« L’organisation d’une primaire, parce qu’elle est une entreprise artisanale, est nécessairement un défi »
Anne Levade, présidente de la Haute autorité de la primaire de la droite et du centre, et professeur de droit public revient pour les Petites Affiches sur le mode de fonctionnement de la Haute autorité qu’elle a présidée et sur ses statuts.
Les Petites Affiches – Comment est assurée l’indépendance de la Haute autorité par rapport aux partis présents dans la compétition ?
Anne Levade – L’indépendance de la Haute autorité a d’emblée été considérée comme une condition sine qua non de la confiance que les candidats et les électeurs devaient avoir dans l’organisation de la primaire. Elle a donc été affirmée très clairement par la Charte de la primaire dont l’article 9 prévoit, dans son paragraphe 2, que « La Haute autorité est indépendante de la direction de chacun des partis et groupements politiques concourant à la primaire. Pour l’accomplissement de ses missions, elle dispose librement de l’ensemble des moyens qui lui sont nécessaires ; elle a notamment autorité exclusive sur les personnels qui lui sont affectés ». De même, c’est l’exigence d’indépendance qui a dicté les choix opérés concernant la composition de la Haute autorité : « cinq membres extérieurs aux partis et groupements concourant à la primaire, choisis pour leur compétence juridique, parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance et jouissant de la plus haute considération morale » (art. 8, § 1, de la Charte). Cela actait la volonté de totalement externaliser l’organisation de la primaire.
Bien sûr, les membres de la Haute autorité ont dû être désignés et c’est aux instances de direction du parti initiateur de la primaire – Les Républicains – que ce choix a incombé. Il était prévu qu’un sixième membre pût être nommé par un ou plusieurs partis qui rejoindraient le processus de désignation (art. 8, § 1, de la Charte), possibilité qui n’a pas été utilisée. On aurait toutefois tort d’y voir une quelconque intrusion des partis mettant en péril l’indépendance de la Haute autorité. Outre qu’il fallait bien que cette dernière fût constituée et qu’il n’était pas anormal que les partis pour le compte desquels elle allait organiser la primaire fussent les premiers confiants dans le processus, le choix d’un ancien membre du Conseil constitutionnel, d’un ancien premier président de la cour d’appel de Paris et de trois universitaires atteste, sans qu’il soit ici le lieu de se prononcer sur la considération morale dont ils jouissent, que les conditions posées par la Charte ont bien été respectées.
C’est dans ce contexte que la Haute autorité s’est attelée à sa mission. Optant résolument pour l’indépendance maximale, elle s’est constituée en association en novembre 2015, déclarant se soumettre en tant que « groupement politique » à la loi du 11 mars 1988 puisque la Charte de la primaire prévoyait que si la primaire générait un reliquat il devait être reversé au compte de campagne du candidat. Cette forme juridique lui permettait en outre de conclure avec le parti Les Républicains une « convention de pré-financement » par laquelle celui-ci s’engageait à verser, sous la seule condition de leur remboursement in fine, cinq millions d’euros à la Haute autorité afin qu’elle puisse en toute indépendance organiser la primaire. Une fois cette convention signée, à la mi-décembre 2015, la Haute autorité recruta son directeur général et prit des locaux, si bien qu’au 1er janvier 2016, elle pouvait engager la phase opérationnelle de sa mission.
Tout au long des mois qui suivirent, elle continua dans cette logique à recruter, au fur et à mesure que la charge de travail augmentait, ses personnels propres sans jamais demander de mises à disposition aux partis concourant à la primaire. Et lorsqu’il rejoignit le processus, le Parti chrétien-démocrate, comme avant lui Les Républicains, prit part dans des conditions arrêtées par convention au pré-financement de l’opération. L’un et l’autre ont été intégralement remboursés dès la fin de l’année 2016.
LPA – Les conditions de candidature, 250 élus et 2 500 adhérents répartis sur au moins quinze fédérations, vous paraissent-elles satisfaisantes ? Y a-t-il eu des contestations ? La compétence du juge judiciaire pour trancher les conflits va-t-elle de soi ?
A. L. – À titre préalable, il faut préciser que ces conditions de candidature ne concernaient que les candidats issus du parti Les Républicains. En effet, la Charte de la primaire distinguait expressément, dans son article 4, paragraphe 3, le cas des « candidats issus du parti Les Républicains » de celui des « candidats issus des autres partis et groupements politiques concourant à la primaire », pour lesquels « les conditions de présentation des déclarations de candidature [étaient] arrêtées par les organes délibérants des partis concourant à la primaire ». Dès le 4 novembre 2015, la Haute autorité prit d’ailleurs soin d’adopter une recommandation explicitant le sens de cette disposition. Elle y indiquait notamment que la participation d’un candidat issu d’un « autre parti » était conditionnée par la conclusion d’un accord préalable entre les organes délibérants dudit parti et ceux des partis d’ores et déjà engagés dans la primaire, précisant en outre que la procédure valait aussi pour les candidats qui seraient à la fois membre du parti Les Républicains et d’une autre formation politique. Dit autrement, les statuts de Les Républicains n’interdisant pas la double appartenance, était exclue la possibilité d’une candidature au titre d’un autre parti – et vu l’explosion du nombre de micro-partis la précision n’était pas anodine – d’un candidat adhérant de Les Républicains sauf à ce que les organes délibérants de celui-ci y aient expressément consenti.
Quant à savoir si les conditions de parrainage fixées pour les candidats issus de Les Républicains étaient satisfaisantes, il ne me semble pas que la Haute autorité ait à porter un jugement de valeur. En revanche, on peut s’essayer à expliquer le choix qui a été fait et à apprécier ses conséquences.
En premier lieu le choix. Il a été largement dicté par une volonté de raisonner par analogie avec la procédure de parrainage des candidats à l’élection présidentielle. L’idée était que si un candidat entendait participer à la primaire, c’était en vue de pouvoir être candidat ensuite à l’élection d’avril-mai 2017. Dès lors, être en mesure de réunir la moitié des parrainages requis pour la présidentielle – puisque le collège des parrains était identique – ne semblait pas une exigence déraisonnable tout en étant un gage de sérieux. Y a été ajouté un « verrou », afin de limiter, une fois encore dans l’esprit de l’élection nationale, le nombre des candidatures : parmi les 250 parrainages d’élus devaient figurer ceux d’au moins 20 parlementaires. Enfin, c’est le souci de maintenir un lien direct avec le parti qui a justifié que soit ajoutée une exigence supplémentaire : celle de réunir aussi les parrainages de 2 500 adhérents du parti à jour de cotisation.
Ce choix n’a pas été contesté ab initio puisqu’il avait été fait par un groupe de travail chargé de rédiger, à partir de janvier 2015, la Charte de la primaire en vue de l’échéance de 2016. Chacune des conditions a donc été débattue et mûrement pesée par des représentants des différentes sensibilités du parti et, disons-le, par des personnalités choisies pour représenter ceux qui, à l’époque, envisageaient d’être candidats à la primaire. Les choses ont, sans surprise, été un peu plus délicates lorsqu’il s’est agi de mettre cette procédure en pratique.
Et on en vient ainsi, en second lieu, aux conséquences. On peut les résumer en trois constatations.
D’abord, si l’on met à part le candidat qui a concouru au titre du Parti chrétien-démocrate dans les conditions arrêtées par ce dernier avec le parti Les Républicains, six candidats sont parvenus à remplir les conditions fixées par la Charte. La plupart ont témoigné que le défi était réel mais ils sont parvenus à le relever.
Ensuite, la candidature d’Hervé Mariton, pourtant déposée, n’a pas pu être validée pour des raisons formelles. S’il l’a légitimement regretté, il ne l’a pas contesté.
Enfin, les seules véritables contestations ont émané de candidats qui, n’étant pas parvenu à réunir le nombre de parrainages requis, ont essayé de se présenter au titre d’autres formations politiques. Faute d’accord préalable entre les partis concernés – soit que l’accord ait été refusé, soit qu’il n’ait pas même été sollicité – la Haute autorité n’a pu que constater que ces candidatures n’étaient pas recevables. La situation n’était guère différente de celle de candidats qui, non issus de Les Républicains, ont déposé une candidature au titre de partis ou groupements qui n’étaient jamais entré en contact avec ceux concourant à la primaire et j’observe que, in fine, chacun a accepté la décision de la Haute autorité.
Quant au juge compétent, nul doute, de mon point de vue, qu’il se serait agi du juge judiciaire. La Haute autorité est une personne morale de droit privé et comme toute association se déclarant soumise à la législation relative au financement des partis politiques, les décisions qu’elle a rendues auraient pu être contestées devant lui. Nous n’avons pas eu l’occasion de l’expérimenter mais le juge judiciaire a été saisi dans le cadre de la primaire de la gauche et s’il a déclaré les requêtes irrecevables, je ne sache pas qu’il ait estimé ne pas être compétent.
LPA – À l’inverse des opérations électorales classiques, il n’y a ni circulaires, ni affiches officielles à l’intention des électeurs. Jugez-vous que cela manque ?
A. L. – Il y a deux manières de comprendre cette question.
La première consiste à considérer que, comme pour une élection nationale, un dispositif d’information des électeurs devrait être mis en œuvre par les pouvoirs publics. Je ne le pense pas car le choix d’organiser une primaire est l’affaire des formations politiques qui le décident et, surtout, elles doivent demeurer libres de faire ce choix ou de préférer, en fonction des circonstances et de l’appréciation qu’elles portent sur le contexte politique, tout autre processus de désignation des candidats à une élection qu’elles jugeraient préférable.
Dans une seconde optique, la question conduirait à s’interroger sur les solutions retenues par les organisateurs de la primaire de la droite et du centre afin de faire connaître aux électeurs les conditions dans lesquelles ils pouvaient y prendre part. La question a été débattue et, sans aller jusqu’à parler de stratégie, des choix ont été faits qui tenaient notamment compte de contraintes budgétaires. Le niveau de participation semble montrer qu’il n’y a pas eu d’erreur majeure sur ce terrain. Les choses auraient-elles pu être améliorées ? Sans doute, mais je ne crois pas que quiconque ait pu ignorer qu’une primaire était organisée et les conditions dans lesquelles il pouvait y participer.
LPA – Que deviennent les recettes de deux euros par électeur, récoltées à l’occasion des primaires ?
A. L. – Il ne s’agit pas à proprement parler de recettes mais de contributions aux frais d’organisation du scrutin.
Une fois encore, c’est la Charte de la primaire qui a fixé à deux euros le montant de la contribution de chaque électeur à chaque tour de scrutin. Dans la mesure où la Haute autorité était une structure ad hoc n’ayant pas vocation à se pérenniser et, par conséquent, à constituer une trésorerie, elle a tenu à ce qu’il soit clair qu’il s’agirait de « deux euros secs » et que les dons ne seraient pas acceptés.
Les sommes récoltées avaient vocation à financer le montage de l’opération : la location des bureaux de vote, la fabrication du matériel de vote (bulletins de vote, enveloppes, cahiers de décharge et d’émargement, tirelire, affiches, etc.) ainsi que leur acheminement sur l’ensemble du territoire, la mise en place d’un site de vote électronique pour les Français établis hors de France, le dispositif de remontée des résultats et, bien sûr, les frais de fonctionnement de la Haute autorité, prix de son indépendance. Ce sont donc d’abord nos prestataires qui ont été payés et, puisque la participation avait été élevée, les partis avec lesquels une convention de pré-financement avait été conclue qui ont été remboursés. L’objectif était que la primaire soit auto-financée : il a été atteint.
Quant à un éventuel reliquat, son sort était réglé très précisément par l’article 7, paragraphe 4, de la Charte de la primaire : « Dans le cas où la Haute autorité disposerait encore de fonds disponibles après paiement de tous les fournisseurs et prestataires engagés, remboursement des contributions financières de l’ensemble des partis et groupements politiques ayant concouru financièrement à l’organisation de la primaire et couverture des coûts liés à la liquidation de la Haute autorité, ce solde sera affecté au compte de campagne du candidat désigné à l’issue de la primaire de la droite et du centre en vue de l’élection à la présidence de la République de 2017 ». Ainsi fut fait !
LPA – Les dépenses exposées à l’occasion des primaires seront-elles imputées au candidat vainqueur ?
A. L. – À la différence de ce qui s’est passé lors de la primaire en vue de l’élection présidentielle de 2012 qui était une première, la question est expressément abordée et tranchée par le mémento à l’usage du candidat et de son mandataire pour l’élection présidentielle de 2017 établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et rendu public le 29 avril 2016. Trois règles claires y sont formulées : en premier lieu, les frais d’organisation de la primaire n’ont pas à être intégrés au compte de campagne du candidat et sont imputables à la seule structure organisatrice ; en deuxième lieu, les dépenses exposées par le candidat vainqueur sont considérées comme des dépenses électorales ; en troisième lieu, les dépenses exposées par les autres candidats à la primaire n’ont pas à figurer au compte de campagne du candidat qui l’a emportée.
Dit autrement, aucune des dépenses engagées par la Haute autorité n’aura à figurer dans le compte de la campagne présidentielle. Dans la mesure où la Haute autorité devait, en application de la Charte, publier le guide électoral de la primaire au plus tard le 22 avril 2016, elle avait échangé avec la CNCCFP en amont afin de s’assurer, autant que faire se pouvait, de ne prendre aucune décision qui, à cet égard, pourrait créer des difficultés.
LPA – Comment était organisé le contentieux des opérations ? Y a-t-il eu des contestations liées au déroulement des opérations électorales proprement dites ?
A. L. – Largement inspirée des règles applicables à l’élection présidentielle, la Charte de la primaire prévoyait que « la Haute autorité veille à la régularité des opérations ; elle examine et tranche définitivement toutes les réclamations » (art. 10, § 5). Dans ce cadre, elle ouvrait à tout électeur la possibilité de contester la régularité des opérations en faisant porter au procès-verbal des opérations de vote, mention de sa réclamation et prévoyait que tout candidat pouvait, dans un délai de vingt-quatre heures, déférer l’ensemble des opérations.
Nous n’avons été saisis d’aucune contestation.
LPA – Considérez-vous que la délibération de la Cnil du 26 janvier 2012 est bien adaptée aux primaires ?
A. L. – Je ne sais pas si elle est adaptée aux primaires mais elle n’a pas constitué un obstacle lors de l’organisation de la primaire de la droite et du centre. Là encore, nous avons pris soin d’entrer en contact avec la Cnil en amont et de la tenir informée des différentes étapes de l’organisation. La Cnil a d’ailleurs diligenté un contrôle sur les opérations de destruction de l’ensemble des listes utilisées pendant les opérations de vote et c’est en sa présence et sous contrôle d’huissier que nous avons procédé au broyage et à l’incinération de tous les cahiers de décharge et d’émargement en décembre 2016 puis, encore en janvier 2017, pour ceux qui nous avaient été réacheminés plus tardivement.
LPA – Avez-vous constaté des manquements, même mineurs, à l’équité entre les candidats ? Le CSA a-t-il été saisi et, s’il l’avait été, se situerait-il en « appel » de vos propres décisions ?
A. L. – La Charte de la primaire, dont les termes ont été arrêtés à la fin du printemps 2015, prévoyait que la Haute autorité veillait non à l’équité mais à l’égalité entre les candidats. Cela étant dit, nous savions que nous n’avions pas de moyens de contrainte à l’égard de médias et qu’ils n’étaient tenus à aucune obligation légale. Le CSA ayant, dès le mois de septembre 2015, fait s’avoir qu’il était prêt à jouer un rôle de « bons offices » en cas de difficultés, nous nous sommes très tôt rapprochés de lui afin de lui faire part des règles que nous nous étions fixées.
Considérant que les enjeux étaient plus politiques que juridiques, l’organisation des trois débats préalables au premier tour et du débat d’entre-deux tours a été essentiellement prise en charge par le président de la Commission nationale d’organisation, Thierry Solère. Un représentant de chacun des candidats y étant associé et les médias concernés s’étant spontanément accordés sur une règle d’égalité, elle n’a posé aucune difficulté.
Des questions ont en revanche été soulevées concernant l’égalité d’accès des candidats à d’autres émissions politiques, au premier rang desquelles celle diffusée par France 2. Chacun des candidats n’ayant pas pu avoir la sienne, nous avons eu connaissance d’échanges avec le CSA mais n’avons pas été saisis de la question. Une solution alternative a été mise en place par France 2 sous la forme d’une interview spéciale. Il y aurait sans doute beaucoup à dire à cet égard sur le terrain de l’égalité mais la liberté éditoriale de la chaîne a prévalu et les candidats s’en sont finalement accommodés, conduisant à ce que nous n’ayons pas été sollicités.
LPA – Quelle appréciation globale portez-vous sur le déroulement des opérations ? Voyez-vous des observations à formuler, des points à modifier ?
A. L. – Je ne suis pas certaine d’être la mieux placée pour porter une « appréciation » sur l’ensemble des opérations. De manière plus prosaïque, je dirais que nous avions une mission et qu’il me semble que nous l’avons remplie de manière satisfaisante.
C’est bien sûr le produit d’une année de travail méthodique pendant laquelle, et cela a été déterminant, tous nos interlocuteurs ont été à notre écoute. Je pense évidemment à nos prestataires mais aussi aux institutions que nous avons tenues informées et sollicitées. Outre la CNCCFP, la Cnil, le CSA et la Commission des sondages, je pense au ministère de l’Intérieur qui, tant au stade du recueil des listes électorales que concernant nos préoccupations en termes de sécurité, a répondu à l’ensemble de nos sollicitations. Mais surtout, la réussite de la primaire de la droite et du centre tient, me semble-t-il, à la concomitance d’une envie démocratique et d’un phénomène de cristallisation de la confiance. C’est ce qui explique, de mon point de vue, que l’ensemble des candidats aient accepté les règles et les contraintes que nous leur imposions, que plus de 80 000 bénévoles se soient engagés pour permettre que le scrutin se déroule dans les meilleures conditions et que près de quatre millions et demi d’électeurs aient, à chacun des tours du scrutin, décidé de venir voter. Je ne sais pas si nous aurions pu ou dû procéder autrement mais l’organisation d’une primaire, parce qu’elle est une entreprise artisanale, est nécessairement un défi et en ayant confiance dans le processus, chacun de ceux qui y a participé a contribué à ce qu’il soit relevé.