De la responsabilité et de la protection des élus

Publié le 16/03/2022

Les agressions physiques ou verbales contre les élus sont en augmentation. Mais quelles sont exactement leurs responsabilités sur le terrain juridique, et quelle protection leur est due ? On fait le point avec Raphaël Piastra, Maitre de Conférences -HDR en droit public à l’Université Clermont Auvergne, Consultant pour collectivités territoriales et institutions publiques.

De la responsabilité et de la protection des élus
Photo : ©AdobeStock/Iorabarra

Lors du dernier congrès de l’Association des Maires de France le 18 novembre 2021 à Versailles, le président Macron a notamment évoqué la responsabilité fonctionnelle des maires.  « Nous ne devons rien céder ».  Emmanuel Macron a promis d’être « intraitable (…) face au retour, à l’augmentation de la violence » envers les élus et particulièrement les maires, dépositaires de l’autorité publique. Le chef de l’Etat a estimé que « la réaction doit être immédiate et la sanction décisive », ajoutant que « ce n’est pas de la solidarité, c’est du devoir » (1).

Les agressions physiques ou verbales dont sont l’objet nos édiles municipaux ont beaucoup augmenté ces dix dernières années. Et encore plus durant la crise sanitaire. C’est aussi l’une des manifestations de la forte croissance des  atteintes à l’intégrité physique aux personnes (2). Certains ne font plus la différence entre un élu et un simple citoyen quand ils estiment, bêtement, devoir se « faire justice ». Mais l’aspect pénal n’est, si l’on ose dire, qu’un des aspects des multiples responsabilités que doivent endurer, nos élus locaux. Il faut aussi rajouter les députés qui, avec le vote des lois Covid, sont devenus de nouvelles cibles (3).

Le maire est à la jonction de tout ce sur quoi repose le fonctionnement d’une commune. D’abord parce qu’il incarne l’exécutif de la commune. Ainsi il est chargé de l’exécution des décisions du conseil municipal et agit sous contrôle de ce-dernier. Il représente la commune en justice, passe les marchés, signe des contrats, prépare le budget, gère le patrimoine communal. De même, il exerce des compétences déléguées par le conseil municipal et doit alors lui rendre compte de ses actes. Les délégations portent sur des domaines très divers (affectation des propriétés communales, réalisation des emprunts, création de classes dans les écoles, action en justice, marchés publics…) et sont révocables à tout moment.

La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales autorise le maire à subdéléguer, à un adjoint ou un conseiller municipal, les attributions qui lui ont été confiées par délégation (4). Le maire est titulaire de pouvoirs propres (il les exerce seul). C’est là qu’il est certainement le plus exposé. Ainsi en matière de police administrative, il est chargé de maintenir l’ordre public, défini dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) comme le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Il s’agit également de polices spéciales (baignade, circulation…). On y reviendra par la suite.

Il ne faut pas omettre que le maire est aussi agent de l’Etat. Il a ici une sorte de double tutelle. Ainsi sous l’autorité du Préfet, il agit dans trois domaines : publication des lois et règlements, organisation des élections, légalisation des signatures. Sous l’autorité du Procureur de la République, le maire exerce des fonctions d’ordre essentiellement judiciaire : officier de police judiciaire.  En tant qu’officier d’état civil le maire est responsable des actes de l’état civil, de la tenue et de la conservation des registres. En matière de police, celle-ci est essentiellement administrative (5).

On le note, le maire en raison des pouvoirs qu’il exerce, est particulièrement exposé. De plus en plus même. Dès lors, à l’heure de se représenter en 2020 beaucoup se sont interrogés. Mandat lourd à porter, manque de temps, ou surtout, de moyens, faible considération des administrés : les raisons avancées par les maires pour renoncer (à y retourner le plus souvent) sont multiples. A quatre mois des élections municipales de mars 2020, un peu moins de la moitié (48,7 %) des maires souhaitaient se représenter, 23 % restaient indécis et 28,3 % disaient vouloir abandonner (6). Il s’avère aussi que depuis les municipales de 2014, un certain nombre avait démissionné en cours de mandat. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron (sans relation de cause à effet toutefois), ils ont été 386 à démissionner, un chiffre record. Cette tendance a vraiment commencé en 2014.

Sur la période 2014-2018 : 1021 élus à l’écharpe tricolore ont démissionné. Ils n’étaient que 535 pour la même période lors de la précédente mandature (soit 2008-2012). De son côté Le Figaro note que sur les 1021 démissions de ces quatre dernières années, 887 concernaient les maires de communes de moins de 2 000 habitants qui sont parmi les plus exposés (7).

Quant au député, voire au sénateur, il n’exerce pas, bien sûr, les mêmes fonctions que les maires. Celle qui l’expose le plus depuis ces derniers mois, c’est le vote de la loi, tout particulièrement s’agissant des textes liés au passe sanitaire et au passe vaccinal. Puisque de Covid il s’agit, les maires ont eu à faire face à des obligations particulières et parfois inattendues.

Les principaux cas de responsabilité des élus

Les conditions d’engagement de la responsabilité du maire relèvent du droit commun de la responsabilité des personnes publiques. A ce titre, lorsque le maire commet une faute de service, il engage la responsabilité de l’institution pour laquelle il agit. Dans son cas il peut s’agir soit de la commune, soit de l’Etat. Quant il commet une faute détachable de ses missions, il engage sa responsabilité personnelle. Les responsabilités engagées peuvent être : civile, administrative, pénale, disciplinaire, financière, politique (8).

*La responsabilité civile

Elle peut être engagée soit à l’encontre du maire en cas de faute personnelle, soit à l’encontre de la collectivité ou de l’Etat dans les domaines où la jurisprudence ou la loi prévoit la compétence du juge judiciaire (droit de propriété, libertés individuelles, dommages causés par les attroupements…).

*La responsabilité pénale

Les maires sont responsables, comme tous les citoyens, pour la commission, la complicité ou la tentative d’un crime ou d’un délit (depuis la loi du 4 janvier 1993 ayant réformé le Code de Procédure Pénale ils ne bénéficient plus du « privilège de juridiction » : le fait de ne pas être jugé dans le ressort de leur circonscription d’élection).

La loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 dite loi « Fauchon », a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des élus. Lorsqu’ils sont mis en cause, les élus locaux le sont le plus souvent pour des infractions non intentionnelles, soit parce qu’ils ont concouru à créer la situation à l’origine du dommage en usant de leur pouvoir d’administrateur ou d’organisateur, soit parce qu’ils n’ont pas pris les mesures qui auraient permis de prévenir le dommage.

Les principaux délits non intentionnels entrant dans le champ d’application de cette loi sont :  l’homicide et blessures involontaires ; la mise en danger d’autrui ; les atteintes à l’environnement.  En matière de risque naturel, l’examen du juge pénal est analogue à celui du juge administratif ; il porte sur les circonstances de l’espèce à l’origine du dommage, sur les circonstances concrètes et sur les diligences accomplies par le prévenu. Par exemple, un maire qui octroie un permis de construire pour une habitation située en contrebas d’une falaise de laquelle des blocs sont susceptibles de se détacher commet une faute de nature à engager sa responsabilité pénale sur le fondement de l’article L.121-3 du Code pénal. Il est donc légitime à refuser le permis sur le fondement du principe de prévention des risques (9).

C’est en matière de marchés publics qu’il y a encore, malgré les efforts du législateur, le plus de dérives et, disons-le, de corruption. Les communes et l’intercommunalité en sont les scènes principales.  Les règles sont fixées aux articles 432-10 à 432-14 du Code Pénal. C’est d’abord le délit de favoritisme. C’est le fait, notamment pour un élu, de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Le délit de favoritisme est sanctionné par deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. C’est ensuite l’avantage injustifié qui peut prendre la forme d’un acte matériel, administratif ou juridique (information privilégiée, publicité réduite du marché, clause technique « sur mesure ») constitutif d’une rupture du principe d’égalité devant la commande publique. Cet avantage injustifié doit être procuré par un acte irrégulier qui peut être un acte volontaire. Il existe dans ce cas une intention frauduleuse. L’intention se déduit du manquement que l’auteur n’a pu ignorer et qui permet de dire qu’il a agi en pleine connaissance de cause (10). C’est enfin la prise illégale d’intérêt.  C’est le fait, pour une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (11). A noter que les alinéas 2 à 5 de l’article 432-12 du code pénal prévoient des dérogations pour les communes de 3 500 habitants au plus. Pour l’essentiel les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros.

Rappelons que le pouvoir de police générale oblige le maire à assurer le bon ordre, la sécurité, et la tranquillité publique et la salubrité publique. Le manquement à ces obligations peut avoir des conséquences désastreuses, tant humaines que pénales. Précisons qu’en matière de sécurité, dès qu’il y a une police nationale, c’est le préfet qui œuvre. Avec le relais éventuel de la police municipale dirigée (armée ou pas) par le maire.

Dans le cadre de blessures involontaires, il y a par exemple le cas d’un enfant qui se blesse sur une aire de jeux à cause d’un jeu défectueux. Que le jeu soit usé ou mal entretenu, c’est de la responsabilité du maire qui sera pénalement responsable.  Même si ce dernier ne peut être sur chaque aire de sa commune, ses services doivent effectuer le plus régulièrement possible les vérifications adéquates.

*La responsabilité administrative

En matière de police administrative, le maire est chargé de maintenir l’ordre public, défini dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) comme le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Il s’agit également de polices spéciales (baignade, circulation…). On note que dans la majorité des villes où il existe une police municipale, et face à la montée de l’insécurité, elle a vu ses moyens humains et matériels augmenter. De même les synergies avec la police nationale se sont assez nettement améliorées. La municipale jouant dans la plupart des cas le rôle de la police de proximité, inopportunément supprimée par Nicolas Sarkozy.

La loi engagement et proximité du 27 décembre 2019 renforce les pouvoirs de police des maires (12). Les maires peuvent imposer des astreintes financières en cas de non-respect d’une décision de fermeture d’un établissement recevant du public ou pour la mise en conformité de constructions irrégulières. Un conseil des maires peut être institué au sein des intercommunalités. De même la protection juridique des maires devient un droit pour tous. Un dispositif d’assurance est créé et il est obligatoire (13).

La responsabilité administrative ne peut être engagée que contre l’Etat ou la commune en cas de dommage causé dans l’accomplissement de leurs prérogatives de puissances publiques. Il n’existe donc pas de responsabilité administrative directe du maire ; ses actes engagent la responsabilité de l’institution pour laquelle il agit. Il est un exemple que nous avons connu pour la ville de Clermont-Ferrand. En 2006, une jeune fille avait été grièvement blessée en jouant dans une fontaine de la célèbre place de Jaude avec le jet dit de la « fontaine majestueuse », capable d’atteindre 23 mètres. Les parents ont donc mis en cause la mairie alors présidée par Serge Godard. Dans un premier temps, le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand avait minoré la responsabilité de la ville au détriment de celle de la fillette en argumentant qu’il y avait eu une imprudence et un défaut de surveillance de la part des parents face au risque indiqué aux abords de la fontaine.  La Cour Administrative d’Appel de Lyon a, heureusement, rétabli le droit en inversant en quelquelque sorte le sens des responsabilités (14).

Les mises en cause de la responsabilité administratives de communes sont de plus en plus nombreuses.  D’abord parce que les gens sont devenus de plus en plus procéduriers à des fins le plus souvent mercantiles, il faut bien le constater. C’est ce qu’on appelle « l’américanisation » de la société. Ce n’est pas la meilleure inspiration qui soit…. Ensuite, notamment depuis les municpales de 2020, il y a à la tête de certaines (grandes) mairies des édiles (Vert par exemple)  inexpérimentés en particulier quant à certaines responsabilités qui leur incombent.  Ainsi le maire de Tours , Emmanuel Denis (EELV), qui à peine élu ferme le principal pont de la ville (Wilson) aux voitures au risque de provoquer embouteillages monstres, pollution et accidents sur les quais. Ou bien encore qui, au risque de se retrouver censuré par le juge administratif, suspend plusieurs grand chantiers impulsés par son prédecesseur comme le réaménagement des portes de Loire ou des Halles.

La crise Covid représente aussi une parfaite illustration de la responsabilité administrative des maires.   Il s’agit, on ne le dit pas assez souvent, d’une question de santé publique. Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, les juridictions administratives ont considérablement réduit la marge de manœuvre des maires qui souhaitaient réglementer les déplacements sur le territoire de leur commune (couvre-feu, port du masque obligatoire etc.), dans le cadre de leur pouvoir de police générale.  Dans une ordonnance du 15 avril 2020 (commune de Sceaux, n°440057), le Conseil d’Etat a ainsi fortement limité les pouvoirs des édiles en imposant, au nom de la cohérence nationale, que ces pouvoirs ne s’en tiennent qu’aux seules mesures décidées par l’Etat. Le Conseil d’Etat a ainsi entériné une approche centralisée de la politique sanitaire de lutte contre l’épidémie. Malgré cela, dans le cadre du déconfinement amorcé le 11 mai 2021, les maires sont placés en première ligne dès lors que le gouvernement a indiqué qu’il leur appartenait de décider de la réouverture des écoles.

Si le pouvoir de police spéciale en matière d’épidémie et dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire relève de la compétence de l’Etat, on ne peut toutefois exclure que la responsabilité d’une commune soit recherchée dans l’hypothèse où les mesures prises localement seraient jugées insuffisantes et auraient favorisé des contaminations. Il peut y avoir une possible responsabilité pour faute au regard de l’obligation de sécurité. En cas de contamination d’un élève (écoles communales) ou d’un agent communal, la ville pourra voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la faute, en cas de méconnaissance de son obligation de sécurité. C’est au juge administratif de toute façon de séparer le bon grain de l’ivraie. Et les contentieux sont légion depuis le début de cette pandémie.

Cette obligation de sécurité pèse sur la commune aussi bien vis-à-vis des élèves que des personnels communaux (15).  Il s’avère que le respect de cette obligation de sécurité sera notamment examinée au regard des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Et le maire est au cœur des dispositifs notamment quant aux écoles primaires et aux crèches.

Avec la gestion notamment des bus municipaux, des trams voire des métros, les maires sont encore plus exposés. Notamment du fait de la mise en place des mesures d’hygiène et des gestes barrière à faire respecter.

Toutes ces responsabilités ne sauraient occulter la protection dont doivent bénéficier les élus. Trop d’entre eux sont mis en cause ces derniers temps. Toucher un élu de la République, c’est toucher la République toute entière. L’Etat se doit de réagir.

 

La protection dont doivent bénéficier les élus

On envisagera les maires, principaux concernés, puis les parlementaires.

*Les maires

Ils sont devenus les élus les plus menacés et agressés.

La France compte plus de 36 000 communes mais toutes n’ont pas un édile à leur tête.  L’AMF en a dénombré 35 086 en 2018.

On l’a dit plus haut, les élus et principalement les maires sont de plus en plus la cible de d’infractions. Incivilités, insultes, agressions physiques… Les premiers magistrats subissent de plus en plus de violences. Un climat de tension aggravé par la crise sanitaire. Depuis le 12 mars 2020, de nombreux maires ont signé des arrêtés de police municipale dans le but de renforcer ou de compléter les mesures prises par le Gouvernement pour prévenir et limiter les effets de l’épidémie de Covid-19. Ainsi une police spéciale de l’urgence sanitaire – avant ou après déclaration de l’état d’urgence sanitaire – a été confiée au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et au préfet. Que les maires doivent relayer sans véritable marge d’appréciation, tout en agissant de façon justifiée et proportionnée. Et dans le respect, bien sûr, de la légalité (16).

Le bilan 2021 n’est pas encore définitif, mais il fait déjà froid dans le dos.

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 1 186 élus ont été victimes d’agressions entre janvier et novembre, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints. Soit une hausse de 47 % en un an. Et rien qu’au cours des trois derniers mois, l’Assemblée nationale a comptabilisé plus de 800 signalements pour menaces, visant 430 députés. Dans le même temps, les incivilités semblent plus ciblées puisque 68 domiciles d’élus et 63 véhicules privés ont été visés alors que les atteintes physiques affichent une progression de 23 %. Cela représente 505 maires ou adjoints et 60 parlementaires agressés. Bien entendu sur les quelques 36 000 communes que compte notre pays, on peut dire au nom du verre à moitié vide, à moitié plein, que c’est « peu ». Mais c’est déjà trop. Sans compter que c’est allé jusqu’au crime. Ainsi Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, commune de 2 600 habitants située dans le Var, est mort lundi 5 août 2019, renversé par une camionnette de maçons dont il voulait verbaliser les occupants. Sa « faute » ? Leur avoir préalablement demandé de ramasser des gravats qu’ils avaient illégalement déversés. Tué dans l’exercice de sa fonction…. Ce n’est qu’en octobre 2021 que la justice a (enfin) renvoyé l’agresseur devant le tribunal correctionnel de Toulon. On ne peut que déplorer ici la lenteur judiciaire. Il est incontestable que cette dernière participe aussi du sentiment de peur de certains élus (ainsi que celle  d’être encore  agressé, que les auteurs ne soient pas trouvés voire pas  ou peu condamnés). Soulignons que la justice française est une des plus lentes des pays de l’UE (17). Toutefois pour avoir agressé le député Larem , Romain Grau, en marge d’une manifestation anti pass vax, trois hommes ont été condamnés à des peines de 12 à 18 mois par le tribunal judiciaire de Perpignan le 31 janvier dernier. Cette sévérité ne peut être que saluée et on ne peut qu’encourager les juges à aller dorénavant en ce sens. Nos maires ne sont pas les punchingballs de la République.

Lors de son récent congrès et dans le sillage de son nouveau président, le maire de Cannes David Lisnard, l’Association des maires de France (AMF) a indiqué qu’elle souhaitait obtenir la possibilité de se porter partie civile dans les dossiers  d’agression d’élus. « Le constat est aujourd’hui indéniable : il y a une augmentation des agressions contre les maires ou leurs adjoints, qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques » a estimé l’édile cannois. Et de rajouter « pour renforcer la capacité des procédures afin qu’elles aillent jusqu’au bout, je souhaite que l’on modifie le code de procédure pénale pour permettre à l’AMF de pouvoir se constituer partie civile ». Ce qui ne devrait pas poser problème puisque les associations départementales le peuvent. Il explique avoir saisi MM. Darmanin et Dupond-Moretti à cet effet (18).

Dans le même sens, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand a décidé de réunir, le mardi 11 janvier dernier, les ministres de l’Intérieur et de la Justice, pour travailler sur les violences contre les députés. Cette réunion devait permettre de faire un point sur le nombre de cas recensés, sur les enquêtes mises en œuvre et sur la réponse judiciaire qui a le cas échéant été apportée. Rien n’a vraiment filtré de cette réunion. Qui fut avant tout symbolique selon nous.

De son côté, le président Emmanuel Macron, lors d’un déplacement à Nice, a dénoncé l’agression « inacceptable » et « intolérable » du député Stéphane Claireaux, pris à partie dimanche 9 janvier dernier devant son domicile de Saint-Pierre-et-Miquelon par des militants anti-passe vaccinal. (19).

A la fin de l’automne, un plan a été annoncé pour mieux protéger nos élus. Avec la surcharge du travail parlementaire et la présidentielle, tout porte à croire que ce sera un vœu pieux. Cela étant, il y a dans notre arsenal pénal, tous les outils pour réprimer les atteintes aux élus. Nul besoin d’en rajouter selon nous. Les mettre en œuvre est, au-delà d’une volonté politique, aussi une question de volonté judiciaire. Toute la chaine pénale doit être mobilisée. Mesdames et Messieurs les juges, il faudrait que le jugement de Perpignan fasse jurisprudence ! Faut-il attendre d’autre drames ?

*Les parlementaires

Puisque l’on évoque les agressions faites aux élus, soulignons que c’est d’abord depuis la crise des gilets jaunes que des élus et notamment des députés ont aussi été mis en cause. Notamment ceux de LREM, incarnant en quelque sorte la politique de l’exécutif.  Ils ont été agressés, soit à leur permanence, soit à leur domicile. Plus récemment la députée LREM Coralie Dubost a été physiquement attaquée à Paris avec son compagnon. En décembre dernier, le député MoDem de Dordogne, Jean-Pierre Cubertafon, a vu sa permanence saccagée par « des opposants au foie gras ».

Il va de soi que, depuis quelques temps les écologistes, et notamment certains de leurs élus municipaux, attisent le feu contre des traditions séculaires (sapins de Noel, foie gras, viande, corridas, …). Et leurs militants sont de plus en plus prompts à s’en prendre à d’autres élus locaux qui ont le malheur de résister à cette doxa. (20)

Les nouvelles mesures prises contre Omicron ont généré de nouvelles agressions. Ainsi le garage personnel du député LREM de l’Oise Pascal Bois, à Chambly, a été incendié en décembre dernier. Des inscriptions hostiles possiblement liées au passe vaccinal ont également été taguées sur un mur d’enceinte de son domicile. Lors de l’examen du projet de loi sanitaire par la commission des lois, sa présidente Yaël Braun-Pivet a dénoncé des mails et courriers de menaces : « les menaces de mort n’ont pas place dans notre République ». Le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin a demandé mercredi 29 décembre aux préfets de renforcer la protection des élus « dans le contexte de l’examen du projet de loi du passe vaccinal ». Et l’on ne peut que constater que,  grâce à la mobilisation des forces de l’ordre, l’adoption de ce pass n’a pas engendré de crise majeure.

Il y a clairement dans le pays une césure entre deux « camps ». Les vaccinés et les non vaccinés. Avec la fin du pass vaccinal et la levée des mesures barrière, les choses vont peut-être changer. En tout état de cause se déroule à 2 heures de vol de Paris une guerre majeure. L’essentiel n’est plus dans les querelles de clocher.

Le débat sur l’adoption du pass vaccinal a, on le sait, attisé les tensions entre certains Français et leurs élus, notamment les députés en charge de voter le texte.  La situation dans la majorité des territoires d’outre-mer est révélatrice à cet égard. Une majorité antivax s’est livrée à des exactions  au soutien de sa protestation. On sait que moins de 30% d’ultra-marins sont vaccinés. Le Conseil scientifique a décrit dans les Outre-mer des niveaux de contamination jusque-là « jamais atteints » (21). La situation va être difficile à gérer pour les élus locaux.

Violence ou pas, nos élus locaux doivent être sur le terrain au plus proche de leurs administrés. Et pas seulement à la veille des élections.  Cela vise d’abord nos maires. Dans leur très grande majorité, ils sont à la manœuvre. Et la crise Covid les y a obligé encore plus que de coutume. Certains se sont exposés en prenant des risques. Ils sont souvent le premier réceptacle des mécontentements. D’où des heurts parfois. Nos parlementaires ont aussi une position de terrain à occuper. Et pas seulement les fins de semaine dans le confort de leur permanence ! Si bon nombre y sont, certains ou certaines sont plus rétifs (22). Mais, de toute évidence, il faut protéger nos élus beaucoup plus strictement. Ne rien laisser passer. Tolérance zéro en quelque sorte. « La politique ne consiste pas à faire taire les problèmes, mais à faire taire ceux qui les posent » (Henri Queuille).

 

Notes :

  1. https://www.francetvinfo.fr/politique/18/11/2021 _4849547.htm
  2. Les atteintes à l’intégrité physique, majoritairement des coups et blessures volontaires, ont augmenté de 16 % par rapport à l’année 2020 (Le Figaro, 27/07/21).
  3. Les habitants le considèrent même comme l’élu le plus populaire : 63% des Français ont ainsi une bonne opinion de leur maire, et cette appréciation monte à 68% chez ceux qui résident dans des communes de moins de 2000 habitants. 90 % des habitants le connaissent (sondage Odoxa pour France Info, France Bleu et la presse régionale, Septembre 2019).
  4. Loi n° 2004-809, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000804607.
  5. L’article L. 2122-31 du Code général des collectivités territoriale définit cette mission judiciaire. A noter que la loi engagement et proximité du 27 décembre 2019 renforce les pouvoirs de police des maires à plusieurs niveaux. Ainsi les maires peuvent imposer des astreintes financières en cas de non-respect d’une décision de fermeture d’un établissement recevant du public ou pour la mise en conformité de constructions irrégulières. Un conseil des maires peut être institué au sein des intercommunalités. La protection juridique des maires devient un droit pour tous les maires. Un dispositif d’assurance est créé et il est obligatoire. Pour assurer la sécurité juridique de ses actes, le maire peut demander des conseils de légalité au préfet.
  6. Enquête CEVIPOF, AMF Septembre 2019 ; https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/11/14/dans-la-tete-des-maires-de-francehtml
  7. https://www.lexpress.fr/actualite/politique/demissions-en-serie-chez-les-maires-de-francehtml, août 2018
  8. https://www.doubs.gouv.fr/responsabilite du maire.pdf
  9. On peut ici évoquer les permis qui ont été délivrés dans des zones inondables dans quelques communes du Sud de la France et où de graves inondations ont frappé en 2020 (Hautes-Alpes, Alpes Maritimes par ex). Les maires fautifs ne sont en général plus en place et leurs successeurs ne peuvent assumer. En l’absence de responsabilité, comme de coutume la solidarité nationale (le contribuable) se met en place…
  10. Ainsi, un maire qui a attribué sans mise en concurrence le marché relatif à la création et à la réalisation d’un bulletin municipal à une société d’économie mixte locale a été jugé coupable de délit de favoritisme. Le marché en question ne peut pas être qualifié de contrat à prestations intégrées dans la mesure où une société d’économie mixte n’est pas soumise de la part de la commune à un contrôle comparable à celui qu’elle exerce sur ses propres services (Cour de cassation, 25 juin 2008, pourvoi n° 07-88373). En ce qui concerne l’élément intentionnel le juge estime à raison qu’il est des fonctions où l’ignorance n’est pas admissible : un maire ne peut se réfugier derrière la méconnaissance de la procédure d’appel d’offre (Cour de cassation, 15 septembre 1999, 98-87588 ; 24 octobre 2001, 01-81089 ; 8 mars 2006, n° 05-85276).
  11. La prise illégale d’intérêt n’exige pas, pour que le délit soit constitué, une intention frauduleuse. L’élément intentionnel du délit est caractérisé dès lors que l’auteur a accompli sciemment l’élément matériel du délit (Cour de cassation, 27 novembre 2002, n° 02-81581 ; 9 février 2011, n° 10-82988 ; 23 février 2011, n° 10-82880). Peu importe que la personne visée à l’article 432-12 du code pénal, et donc notamment l’élu, ait ou non recherché à s’enrichir personnellement.
  12. Loi N° 2019-1461 dont l’ambition est de faciliter la vie quotidienne des 500000 élus locaux et de répondre à leurs attentes en matière de libertés locales, de droits et de protection
  13. De plus comme chaque citoyen, les élus doivent en principe bénéficier de par leur contrat habitation d’une assistance juridique. Peut-être que comme une grande partie des assurés, ils ne pensent pas à s’en servir en cas de souci.
  14. La Cour Administrative d’Appel de Lyon a fait porter la responsabilité pleine et entière de l’accident du 4 juillet 2006 sur la Ville de Clermont, maître d’ouvrage du projet, et sur les fontainiers. « Les blessures subies sont imputables à la fontaine », dit l’arrêt, dont la structure « le jet d’eau central, en forme creuse, représentait un danger pour les usagers ». Juridiquement, la Ville se voit reprocher une « responsabilité sans faute ». Au contraire des magistrats du TA de Clermont, ceux lyonnais estiment « qu’aucune faute ne saurait être retenue » contre la victime. Deux raisons à cela : d’une part, « la fontaine était librement accessible, sans restriction » ; d’autre part, « aucune indication n’attirait l’attention des usagers sur les dangers qu’elle pouvait représenter ».
  15. https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/70079-responsabilite-maires-deconfinement.html; 22/5/20. La Circulaire du 22 mars 1985 relative à la mise en œuvre du transfert de compétences en matière d’enseignement public et à l’utilisation des locaux scolaires par le maire prévoit : « La décision du maire d’utiliser les locaux scolaires en application de l’article 25 de la loi du 22 juillet 1983 lui transfère la responsabilité normalement exercée en matière de sécurité par le directeur d’école ou le chef d’établissement pendant la période d’utilisation consacrée à la formation initiale ou continue. Le maire doit notamment prendre toutes mesures de prévention ou de sauvegarde telles qu’elles sont définies par le règlement de sécurité et prendre, le cas échéant, toutes mesures d’urgence propres à assurer la sécurité des personnes »
  16. Le Code de l’Education prévoit une série de dispositions en matière de sécurité notamment sanitaire (article R.421-10, art. L.911-4).
  17. À titre d’exemple, en 2019, le délai moyen pour obtenir une décision de justice était de 6,2 mois devant le juge d’instance, de 9,4 mois devant le tribunal de grande instance, de 14,5 mois devant le conseil de prud’hommes, de 14 mois devant la cour d’appel (https://www.vie-publique.fr/fiches/38062-la-justice-est-elle-trop-lente).
  18. https://www.lefigaro.fr/politique/les-maires-de-plus-en-plus-vises-par-les-violences-20210330
  19. On se souvient que le président de la République, élu national majeur s’il en est, a été souffleté par un crétin le 8 juin 2021. L’individu a été fortement condamné par le tribunal judiciaire de Valence (dix-huit mois de prison dont quatre fermes avec incarcération sur-le-champ) et a fait appel du jugement. Avec notre collègue JY Camus nous pensons qu’il faut avant tout voir dans ce geste, inexcusable au demeurant, la « vengeance » d’une France qui se serait sentie humiliée par le chef de l’Etat et sa prétendue arrogance. C’est aussi le fruit d’un pays comme en décompensation dans une crise sanitaire qui n’en finit plus. Lorsque qu’on arrive à toucher le chef de l’Etat, il n’est pas surprenant de s’en prendre aussi aux élus locaux.
  20. « Notre démocratie est en train de vaciller sous la violence et sous l’intimidation de la part de l’extrême droite »,a estimé S.Rousseau le jeudi 23 décembre dernier sur franceinfo , après que la façade et la porte d’entrée de son logement ont été dégradées par des autocollants à l’effigie du candidat Eric Zemmour. L’ancienne élue régionale du Nord-Pas-de Calais touche du doigt cette violence ! Cela étant élus départementaux et régionaux ne sont pas (encore ?) des cibles.
  21. https://la1ere.francetvinfo.fr/; 20/01/2022
  22. Le parlementaire occupe, il faut le dire, une position « ambiguë ». Elu de la Nation avant tout, il a selon l’art. 24 de la Constitution pour rôle de voter la loi, contrôler l’action du gouvernement, et évaluer les politiques publiques. L’art. 27 lui interdit tout mandat impératif. C’est-à-dire que, théoriquement, il n’a pas de compte à rendre à ses électeurs ! Or il est là grâce à eux ! Il existe des parlementaires qui se cantonnent au vote de la loi. Ainsi, Laurence Vichnievsky, (ancienne magistrate bien connue) députée Modem du Puy-de-Dôme. Elle a relégué sciemment son rôle « local » au strict minimum. « Mon rôle est de voter la loi ». Dans un canton essentiellement rural, ça n’a pas été vraiment apprécié ! …. Alors que d’autres se font un point d’honneur à être présents et actifs sur le plan national et local. Ainsi le sénateur (RDSE) du Puy-de-Dôme, Éric Gold. Il fut, il est vrai, l’élève de Michel Charasse élu puydômois de terrain s’il en était !