la liberté d’action du ministère public. Le Conseil a estimé qu’une telle procédure était conforme à la constitution car les dispositions en cause « ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, l’action publique devant les juridictions pénales » (§ 15) (v. supra le I. les institutions constitutionnelle – C. le pouvoir juridictionnel).
2 – Le principe de sécurité juridique
Depuis sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, le Conseil constitutionnel considère que la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 implique que le législateur ne doit pas porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Depuis sa décision n° 2013-336 QPC en date du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, il estime que la garantie des droits implique également que le législateur ne remette pas en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations, sans motif d’intérêt général suffisant.
Dans sa décision n° 2015-515 QPC du 14 janvier 2016, M. Marc François-Xavier M.-M. [exclusion de certains compléments de prix du bénéfice de l’abattement pour durée de détention en matière de plus-value mobilière], le Conseil avait à connaître de la législation fiscale relative aux plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux. Ces dispositions excluent du bénéfice de l’abattement pour durée de détention le complément de prix, lorsque cet abattement n’a pas été appliqué à la plus-value réalisée lors de la cession (cons. 4). Le Conseil a considéré qu’un tel dispositif ne portait pas atteinte aux situations légalement acquises car « les dispositions contestées modifient, pour le calcul de l’impôt sur le revenu, des règles d’assiette applicables à des faits générateurs postérieurs à leur entrée en vigueur » (cons. 9). Par ailleurs, il a estimé que « la soumission à un taux forfaitaire, au titre de l’impôt sur le revenu, de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ne peut être regardée comme ayant fait naître l’attente légitime que le complément de prix y afférent soit soumis aux mêmes règles d’imposition » (cons. 9). L’article 16 n’a donc pas été méconnu.
MB
Notes de bas de pages
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1.
Implicitement : Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction et, explicitement : Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.
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2.
Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC.
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3.
V. par ex. Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, cons. 11.
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4.
V. par ex. Cons. const., 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC, Sté Système U centrale nationale et a., cons. 6.
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5.
V. par ex. Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, Loi pour l’égalité des chances, cons. 24.
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6.
Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.
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7.
Cons. const., 29 nov. 2013, n° 2013-357 QPC, Sté Wesgate Charters Ltd.
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8.
Cons. const., 29 nov. 2013, n° 2013-357 QPC, préc, cons. 8.
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9.
C’est-à-dire le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile.
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10.
CPP, art 145-4, al 3 et 4 et L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 39, al 2.
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11.
Cons. const., 16 oct. 2015, n° 2015-494 QPC, Consorts R., cons. 7 ; v. chron 2015-3/4.
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12.
Cons. const., 12 févr. 2004, n° 2004-491 DC, Loi complétant le statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 4.
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13.
Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-214 QPC, cons. 6.
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14.
Selon la jurisprudence du Conseil d’État citée dans le commentaire autorisé de la décision, p. 15 : CE, 6 mars 2015, n° 381711, Sté Brenntag SA, cons. 4.
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15.
Cons. const., 26 sept. 2014, n° 2014-416 QPC, Assoc. France nature environnement, cons. 8.
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16.
Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, Loi pour l’égalité des chances, cons. 43.
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17.
Cons. const., 26 sept. 2014, n° 2014-416 QPC, préc.
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18.
Cons. const., 26 mars 2006, n° 2010-110 QPC.
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19.
Cons. const., 7 déc. 2012, n° 2012-286 QPC ; Cons. const., 15 nov. 2013, n° 2013-352 QPC ; Cons. const., 7 mars 2014, n° 2013-372 QPC ; Cons. const., 7 mars 2014, n° 2013-368 QPC ; Cons. const., 6 juin 2014, n° 2014-399 QPC.
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20.
Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-455 QPC, M. Jean de M., cons. 6.
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21.
Cons. const., 1er mars 2007, n° 2007-551 DC, Loi organique relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, cons. 10.
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22.
Cons. const., 10 nov 2011, n° 2011-192 QPC, Mme Ekaterina B., épouse D. et a., cons. 21.
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23.
Cons. const., 22 déc 2015, n° 2015-527 QPC, M. Cédric D., cons. 15.
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24.
Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-5 QPC, SNC KIMBERLY CLARK, cons. 3.