Les espaces de coworking en plein boom en Ile-de-France

Publié le 16/01/2018

Les espaces de coworking se développent de façon exponentielle en Ile-de-France. Carine Camors est économiste à l’Institut de l’aménagement et d’urbanisme (IAU) et a rédigé un rapport concernant les lieux tiers de travail : leur multiplication rapide influence le monde du travail, l’économie et le tissu urbain. Et inversement.

Espaces de coworking, fab lab, incubateur, bureau mutualisé… Autant d’appellations nouvelles qui appartiennent à la grande famille des « tiers lieux », comme les avait déjà appelés l’universitaire américain Ray Oldenbourg dès 1989. Ces espaces, hors du domicile ou du bureau professionnel, comme les cafés et les librairies, se définissent comme propices à une activité professionnelle tout comme aux interactions sociales. Le rapport, réalisé par Carine Camors, économiste en collaboration avec Alexandre Blein, de l’École des Ponts Paris Tec-Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (Latts), s’intitule « Les tiers lieux : de nouveaux espaces pour travailler ». Il est riche d’informations concernant le formidable essor qui fait émerger de tels espaces un peu partout en Ile-de-France. Le rapport aborde les raisons de ce succès, sans oublier un nécessaire travail préliminaire de définition. Alors que les espaces de coworking rassemblent des communautés d’utilisateurs, les bureaux mutualisés correspondent plutôt à des centres d’affaires. Les fab lab, eux, permettent aux « makers » (citoyens partisans d’un travail collaboratif) de fabriquer des objets collectivement ou d’imprimer en 3D, et les lieux d’accompagnement (incubateurs, pépinières, accélérateurs…) chaperonnent eux des entreprises, surtout des start-ups.

À l’échelle de la France, l’Ile-de-France est particulièrement dynamique, avec des chiffres étourdissants : aujourd’hui, elle compte 620 lieux tiers, et les estimations du rapport prévoient d’atteindre les 1 000 tiers lieux d’ici 2021. Pour obtenir ces chiffres, Carine Camors, économiste, a travaillé plusieurs mois dès décembre 2016, afin de récolter les informations utiles, d’identifier ces lieux, de recenser les données nécessaires à l’établissement des grands tendances sociales, économiques, urbaines découlant de l’émergence de ces tiers lieux.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces lieux non-traditionnels de travail ont le vent en poupe, directement impactés par la part grandissante du numérique, de la réorganisation du travail, plus nomade, moins hiérarchisé, et l’augmentation des professions indépendantes qui optent partiellement pour du télétravail. Pour autant, leurs prémisses remontent aux années 90, où Berlin vit naître les premiers espaces de coworking. Londres prend la relève dans les années 2000 et San Francisco à la fin de la décennie. En France, il faut attendre 2008, avec la naissance du premier espace de coworking, La Cantine, installée dans le Sentier, auprès des acteurs du numérique. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la France a pris le tournant du numérique assez tôt et son tissu de start-up est assez dense », éclaire l’économiste.

L’Ile-de-France, capitale des tiers lieux

À l’échelle de la France, ce sont les villes-mondes ou l’Ile-de-France qui sont les plus concernées. La raison principale ? La concentration très forte du nombre d’utilisateurs potentiels, – plus 30 % d’indépendants entre 2009 et 2015 en Ile-de-France, l’apparition du statut d’auto-entrepreneur, et la création de nombre de créatifs ou de travailleurs aux polyactivités. Parallèlement, le développement des tiers lieux dans des zones rurales est un facteur de lutte contre la désertification. Le télétravail (auquel ont recours entre 8 % et 12 % des actifs selon les sources) se développe actuellement dans les grandes et moyennes entreprises. Carine Camors souligne plusieurs expérimentations de création de tiers lieux dans la Creuse, l’une des zones les moins densément peuplées de France, à l’instar de la Quincaillerie numérique de Guéret (qui possède un fab lab, un espace de coworking et des médias citoyens participatifs). En Ile-de-France aussi, notamment en Seine-et-Marne, des collectifs de tiers lieux s’installent dans des territoires ruraux et périurbains, mais les différences entre espaces parisiens et ruraux demeurent encore importantes.

La région Ile-de-France a compris assez rapidement les enjeux de soutenir de tels lieux sur le territoire. « Ainsi, elle accompagne ces nouveaux modes d’organisation qui transforment l’économie. Il s’agit de réinventer un modèle économique qui bouleverse l’économie traditionnelle, avec l’émergence de nouveaux lieux liés aux datas et au travail collectif ». Les pouvoirs publics s’emparent de cette question, notamment en organisant des appels à projets, puisque le développement du territoire, voire le désenclavement d’un territoire peuvent en dépendre. « Les tiers lieux sont des leviers de développement économique, des lieux d’attractivité et d’activités. L’impact est réel : une étude de la Caisse des dépôts (de 2015) estime que neuf emplois directs ou indirects sont créés dans la commune en question pour un espace accueillant 200 postes, détaille Carine Camors. Les travailleurs pourraient dépenser 57 000 euros annuels, sans oublier les taxes fiscales » s’ils viennent finalement s’installer dans la commune. Aux yeux de l’économiste, aucun doute, « les tiers lieux forment un outil très fort de dynamisation du tissu local, afin de faire émerger de l’innovations qui viennent répondre à des besoins locaux ».

Un marché de bureaux en plein boom

Aujourd’hui, les tiers lieux ne correspondent encore qu’à 2 ou 3 % du marché de bureaux, et le coworking n’occupe que 100 000 m² en Ile-de-France. Mais on s’attend à un doublement prochain de la part de ces espaces, au sein du marché de bureaux en Ile-de-France. « Les opérateurs privés s’intéressent grandement au marché », confirme Carine Camors. Dans le rapport, elle précise qu’il existe plusieurs statuts juridiques : entrepreneurial quand les structures sont montées par des entrepreneurs qui décident de faire de la gestion de l’espace leur activité principale ; associatif quand il s’agit d’un espace de travail collaboratif regroupant des travailleurs indépendants, géré par une association ou une société coopérative d’un intérêt collectif (SCIC) ; public quand l’espace bénéficie de subventions publiques, ou encore 100 % privées, quand des promoteurs immobiliers s’y intéressent (et en premier lieu, Nexity, leader en la matière). Dans tous les cas, le travailleur nomade est bénéficiaire. « Avec les tiers lieux, on peut trouver des espaces avec des forfaits à l’heure, au mois, à la journée », détaille Carine Camors.

Mais derrière ces opportunités fortes, il existe un enjeu juridique et fiscal fort. Quelles sont les taxes à payer sur la construction, l’exploitation, dans quel cadre ces espaces s’insèrent-ils ? Pour les non-salariés, quelle réglementation ? Quel droit au chômage, à la cotisation vieillesse ? « Notre économie est une économie où l’on reconnaît beaucoup de droits aux salariés et peu aux indépendants. Ce sont pourtant eux qui prennent le plus de risques en se lançant dans l’entrepreneuriat sans protection sociale. L’un des vrais enjeux de la politique d’Emmanuel Macron est de donner plus de droits aux non-salariés. Ce sont eux qui ces dernières années ont dynamisé la création de l’emploi et donc l’économie ».

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