Zola, peintre de la justice et du droit
L’automne 2021 est une saison féconde pour le courant Droit et littérature. Après les contes juridiques de François Ost, l’ouvrage de Sophie Delbrel, Zola, peintre de la justice et du droit, est un autre beau cadeau à mettre sous le sapin des juristes comme des littéraires.
Décidément, le courant Droit et littérature ne cesse de s’enrichir et l’on ne peut que s’en réjouir. Après les monstres de la littérature française que sont Anatole France1 et Balzac2 auxquels Nicolas Dissaux a consacré deux livres, Sophie Delbrel s’est attaquée à Zola qu’elle qualifie de « peintre de la justice et du droit » dans un très bel ouvrage qui vient de paraître chez Dalloz, préfacé par le professeur lillois et directeur de la Revue Droit & Littérature éditée chez Lextenso éditions.
Ce n’est pas la première fois que l’auteur, maître de conférences en histoire du droit et des institutions à l’université de Bordeaux, investit les chemins buissonniers de sa discipline, en s’intéressant notamment aux rituels et à la dramaturgie inhérente au procès3 ou encore aux administrativistes écrivains4.
Dans cette somme remarquablement écrite consacrée à Zola, Sophie Delbrel offre un travail d’une précision rare – jusque dans la bibliographie et l’appareil infrapaginal d’une très grande richesse – qui a pour parti pris stylistique de filer tout le long la métaphore picturale, laquelle est d’autant plus justifiée pour un romancier naturaliste tel que Zola qui la revendiquait lui-même – « les peintres m’ont aidé à peindre d’une manière neuve littérairement » (p. 7) –, nourri de son propre rapport amical avec les peintres de son époque – Cézanne notamment – en particulier durant sa période aixoise.
Il est étonnant que les auteurs « classiques » du courant Droit et littérature5 aient délaissé jusqu’à présent le romancier du XIXe, alors que, en effet, qui mieux que Zola peut personnifier les rapports entre le droit et la littérature ? L’auteur qui aurait voulu être avocat – mais en rata l’examen – a rempli à travers sa vie et son œuvre quasiment tous les rôles. Avant même d’être confronté lui-même, en tant qu’accusé, aux tribunaux avec l’affaire Dreyfus dont il est « devenu un acteur essentiel » (p. 25) et condamné par la cour d’assises payant ainsi « le prix judiciaire de ses convictions » (p. 1) affirmées dans « J’accuse… ! », le jeune Émile Zola avait été témoin des déboires judiciaires de sa mère, veuve aux prises des dettes de son défunt mari. À sa majorité (en 1862), il avait fait usage de l’article 9 du Code Napoléon pour demander la naturalisation en tant que fils d’étranger et jouir en France de ses « droits civils, civiques et politiques » (p. 2). Plus tard, il assista à de multiples jurys d’assises, comme chroniqueur judiciaire et comme citoyen, expérience qui, contre toute attente, ne l’enthousiasma guère, sachant par ailleurs que sa position sur la peine de mort comporte une forme d’ambiguïté, même s’il a témoigné avoir été marqué par la lecture du Dernier jour d’un condamné d’Hugo à l’âge de 20 ans (p. 16).
Dans sa longue vie d’écrivain – d’une quarantaine d’années –, l’auteur des Rougon-Macquart combattit publiquement pour le droit d’auteur – notamment à travers sa participation à la Société des gens de lettres, mais aussi dans la défense contentieuse de sa propre propriété intellectuelle – et férocement contre la censure, notamment quand elle a des motivations morales – voir sa lettre aux membres de la commission du colportage (p. 315) et son audition devant la chambre des députés le 11 mars 1891 (p. 342). Mais il s’est aussi fait le défenseur, le procureur et le juge de nombreuses injustices dans ses romans, ce qui n’est qu’un aspect du « Zola justicier » (p. 310) pour lequel la justice « a d’abord une résonance sociale » (p. 60) car elle est fondamentale pour l’édification de la « Cité idéale » et en constitue un « principe cardinal » (p. 60 et 308).
Zola est, de fait, incontestablement un peintre de la justice, tout spécialement de ses grandes figures et de ses lieux, mais dont l’éclairage naturaliste se caractérise par sa « crudité » (p. 83). Si « le tribunal apparaît comme le lieu de la violence institutionnelle » (p. 70), la prison comme le bagne ne le sont pas moins et se caractérisent comme « un marqueur social » (p. 81). C’est davantage l’application et l’interprétation de la loi qui l’intéresse que sa confection. La figure du législateur ne fait pas l’objet d’illustrations particulières, à la différence de celle du juge omniprésent, qu’il soit de droit commun ou extraordinaire. Les avocats et avoués, mais aussi les notaires, les huissiers sont également peints de façon récurrente par le romancier qui les a rarement présentés sous un jour favorable.
Zola s’appuie parfois sur de véritables dossiers judiciaires – c’est explicitement le cas dans Les Mystères de Marseille (p. 101) – et a recours à un « conseiller juridique » (p. 117) – en la personne de Gabriel Thyébaut – afin de ne commettre aucune erreur de type institutionnelle ou procédurale – par exemple la procédure d’expulsion dans La Terre (p. 266) –, ce qui est logique avec son crédo de recherche de la vérité.
Le droit de la famille est central dans les fictions zoliennes – du contenu du contrat de mariage à la rédaction du testament – tout comme le droit du travail non encore connu comme tel, avec dans les deux cas une attention particulière portée aux droits – ou plutôt à leur très large insuffisance – des femmes, dont l’éducation doit être à l’égal de celle des hommes afin de leur « enseigner l’usage de la liberté » (p. 70).
L’exhaustivité des références de Sophie Delbrel est telle qu’il y en a pour tous les goûts. À travers le sens de Zola pour les détails (première partie), les paysages (deuxième partie) et les portraits (troisième partie), tant les privatistes que les publicistes trouveront de la matière pour nourrir leurs propres réflexions, illustrer leurs cours, se replonger avec les délices de simples lecteurs dans l’œuvre immense.
Le livre de Sophie Delbrel confirme une fois de plus que l’intérêt pour Zola ne faiblit pas, et notamment pour certaines de ses œuvres, tel le roman Germinal. Une adaptation en série télévisée vient en effet de connaître un grand succès6 et le manuscrit de plus de 450 feuillets rédigés entre 1885 et 1857 de son adaptation en pièce de théâtre a été acheté le mois dernier à Sotheby’s à 138 630 € par la Bibliothèque nationale de France. Pourtant, au moment de sa représentation, la pièce connut l’échec – probablement en raison de son édulcoration consécutive à la censure prononcée par la commission d’examen en raison de scènes qui « compromettent l’ordre public » (p. 40) – empêchant Zola d’être reconnu comme dramaturge, alors qu’il avait une vision populaire et sociale de l’approche dramaturgique, qui annonçait les futurs Piscator, Brecht ou Vilar.
Un autre regret est que Zola n’ait pu achever sa dernière série romanesque, Les Évangiles, qui aurait dû se clore par un volume « Justice » dont la gestation a été stoppée par le décès de l’auteur en 1902…
Cette frustration est largement dépassée pour le lecteur d’aujourd’hui grâce au passionnant ouvrage de Sophie Delbrel qui vient combler une vraie lacune des études de droit et littérature7.
Notes de bas de pages
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1.
N. Dissaux (dir.), Anatole France : leçons de droit, 2016, Mare & Martin.
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2.
N. Dissaux, Balzac, romancier du droit, 2012, Lexis-Nexis.
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3.
S. Delbrel et J. Rico (dir.), La Lettre et la loi. Endroit et envers du prétoire, 2015, Cujas.
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4.
S. Delbrel et A. Lauba, in A.-L. Girard, A. Lauba et D. Salles (dir.), « Les administrativistes écrivains », Les Racines littéraires du droit administratif, 2021, Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers.
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5.
Par ex. P. Malaurie (Droit et littérature. Une anthologie, 1999, Cujas) ne consacre aucun chapitre à Zola.
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6.
Série sur France 2 de 4 épisodes diffusée en octobre-novembre 2021. Claude Berri avait produit une adaptation cinématographique de Germinal en 1993.
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7.
V. tout de même : A. Reymond, « Politique et droit public selon Zola », Revue Droit et Littérature, 2019/1, p. 181.
Référence : AJU002z8