Lectures d'ici et d'ailleurs

Repenser le raisonnement juridique

Publié le 28/03/2019

G. Samuel, Rethinking Legal Reasoning, Edward Elgar, 2018, 386 p.

Cet essai, publié dans la collection « Rethinking Law » des éditions E. Elgar, est signé par le célèbre comparatiste Geoffrey Samuel, professeur à l’Université du Kent au Royaume-Uni. Il prolonge sa réflexion entreprise par différents travaux antérieurs : une monographie et plusieurs articles. L’auteur est connu en France où il y séjourne régulièrement. Il côtoie et alimente de nombreux cercles de pensées en histoire du droit, droit des obligations, théorie du droit et, bien sûr, en droit comparé.

La visée de cet ouvrage kaléidoscopique est clairement épistémologique. L’auteur entend apporter sa contribution aux recherches immenses que nourrissent les questionnements sur le sens du droit.

Le travail est décomposé en douze thèmes. Sur le plan formel, il contient de nombreux encadrés qui sont autant d’extraits de doctrine, jurisprudence, texte ou rapport.

Comme souvent dans les ouvrages de ce type outre-Manche, l’analyse s’ouvre par une recherche historique et comparée (rappelons que ce sont là deux spécialités de l’auteur). La pensée civiliste médiéviste (glossateurs et post-glossateurs) et romaniste (chapitres 1 et 2) y est décortiquée. Les influences et interactions qui nourrissent, tel un véritable jeu de ping-pong, les approches de droit civil et de common law y sont décryptées (chapitre 3).

Suivent pas moins de sept grandes interrogations sur les ressorts du raisonnement juridique.

La première (chapitre 4) porte sur ces artefacts hérités du passé que sont autant de modèles juridiques contemporains : modèle de règle, d’interprétation, de droits, d’intérêt juridique, de politique juridique, de recours. Ces constructions, présentées de manière non exhaustives, ont une vocation essentiellement introductive à l’étude du raisonnement juridique.

La deuxième interrogation (chapitre 5) s’intéresse à la littérature juridique, celle des professeurs et des praticiens, spécialement de common law. Une réflexion sur l’impact de la taxinomie juridique (classement, placement, ordre des mots) sur le raisonnement juridique est proposée par différents biais.

La troisième interrogation (chapitre 6) met en scène la redoutable question de la manière dont le droit traite les faits en général et le fait social en particulier. L’auteur y dessine une relation complexe, multicausale, faite d’implicites, spécialement pour les cas difficiles (« hard cases ») qui n’autorisent aucune application mécanique de la règle de droit. L’auteur défend l’idée que la meilleure manière de mettre en scène cette relation complexe, c’est la narration et plus exactement la mise en concurrence de la narration des faits, instigatrice de la solution juridique.

Une quatrième approche (chapitres 7 et 8) ouvre plusieurs perspectives pluridisciplinaires qui pourront surprendre le lecteur. Le raisonnement juridique est comparé aux cheminements de la pensée qui caractérisent le diagnostic médical et l’art cinématographique et c’est utile pour mieux comprendre le travail des juristes.

Une cinquième question (chapitre 9), qui ne surprendra personne, porte sur la place déterminante des fictions dans la construction du raisonnement juridique.

La sixième entrée (chapitre 10) fait écho au titre de l’ouvrage. L’auteur développe avec vigueur un plaidoyer en faveur d’un « repensé » perpétuel du raisonnement juridique. Pour cela, il présente différents outils de type analogie, casuistique, apport des sciences sociales, démystification des modèles ou encore alternance des paradigmes.

La septième entrée (chapitres 11 et 12) se veut plus pratique. Elle revient sur l’un des artefacts décrits au chapitre 4, celui des intérêts juridiques. L’analyse des intérêts y est utilisée comme une clé d’entrée permettant de revisiter l’ensemble des ressorts du raisonnement juridique. Tout y passe ou presque : intérêts et droits, intérêt et personne, chose ou action, intérêts et abus de droit, intérêts et liberté, intérêts et dommages et intérêts, intérêts et peines, intérêts sectoriels, etc.

Enfin, le travail se termine par des observations récapitulatives particulièrement denses.

Pour terminer, on dira que cet ouvrage est remarquable, parce qu’il parle à tous les juristes, de tout le droit. Même si l’auteur emploie ses propres biais (notamment de droit privé), sa culture et son ouverture d’esprit sont de nature à interpeler nos consciences juridiques de manière presque intime.

LPA 28 Mar. 2019, n° 143k1, p.15

Référence : LPA 28 Mar. 2019, n° 143k1, p.15

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