Le Grand Paris artistique

Publié le 11/10/2017

Si le Grand Paris Express reste avant tout un colossal chantier d’infrastructures, il possède désormais également une programmation artistique et culturelle. Avec une dotation de plusieurs dizaines de millions d’euros étalés sur les 12 prochaines années, ce programme se veut résolument ambitieux…

« La programmation artistique et culturelle du Grand Paris Express contribuera à bâtir le patrimoine métropolitain du XXIe siècle. L’appel à l’art et aux artistes est envisagé autant comme un processus qu’une finalité », expliquait José-Manuel Gonçalves, directeur artistique et culturel du Grand Paris Express (GPE), en avril dernier. L’homme qui est aussi le directeur du 104 (l’établissement culturel du XIXe arrondissement) a été recruté par la Société du Grand Paris (SGP) pour établir un programme culturel à la hauteur du chantier du Grand Paris Express. Pour l’épauler dans ce projet, on retrouve les noms de François Barré, ancien patron du Centre Pompidou, Nicolas Bourriaud qui fut à la tête des Beaux-Arts ou encore Fazette Bordage, commissaire d’exposition très impliquée dans les 500 ans du Havre en 2017. Car si ce sont bien les pelleteuses et les tunneliers géants qui bâtiront les 200 kilomètres du futur super métro, il n’était pour autant pas question de laisser passer l’opportunité d’insuffler un sens artistique au projet. Rémi Babinet, cofondateur de l’agence BETC l’assure : « Le futur métro du Grand Paris va être le moteur d’une transformation jamais vue depuis le XIXe siècle. Grâce à la création nous pourrons jouer collectif, dialoguer, rayonner ; participer à faire émerger une culture “post­périph” et à construire le récit du Grand Paris », c’est lui qui préside le Fonds de dotation du Grand Paris Express créé en mai 2016 pour recueillir les fonds privés et financer les multiples projets artistiques. Le Fonds permet aussi de répondre à la disposition légale française du « 1 % artistique » (les constructions de bâtiments publics requièrent qu’un pourcentage du budget soit dédié à la création d’œuvres contemporaines) qui sera ici réduit à un « 1 % ». Au vu des 25 milliards alloués à la totalité du chantier, cela représente tout de même une somme de plusieurs dizaines de millions d’euros consacrés à la culture et la création artistique. Pour la seule année 2017, c’est d’ailleurs 1,7 million d’euros qui ont été prévus.

Tandem artistique

Les « tandems » sont une des pièces phares de cette programmation artistique : l’idée est d’associer les 37 équipes d’architectes, choisies pour la conception des 68 nouvelles gares du futur métro, à des artistes qui insuffleront leur vision dès les premières étapes du projet. Cette collaboration, inédite à une telle échelle, devrait permettre la création d’œuvres complètement intégrées aux bâtiments. Elle permet aussi d’éviter l’écueil de l’œuvre décorative, commandé une fois la construction terminée et ne servant souvent que d’alibi culturel. « Nous avons délibérément choisi de confondre le geste architectural et la programmation artistique, qu’elle soit éphémère comme pérenne », souligne José-Manuel Gonçalves. Une dizaine de ces tandems ont déjà été révélés en avril dernier parmi lesquels on retrouve Ann Veronica Janssens pour la gare de Saint-Maur-Créteil, Ivàn Navarro pour celle de Villejuif-Institut-Gustave-Roussy ou encore Michelangelo Pistoletto à Champigny-Centre. D’ici à 2019, la totalité des tandems artiste-architecte sera constituée pour la conception des gares et centres techniques.

Œuvres nomades

Autre élément important de cette programmation culturelle : les « Œuvres nomades » qui se veulent un préambule annonciateur des futures gares et de la transformation de leurs quartiers. Il s’agit d’œuvres d’art contemporaines, mobiles et qui joueront avec le territoire pour offrir une approche originale et ludique du chantier. Elles sont présentées à la population à diverses étapes clés du projet. La dernière en date, Paysage vu à travers un point d’observation, créée par le plasticien allemand Tobias Rehberger et le jeune DJ français Thylacine, était présentée lors de la Nuit Blanche d’octobre 2016. Une installation monumentale qui fait voyager le spectateur dans un ballet de projections, les néons et signaux lumineux scintillant au rythme des pulsations sonores du compositeur électronique. Les prochaines œuvres nomades seront orchestrées par Ramy Fischler, ancien pensionnaire de la Villa Médicis qui devrait proposer une version urbaine et paysagère d’une rampe de skate « full pipe-line », ainsi que par Céleste Boursier-Mougenot, musicien plasticien vivant à Sète qui concevra un belvédère-manège, détournement de la Grande Roue foraine. Elles seront présentées entre la fin de l’année et 2018.

Rendez-vous au KM2

Les « KM » sont les événements rendez-vous du Grand Paris Express, organisé aux moments-clés du chantier afin de faire participer riverains et grand public à l’avancée du projet. Le prochain, le KM2 sera organisé en octobre en Seine-Saint-Denis et sera l’occasion de révéler les maquettes des 9 gares de la ligne 16 aux habitants des territoires. Afin d’en savoir plus sur les prochaines grandes étapes du Grand Paris Express, les Petites Affiches ont rencontré Pierre-Emmanuel Becherand, directeur du fonds de dotation du Grand Paris Express.

Les Petites Affiches – Pourquoi miser de l’argent sur la culture, en marge d’un projet de transport représentant un investissement de 25 milliards d’euros ?

Pierre-Emmanuel Becherand – Il s’agit en réalité d’une impulsion forte qui a été donnée par le président Phillippe Yvin depuis 3 ans. Il n’était pas envisageable de construire ce projet d’infrastructures avec 200 kilomètres de lignes de métro sans prendre en compte la question de son appropriation par les habitants du territoire sur lequel il est construit. Pour nous, le volet culturel du Grand Paris Express constitue donc un de ces moyens d’appropriation, car il permet de nouer le dialogue avec les habitants autour de projets qui associent collectifs d’artistes et associations. Notre engagement sur la partie culturelle et artistique offre une possibilité de raconter notre projet aux riverains et de les associer à la construction de ces nouvelles gares. Il fallait qu’ils puissent se projeter dans un avenir qui va changer leur cadre de vie, et à mon sens, la culture est bien plus efficace pour cela que les moyens traditionnels de communication. Mais avec ces 68 gares et ce métro, nous sommes aussi en train de bâtir le patrimoine de la métropole de demain. Nous voulons qu’il soit beau et qu’il reflète la création de notre temps, comme ont pu le faire d’autres projets avant comme le Métropolitain au début du XXe siècle. C’est la raison pour laquelle nous avons monté une politique architecturale ambitieuse avec 37 équipes d’architectes auxquelles ont été associés des artistes.

LPA – Aviez-vous des exemples ou contre-exemples d’autres grands projets d’infrastructure lorsque vous avez mis en place cette politique culturelle ?

P.-E. B. – Nous avons effectivement observé ce qui a pu se faire sur les grands projets liés aux constructions de métro à Naples ou à Singapour, qui ont eux aussi eu une politique d’intégration de l’art. Le métro de Montréal était aussi un cas d’école de par le grand nombre de commandes effectué auprès d’artistes. Il était en tout cas pour nous primordial de réfléchir dès le début à la capacité des réseaux à entretenir et maintenir ces œuvres sur le long terme. Nous travaillons notamment avec le STIF (Syndicat des transports d’Ile-de-France) sur ce sujet. La volonté d’une démarche artistique se retrouve aussi dans les projets immobiliers qui suivent l’initiative du « un immeuble, une œuvre » pour l’art dans les opérations immobilières. Mais le fait nouveau est sans aucun doute l’inclusion de l’art au sein même des chantiers, sur ce point nous avons suivi l’exemple de certains chantiers d’Europe du Nord tel que celui de Copenhague. Tant sur le projet de métro que d’aménagement il y a eu une politique d’animation culturelle autour des chantiers avec un mélange d’associations et artistes de quartiers avec des artistes internationaux. Une fois encore cela permet d’améliorer la communication avec les premiers concernés : les Franciliens.

LPA – Le budget 2017 consacré à la création artistique s’élève à 1,7 million d’euros, comment est-il réparti ?

P.-E. B. – Ce budget qui est un pourcentage de l’ensemble des dépenses engagées sur l’année a vocation à être renouvelé chaque année jusqu’à l’ouverture du métro. On peut y identifier trois grands postes de dépenses. Celui des commandes pérennes d’abord, je pense notamment aux projets Tandems et aux honoraires artistiques et d’études qui permettent d’intégrer le volet artistique à celui de l’architecture. Nous avons ensuite tout ce qui a trait aux actions sur les chantiers, que cela soit des événements ou inaugurations, nous souhaitons systématiquement donner une note artistique à ces rendez-vous. Nous incluons aussi les collaborations de long terme avec les collectifs, associations et écoles dans cette partie. Enfin, le dernier grand poste est celui des appels à projets, plus tournés vers la jeune création. Il y en a un par an pour aboutir à des projets qui vont se matérialiser sur les gares, chantiers ou événements.

L’une des installations artistiques à voir.

Société du Grand Paris / Benjamin de Diesbach

LPA – Comment se déroule le projet Tandem consistant à faire collaborer artistes et architecte ?

P.-E. B. – Une première dizaine de collaborations entre artistes et architectes ont été lancées en janvier 2017. Nous avons entre-temps mis en place de nouveaux partenariats que nous révélerons bientôt. Pour l’instant, je peux affirmer que la collaboration entre artistes et architectes se passe très bien, la phase de travail a été entamée et les premières esquisses réalisées seront présentées à l’automne. Cela vient confirmer la méthode de travail que nous avions décidée en amont : tous les artistes ont été sélectionnés avec José-Manuel Gonçalvès, notre direction artistique, en accord avec les architectes afin de s’assurer que le mariage du projet architectural et artistique se fasse de la meilleure façon. On sait que les choses peuvent parfois mal se passer lorsqu’on impose un artiste à un architecte, ce que nous avons voulu éviter à tout prix. Ce type de collaboration n’est pas évidente, car les enjeux sont complexes et les artistes doivent intégrer les contraintes de sécurité, gestion des flux, maintenance, etc. Il ne fallait donc pas se tromper sur le casting. Ce qui est intéressant c’est que l’on aura des œuvres à l’échelle de l’architecture, il ne s’agit pas juste de poser une sculpture au milieu de la gare, mais d’intégrer réellement l’artiste à la conception. Que cela soit sur l’éclairage, le choix des matériaux ou la manière de mettre en scène l’espace. D’autant que chacun aborde l’exercice avec une approche différente : Laurent Grasso avec la gare de Châtillon-Montrouge a par exemple travaillé sur la notion de plafond à la française, à Issy RER, Pablo Valbuena travaille sur la mise en lumière, etc. Tous ces projets font que chaque gare aura sa propre identité sur le plan architectural et artistique.

LPA – Comment la jeune création est-elle associée à ce programme ?

P.-E. B. – Les appels à projets ont été pensés spécifiquement pour permettre aux jeunes artistes de moins de 35 ans et étudiants en fin d’étude de participer au Grand Paris Express. Nous nous sommes associés aux grandes écoles telles l’ENSAD (École nationale supérieure des Arts Décoratifs), l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) et les Beaux-arts. Il y a une volonté de créer des liens et faire des partenariats dans tous les domaines : design, audiovisuel, photographie, numérique. Nous venons par exemple de nous associer à l’École Louis Lumière de photographie pour travailler sur les chantiers. Les candidatures pour ces appels à projets sont très ouvertes et permettent d’octroyer des bourses aux projets lauréats.

LPA – Quels seront vos prochains rendez-vous publics ?

P.-E. B. – Le 4 juin 2016, le KM1 a permis de lancer le début des travaux du Grand Paris Express avec le chantier de la future gare Fort d’Issy–Vanves–Clamart. Le prochain, le KM2, aura lieu en octobre et nous y présenterons les maquettes des gares directement sur le territoire. L’objectif est vraiment d’associer les riverains autour d’événements festifs à la dimension populaire et conviviale. Il y aura aussi un événement en novembre autour du ripage d’une dalle à Cachan et le lancement du premier tunnelier à la fin de l’année. Bref, nous voulons faire en sorte que chaque moment important de la vie du chantier soit vécu directement avec les habitants plutôt que de faire des inaugurations institutionnelles avec les élus et quelques invités triés sur le volet.

La future gare de Noisy-Champs.

Jean-Marie Duthilleul

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