Le Conseil d’État valide la création de l’Inspection générale de la justice mais estime qu’elle ne peut, en l’état des garanties existantes, contrôler la Cour de cassation
Plusieurs syndicats et associations, représentant notamment des magistrats, ont demandé au Conseil d’État d’annuler le décret du 5 décembre 2016 portant création de l’Inspection générale de la justice. Ce décret institue, auprès du garde des Sceaux, un service d’inspection regroupant les différentes inspections qui existaient jusqu’alors au ministère de la Justice. Certains d’entre eux ont également demandé l’annulation de l’arrêté du même jour du garde des Sceaux précisant les modalités d’organisation de cette inspection et ses missions.
Les requérants estimaient notamment qu’une telle inspection, dans la mesure où elle était rattachée au garde des Sceaux, c’est-à-dire placée sous son autorité, méconnaissait le principe de séparation des pouvoirs et portait atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire, en particulier s’agissant de la Cour de cassation, cour suprême de l’ordre judiciaire.
Par la décision du 23 mars dernier, le Conseil d’État fait partiellement droit à ces demandes en ce qui concerne le décret, et écarte l’ensemble de l’argumentation des requérants concernant l’arrêté.
1/ Le Conseil d’État admet tout d’abord le principe d’une inspection chargée d’évaluer et de contrôler l’activité des juridictions judiciaires, placée auprès du ministre de la Justice.
Il juge ainsi que ni les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire, ce dernier incluant l’indépendance des magistrats dans la fonction de juger, qui sont garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par l’article 64 de la constitution, ni le droit à un tribunal indépendant et impartial résultant de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales n’interdisent par principe qu’un service d’inspection appelé à contrôler ou à évaluer l’activité des juridictions judiciaires soit placé auprès du ministre de la Justice, le gouvernement dont il est membre étant, en vertu de la constitution, chargé de conduire la politique de la nation et d’assurer, notamment, le bon fonctionnement des juridictions. Le Conseil d’État juge toutefois qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que la création d’un tel service soit légale, conditions tenant à sa composition et au statut de ses membres, à son organisation ainsi qu’aux conditions et aux modalités de son intervention. Il précise en outre que ses investigations ne doivent pas le conduire à porter une appréciation sur un acte juridictionnel déterminé. Il estime enfin que n’est pas interdite la présence, au sein d’un tel organe, d’inspecteurs extérieurs à la magistrature judiciaire justifiant de qualifications adéquates, dès lors que les investigations portant sur le comportement d’un magistrat sont conduites par un inspecteur ayant lui-même cette qualité et que celles qui portent sur l’activité juridictionnelle d’une juridiction le sont sous l’autorité directe d’un tel inspecteur.
2/ Le Conseil d’État vérifie ensuite que le service d’inspection mis en place par le décret et l’arrêté attaqués remplit les conditions ainsi précisées.
a) En ce qui concerne la composition de l’Inspection générale de la justice et le statut de ses membres, le Conseil d’État note que tous les membres de l’Inspection générale n’ont pas la qualité de magistrats. Il relève toutefois, d’une part, que le décret précise que seuls des inspecteurs généraux et inspecteurs ayant la qualité de magistrat peuvent conduire les inspections et contrôles de juridictions de l’ordre judiciaire et des enquêtes portant sur le comportement professionnel voire personnel d’autres magistrats. Dans ce dernier cas, il interprète le texte du décret comme signifiant que l’un des inspecteurs généraux ou inspecteurs doit en outre avoir un rang au moins égal à celui du magistrat concerné. D’autre part, il souligne que ces inspecteurs généraux et inspecteurs ayant la qualité de magistrat bénéficient des garanties d’indépendance offertes par le statut de la magistrature, auquel ils sont soumis, et que, en vertu de la loi organique du 8 août 2016, les magistrats nommés à l’inspection générale le sont par le garde des Sceaux après avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
En ce qui concerne l’organisation et les modalités d’intervention de l’inspection, le Conseil d’État relève notamment que si le décret attaqué prévoit que le ministre arrête le programme annuel des missions de cette dernière sur proposition du chef de l’inspection, il précise également que le ministre ne peut s’immiscer dans la répartition de ces missions entre ses membres ou dans la définition de la méthode selon laquelle elles sont conduites. Il note également que le décret précise que l’inspection arrête librement ses constats, analyses et préconisations et, qu’ainsi, elle ne saurait recevoir aucune instruction du garde des Sceaux dans l’exercice de ces missions.
En outre, il relève que si le ministre peut déclencher une enquête non prévue dans le programme annuel, l’inspection peut de son côté également décider d’elle-même de diligenter toute enquête ou contrôle, y compris sur la manière de servir d’un magistrat. Enfin, le Conseil d’État rappelle que ces enquêtes et contrôles sont par eux-mêmes sans effet sur la situation des magistrats concernés, toute mutation et toute sanction disciplinaire faisant intervenir le CSM.
S’agissant enfin de l’arrêté qui précise les modalités d’organisation de l’inspection et ses missions, le Conseil d’État juge qu’il apporte des garanties suffisantes s’agissant du caractère contradictoire des enquêtes et du respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Eu égard à tous ces éléments, relatifs tant aux garanties dans l’organisation de l’inspection elle-même qu’à celles dont disposent les magistrats faisant l’objet d’une inspection, le Conseil d’État juge que les textes régissant l’Inspection générale de la justice ne portent pas atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire ni au droit à un procès équitable, en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degré.
b) Il annule toutefois l’article 2 du décret en tant qu’il inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de cette inspection générale. Il s’agissait d’une innovation du décret attaqué, les précédents décrets de 1965 comme de 2010, qui instituaient déjà un service d’inspection auprès du ministre de la Justice, avaient prévu que ces services n’étaient pas compétents pour inspecter la Cour de cassation.
Le Conseil d’État censure cette innovation. En effet, il juge que, eu égard à la mission particulière confiée par le législateur à la Cour de cassation, placée au sommet de l’ordre judiciaire, et aux rôles confiés par la constitution à son premier président et à son procureur général, notamment à la tête du CSM chargé d’assister le président de la République dans son rôle de garant de l’autorité judiciaire, le décret attaqué ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l’inspection générale sans prévoir de garanties supplémentaires relatives en particulier aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l’un de ses membres.
Il annule en conséquence, dans cette mesure, l’article 2 de ce décret.