Chronique de QPC (Janvier – Juin 2019) (2e partie)

Publié le 04/08/2020

La présente chronique porte sur les questions prioritaires de constitutionnalité rendues publiques par le Conseil constitutionnel entre le 1er janvier et le 30 juin 2019. Cette étude, placée sous l’égide de l’Institut de recherche juridique interdisciplinaire (IRJI François-Rabelais – EA 7496) de l’université de Tours, a été écrite, pour la partie générale, par Pierre Mouzet, qui assume la responsabilité de la chronique ; et, pour la partie jurisprudence, par : Olivier Cahn, professeur de droit privé et de sciences criminelles, Camille Dreveau et Delphine Thomas-Taillandier, maîtresses de conférences de droit privé et de sciences criminelles, Patrick Mozol, Pierre Mouzet, maîtres de conférences HDR en droit public et Pauline Parinet-Hodimont, enseignante contractuelle docteure à l’université de Tours.

I – Le procès constitutionnel

A – Sur la recevabilité

B – Sur le fond

II – La jurisprudence

Ceci n’est pas une lapalissade : la jurisprudence est aussi faite de politiques jurisprudentielles. Parfois l’une d’elles est sinon brandie comme un étendard, du moins affichée comme un théorème : ainsi, le commentaire officiel de la décision n° 2019-772 QPC souligne que « le Conseil a confirmé l’orientation de sa jurisprudence qui, en matière de protection de l’inviolabilité du domicile, fait de l’autorisation ou du contrôle judiciaire sur les opérations de visite, en l’absence d’accord de l’intéressé, une garantie essentielle ». Comment ne pas songer en l’espèce à la disparition de l’article 66 de la constitution, qui est pourtant l’axiome de cette « orientation », auquel la rue de Montpensier ne se réfère plus depuis une quinzaine d’années ?

Notre juge poursuit par ailleurs l’édification d’un « droit disciplinaire » constitutionnel : la décision n° 2019-781 QPC du 10 mai 2019 brise, immédiatement, brusquement même, la possibilité de sanctionner la grève (ou un « acte collectif d’indiscipline caractérisée ») dans l’administration pénitentiaire « en dehors des garanties disciplinaires », comme le disait la loi, c’est-à-dire en violation du principe du contradictoire. Le théorème est simple : là où il y a punition, il doit y avoir défense. Le droit disciplinaire n’est, ici, pas différent du droit pénal. Quant à la décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, elle illustre à l’envi, même s’il est vrai que la législation d’ailleurs modifiée 3 mois auparavant y incitait, une ligne forte du Conseil constitutionnel, consistant à traiter différemment l’innocent et le coupable, en l’espèce la personne en détention provisoire et le condamné.

Dans ces trois décisions, il avait été saisi par le Conseil d’État : encore un hasard, assurément ! Il illustre en tout cas le caractère quelque peu artificiel d’une distinction, purement formelle ici, entre les QPC transmises par le juge judiciaire et celles transmises par le juge administratif.

Pierre MOUZET

A – Les QPC transmises par la Cour de cassation

Toute sélection étant arbitraire, on ne cherchera pas à expliquer plus avant, ici, pourquoi la nôtre ne comprend pas les questions fiscales, renvoyées à une prochaine chronique, ou, par exemple, la décision n° 2019-772 QPC sur le droit de visite des agents municipaux du logement, dont il a toutefois été question plus haut. C’est l’inviolabilité du domicile, on l’a dit, qui est le support de la censure, partielle, du Code de l’urbanisme par cette décision du 5 avril 2019 (à ne pas confondre avec la décision de conformité n° 2015-464 QPC du 9 avril 2015 !) : or le mois suivant, la Cour européenne des droits de l’Homme (saisie après que la Cour de cassation eut refusé de transmettre d’autres QPC1) a condamné la France, pour la même raison, en relevant à l’unanimité une violation de l’article 8 de la convention2… En tout cas, ci-dessous, si le civil surnage, le pénal domine.

Le souffle de la grenade ne fait pas vaciller les murs du tribunal militaire (Cons. const., 17 janv. 2019, n° 2018-756 QPC)

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, sur le site de la ZAD de Sivens, Rémi Fraisse a été mortellement blessé par l’explosion d’une grenade offensive tirée par un gendarme. L’action de la force publique à l’occasion de laquelle ce drame est survenu a été qualifiée par la justice d’opération de maintien de l’ordre3. Il en résulte, par application des dispositions de l’article 697-1 du Code de procédure pénale, la compétence, pour l’instruction et le jugement, des juridictions spécialisées en matière militaire (CPP, art. 697). Le père de la victime, rejoint par la Ligue des droits de l’Homme, a contesté la constitutionnalité de ce « privilège » de juridiction offert aux seuls gendarmes. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé la question sérieuse4, estimant que « la disposition contestée, qui réserve aux seules juridictions mentionnées à l’article 697 du Code de procédure pénale la compétence pour connaître des crimes et des délits commis sur le territoire de la République par les militaires de la gendarmerie dans l’exercice du service du maintien de l’ordre, alors qu’il résulte [de dispositions] du Code de la sécurité intérieure et (…) du Code de la défense que le législateur a entendu mettre fin aux distinctions opérées entre les militaires de la gendarmerie et les fonctionnaires relevant de la police nationale en charge des opérations de maintien de l’ordre, (…), est susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant la justice ». Elle ajoute qu’il « appartient au Conseil constitutionnel, à supposer même que cette seule différence subsistant entre les policiers et les gendarmes dans le maintien de l’ordre, tenant au recours éventuel à des matériels spécifiques militaires, soit l’explication du maintien de juridictions spécialisées pour juger ces derniers, de dire si elle est suffisante pour justifier cette distinction entre les juridictions et, par voie de conséquence, la différence de situation des parties civiles, selon que les actes poursuivis sont imputables à tels ou tels agents de l’État, au regard des principes ci-dessus mentionnés ».

À ces délicates interrogations, le Conseil constitutionnel répond comme le fit en son temps Georges Marchais à Jean-Pierre Elkabbach : « Vous avez vos questions ; j’ai mes réponses ! ». Se fondant sur les articles 6 et 16 de la déclaration de 1789, il affirme, d’abord, que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions » et constate, ensuite, que les dispositions du troisième alinéa de l’article 697-1 du Code de procédure pénale « établissent une différence de traitement entre les justiciables selon la qualité de militaire de la gendarmerie ou de membre de la police nationale de l’auteur de l’infraction commise » en maintien de l’ordre (§ 5 et 6). Le commentaire officiel reconnaît que le législateur ne justifie pas cette exception, pourtant maintenue depuis la réforme du Code de justice militaire opérée en 1965. Les Sages estiment cependant que, d’une part, les « règles d’organisation et de composition de ces juridictions spécialisées en matière militaire présentent, pour les justiciables, des garanties égales à celles des juridictions pénales de droit commun, notamment quant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité » et que, d’autre part, « la gendarmerie nationale relève des forces armées. À ce titre, les militaires de la gendarmerie sont soumis aux devoirs et sujétions de l’état militaire (…). Comme les autres militaires, ils sont justiciables, en raison de leur statut, des infractions d’ordre militaire prévues [par le] Code de justice militaire, lesquelles peuvent être commises de manière connexe à des infractions de droit commun. En outre, ils sont justiciables (…) de peines militaires spécifiques, prononcées par la juridiction (…). Enfin, ils sont également soumis à certaines procédures spécifiques d’exécution des peines ». Ils en déduisent que « compte tenu de ces particularités de l’état militaire, il était loisible au législateur, au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, de prévoir la spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par eux dans l’exercice de leur service, afin de favoriser une meilleure appréhension de ces particularités » et que « les militaires de la gendarmerie [demeurant] soumis à ces règles spéciales dans leur activité de maintien de l’ordre (…), ils ne sont pas placés, pour les infractions commises dans ce cadre, dans la même situation que les membres de la police nationale ». Le Conseil constitutionnel décide, en conséquence, qu’« en dépit des similitudes du cadre d’action des militaires de la gendarmerie et des membres de la police nationale dans le service du maintien de l’ordre, le législateur n’a pas, en se fondant sur les particularités de l’état militaire des gendarmes pour prévoir la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire, instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables. Il lui était loisible de procéder ainsi indépendamment de la circonstance qu’il ait prévu une exception à la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire dans le cas particulier d’infractions commises à l’occasion de l’exercice par les militaires de la gendarmerie de leurs fonctions relatives à la police judiciaire ou administrative ». Le Conseil constitutionnel écarte « le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice » (§ 7 à 11). Il n’est ainsi répondu qu’implicitement sur la proportionnalité de cette dérogation.

Au demeurant, le Conseil pouvait difficilement se prononcer autrement sans se dédire. Cette décision complète, en effet, sa décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015, par laquelle il a estimé que, si aux termes des articles 698 et suivants du Code de procédure pénale, d’une part, la mise en mouvement de l’action publique doit être précédée d’une dénonciation ou, à défaut, d’un avis du ministre chargé de la Défense ou de l’autorité militaire habilitée par lui (CPP, art. 698-1), d’autre part, que l’action publique ne peut être mise en mouvement par la victime que par une plainte avec constitution de partie civile, la voie de la citation directe lui étant fermée (CPP, art. 698-2), ces règles de procédure dérogatoires du droit commun sont néanmoins conformes à la constitution. Pour écarter le grief d’atteinte à l’égalité devant la justice, il a affirmé qu’elles ne procédaient pas « de discriminations injustifiées et que sont assurées à la partie lésée des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense » (§ 7 à 10).

L’intérêt de la décision ici commentée est mis en évidence par Jean-Christophe Videlin5 : le Conseil constitutionnel, en accord avec sa jurisprudence6, préserve le statut constitutionnel dérogatoire des militaires. Ainsi, malgré le placement, par la loi n° 2009-971, de la gendarmerie sous l’autorité hiérarchique du ministère de l’Intérieur7, malgré la doctrine d’emploi uniforme8 des forces mobiles civiles et militaires, malgré le rapprochement des statuts des forces de police et de gendarmerie, malgré l’unification du régime du recours à la force armée par la loi n° 2017-2589 et malgré la soumission des gendarmes à la compétence des juridictions de droit commun à raison des infractions qu’ils peuvent être amenés à commettre dans le cadre de leurs missions de police administrative ou judiciaire10, les Sages préservent le privilège de juridiction des gendarmes à raison des « particularités de [leur] état militaire ». L’auteur approuve la décision du Conseil constitutionnel, motifs pris que, à raison des implications de leur statut de force militaire, les gendarmes mobiles disposent de compétences et de moyens11 qui conduisent à ce qu’ils soient « toujours employés pour les situations extrêmes de maintien de l’ordre ». Dès lors, la décision des Sages ne doit pas s’interpréter comme « un renouveau de la militarisation du maintien de l’ordre ; au contraire, c’est une compétence constante qui est défendue par le Conseil constitutionnel », même s’il faut déplorer l’attitude du gouvernement et du Parlement qui, par leurs actions, « concourent à brouiller les frontières entre civil et militaire, entre maintien de l’ordre et champ de bataille » au risque de « [fragiliser] l’État de droit »12.

Olivier CAHN

De l’audition libre des mineurs (Cons. const., 8 févr. 2019, n° 2018-762 QPC)

Saisi de l’examen de l’article 61-1 du Code de procédure pénale, tel que rédigé par la loi du 27 mai 201413, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur les modalités de l’audition libre visant toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, et ce sans distinction d’âge. Le requérant conteste le non-respect du principe fondamental de la justice pénale des mineurs en ne prévoyant pas de garanties renforcées lorsque l’audition libre est mise en place à l’égard d’un mineur. Il soulève également la rupture d’égalité engendrée par le défaut de garanties similaires entre un mineur entendu en audition libre et un mineur placé en garde à vue.

D’après le requérant, un mineur faisant l’objet d’une audition libre doit obligatoirement bénéficier de l’assistance d’un avocat, faire l’objet d’un examen médical et faire prévenir ses représentants légaux, même si en théorie il est libre de quitter les lieux à tout moment. En effet, l’absence de contrainte pourrait, avant tout, disposer le jeune à ne pas faire les bons choix dans l’exercice de sa défense. C’est d’autant plus vrai – si l’on s’en tient au cas d’espèce où était mis en cause un mineur de 14 ans – qu’à l’issue d’une audition libre, le mineur peut ensuite être mis en examen par le juge des enfants à la suite des révélations qu’il aurait faites sans la présence de son avocat.

Il est clair que le recueil d’informations est un acte d’investigation privilégié, peu importe d’ailleurs que la personne soit simplement témoin ou vraisemblablement suspectée dans l’enquête en cours. Si le Conseil constitutionnel avait déjà admis qu’une personne soupçonnée pouvait être entendue librement, il veillait néanmoins à ce qu’elle y consente et exigeait qu’elle soit informée de l’infraction pour laquelle elle est entendue et de son droit de quitter les lieux à tout moment14. Preuve en est que la pratique avait considérablement évolué, notamment à la suite de la réforme de la garde à vue par la loi du 14 avril 201115. L’objectif du législateur étant alors de diminuer le recours à la garde à vue, l’audition libre était déjà largement usitée avant même d’être légalement encadrée. Finalement, le cadre proposé par la loi du 27 mai 2014 a entériné les différents droits du suspect entendu sous le régime de l’audition libre, sans distinction aucune quant à l’âge du suspect16. Si bien que faute de précision à ce sujet dans l’ordonnance du 2 février 1945, le droit commun prévu pour les majeurs était exactement celui applicable aux mineurs. La Cour de cassation avait jusqu’alors compensé en appréciant largement la notion de contrainte pour que, le plus souvent, le régime garantiste de la garde à vue soit appliqué lorsque le suspect était mineur. Elle avait effectivement retenu que la simple conduite du mineur dans les locaux de police suffisait à caractériser la contrainte et donc justifiait la notification du placement en garde à vue17.

Néanmoins, la chambre criminelle de la Cour de cassation finit par reconnaître le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise en ce que « le législateur n’a pas institué d’autres garanties que celles prévues pour les personnes majeures ; qu’il n’a pas prévu en particulier l’information par l’officier de police judiciaire des parents, du tuteur ou de la personne ou service auquel est confié le mineur, l’assistance obligatoire par un avocat, même pour les mineurs de 16 ans, le droit du mineur ou de ses représentants de demander la désignation d’un médecin, et l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires »18. Il était nécessaire que le Conseil constitutionnel se prononce sur le respect ou non du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Faute de tenir compte spécifiquement de la vulnérabilité des mineurs entendus dans le cadre d’une audition libre, le Conseil constitutionnel déclare l’article 61-1 du Code de procédure pénale contraire à la constitution. Néanmoins conscient de l’impact d’une déclaration d’inconstitutionnalité immédiate sur toutes les mesures d’audition libre en cours, quel que soit l’âge de la personne suspectée, il a fait le choix de reporter l’abrogation au 1er janvier 2020. Le législateur se voit alors confier une double mission : modifier l’ordonnance de 1945 pour inscrire les modalités particulières de l’audition libre des mineurs et réécrire l’article 61-1 du Code de procédure pénale qui vient d’être déclaré inconstitutionnel.

C’est ainsi que la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié ledit article en précisant que l’audition libre est une mesure à laquelle on peut avoir recours « sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs ». Par cette réforme, avait également été créé l’article 3-1 de l’ordonnance de 1945 pour imposer un début de réglementation de l’audition libre du mineur avec l’information des responsables légaux et l’assistance du mineur par un avocat « sauf si le magistrat compétent estime que l’assistance d’un avocat n’apparaît pas proportionnée au regard des circonstances de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la complexité de l’affaire et des mesures susceptibles d’être adoptées en rapport avec celle-ci »19.

À ce jour, l’article 3-1 de l’ordonnance de 1945 a été abrogé et transposé en l’état par l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 au sein des articles L. 412-1 et suivants du nouveau Code de la justice pénale des mineurs. Cette réforme par ordonnance ne manquera pas de faire l’objet de discussions, notamment quant à l’opportunité d’exclure l’assistance de l’avocat sur appréciation du juge. Comme s’il fallait que l’infraction soit particulièrement grave pour que le mineur entendu, même librement, soit assisté d’un avocat alors que même pour une infraction peu grave, il n’en reste pas moins un mineur vulnérable…20

Delphine THOMAS-TAILLANDIER

Constitutionnalité de l’indemnité due en cas de restitution tardive du dépôt de garantie (Cons. const., 22 févr. 2019, n° 2018-766 QPC)

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a modifié le régime du dépôt de garantie sur deux points : d’une part, son montant est réduit à 1 mois, d’autre part, elle instaure une pénalité spécifique en cas de restitution tardive. Le septième alinéa de l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifiée prévoit qu’à défaut d’être reversé à l’ancien locataire dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. Ce délai est de 2 mois à compter de la remise des clés, ramené à 1 mois lorsque l’état des lieux de sortie est conforme à l’état des lieux d’entrée, déduction faite des sommes restant dues au bailleur.

Un bailleur contestait la constitutionnalité de cette disposition au motif de sa contrariété aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines garantis par l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et de son atteinte au droit de propriété. Était notamment critiqué le caractère automatique de la sanction infligée au bailleur, dont le montant est fixé indépendamment des sommes dues et sans tenir compte du préjudice effectivement subi par le locataire.

Les principes énoncés par l’article 8 de la déclaration s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Mais en l’occurrence, le Conseil constitutionnel écarte cette qualification en estimant que la majoration contestée a un caractère indemnitaire21. Il invoque pour cela trois arguments principaux.

D’abord, il relève que la majoration versée au locataire lésé ne peut se cumuler avec les intérêts moratoires selon la jurisprudence établie de la Cour de cassation22.

Ensuite, il rappelle, qu’en l’instaurant, le législateur a entendu compenser le préjudice résultant pour le locataire du défaut ou de retard de restitution du dépôt de garantie et favoriser un règlement rapide des nombreux contentieux qui en découlent. En effet, sous l’empire de la loi ancienne, le solde du dépôt de garantie indûment conservé produisait intérêt au taux légal. Au regard de la faiblesse de celui-ci, cette sanction n’était guère dissuasive pour le bailleur qui tardait indûment à restituer les sommes dues à l’ancien locataire. Par cette réforme, le législateur espère tarir ce type de litige. En ce sens, une nouvelle disposition est envisagée. Selon un rapport récent23, la question du dépôt de garantie reste un « nœud de conflits » dans les relations locatives. Par contrainte d’une rétention injustifiée, certains locataires s’abstiennent de payer le dernier mois de loyer ; cette pratique se généraliserait. Il préconise en conséquence de confier le dépôt de garantie à un organisme agréé qui le conservera jusqu’à la fin de la location. Lors du dénouement du contrat, le montant sera versé au locataire ou au bailleur en accord avec les parties ou, en cas de conflit, conformément à la décision judiciaire rendue.

Enfin, le Conseil constitutionnel soulève que le montant de la réparation est en lien avec l’ampleur du préjudice dès lors que le montant du dépôt de garantie est fixé par référence au montant du loyer ainsi qu’avec la durée du préjudice.

Pour les mêmes raisons, ayant préalablement rappelé que le législateur peut apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des limitations justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi, il écarte le grief tiré de l’atteinte au droit de propriété. Si la mesure profite au locataire, la diminution du contentieux lié à cette question apparaît comme étant d’intérêt général.

Camille DREVEAU

Retour sur les « tests osseux » (Cons. const., 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC)

La décision n° 2018-768 QPC du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 était extrêmement attendue. L’enjeu était de taille, puisque le sort des jeunes migrants arrivant sur le territoire français dépend principalement de l’évaluation de leur âge, la minorité conditionnant en France le bénéfice d’une protection particulière. C’est cette question de la preuve de l’âge par le biais d’un examen radiographique osseux, extrêmement critiqué24 et dont la mise en œuvre posait de réelles difficultés, qui était au cœur du litige25 et de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la Cour de cassation par un jeune migrant guinéen, lequel cherchait à démontrer que l’article 388 du Code civil, prévoyant ces tests, était contraire à de nombreux droits et libertés garantis par la constitution. La Cour ayant accepté de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, ce dernier disposait d’une large palette afin de déterminer si les alinéas 2 et 3 de la disposition législative attaquée étaient conformes aux principes constitutionnels. Toutefois, les juges de la rue de Montpensier ont rendu une décision de « pure » conformité, validant ainsi la constitutionnalité de l’utilisation des tests osseux pour déterminer l’âge des jeunes migrants au regard des garanties présentées par la disposition législative.

Il faut tout d’abord reconnaître au Conseil constitutionnel un véritable effort d’explication du texte de loi, à l’aune d’une nouvelle exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, laquelle est reconnue de manière inédite et résulte des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946. Pour le Conseil, cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire bénéficient de la protection légale attachée à leur âge, dont il découle que les personnes mineures ne doivent pas être considérées indûment comme majeures. Or l’évaluation ensuite conduite en ce sens des garanties prévues par la disposition contestée est riche.

Sans doute conscients des difficultés d’application du texte26, les juges commencent par une sorte de rappel à l’ordre des autorités administratives et judiciaires, dont ils affirment à plusieurs reprises qu’elles doivent non seulement respecter les garanties prévues par la loi (§ 9 et 11) mais également les faire respecter (§ 12).

De plus, le Conseil ne se contente pas de simplement rappeler les garanties visées, il cherche à les expliquer, voire à les préciser. En ce sens, il affirme notamment que le recueil du consentement conduit à ne pas interpréter le refus de se soumettre à un tel examen comme un aveu de majorité (§ 10), ce qui ne figure pas dans la loi. Si une telle précision est opportune, au regard de la pratique des juridictions, l’on peut regretter que le Conseil ne la fasse pas bénéficier de l’autorité des réserves d’interprétation, sous-estimant semble-t-il l’importance attachée au refus de se soumettre à une expertise. En outre, les juges de la rue de Montpensier précisent que l’examen osseux ne pourra être ordonné qu’en tenant compte d’un avis médical qui déconseillerait cette expertise à raison des risques particuliers pour la personne concernée (§ 15), formule dont la clarté laisse à désirer et qui soulève la double question du caractère obligatoire de la demande de cet avis médical et du caractère conforme de ce dernier.

Néanmoins, ce rappel de la loi, même minutieux, ne paraît pas suffisant. Si les garanties prévues par l’article 388 du Code civil sont, aux yeux du Conseil constitutionnel, satisfaisantes pour que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures, l’on peut toutefois en douter.

C’est que le recours, en tant que tel, aux tests osseux est, en premier lieu, contestable. D’une part, l’absence de fiabilité de ces tests osseux aurait dû conduire à remettre en cause la disposition législative attaquée. L’inadaptation des tests utilisés27, ainsi que la marge d’erreur importante, souvent dénoncée28 et admise par le Conseil29, démontrent que la science n’est pas capable, par le biais de ces tests, de déterminer l’âge avec autant de certitude que nécessaire, compte tenu des enjeux pour le jeune migrant, et ce quelles que soient les garanties entourant ces tests. D’autre part, l’absence de réponse à une indication diagnostique ou thérapeutique de ces tests aurait dû conduire à poser de véritables questions d’éthique médicale. L’exposition à des risques d’irradiation et l’utilisation d’un procédé invasif sans finalité thérapeutique ou diagnostique mettaient en cause le droit à la protection de la santé et surtout le principe constitutionnel de dignité de la personne humaine. Si les tests ne sont pas gravement invasifs, ils restent dépourvus de toute finalité médicale et conduisent à se demander si le but recherché – contrôler les flux migratoires, lutter contre les fraudes à la minorité – justifie les moyens.

C’est que, en second lieu, les dispositions législatives contestées sont entachées d’une imprécision véritablement embarrassante. En effet, le recours à ces tests, le Conseil le rappelle, a un caractère subsidiaire et ne peut être ordonné que si l’intéressé n’a pas de « documents d’identité valables » et si l’âge qu’il allègue n’est pas « vraisemblable ». Ce qui n’empêche absolument pas que l’expertise osseuse soit entreprise alors que les documents d’identité étaient considérés comme valables et l’âge comme vraisemblable, donc en l’absence de doute raisonnable. Si l’application détournée ou abusive d’une loi ne permet pas son abrogation par le Conseil constitutionnel30, le problème est en réalité celui du texte lui-même : l’imprécision de ce double encadrement conduit à un recours presque systématique aux tests osseux, étant donné que ces derniers doivent être ordonnés en l’absence des conditions susvisées, ce qui aurait pu être limité par une réserve d’interprétation31. Au-delà, tant que ces deux éléments ne seront pas définis à l’aide de critères objectifs, le risque d’un recours croissant à l’expertise osseuse, dont on a l’impression faussée qu’elle apportera un résultat plus sûr, est inévitable.

Pauline PARINET-HODIMONT

Normalisation de la cour d’assises, another brick in the wall (Cons. const., 29 mars 2019, n° 2019-770 QPC)

Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, l’article 353 du Code de procédure pénale prévoyait : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : “Avez-vous une intime conviction ?” ». Le jury populaire, incarnation du souverain, n’avait pas à justifier de ses décisions, qu’elles se rapportent à la culpabilité ou à la peine. Le principe avait, certes, été corrompu par le législateur qui, par la « loi » du 25 novembre 194132, avait imposé la participation des magistrats professionnels au délibéré. Il est, depuis quelques années, anéanti progressivement au nom de la garantie effective des droits de l’accusé. La cour d’assises doit dorénavant motiver ses arrêts de condamnation et les peines qu’elle prononce33. La décision commentée poursuit cette normalisation. La réforme qu’elle implique se distinguera, cependant, des précédentes en ce qu’elle n’ajoutera pas à la contrainte du souverain mais lui offrira le moyen d’une décision mieux éclairée.

Le Conseil constitutionnel a été saisi par la chambre criminelle de la Cour de cassation34, à la requête d’un individu condamné par la cour d’assises de Mayotte. Elle a jugé nouvelle et présentant un caractère sérieux une question portant sur l’article 362 du Code de procédure pénale, estimant que, dès lors que le Conseil constitutionnel considère que la période de sûreté « présente un lien étroit avec la peine et l’appréciation par le juge des circonstances propres à l’espèce »35, l’absence de lecture, par le président de la cour d’assises, de l’article 132-23 du Code pénal « est susceptible de porter atteinte aux principes constitutionnels invoqués, en privant les jurés d’une information de nature à influer sur le choix de la peine ».

Cette analyse est approuvée par les Sages. Le Conseil rappelle36, d’abord, qu’il « ressort des articles 7, 8 et 9 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans la recherche des auteurs d’infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l’exécution des peines. Le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de cette déclaration, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce ». Après avoir rappelé, d’une part, le contenu des articles 362 du Code de procédure pénale et 132-23 du Code pénal et, d’autre part, que, dans sa décision du 26 octobre 2018, il a jugé que la période de sûreté obligatoire « ne méconnaît pas le principe d’individualisation des peines », il estime que « toutefois, lorsqu’une cour d’assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s’attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler ». Il en infère que « les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles » et censure « la première phrase du premier alinéa de l’article 362 du Code de procédure pénale »37. Il reporte, cependant, la date de l’abrogation des dispositions querellées au 31 mars 2020, car leur abrogation immédiate « aurait pour effet de priver les jurés de la garantie d’être informés de l’étendue des pouvoirs de la cour d’assises quant au choix de la peine [et] entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives » (§ 12).

Cette décision doit être approuvée. Le principe constitutionnel d’individualisation de la peine ne peut être effectif qu’autant que les jurés, qui constituent une majorité des membres de la cour d’assises, sont mis en mesure de connaître les implications de leurs votes38. Or, aux termes de l’article 132-23 du Code pénal, la période de sûreté s’applique de plein droit « en cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à 10 ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi ». À défaut d’information des jurés, il ne peut être considéré que la peine est « expressément prononcée »39, dès lors que ses drastiques modalités d’exécution ne sont pas connues des deux tiers, voire des trois quarts des membres de la juridiction qui statue. Cette solution est d’autant plus satisfaisante qu’elle efface la discutable présomption d’information du jury par le président de la cour d’assises, consacrée par la chambre criminelle40, et qu’elle oblige le législateur, à l’échéance du délai qui lui est imparti, à parfaire la cohérence de l’article 362 du Code de procédure pénale. Celui-ci atteste, en effet, que, s’agissant d’une question aussi grave que celle du prononcé d’une peine privative de liberté, le législateur a sagement écarté le principe nemo censitur en imposant au président la lecture, préalablement à la délibération sur la peine, des dispositions du Code pénal afférentes aux fonctions de la peine, au principe d’individualisation de celle-ci et à son prononcé en matière de réclusion criminelle. Les jurés devraient ainsi être mis en mesure d’apprécier pleinement les conséquences de la décision de la cour d’assises, mais aussi de connaître la possibilité offerte à cette dernière de moduler la durée de la période de sûreté de plein droit41. La décision permet de lever l’une des réserves suscitées par sa décision du 26 octobre 2018, puisque, lorsque le législateur aura complété l’article 362 du Code de procédure pénale, la cour d’assises qui prononcera une peine assortie d’une période de sûreté le fera indubitablement en conscience.

Par ailleurs, l’article 698-6 du Code de procédure pénale, évoquant en son 3° les dispositions de l’article 362, les présidents des cours d’assises spécialement composées42 devront donner lecture des dispositions de l’article 132-23 du Code pénal aux membres de la juridiction qui, s’ils sont tous magistrats professionnels, ne sont pas nécessairement spécialistes de droit pénal. Ce n’est donc pas leur faire offense que d’imaginer que cela pourra contribuer à la qualité de leurs décisions.

Reste qu’une auteure regrette que le Conseil constitutionnel n’ait pas profité de l’occasion qui lui était offerte pour imposer aussi l’extension à la période de sûreté de l’obligation de motiver la peine43.

Olivier CAHN

D’autres enseignements de la QPC Sarkozy (Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC)

Beaucoup de choses ont déjà été dites, y compris plus haut à l’endroit de la délimitation de la question et sa recevabilité, sur la QPC Sarkozy, par laquelle l’ancien président de la République prétendait échapper au tribunal correctionnel dans l’affaire Bygmalion, tribunal devant lequel il a depuis été renvoyé44. Toutes ces analyses sont complémentaires, que l’on ait montré la contribution de l’affaire à l’édification du droit électoral45 ou d’un droit constitutionnel disciplinaire46 ; rappelons à cet égard que, dans le cas du scrutin présidentiel, le juge de l’élection n’a jamais été habilité à punir par l’inéligibilité et qu’il n’en a, encore, pas été débattu lors de la préparation des lois du 2 décembre 2019. Après un bref rappel du raisonnement tenu dans la décision n° 2019-783 QPC du 17 mai 2019, ajoutons tout de même quelques remarques sur une autre thématique : celle des rapports entre droit constitutionnel et droit pénal, du point de vue constitutionnaliste.

L’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 habilite la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), sous le contrôle de pleine juridiction du Conseil constitutionnel, à obliger les candidats à verser au Trésor une « somme » égale au montant de leurs dépenses ayant dépassé le plafond autorisé47, en même temps qu’il renvoie au délit de dépassement du plafond (créé par la loi du 15 janvier 1990 et rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi organique du 10 mai 1990) prévu au 3° de l’article L. 113-1, paragraphe I, du Code électoral. S’il est donc incontestable, constitutionnellement parlant, que ces dispositions « tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique » (§ 11), la décision n° 2019-783 QPC n’en repousse pas moins le grief du non bis in idem – qu’elle traduit de manière constante par le principe de nécessité des peines, déduit de l’article 8 de la déclaration de 1789 – en cumulant deux objections : la nature différente d’une part des sanctions, « pénalité financière » d’un côté et « peine d’emprisonnement » de l’autre (§ 13), objection certes spécieuse en ce qu’elle passe sous silence la possibilité de deux véritables amendes ; et, d’autre part, de leurs justifications, c’est-à-dire des « intérêts sociaux » qu’elles protègent (§ 14), logique pénale de l’intentionnalité des faits d’un côté, logique électorale de la sincérité du scrutin de l’autre (§ 12).

Le critère ainsi mis en exergue de l’intérêt social d’une législation croisée, fondant des peines non pas complémentaires (comme par exemple en matière fiscale) mais tout aussi cumulables, s’affiche dans un procédé rhétorique qu’on pourra juger plus séduisant que convaincant, via l’opposition « égalité entre les candidats »/« probité des candidats » (§ 12). Malgré tout, l’idée du Conseil constitutionnel est simple au fond : la mauvaise foi mérite double peine et ces peines ne sauraient être assimilées48. D’ailleurs, si l’amende civique arrêtée par le juge électoral se présente comme une punition automatique, son montant, par hypothèse individualisé, en aura été arrêté par le délinquant lui-même puisqu’il correspondra au montant de ses propres dépenses : le Conseil constitutionnel admet à nouveau ici, implicitement, sa constitutionnalité. Et ce alors même que, contrairement à la répression pénale mais comme pour la répression financière de la gestion de fait, le quantum de cette peine est plafonné non par la loi mais par le niveau des sommes indûment manipulées49.

On ne soulignera jamais trop que la démarche du Conseil constitutionnel s’affiche proprement déductive. Il projette un concept, le plus universel possible, comme ici le « bon déroulement » de l’élection du président de la République – élection dont les juges ont par ailleurs plusieurs fois pointé la « nature particulière » – ou, surtout, « la probité des candidats et des élus » (et, notons-le, pas seulement « des candidats »), pour en faire des canons ou des standards « constitutionnels ». Il ne s’arrête évidemment pas aux qualifications pénales, dès lors qu’elles ne sont par hypothèse que législatives, au sens d’« infra-constitutionnelles », et répondent nécessairement au principe de la légalité dont est induit le précepte de l’interprétation stricte. Ce n’est donc pas le Code pénal qu’il faut lire à travers la décision n° 2019-783 QPC : ainsi, peu importe, en particulier, que le Code pénal ne fasse en effet50 pas figurer le délit de l’article L. 113-1, 3°, du Code électoral dans la liste de ses « manquements au devoir de probité », c’est-à-dire ses articles 432-10 à 432-16 ; les « manquements à la probité » n’ont tout simplement pas le même sens devant le Conseil constitutionnel et devant le tribunal correctionnel. De la même manière, il est tout à fait légitime de défendre à l’instar de Jean-Marie Brigant – que la QPC n° 2019-783 n’a pas plus convaincu que d’autres auteurs pénalistes et qui souligne, en forme d’espérance, que la question pourrait revenir rue de Montpensier en vertu de la double inéligibilité prévue depuis 2017 par les articles L. 118-3 du Code électoral et L. 131-26-2, 11°, du Code pénal – le critère de la sévérité en matière d’identité de sanctions ; notamment, en l’espèce, pour conclure (après avoir mis en balance l’année d’emprisonnement et les 360 000 € de punition de juillet 2013) : « Difficile donc d’y voir des sanctions de nature différente »51. Pourtant, là encore, il est logique de raisonner au regard du droit politique : ici, ce n’est pas le poids de la peine qui compte, c’est le poids du symbole.

Les rapports entre les sphères constitutionnelle et pénale s’inscrivent également dans un autre registre que l’affaire des comptes de l’élection présidentielle de 2012 souligne en creux. Les sanctions infligées au candidat Sarkozy sont en effet postérieures à son départ de l’Élysée. Mais que se passerait-il si, un jour, y était élue une personne dont on aurait très vite la certitude qu’elle a acquis son succès grâce à un financement (y compris par exemple d’origine étrangère) outrageusement excessif ? L’article 67, alinéa 2, de la Constitution empêcherait non seulement toute instruction pénale mais serait sans doute compris comme bloquant également la CNCCFP. On ne peut que souligner l’absurdité civique et l’impasse normative à laquelle conduit l’idée d’injusticiabilité du président de la République durant l’exercice de son mandat : c’est bien dans, c’est-à-dire pour, l’exercice de son mandat qu’elle peut être défendue et non point, selon le distinguo que l’on enseignait jusqu’à la fin des années 1990, pour les actes commis en dehors de l’exercice du mandat. Sans doute cela suppose-t-il parfois une délicate qualification juridique des faits. Mais il est clair, et la décision du 17 mai 2019 ne fait sur ce point que confirmer implicitement la décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013, que les actes du candidat sont, par définition, extérieurs au mandat présidentiel : tout repose sur cette dichotomie démocratique. Alors, l’irresponsabilité présidentielle (car il s’agit bien de cela, en vérité) figée par l’article 67 ne devrait-elle pas, comme l’avait proposé le président Hollande, être au moins limitée à la responsabilité pénale stricto sensu ? La mécanique des articles 67 et 68 actuels, issus de la révision de 2007, avec ces incroyables destitutions à la majorité des deux tiers (quand la commission Avril avait en 2002 préconisé une majorité simple) et autres suspensions quinquennales des poursuites, n’est pas plus satisfaisante que celle des articles 68 et 67 originels. À défaut d’une nouvelle loi constitutionnelle, le juge pourrait, il est vrai, interpréter le texte comme préservant la possible mise en jeu de la responsabilité financière du candidat, qu’on la dise électorale ou civique. Sans doute hélas ! n’y a-t-il cependant pas grand-chose à espérer de ce côté-ci… puisqu’il provient justement du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Pierre MOUZET

B – Les QPC transmises par le Conseil d’État

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 12 juin 2012, n° 12-90024 ; Cass. crim., 7 janv. 2014, n° 13-90029 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 13-87112.
  • 2.
    CEDH, 16 mai 2019, n° 66554/14, Halabi c/ France.
  • 3.
    Qualification approuvée par Cass. crim., 7 mai 2019, n° 18-82903, D.
  • 4.
    Cass. crim., 16 oct. 2018, n° 18-82903, PB.
  • 5.
    Videlin J.-C., « Les gendarmes protégés par le Conseil constitutionnel », RFDA 2019, n° 4, p. 756.
  • 6.
    Cons. const., 27 févr. 2015, n° 2014-450 QPC ; Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-461 QPC.
  • 7.
    CSI, art. L. 421-2.
  • 8.
    CSI, art. R. 431-6.
  • 9.
    CSI, art. L. 435-1.
  • 10.
    CPP, art. 697-1 ; Herran T., « L’impact de la loi relative à la sécurité publique sur la distinction entre la police judiciaire et la police administrative », AJ pénal 2017, p. 472-474.
  • 11.
    CSI, art. L. 214-1.
  • 12.
    Videlin J.-C., « Les gendarmes protégés par le Conseil constitutionnel », RFDA 2019, p. 761.
  • 13.
    L. n° 2014-535, 27 mai 2014, portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
  • 14.
    Cons. const., 18 nov. 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC.
  • 15.
    L. n° 2011-392, 14 avr. 2011, relative à la garde à vue.
  • 16.
    Chapleau B., « L’audition libre des mineurs à l’aune de la loi du 27 mai 2014 », D. 2014, p. 1506 ; Pellé S., « Garde à vue : la réforme de la réforme (acte I) », D. 2014, p. 1508.
  • 17.
    Cass. crim., 25 oct. 2000, n° 00-84726 : Bull. crim., n° 315 – Cass. crim., 6 nov. 2013, n° 13-84320 : Bull. crim., n° 320.
  • 18.
    Cass. crim., 27 nov. 2018, n° 18-90026.
  • 19.
    Formule critiquée par Bonfils P., « Loi de programmation et de réforme de la justice – Droit pénal des mineurs et de la famille », Dr. famille 2019, dossier 17, spéc. n° 8.
  • 20.
    V. en ce sens également : Tellier-Cayrol V., « Audition libre et garde à vue des personnes vulnérables : deux pas en avant, un pas en arrière », Gaz. Pal. 3 sept. 2019, n° 358r0, p. 66.
  • 21.
    Comp. à propos de l’intérêt légal majoré de l’article L. 411-74 du Code rural et de la pêche maritime, Cass. 3e civ., 7 déc. 2017, n° 17-40055 : Dalloz actualité 2018, obs. Prigent S. ; également, à propos du supplément de loyer, Cass. 3e civ., 6 févr. 2013 : D. 2013, p. 435 ; AJDI 2014, p. 500, obs. Zitouni F.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 18 févr. 2014, n° 12-28678 : Loyers et copr. 2014, comm. 106, obs. Vial-Pedroletti B. – Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26986 : D. 2018, p. 2232 ; Dalloz actualité, 10 déc. 2018, obs. Ghiglino M.
  • 23.
    Nogal M., Louer en confiance, 37 propositions pour un développement équilibré et conforme à l’intérêt général du parc locatif privé, Rapport au Premier ministre, juin 2019.
  • 24.
    Différentes instances nationales, européennes et internationales se sont résolument opposées à ces tests.
  • 25.
    Un jeune migrant guinéen, arrivé en France en 2016, affirmait avoir 16 ans, ce que différents documents produits attestaient et que l’évaluation sociale dont il a fait l’objet confirmait. Mais, lorsqu’il a refusé de se soumettre à un test osseux, le juge des enfants a levé la prise en charge dont il bénéficiait par l’ASE. Le juge en ayant déduit qu’il n’était pas mineur, il a consenti en appel à de tels examens, lesquels ont établi sa majorité.
  • 26.
    Notamment, certains juges judiciaires, et c’est le cas en l’espèce, ont tendance à ordonner un examen osseux alors que l’entretien et l’évaluation des documents d’état civil de l’intéressé vont dans le sens de sa minorité, malgré le fait que le recours aux tests osseux est en principe subsidiaire.
  • 27.
    Pour l’essentiel, les méthodes utilisées n’avaient pas été conçues pour déterminer l’âge, et elles avaient été élaborées au début du XXe siècle à partir des caractéristiques morphologiques d’une population nord-américaine, ce qui ne correspond pas à la majorité des migrants actuels.
  • 28.
    De nombreuses études montrent que la détermination de l’âge d’un adolescent est imprécise, en particulier lorsqu’il est proche de la majorité.
  • 29.
    Le Conseil constitutionnel admet l’existence d’une « marge d’erreur significative » s’agissant des résultats de ce type d’examen en l’état des connaissances scientifiques (§ 7).
  • 30.
    Par ex. : Cons. const., 25 mai 2018, n° 2018-707 QPC.
  • 31.
    En indiquant clairement que l’article 388 du Code civil interdit tout recours à ces tests lorsque l’évaluation de l’adolescent et l’expertise documentaire ont conclu à sa minorité.
  • 32.
    Validée par ord. n° 45-764, 20 avr. 1945.
  • 33.
    CPP, art. 353, mod. par L. n° 2011-939, 10 août 2011, et CPP, art. 365-1, mod. par L. n° 2019-222, 23 mars 2019. V. CEDH, 10 janv. 2013, nos 61198/08, 30010/10 et 44446/10 ; Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC.
  • 34.
    Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 18-90030, D.
  • 35.
    Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC : D. 2019, p. 1248, obs. Debaets E. et Jacquinot N.
  • 36.
    Cons. const., 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC : D. 2011, p. 1154, obs. Mastor W. et de Lamy B. ; D. 2011, p. 1156, obs. Perrier J.-B. – Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC : RSC 2018, p. 981, obs. de Lamy B. – Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC.
  • 37.
    § 5 à 10. Le commentaire officiel précise que « le Conseil constitutionnel a jugé que les exigences imposant au législateur de proscrire le risque d’arbitraire dans le prononcé de la peine et le principe d’individualisation des peines imposaient qu’il garantisse que cette information soit délivrée aux jurés de façon certaine ».
  • 38.
    V. mutatis mutandis, Cons. const., 4 août 2011, n° 2011-635 DC, § 12.
  • 39.
    V. aussi, C. pén., art. 132-22.
  • 40.
    Cass. crim., 15 mars 2017, n° 16-81776, PB. Peltier V., « Abrogation partielle de l’article 362 du Code de procédure pénale », Dr. pén. 2019, n° 5, p. 54. Cette présomption était d’autant plus contestable que l’article 362 prévoit, en son premier alinéa, que la cour d’assises doit statuer « sans désemparer sur l’application de la peine » en cas de réponse affirmative sur la culpabilité et que cette disposition est considérée comme d’ordre public par la chambre criminelle (Cass. crim., 20 oct. 1993 : Bull. crim., n° 300).
  • 41.
    C. pén., art. 132-23, al. 2.
  • 42.
    Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art. 20 ; CPP, art. 702 ; CPP, art. 706-25 ; CPP, art. 706-27 et CPP, art. 706-174.
  • 43.
    Grégoire L., « Information des jurés sur la période de sûreté : la présomption ne suffit plus ! », AJ pénal 2019, p. 391.
  • 44.
    Cass. crim., 1er oct. 2019, n° 18-86428.
  • 45.
    Rambaud R., « Le principe non bis in idem en droit électoral », AJDA 2019, p. 1653.
  • 46.
    Mouzet P., « Le cumul des responsabilités pénale et financière du candidat à l’élection présidentielle », LPA 19 sept. 2019, n° 147c4, p. 6-15 ; adde Mouzet P., « La responsabilité : le droit constitutionnel disciplinaire », in La Constitution de la Ve République – 60 ans d’application, Blachèr P. (dir.), 2018, LGDJ, p. 263-277.
  • 47.
    On se souvient évidemment de la décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013.
  • 48.
    En ce sens, v. déjà CEDH, 21 oct. 1997, n° 120/1996/732/938, Pierre-Bloch c/ France.
  • 49.
    Malgré, donc, la barrière ici répétée (§ 9) : « Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ».
  • 50.
    Brigant J.-M., « Cumul répressif en cas de dépassement du plafond des dépenses de campagne présidentielle, ou la (nouvelle) défaite du non bis in idem », JCP G 2019, 1358, spéc. n° 28.
  • 51.
    JCP G 2019, 1359.
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