Théâtre du Lucernaire

Publié le 13/11/2017

De plus en plus, les théâtres parisiens, qui disposent de plusieurs salles, souvent petites, programment différents spectacles le même soir. Le vénérable Lucernaire fut un pionnier, avec trois salles désormais, et l’on prend un minimum de risques car, depuis tant d’années, la programmation reste toujours aussi exigeante. Deux spectacles sont présentés ici… fort différents.

L’amante anglaise

En mars 1952, la cour d’assises de Versailles jugeait Amélie Rabilloud, meurtrière de son mari. Voulant effacer toutes traces de son crime, cette femme chétive et timide avait découpé minutieusement le cadavre, mis les débris macabres — à l’exception de la tête jamais retrouvée — dans son filet à provisions afin de les éparpiller dans la nature. Elle les lançait le plus souvent depuis un pont sur les trains de marchandises qui se croisaient près de Savigny-sur-Orge, habitude fatale cqui conduisit la police jusqu’à elle. Maître Floriot plaida le déséquilibre mental et elle ne fut condamnée qu’à cinq ans de prison.

Ce fait divers inspira Marguerite Duras, séduite par le monde de la folie où il n’y a ni culpabilité, ni responsabilité et elle imagina une Claire Lannes, meurtrière de sa cousine, essaimant les débris du corps comme son modèle, un monstre énigmatique, incapable d’expliquer son geste. « Je cherche qui est cette femme… elle ne donne aucune raison à ce crime. Je cherche pour elle ».

Dans la pièce, cette quête est menée par un enquêteur qui dans une première partie interroge le mari tout aussi énigmatique, puis la criminelle. Il obtiendra peu de réponses surtout des questions, les indices seront minces, les souvenirs encore plus : ici la cousine sourde-muette, là l’amant de Cahors. La pièce régulièrement jouée n’a pas pris de rides pas plus que la petite musique déstructurée et lancinante.

Bien évidemment il ne faut pas se livrer au jeu des comparaison et se remémorer les créateurs de la pièce Michael Londsale l’enquêteur et Claude Dauphin le mari encore que le jeu massif et au premier degré de Jacques Frantz ne manque pas d’intérêt. Mais le succès de ce spectacle au printemps et sa reprise cet automne reposent sur la performance de Judith Magre. Bien différente de l’interprétation plus intériorisée de Madeleine Renaut à la création, elle fait du personnage de Claire un sorte de diva parfaitement à l’aise dans sa condition d’énigme et dans une la folie plutôt triomphante que douce Comment mieux incarner un monstre en ses innombrables facettes qu’en confiant le rôle à un monstre sacré ?

Projection privée

Homme du Nord, Remi de Vos, est un auteur fécond. Une pièce chaque année, des succès assurés grâce à un humour féroce et une vision loufoque qui est la marque du comique contemporain. Après ses « Trois ruptures » le voici qui revient au Lucernaire avec la reprise d’une pièce créée en 2003, « Projection privée ».

Trois personnages : l’épouse accrochée aux séries romanesques de la télévision, son mari volage et la fille d’un soir qu’il a ramené à la maison. Bien mince dira-t-on, certes, mais dès les premières minutes on est emporté par un rythme endiablé, un flot d’invectives vachardes, des considérations cocasses sur la condition humaine et l’on se laisse aller.

Le trio de personnages très très ordinaires est sur un ring, les dialogues sont des coups de poing destinés à mettre l’autre KO mais les gants de boxe qui ne sont jamais de velours sont inoffensifs, la cruauté est bouffonne, l’intention est de faire rire ce dont la salle ne se prive pas. Que ne peut-on faire quand on transcende le quotidien.

Le spectacle doit aussi sa réussite à la mise en scène nerveuse de Michel Burstin, un décalage entre la réalité et les mots, l’évidence d’un théâtre dans le théâtre avec des personnages en représentation pour revigorer une intimité bien banale. Les trois comédiens sont excellents, qu’il s’agisse de Bruno Rochette en petit mâle pseudo dominant de Sylvie Rolland en poupée Barbie idiote et d’Elsa Tauveron en épouse grinçante. Les trois premiers ont une vieille complicité à travers la compagnie Hercub’qu’ils ont fondée il y a 25 ans pour défendre les créations contemporaines. Une seule faille, quelques longueurs et un rythme qui s’alanguit un peu vers la fin.

 

 

 

 

 

 

LPA 13 Nov. 2017, n° 131g3, p.22

Référence : LPA 13 Nov. 2017, n° 131g3, p.22

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