La campagne présidentielle sur internet : une illusion démocratique
Internet est devenu un moyen incontournable de communication des candidats à l’élection présidentielle. Il porte de nombreux espoirs pour la démocratie. Il serait ainsi de nature à créer un rapport horizontal et un lien direct entre les citoyens et ceux qui prétendent accéder à la magistrature suprême. Mais, à l’image de la campagne électorale, si l’utilisation d’internet porte un certain nombre de promesses, la désillusion est aussi à la hauteur des espoirs qu’elles ont pourtant fait naître.
Par nature ouvert et accessible à tous, internet se présente aujourd’hui comme le lieu privilégié du débat public et de l’expression des idées politiques. Il permet à tous ceux qui le souhaitent de s’exprimer librement avec la possibilité de s’adresser directement, à travers des interfaces de dialogue numériques, à leurs représentants ou à ceux qui aspirent à le devenir. Les promesses qu’il porte pour la démocratie sont ainsi nombreuses. Internet semble, en effet, en mesure de créer un rapport horizontal et un lien direct entre le peuple et ses représentants. L’élection du président de la République au suffrage universel direct, qui échappe encore à la désaffection, est de ce point de vue un rendez-vous démocratique majeur. Il n’est alors pas surprenant qu’il se soit progressivement imposé, à côté des canaux d’expression traditionnels, comme un moyen incontournable de ceux qui sont candidats à la magistrature suprême. La campagne électorale classique se double désormais d’une campagne électorale virtuelle, soumise à ses propres règles et à ses propres exigences. Ainsi, tous les candidats déclarés à l’élection présidentielle disposent, en 2017, d’au moins un support d’expression numérique. Au-delà de ces considérations théoriques, l’essor d’internet dans la vie politique et, particulièrement, dans les campagnes électorales apparaît comme la conséquence de deux phénomènes. Il est d’abord lié à l’évolution de la société et des moyens techniques de communication. Ces moyens n’ont en effet jamais cessé de se renouveler et de se réinventer à chaque fois que les progrès technologiques l’ont permis de telle sorte que c’est tout « le système de conquête de l’opinion qui a été bouleversé en quelques décennies ». À la place publique et aux journaux se sont alors substituées la radio puis la télévision. C’est cette dernière qui, à partir de 1965, va s’imposer comme l’instrument privilégié de la communication politique des candidats à l’élection présidentielle. Avec l’évolution des moyens de communication, ce sont aussi les stratégies de communication qui vont changer. La télévision fait prendre conscience de l’importance de l’image d’un candidat, qui devient aussi influente, sinon plus, que son programme politique. Internet modifie à son tour les exigences de la communication qui devient plus directe et plus simple. C’est un instrument qui traduit l’hyperréactivité de la société actuelle. Cette généralisation du recours à la campagne présidentielle virtuelle tient ensuite aux potentialités qu’elle a révélées aux États-Unis. Le succès de la web campagne de Barack Obama en 2008 et, plus récemment, le rôle joué par les réseaux sociaux dans l’élection de Donald Trump ont fait prendre conscience des enjeux liés à l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle.
S’il semble impossible pour le juriste de mesurer l’influence que peut avoir la web campagne sur les intentions de vote et sur les résultats de l’élection, l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle questionne la démocratie. Espace ouvert par nature, internet permettrait ainsi de rapprocher les électeurs de leurs représentants par la création d’un lien horizontal direct et par la mise en place d’un espace public de discussion. Ce serait donc un instrument au service du renforcement de la démocratie. Mais cette proximité virtuelle apparait, à bien des égards, comme une illusion démocratique. Ainsi, à l’image des campagnes électorales, si l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle porte un certain nombre de promesses (I), la désillusion n’est pas loin et elle est à la hauteur de l’immensité des espoirs qu’elles ont pourtant fait naître (II).
I. Les promesses
Les promesses démocratiques de l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle concernent à la fois les candidats et les électeurs.
Du point de vue des candidats, l’intérêt de mener une web campagne tient d’abord au lien direct qu’elle tend à créer entre le candidat et les électeurs. Il s’agit d’un argument essentiel de ceux qui entendent rejeter le rôle d’intermédiaire que jouent les médias traditionnels. Le candidat à l’élection présidentielle peut alors s’adresser directement, sans filtre, à ses électeurs à travers les réseaux ou les médias sociaux. Cette conception du rôle du président de la République rappelle ainsi la conception défendue en son temps par de Gaulle, qui entendait contester le rôle d’intermédiaires joué par les partis politiques entre le peuple et son premier représentant.
L’autre intérêt de la campagne virtuelle réside dans le fait qu’elle tend à rétablir une forme d’égalité entre les candidats, sur trois niveaux au moins. D’abord, internet tend à favoriser des nouvelles candidatures, venues non plus d’en haut, des partis politiques, mais d’en bas, des citoyens. La candidature présidentielle devient l’affaire de tous. C’est ainsi qu’à côté des primaires des partis politiques, ont par exemple été organisées, en vue de l’élection présidentielle de 2017, des primaires citoyennes ouvertes permettant la désignation d’un candidat citoyen. Ce type de candidature se heurte néanmoins aux règles de l’élection présidentielle puisque le citoyen ainsi désigné devra recueillir cinq cents parrainages pour pouvoir être officiellement candidat, ce qui semble constituer encore aujourd’hui un véritable obstacle à une remise en cause des règles classiques de désignation des candidats. Pour les candidats, internet permet également de réduire l’inégalité entre ceux qui sont matériellement et financièrement soutenus par un parti politique et ceux qui disposent de moyens de campagne plus modestes. Il permet au candidat de mener une campagne active sans avoir à mobiliser des moyens humains et financiers importants. La web campagne présente donc ce double avantage d’être peu coûteuse, tout en offrant un message politique dont le retentissement est souvent bien plus important que la distribution d’un simple tract. Enfin, internet constitue un moyen pour les candidats officiels de contourner les inégalités en matière de temps de parole dans l’accès aux médias de radio et de télévision. Entre la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel et le début de la campagne officielle, qui débute le deuxième lundi précédant le premier tour de l’élection, la loi organique du 15 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle a substitué le principe d’équité au principe d’égalité dans l’accès à ces médias. Il appartient alors au Conseil supérieur de l’audiovisuel de veiller au respect du principe d’équité. Pour cela, il doit apprécier la représentativité de chaque candidat, en tenant compte des sondages d’opinion ou des résultats obtenus par le candidat, ou par le parti qui le soutient, aux élections précédentes et de sa contribution à l’animation du débat électoral. La loi favorise donc l’accès aux médias des candidats présidentiables sur la base de critères qui peuvent sembler, pour certains, discriminatoires et difficiles à mettre en œuvre.
Du point de vue des électeurs, l’utilisation d’internet dans la campagne porte également de nombreux espoirs démocratiques puisqu’en créant une interface virtuelle de dialogue, elle offre une voie d’accès des citoyens aux candidats et semble créer un rapport horizontal entre eux. Elle donne ainsi tout son sens au principe de représentation puisque le prétendant au mandat représentatif est directement lié à ceux qu’il a vocation à représenter s’il est élu. Internet bouleverse également la manière de faire campagne puisque la conquête de l’opinion devient l’affaire de tous. Les citoyens qui le désirent peuvent ainsi prendre une part active à la campagne du candidat qu’ils soutiennent en reprenant son programme et ses idées et en les diffusant notamment sur leurs propres réseaux sociaux. En encourageant ainsi la participation active des citoyens à la vie politique, l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle contribue donc à renforcer et à renouveler la démocratie. En plus de générer des citoyens actifs, internet apparaît aussi comme un terrain propice au développement de l’esprit critique des électeurs. C’est un espace illimité d’informations et de connaissances. Par le biais d’internet, les électeurs peuvent donc accéder librement, non seulement à l’ensemble des programmes politiques des candidats mais également aux connaissances et aux informations qui vont leur permettre de conserver une distance critique à leur égard. Internet offre donc des citoyens actifs et des électeurs éclairés. Enfin, ce serait un instrument pour mobiliser une partie de l’électorat – la jeune génération, les déçus de la politique et les électeurs volatiles – qui dispose d’une réserve importante de voix. En ce sens, internet permettrait de lutter contre un phénomène qui est un symptôme de la démocratie en crise : l’abstention. Les chiffres de l’abstention démontrent toutefois que l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle de 2012 n’a pas permis à l’abstention de diminuer, ce qui doit conduire à rester mesuré sur les effets d’internet sur ce phénomène.
Pourtant, en dépit de cette apparente démocratisation de l’élection présidentielle et des avantages qui semblent en résulter, l’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle apparaît en réalité comme une illusion démocratique incapable d’assurer le lien direct entre les citoyens et les candidats à la présidence de la République. Bien plus encore, les risques qu’elle induit sont de nature à renforcer, non pas la démocratie, mais bien la crise qui l’affecte.
II. La désillusion
L’utilisation d’internet dans la campagne présidentielle, loin de tenir ses promesses et de créer un lien direct et horizontal, ne crée qu’un lien vertical, virtuel et descendant entre les candidats et les électeurs. Dès lors, « l’interactivité donne l’illusion d’une démocratie à la base, où chacun a le droit de parole ». En réalité, internet se présente simplement comme un outil supplémentaire de communication du candidat pour diffuser ses idées. Ainsi, si les médias ou les réseaux sociaux permettent une mise à disposition d’espaces publics de discussion, ils ne créent pas de véritables échanges avec les candidats. Le nombre de réactions et leur virulence, qui peut donc s’exprimer sans filtre, ne font pas d’internet un terrain propice aux échanges constructifs. Alors que sa nature fait de lui un média conversationnel, internet apparaît en réalité difficile à utiliser pour le candidat « parce que la campagne présidentielle est un moment où on ne peut plus organiser la conversation (…) du fait de la centralisation des attentes des électeurs et de la polarisation des camps » . Le candidat se contente donc d’exposer ses idées pour les laisser vivre ensuite. Pour cela, il peut avoir recours à la publicité politique mais celle-ci est interdite en France dans les six mois qui précèdent l’élection (depuis le 1er octobre 2016 pour l’élection présidentielle de 2017). Le débat sur internet se crée alors entre les citoyens connectés. Le risque de manipulation de l’électorat est double. Le citoyen peut d’abord devenir, sans s’en rendre compte, un internaute mimétique auquel on sert des narrations virales pour faire l’opinion. Internet apparaît ensuite comme un véritable laboratoire des idées politiques puisqu’il devient simple, à partir des réseaux sociaux notamment, de mesurer l’impact d’une idée politique sur les citoyens. En captant ainsi les préoccupations à la source, le candidat va pouvoir adapter son discours pour conquérir l’opinion sans avoir la volonté réelle de les traduire par des actes s’il accède au pouvoir.
S’il ne se crée pas de véritable dialogue entre les citoyens et les candidats sur internet, il en va de même de la production du programme politique. Ainsi, en 2007, la candidate Ségolène Royal a échoué dans sa volonté de construction participative de son programme politique. Cette ambitieuse initiative s’est heurtée aux réalités de la campagne présidentielle en raison notamment du rythme de la campagne ou des propositions très divergentes.
Pour plusieurs raisons ensuite, internet et en particulier les réseaux sociaux n’apparaissent pas à la hauteur des enjeux de l’élection présidentielle. Ils répondent en effet à une logique émotionnelle. Ce sont alors les informations qui suscitent une réaction chez le lecteur, une profonde colère ou un enthousiasme réel, qui vont déclencher le partage de l’information. Cela emporte plusieurs conséquences s’agissant de la campagne électorale. D’une part, cela oblige les candidats à adapter leur discours politique au support d’expression et au public visé. Cela suppose donc de recourir à une communication efficace par l’utilisation de messages courts, sinon raccourcis, et de propositions claires, sinon radicales. Derrière cette stratégie de conquête de l’opinion, le risque est donc encore une fois de ne pas traduire en actes les positions ainsi exprimées une fois le candidat devenu président de la République. D’autre part, la charge émotionnelle d’une information semble lui offrir la réalité qui lui fait parfois défaut. Avec internet, une information peut être considérée comme vraie dès lors qu’elle est largement diffusée. Au-delà du risque de désinformation, le danger provient alors de ce qu’une fois l’information ou la rumeur lancée, il devient impossible de l’arrêter. Une information devient vraie par tautologie en raison de l’impression de vérité et d’évidence qu’elle dégage. La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle, installée depuis le 26 février 2017, a d’ailleurs insisté dans son communiqué de presse sur le risque de cyberattaques et sur la nécessaire vigilance de la Commission et des candidats à l’égard des moyens de communication qui pourraient être manipulés ou qui pourraient véhiculer des informations grossièrement erronées. Cette difficulté est d’autant plus importante que le succès d’internet conduit, en matière politique, à une perte évidente de sens critique. Par nature ouvert, internet agit en réalité en cercle fermé. S’agissant des sites internet et des blogs, ils n’attirent généralement que les citoyens qui sont déjà politiquement convaincus par les idées du candidat. Quant aux réseaux sociaux, ils fonctionnent sur le principe selon lequel « les amis de mes amis sont mes amis », ce qui conduit à un enfermement idéologique. Lorsque des idées opposées se rencontrent, elles s’expriment le plus souvent sans médiation, ni équilibre. L’interface virtuelle des échanges tend alors à les rendre stériles et violents. Internet apparaît alors, non pas comme un espace de confrontation constructive des idées, mais comme un espace de « confortation » des idées. Il agit comme une caisse de résonance des idées politiques défendues par les candidats. Enfin, le risque pour le président de la République qui va être élu résulte de ce que si les paroles s’envolent, les écrits restent. Ainsi, la spontanéité de certains messages diffusés sur internet et rédigés à la hâte ne correspond pas à la permanence et à la hauteur qu’implique la fonction présidentielle.
Si internet semble aujourd’hui dépasser la télévision dans de nombreux domaines, il ne l’a pas encore supplanté en tant qu’instrument privilégié de communication des candidats à l’élection présidentielle. Le petit écran demeure, encore aujourd’hui, l’outil le plus efficace de « la fabrique d’un président ». À la différence de la télévision, internet n’offre jamais de grands moments ; il ne livre que de petits instants. Seul le petit écran permet encore la confrontation des idées et l’affrontement des candidats devant des millions de téléspectateurs, de tous les bords politiques, qui peuvent apprécier la cohérence d’un discours politique mis en concurrence. Si on peut penser qu’internet ne supplantera jamais les médias traditionnels, c’est parce que ces derniers « fonctionnent avec des règles qui reflètent celles des sociétés démocratiques ».