Élection Présidentielle : La propriété intellectuelle devient un thème de campagne !

Publié le 20/01/2022

De Eric Zemmour à Marine Le Pen en passant par Valérie Pécresse, plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont utilisé des marques sans l’assentiment des titulaires des droits qui s’en sont émus. Le décryptage de Me Pierre Hoffman. 

Élection Présidentielle : La propriété intellectuelle devient un thème de campagne !
Photo : ©AdobeStoock/MisterVlad

A peine lancée, la campagne présidentielle apporte déjà son lot de rebondissements, et, de manière plus étonnante, semble également être une source inépuisable d’interrogations en matière de propriété intellectuelle.

Les dernières sorties des candidats ont en effet été la source de débats autour de cette matière qui se rapporte à l’ensemble des droits exclusifs que détient une personne (physique ou morale) sur des créations intellectuelles.

Leur utilisation par des tiers n’est donc pas libre, mais soumise à une autorisation préalable de la part du titulaire des droits.

Gaumont, Luc Besson, la SACD contre Zemmour

En effet, l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle est très clair et dispose à cet égard que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ».

Or, c’est bel et bien cette absence de recherche de consentement qui est aujourd’hui reprochée à plusieurs candidats à l’élection présidentielle.

Tout d’abord, c’est le candidat Éric Zemmour qui a permis de « mettre à l’honneur » la propriété intellectuelle et de l’ériger en thème de campagne puisqu’il a notamment repris plusieurs scènes de films (extraits de quelques secondes) dans son clip de campagne diffusé le 30 novembre dernier.

Plusieurs titulaires de droits ont alors indiqué qu’aucune autorisation ne leur avait été demandée, et certains – à l’instar de la société Gaumont, de Luc Besson ou encore de la SACD, organisme de gestion collective de droits d’auteur – ont ainsi assigné Éric Zemmour et son parti « Reconquête ! » en contrefaçon de droit d’auteur.

Bien qu’aucune autorisation n’ait semblé avoir été requise, la mise en œuvre des exceptions prévues par le droit d’auteur et notamment l’exception de courte citation prévue à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle mérite une attention particulière.

En effet, cette exception suppose, de manière évidente, que la citation supposée soit concise. Selon la jurisprudence, la brièveté de la citation s’apprécie en fonction de la durée de l’œuvre citée mais également de l’œuvre citante.

Or, si le clip de campagne de M. Zemmour dure environ 10 minutes, chaque extrait des films repris ne dure que quelques secondes, pour des œuvres qui peuvent durer plus d’une heure. La question de la brièveté, et donc de l’éventuelle application de l’exception de citation méritait réflexion.

Cependant, les critères énoncés par le texte ne souffrent d’aucune ambiguïté. La citation doit alors être courte, les auteurs et la source doivent être cités, et la citation doit répondre à une certaine finalité.

En l’espèce, non seulement aucune référence au nom de l’auteur ni à la source de l’extrait n’a été intégrée au clip, mais plus encore, le caractère « critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information » d’une vidéo ayant pour but d’annoncer la candidature d’une personnalité à une élection présidentielle semble difficile à justifier.

Les tribunaux ayant été saisis, il appartiendra dès lors aux magistrats de se prononcer sur la matérialité ou non de la contrefaçon alléguée par les titulaires de droits.

Marine Le Pen et la pyramide du Louvre

Si les exceptions au droit d’auteur semblent être difficilement applicables en l’espèce, une autre candidate à l’élection présidentielle a permis qu’un deuxième thème directement lié à la propriété intellectuelle soit mis sur le devant scène.

En effet, la représentation de la pyramide du Louvre au sein de la déclaration de candidature de Marine Le Pen diffusée sur Twitter le 15 janvier dernier, donne matière à réflexion.

Compte tenu de son ancienneté, l’on pourrait considérer que le bâtiment du musée du Louvre – le palais – relève du domaine public et ne fasse plus l’objet d’aucune protection par le droit patrimonial d’auteur : l’utilisation libre de son image serait ainsi parfaitement possible.

En revanche, la pyramide du Louvre a été construite entre 1985 et 1989 par l’architecte Ieoh Ming Pei, décédé en 2019.

Le droit d’auteur protège les créations architecturales pour toute la durée de vie de l’auteur, et jusqu’à 70 ans après sa mort : la Pyramide du Louvre est donc toujours protégée au titre du droit d’auteur.

Dès lors, la solution apparaît a priori simple : sans autorisation préalable, Marine Le Pen ne pouvait représenter dans sa vidéo la pyramide.

Mais, là encore, les exceptions au droit d’auteur prévues par les textes nuancent cette affirmation.

L’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet l’exception dite « de panorama », selon laquelle la reproduction et la représentation, sans usage commercial, par une personne physique, d’une œuvre architecturale placée en permanence sur la voie publique ne peut être interdite par l’auteur.

Si le caractère permanent de la pyramide du Louvre ne peut être contesté, les deux autres conditions sont bien plus discutables.

Considère-t-on que la représentation de la pyramide dans le clip de campagne a été réalisée par Marine Le Pen personne physique ou bien par son parti personne morale ?

De même, un contenu visant à promouvoir un candidat pour une élection est-il vraiment dénué de toute fin commerciale ?

Si cette exception ne peut, compte tenu des faits, être complètement exclue, son application en revanche ne peut être assurée puisque l’on s’éloigne de l’esprit du texte qui, au départ, a été pensé pour que des personnes physiques lambda ne puissent être poursuivis trop légèrement.

De même, s’agissant du bâtiment même du palais du Louvre, affirmer de manière trop péremptoire que cela ne soulève aucune problématique serait faire fi des dispositions du Code du patrimoine[1], selon lesquelles l’utilisation à des fins commerciales de l’image des domaines nationaux sur tout support est soumise à autorisation préalable.

Or, précisément le Domaine du Louvre (et des Tuileries) a fait l’objet d’un tel classement par décret du 2 mai 2017[2].

L’article prévoit également qu’une telle autorisation n’est pas requise lorsque l’image du bâtiment est utilisée « dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité ».

S’il est acquis que la présente vidéo ne peut être assimilée à un usage à titre personnel, le doute est permis de savoir si la candidate retire de celle-ci un quelconque profit au sens des textes, qui rendrait susceptible l’application des dispositions du Code du patrimoine (notamment).

Une fois encore, la définition que l’on retient de l’usage commercial, notion non définie par les textes, déterminera si l’autorisation préalable était réellement nécessaire…

Dans l’affirmative, au regard de l’utilisation faite du bâtiment, l’on pourrait à tout le moins argumenter sur la finalité d’information et d’illustration de l’actualité d’un clip de campagne en vue d’une élection présidentielle.

Il sera dès lors intéressant d’étudier la réponse apportée par le musée du Louvre qui n’a, à l’heure actuelle, donné aucune suite.

RÉSISTONS ! attaque RECONQUÊTE !

Enfin, une nouvelle problématique liée, là encore à la propriété intellectuelle s’est également invitée entre les partis politiques eux-mêmes.

L’association « RESISTONS ! », mouvement politique de Jean Lassalle a en effet pris attache le 14 janvier dernier avec le tout nouveau parti de M. Zemmour, « RECONQUETE ! », lui reprochant la reprise de la charte graphique des logos du parti « RESISTONS ! » et arguant ainsi d’une contrefaçon de droit d’auteur.

Si les codes couleur des logos semblent être similaires, de même que la reprise de la lettre « R » suivie d’un point d’exclamation, il appartiendra non seulement à l’association « RESISTONS ! » d’apporter la preuve de la titularité de ses droits mais également de l’originalité des logos revendiqués.

Affaire à suivre…

Il sera ainsi particulièrement intéressant d’observer l’évolution de ces phases de pré-contentieux qui se révèlent en pleine campagne électorale.

Car loin d’être anecdotiques, les droits de propriété intellectuelle sont de réels actifs pour les titulaires de droits, source d’une valeur économique non négligeable et dont la violation est susceptible d’entraîner des conséquences importantes (tant économique qu’en terme d’image).

Valérie Pécresse et Kärcher

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, la société Kärcher, titulaire de la marque éponyme a, une nouvelle fois, réagi aux propos d’une personnalité politique employant sa marque en tant que mot du langage courant, l’associant de fait à un parti politique.

A l’instar de Nicolas Sarkozy en 2005, Valérie Pécresse, également candidate à l’élection présidentielle a en effet fait référence à la marque « Kärcher » lors de plusieurs interviews pour désigner une « fonction de nettoyage ».

Or, une marque est susceptible d’encourir la déchéance pour dégénérescence lorsque celle-ci, initialement distinctive des produits pour lesquels elle est enregistrée, devient la désignation usuelle de ces derniers par le public.

Il appartient dès lors à son titulaire de réagir face à toute utilisation usuelle de sa marque afin d’éviter des conséquences sérieuses à savoir la possible annulation de sa marque.

C’est pourquoi, la société Kärcher, particulièrement active dans la défense de sa marque face à ce risque, n’a en effet pas manqué de rappeler que la marque Kärcher « ne peut et ne doit être utilisée que pour désigner les produits des sociétés Kärcher ».

Ainsi, si des réformes relatives au droit de la propriété intellectuelle ne semblent pas pour l’heure, constituer des thèmes de campagne, il n’en demeure pas moins que les candidats tout comme le public sont sensibilisés à ces problématiques.

La propriété intellectuelle ne semble pas avoir fini de faire parler !

[1] Article L.621-42 du Code du patrimoine

[2] Décret n°2017-720 du 2 mai 2017