Les neuf questions du viol et quelques autres….

Publié le 20/09/2024

La fiche sur le viol publiée mercredi par la Direction de l’information légale et administrative (DILA) a retenu l’attention de la magistrate Valérie-Odile Dervieux. Elle pointe ses nombreuses approximations.  

Femme victime de violences
Photo : ©AdobeStock/AungMyo

Une fiche « Viol, consentement, soumission chimique : le point en 9 questions », est publiée le 18 sept 24, par la Direction de l’information légale et administrative (DILA), rattachée aux services du Premier ministre.

L’opportunité d’une telle publication, dans le contexte, expressément visé du procès dit des « viols de Mazan », est un sujet en soi.

La teneur de certains développements interroge également.

Les 9 questions DILA  sont les suivantes :

1/ Que sont les violences sexuelles et sexistes (VSS) ?

2/ Quelle est l’ampleur des violences sexuelles et combien y a-t-il de condamnations ?

3/ Quelles sont les mesures prises pour lutter contre les VSS ?

4/ Quelle est la définition du viol en droit français ?

5/ Qu’implique la présomption de consentement ?

6/ Qu’impliquerait la prise en compte du consentement dans la définition des violences sexistes ?

7/ Qu’est-ce que la soumission chimique et comment est-elle sanctionnée ?

8/ Y a-t-il une politique européenne contre les VSS ?

9/ Quels ont été les débats au sein de l’UE lors de l’adoption de la directive sur les violences à l’égard des femmes ?

Les développements sont-ils à la hauteur de l’ambition pédagogique du site ?

➡POINT 1 : violences sexuelles et sexistes (VSS) ?

La note estime que seule une atteinte à l’intégrité physique constitue « une agression » et ne vise pas les violences infra familiales comme des « Les violences sexuelles et sexistes sanctionnées pénalement. »

➡ POINT 2 : Ampleur des violences sexuelles et nombre de condamnations

Se basant sur un ouvrage collectif Virage (enquête Violences et rapports de genre) réalisé en 2015, les rédacteurs assurent que la « prévalence de violences sexuelles en France est considérable » et ajoutent que « L’écrasante majorité de ces faits reste sans poursuites. » en ce que  » les affaires sont majoritairement classées (par la justice) au motif de manque de preuves, bien que l’auteur soit souvent connu et identifié ».

Cette dernière assertion, particulièrement péjorative pour le travail des forces de sécurité intérieures et des parquets, est directement issue d’une étude intitulée « Le traitement judiciaire des violences sexuelles et conjugales en France (www.ipp.eu/wp-content/uploads/2024/04/Note_IPP_Violences_aux_femmes-5.pdf » et notamment de ses pages 4 et 5, dont nous avons eu l’occasion d’analyser les approximations  dans un article publié dans ces colonnes le 23 avril dernier[1]

La note DILA confond également les mesures pénales et civiles lorsqu’elle indique :

« Ces dernières années, la réponse pénale à l’égard des violences conjugales s’est endurcie. 3 586 ordonnances de protection ont été délivrées en 2022 contre 1 392 en 2017 ».

Car les ordonnances de protection sont, faut-il le rappeler, des décisions civiles relevant de la compétence du juge aux affaires familiales[2]

➡ POINT 3 : Mesures prises pour lutter contre les VSS

Si la note réintroduit parmi les violences sexuelles et sexistes, les violences conjugales, elle décrit les politiques publiques de lutte contre les VSS dans une sorte de gloubi-boulga dont on peine à appréhender la cohérence : infractions pénales, prises en charge, études, dispositifs de signalement, campagnes d’information sur les drogues, contrôle des prescriptions médicales.

C’est dommage.

➡ POINT 4 : définition du viol en droit français

Les rédacteurs présentent les agressions sexuelles comme une catégorie de viols puis tentent  de décrire à gros traits l’évolution de « La définition du viol depuis le XIXe siècle. ».

Mieux vaut se référer à un article simple mais clair[3].

➡ POINT 5

Intitulé « qu’implique la présomption de consentement ? », ce point est sans doute une sorte d’acmé de la confusion. Les auteurs y affirment en effet, sans aucune explication que « Le droit français est construit sur une présomption de consentement à l’acte sexuel »

Or si cette position correspond à une analyse d’une partie de la doctrine [4], elle ne saurait être considérée comme une vérité officielle.

➡ POINT 6

Les auteurs, en s’attachant à tenter d’analyser ce « qu’impliquerait la prise en compte du consentement dans la définition des violences sexistes   se perdent et nous perdent.

Tout d’abord parce que certaines infractions sexistes, telles que définies au point 1, sont des contraventions dans le cadre desquelles la notion de consentement n’a pas à être prise en compte.

Ensuite parce que l’analyse, confuse, ne prend pas ni en compte les dernières évolutions de la loi sur la prohibition des relations sexuelles majeurs mineurs (Article 222-23-1) issue de la Création LOI n°2021-478 du 21 avril 2021 , ni, de manière équilibrée, l’ensemble des thèses défendues par la  doctrine

➡Les chiffres utilisés dans le point 7 ne sont pas sourcés, mais bon…

Brisons là !

Les approximations et parti-pris, les chiffres qui correspondent tantôt à ceux du ministère de l’intérieur (plaintes, mains-courantes), tantôt aux Statistiques Justice (condamnations), tantôt aux analyses d’enquêtes de victimisation  peu récentes (2015), tantôt enfin à ceux présentés dans des études contestables, ne permettent pas de restituer avec clarté, neutralité et précision les enjeux et l’importance du débat en cours en cours dans la société française.

(Re)dommage.

Le site DILA se présente comme « animé par une équipe de rédacteurs passionnés par les questions citoyennes, spécialisés dans les politiques publiques  » et se fixe comme buts « fiabilité, clarté, richesse et équilibre ».

Gageons que nous partageons tous, lecteurs et professionnels du droit, ces objectifs.

Ce sont des objectifs louables.

Ce sont des objectifs exigeants

Ce sont des objectifs ambitieux.

La dignité et la réserve, celle des parties civiles et de leurs conseils dans le procès dit « des viols de Mazan » devra donc continuer à alimenter notre esprit critique, nos réflexions et à nous inspirer.

Dans le respect des principes généraux du droit et avec le souci de porter la réflexion sur ces thématiques à la hauteur exigée par la publicité des débats voulue par la partie civile et sans précipitation.

[1] Violences sexuelles : 86% de classements, vraiment ? 

[2] Loi du 13 juin 2024 renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate

Violences conjugales : https://www.service-public.fr/particuliers/vos%20droits/F12544

[3] La France et le viol, retour sur 40 années de réformes, par Me Jérôme Navy

[4] Définition du viol : osez le consentement ! – Actu-Juridique

Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien

Incrimination de viol : vers une intégration de la notion de consentement

Les pièges du consentement

 

Mise à jour par l’auteur, le 30 septembre 2023 à 10:07 

La DILA a pris en compte la plupart des observations formulées dans l’article  Les neuf questions du viol et quelques autres du 20 septembre 2024. Les modifications apportées, sans que celles-ci soient expliquées ou motivées, rendent la note DILA  plus exacte, claire et complète. On relève notamment :

POINT1  : violences sexuelles et sexistes (VSS) ?

La note ne limite plus la notion d' »agression »  à  la seule atteinte à l’intégrité physique.

POINT 2 : Ampleur des violences sexuelles et nombre de condamnations

La note ne dit plus « L’écrasante majorité de ces faits reste sans poursuites » mais « les données montrent également un faible taux de poursuites et de condamnation ».

On regrette le maintien de la formule « les affaires sont majoritairement classées (par la justice) au motif de manque de preuves, bien que l’auteur soit souvent connu et identifié », formule directement issue d’une étude contestable et qui fait porter un soupçon infondé sur le travail des FSI et des magistrats ( Violences sexuelles : 86% de classements, vraiment ?).

La note DILA, pour répondre à l’observation  que nous avons formulée sur la confusion pénal /civil ne dit plus :  » Ces dernières années, la réponse pénale à l’égard des violences conjugales s’est endurcie » mais  » Ces dernières années, la réponse judiciaire à l’égard des violences conjugales s’est durcie »…

POINT 3

La note décrit les politiques publiques de lutte contre les VSS dans un paragraphe désormais mieux structuré : droit pénal,  connaissance des phénomènes,  prévention et  protection des victimes.

POINT 4 : Définition du viol en droit français.

Les rédacteurs ne présentent plus les agressions sexuelles comme une catégorie de viols et précisent :

« Le code pénal définit deux infractions pénales :

    « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur » (article 222-22 du code pénal) ;

    « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » (article 222-23 du code pénal) »

POINT 5

Les auteurs n’affirment plus que « Le droit français est construit sur une présomption de consentement à l’acte sexuel » mais écrivent désormais :

« Les définitions du viol et de l’agression sexuelle dans le droit pénal français se suffisent en elles-mêmes et caractérisent ces infractions pénales sans avoir à évoquer le comportement de la victime. L’infraction repose sur le seul comportement de l’auteur du crime ou du délit. »

Ce qui reste  néanmoins très approximatif au regard des notions de « violence, contrainte, menace ou surprise »  des articles 222-22 à 222-33-1 telles que définies par la jurisprudence et de la manière dont les investigations sont diligentées (ce dernier point étant d’ailleurs l’objet de polémiques).

POINT 6

Les auteurs, sont plus précis et équilibrés lorsqu’ils tentent d’analyser ce  « qu’impliquerait la prise en compte du consentement dans la définition des violences sexistes ».

Ils visent, comme nous l’avions suggéré,  les dernières évolutions de la loi sur la prohibition des relations sexuelles majeurs mineurs (Article 222-23-1) issue de la Création LOI n°2021-478 du 21 avril 2021.

Conclusion

Il est difficile de faire un point rigoureux, exhaustif et pédagogique sur des notions complexes et contestées.

L’actualité et le besoin de transparence imposent de rester diligent et vigilant.

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