Détournement de biens et élus. La notion de détournement de biens est-elle adaptée aux relations salariales entre un parlementaire et ses collaborateurs ?
La simple comparaison des dispositions du Code pénal figurant au livre IV « Crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix publique », titre III « Atteintes à l’autorité de l’État », chapitre II « Atteintes à l’autorité publique » laisse à penser que l’infraction de détournement de biens ne s’applique pas aux personnes investies d’un mandat électif public, mais seulement aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public.
Ce chapitre énumère en effet douze infractions en définissant à chaque fois les personnes auxquelles elles s’appliquent dans des termes précis et distincts.
Pour trois d’entre elles, l’énumération est la plus longue : personnes dépositaires de l’autorité publique, ou chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public : ce sont les infractions des articles 432-3 usurpation de mandat, 432-11 corruption passive, 432-17 prise illégale d’intérêt.
En revanche, pour l’une, échec à la loi, sanctionnée à l’article 432-1, seule la première qualité est visée : dépositaires de l’autorité publique. Mais surtout, pour les huit autres, l’énumération ne reprend que les deux premières qualités, mais pas la troisième. Or il se trouve que c’est le cas de l’infraction de détournement de biens publics ou privés qui ont été remis à une personne en raison de ses fonctions figurant à l’article 432-15 qui prend seulement soin d’y ajouter les comptables publics. Un raisonnement classique conduit à conclure que le législateur n’a pas entendu inclure les élus dans le champ d’application de cette infraction, sauf bien entendu s’ils se trouvent en outre, comme par exemple, les maires, dépositaires de l’autorité publique (pouvoir de police) ou chargés d’une mission de service public (état civil).
Qu’en est-il des députés pour ce qui est des fonds qui leur sont remis pour indemniser des collaborateurs ? Ces fonds leur ont été incontestablement remis en raison de leurs fonctions et contrairement à ce qu’on lit parfois, peu importe qu’ils soient publics ou privés. Les utiliser pour une autre fin que celle pour laquelle ils les ont reçus constitue certainement un « détournement » au sens de l’article 432-15. Mais il n’a jamais été affirmé qu’en tant que parlementaires pris isolément, ils étaient dépositaires d’une autorité publique telle qu’un pouvoir de police.
Reste l’autre critère, « investi d’une mission de service public ». Les juges auront à déterminer si, en embauchant des personnes pour les aider dans l’exercice de leur mandat, les parlementaires sont investis d’une mission de service public.
Le bon sens, voire la révérence pour la représentation nationale, pourraient conduire à aller dans ce sens. Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, comme la nature de droit privé du contrat qui lie le parlementaire et ses collaborateurs, justement rappelé par les professeurs Pierre Avril et Jean Gicquel paraissent aller dans le sens inverse, comme le fait qu’on ne peut appliquer à cette pratique la théorie de l’acte détachable qui permet, bien évidemment, de sanctionner un parlementaire coupable de fraude fiscale ou d’autres infractions de droit commun.