PFUE : Éric Dupont-Moretti dévoile ses ambitions au Parlement européen

Publié le 18/03/2022

Le ministre de la Justice a présenté, à Bruxelles, les priorités de la France dans le domaine de la justice. Cet exercice, habituel lors de chaque début de présidence du Conseil de l’Union européenne, n’a fait l’objet d’aucune annonce surprise. Les textes évoqués, nombreux, ne pourront pas tous connaître d’avancées significatives avant la fin du mois de juin.

Éric Dupont-Moretti, PFUE 2022

European Union 2022

EP

Dans un Parlement européen peu habitué aux joutes verbales, davantage connu pour la tortuosité de ses couloirs que pour l’envolée lyrique de ses débats, la venue d’Éric Dupond-Moretti, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne pouvait intriguer. Il n’en fut cependant rien. L’avocat pénaliste, devenu ministre de la Justice au mois de juillet 2020, s’est attaché à défendre son action et sa vision de la justice. En vingt minutes, et devant quelques députés européens membres de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, Éric Dupond-Moretti a exposé les sujets et les textes qu’il souhaite voir avancer d’ici la fin du mois juin.

Premier sujet : les preuves électroniques en matière pénale. Lancé il y a 4 ans déjà par la Commission européenne, celui-ci est encore en cours de négociations entre les institutions. « Il est de notre responsabilité de parvenir à un accord le plus rapidement possible », a déclaré le ministre, qui souhaite reprendre les réunions à ce sujet. « Il en va de la souveraineté de l’Europe, de l’autonomie du droit européen et de notre capacité à fixer nos propres règles », a-t-il encore insisté. Le paquet e-evidence, comme il est aussi appelé à Bruxelles, doit améliorer l’accès aux messages, aux courriers électroniques et autres documents numériques dans les enquêtes pénales internationales. En effet, les enquêteurs européens dépendent actuellement du bon vouloir d’action des géants du numérique américains, soumis à la législation américaine. Le texte souhaite notamment rendre obligatoire la présence, sur le continent européen, d’un représentant pour chacun des fournisseurs de services numériques. Les procédures pourraient ainsi être accélérées. Les réponses aux demandes des enquêteurs seraient donc apportées en 10 jours voire en quelques heures en cas d’urgence, contre un an actuellement, selon Éric Dupont-Moretti. « Cet accord nous permettra de progresser dans l’identification des auteurs et dans la matérialisation de leurs infractions », a affirmé le ministre. En réponse aux inquiétudes des eurodéputés quant au respect des libertés individuelles, le garde des Sceaux a assuré que le texte comportait « les garanties nécessaires ».

Non sans lien avec ces préoccupations, le ministre de la Justice a ensuite évoqué la volonté de la présidence de réaffirmer les valeurs de l’État de droit, de l’Europe de la justice et de la primauté du droit européen. « Ce n’est pas négociable à nos yeux », a-t-il martelé alors que le sujet de l’État de droit, particulièrement, cristallise depuis des années les tensions en Europe, principalement avec la Pologne et avec la Hongrie. Éric Dupont-Moretti a rappelé l’ambition de la France de faire adopter la proposition de la Commission européenne « visant à étendre la liste des « eurocrimes » visés à l’article 83 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux crimes et aux discours de haine ». Une résolution qui a conduit à une passe d’armes avec Nicolas Bay, député européen du Rassemblement national. « La menace qui pèse sur nos libertés fondamentales est immense », s’est inquiété le parlementaire. « Est-ce qu’on aura encore le droit de critiquer l’immigration de masse ? », poursuit-il. Face à ces propos, le garde des Sceaux s’est agacé : « Bien sûr que vous pourrez critiquer l’immigration, nous n’allons pas vous enlever le pain de la bouche », lui a-t-il répondu, non sans ironie.

Dernière priorité détaillée par le ministre : aider la justice face aux défis de la modernité. Sur l’environnement, « nous souhaitons faire progresser les négociations sur la proposition de révision de la directive de 2008 sur la protection de l’environnement par le droit pénal », a expliqué Éric Dupont-Moretti. À propos du numérique, le ministre a notifié son désir « de faire avancer aussi loin que possible » les discussions autour du cadre réglementaire entourant les échanges d’informations en matière de terrorisme, ainsi que « la mise en place d’une plateforme commune destinée aux équipes communes d’enquête ».

Dans l’ensemble, les députés européens ont accueilli favorablement les intentions françaises. Certains parlementaires étrangers n’ont pas manqué de souligner l’existence d’un décalage temporel entre les visées françaises et le travail législatif. En effet, si chaque présidence du Conseil de l’Union européenne ne dure que 6 mois, les textes peuvent être négociés, quant à eux, durant des années, et n’être jamais appliqués par les États membres. Un avertissement qui s’avère d’autant plus vrai pour un ministre et une présidence qui pourraient voir leur visage, et donc leur politique, changer après l’élection présidentielle d’avril.