Quand la campagne présidentielle s’émancipe du respect des droits de propriété intellectuelle
En ce début de campagne électorale, différents reproches ont été formulés, à l’encontre de certains des candidats ou de leurs soutiens, pour non-respect des droits de propriété intellectuelle en raison de leurs déclarations ou de l’utilisation de divers moyens ou arguments de propagande. L’éclairage d’Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.
La diffusion des moyens et supports de propagande électorale, par les candidats et leurs militants et soutiens, doit évidemment, et entre autres exigences (« Pluralisme politique dans les médias audiovisuels : une nouvelle recommandation du CSA », Actu-Juridique.fr, 28 octobre 2021 ; « Sondages d’opinion : entre abus et bon usage », Actu-Juridique.fr, 10 novembre 2021), être pleinement respectueuse des droits de propriété intellectuelle et de ceux qui peuvent y être rattachés.
Comme cela fut précédemment le cas, diverses questions et contestations ont été soulevées, à cet égard, en ce début de campagne pour l’élection présidentielle du printemps prochain. Elles concernent notamment les droits de propriété littéraire et artistique, le droit des marques et le droit à l’image des personnes et des biens.
Droits de propriété littéraire et artistique
Les auteurs d’œuvres de l’esprit (écrits, illustrations graphiques et photographiques, expressions audiovisuelles et cinématographiques, compositions musicales…) et/ou les cessionnaires de droits sur ces créations de forme originale, ainsi que les artistes-interprètes et les autres titulaires de droits voisins du droit d’auteur, tels que les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, jouissent d’un droit de propriété littéraire et artistique. Celui-ci comporte des attributs d’ordre moral et patrimonial. Sauf quelques exceptions portant sur ce dernier aspect, ils peuvent ainsi s’opposer à leur utilisation par des tiers, et notamment par des candidats à une élection, dès lors qu’ils n’y ont pas préalablement consenti.
Si nul ne peut s’approprier une idée ou un élément de programme politique et prétendre, à cet égard, à une quelconque exclusivité, les termes et les modalités de leur expression ou présentation, dès lors qu’elle est originale, sont susceptibles d’une protection par le droit d’auteur.
Il n’est pas permis à un candidat ou à l’un de ses soutiens de reprendre, dans les mêmes termes, un texte ou un argumentaire précédemment utilisé par un autre, sauf pour procéder à son analyse, le critiquer et y manifester son opposition.
Sans doute tant du point de vue du droit moral que du droit patrimonial d’auteur, et pour la cohérence et la clarté du débat politique, il ne devrait pas être possible à un conseiller, rédacteur de projet ou de discours, ou à un porte-parole d’un candidat de réutiliser, au moins dans la même forme, des textes et éléments de programmation dont, dans une précédente campagne, il a fait l’apport à un autre candidat ou parti auquel il accordait alors son soutien.
Les « petites phrases » ou « formules chocs » et autres slogans utilisés comme arguments de campagne électorale, qu’ils émanent d’un candidat ou de l’un de ses conseils en communication qui, sauf en avoir cédé les droits à celui auprès duquel il intervient, pourrait en revendiquer la paternité et la jouissance, ne peuvent pas être utilisés, à son profit, par un de ses concurrents. Ce dernier peut cependant les évoquer pour les critiquer ou les contester. Puisque tels sont leur vocation et l’effet recherché, ces éléments peuvent évidemment être repris, par les journalistes, dans les médias.
Admises en qualité d’exception au droit patrimonial d’auteur, les citations qu’un candidat peut faire d’une œuvre préexistante doivent, au nom du respect droit moral de l’auteur de l’œuvre citée, être exactes et conformes au sens que le rédacteur initial a donné à son texte. Au nom du respect du droit moral de l’auteur, elles ne doivent être l’objet d’aucune forme de récupération. Elles ne peuvent pas servir à soutenir un point de vue contraire à celui qui avait alors été ainsi exprimé et défendu, ou à la pensée générale de l’auteur d’origine. Un tel usage a été reproché à Eric Zemmour, de la part des ayants droit d’un auteur.
Les auteurs et les titulaires de droits voisins sur les œuvres et les compositions musicales et audiovisuelles sont en droit de s’opposer à l’utilisation de leurs créations et de leurs prestations dans des supports de campagnes ou pour animer et sonoriser des réunions électorales. Tel est le reproche encore fait à Eric Zemmour, en raison de sa vidéo de déclaration de candidature dans laquelle avaient été intégrés, sans pouvoir se prévaloir d’une quelconque autorisation ni de l’exception de courte citation, des photographies et des extraits d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles.
Droit des marques
Le nom d’un parti politique et le graphisme retenu pour celui-ci doivent, au-delà de leur protection par le droit d’auteur, et même s’il ne s’agit pas d’en faire un usage commercial, pouvoir être considérés comme constituant une marque servant à le distinguer des autres.
Dès lors que les formalités d’enregistrement d’une telle marque ont été accomplies ou que celle-ci est notoirement connue, nul ne doit pouvoir en reprendre ou en imiter les éléments dans des conditions qui sont susceptibles de créer la confusion dans l’esprit du public et notamment des électeurs. De telles pratiques doivent pouvoir être considérées et sanctionnées comme contrefaisantes.
Revendiquant un droit de propriété sur la marque figurative « Résistons ! », Jean Lassalle conteste à Eric Zemmour l’utilisation et le dessin de la dénomination « Reconquête ! », considérée comme trop semblable dans sa forme et ses couleurs. Le même point d’exclamation, que nul ne peut cependant s’approprier, a précédemment été utilisé par le mouvement d’Emmanuel Macron intitulé « En Marche ! ».
Au nom du respect de sa notoriété et de son image, une société titulaire d’une marque doit pouvoir s’opposer à l’utilisation de la dénomination de celle-ci pour formuler, en dehors même de la vie des affaires, une argumentation politique et chercher à marquer ainsi les esprits. Les détenteurs de la marque Kärcher contestent l’utilisation qui, après Nicolas Sarkozy, en a été faite par Valérie Pécresse.
A ces éléments, peut être rattaché le fait que l’article R. 27 du Code électoral dispose que « sont interdites, sur les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral, l’utilisation de l’emblème national ainsi que la juxtaposition des trois couleurs : bleu, blanc et rouge dès lors qu’elle est de nature à entretenir la confusion avec l’emblème national, à l’exception de la reproduction de l’emblème d’un parti ou groupement politique ».
Droit à l’image
A ces éléments de réglementation relevant des droits de propriété intellectuelle, peuvent être ajoutés ceux qui sont relatifs au droit à l’image, tant des personnes que des biens.
Au nom du respect de sa personnalité, un individu peut s’opposer à l’utilisation de son nom et de son image à des fins de promotion politique ou partisane, comme s’agissant de tout autre usage en dehors des nécessités de l’information. Il en est ainsi à l’égard de l’inscription, sans leur accord, de certains candidats à la dite « primaire citoyenne ».
Une œuvre graphique, sculpturale ou architecturale bénéficie, au profit de son auteur ou de celui auquel il a cédé ses droits patrimoniaux, de la protection du droit d’auteur. A des biens de ce type peut se rajouter, au profit des personnes privées, la protection du droit de propriété, dès lors que, du fait de l’exploitation de leur image, il en est subi un dommage. S’agissant de personnes publiques, s’ajoute la protection accordée aux éléments du patrimoine public.
L’article L. 621-42 du Code du patrimoine soumet à « l’autorisation préalable du gestionnaire » l’utilisation « à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux ».
L’article L. 2122-1 du Code du patrimoine pose que « nul ne peut, sans disposer de titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique […] ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ». Sur cette base, a été validé le refus d’accorder, à un photographe professionnel, l’autorisation de réaliser et de commercialiser des photographies d’œuvres détenues dans un musée.
Reproche a été fait à Marine Le Pen d’illustrer un support audiovisuel de sa campagne par des images du bâtiment du musée du Louvre.
A la libre expression des candidats à l’élection présidentielle et de leurs soutiens, sont nécessairement apportées, parmi d’autres éléments, des restrictions relatives aux exigences de respect des droits de propriété intellectuelle dans leurs différentes nature et composantes. Il est justifié d’attendre de ceux qui aspirent à la magistrature suprême qu’ils soient pleinement respectueux du droit, aussi incertaines et discutées qu’en soient parfois la formulation et l’application.
Référence : AJU269915