DAC 6 : de nouvelles obligations pour les conseils

Publié le 07/05/2020

La directive DAC 6 impose aux intermédiaires et dans certains cas aux contribuables eux-mêmes, de déclarer aux autorités fiscales leurs transactions internationales présentant un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal, en raison de la présence d’au moins un marqueur visé par la directive. Le point sur les nouvelles obligations des conseils.

Le 25 mai 2018, le Conseil des ministres des affaires économiques et financières de l’Union européenne a adopté une directive proposée en juin 2017 par la Commission européenne portant sur des nouvelles règles de transparence pour les intermédiaires qui conçoivent ou commercialisent des montages fiscaux potentiellement dommageables (Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration). La directive DAC 6 fait partie de l’ambitieux programme de la Commission visant à renforcer la transparence fiscale dans l’Union européenne afin de lutter contre la fraude fiscale et d’assurer une taxation plus équitable.

Des déclarations à anticiper

Les nouvelles obligations de déclaration entreront en vigueur le 1er juillet 2020 et les États membres de l’Union seront tenus d’échanger les informations tous les trois mois. Le premier échange aura donc lieu au plus tard le 31 octobre 2020. Les intermédiaires ou les contribuables concernés, selon le cas, transmettront les informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration et dont la première étape a été mise en œuvre entre la date de son entrée en vigueur, soit, 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 25 juin 2018, et la date d’application de cette directive, au 1er juillet 2020. La transmission sera achevée au plus tard le 31 août 2020. Cette sixième version de la directive de l’Union européenne relative à la coopération administrative a été transposée en droit français par voie d’ordonnance (Ord. n° 2019-1068, 21 oct. 2019 relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration). L’ordonnance fixe la date d’entrée en vigueur de l’obligation déclarative au 1er juillet 2020.

Cette obligation s’applique également aux dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 1er juillet 2020, pour lesquels le délai de déclaration est étendu jusqu’au 31 août 2020. Les conseils doivent donc dès maintenant anticiper ces déclarations. Précisons qu’en droit interne, la première étape de la mise en œuvre s’entend de tout acte juridique ou opération économique, comptable ou d’option fiscale en vue de mettre en œuvre le dispositif transfrontière.

Cibler les intermédiaires

Les mesures contraignantes de DAC 6 traduisent la volonté de l’Union européenne de s’attaque désormais également au rôle central joué par les intermédiaires dans l’évasion et la fraude fiscales internationales, mis notamment en lumière dans l’affaire des Panama Papers et des Paradise Papers. La plupart des services fournis par des intermédiaires, tels que les conseillers fiscaux, les comptables, les institutions financières et les cabinets d’avocats, sont légitimes. Toutefois, certains intermédiaires conçoivent, promeuvent et vendent activement des dispositifs dans le but précis d’aider leurs clients à éluder l’impôt. La Commission avait souligné qu’il était urgent d’accroître la transparence et la responsabilité dans ce domaine en juillet 2016 et confirmé qu’elle proposerait des règles à l’échelle de l’Union. Le Conseil et le Parlement européen ont également sollicité l’adoption de mesures de l’Union contre ceux qui rendent possible ou encouragent la planification fiscale agressive. Certains États membres (Royaume-Uni, Irlande et Portugal) disposent déjà de régimes de déclaration obligatoire pour les intermédiaires et ces règles se sont avérées très efficaces pour lutter contre les pratiques fiscales abusives au niveau national. De plus, le projet BEPS de l’OCDE a recommandé que les pays introduisent des exigences relatives à la communication obligatoire d’informations pour les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Les mesures convenues ce jour garantiront que tous les États membres ont la même supervision des activités de ceux qui se livrent à la planification fiscale, et qu’ils coopèrent pour empêcher le recours à des dispositifs de planification fiscale à caractère agressif.

Mieux lutter contre la fraude fiscale

Les nouvelles règles auront pour effet immédiat de fournir aux États membres davantage d’informations sur les dispositifs de planification fiscale que les intermédiaires conçoivent et commercialisent afin qu’ils puissent ensuite déterminer si ces dispositifs facilitent la fraude et l’évasion fiscales. Les mesures adoptées permettront aux autorités nationales de réagir beaucoup plus rapidement face aux risques de pratiques fiscales abusives. De surcroît, les États membres seront dès lors en mesure de mieux cibler leurs contrôles, voire de modifier leur législation pour combler toute lacune exploitée abusivement. Les obligations de déclaration auront un effet dissuasif pour ceux qui font la promotion des dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Les intermédiaires sont moins susceptibles de concevoir des dispositifs qui risquent de se retrouver bloqués. Les entreprises risquent aussi de porter gravement atteinte à leur réputation s’il s’avère qu’elles commercialisent ou utilisent des dispositifs de planification fiscale à caractère agressif. Enfin, les États membres seront tenus d’échanger automatiquement les informations qu’ils reçoivent des intermédiaires avec tous les autres États membres, ce qui revêt une importance particulière pour les dispositifs transfrontières: tous les États membres devraient être informés des dispositifs de planification fiscale susceptibles d’avoir une incidence sur leur base d’imposition, quel que soit le lieu de conception et de commercialisation du dispositif. Les obligations de déclaration proposées auront aussi un effet dissuasif en ce qui concerne la conception et la commercialisation de dispositifs de planification fiscale à caractère agressif, puisque ceux-ci peuvent rapidement être neutralisés par les autorités. En revanche, les obligations en matière d’échange d’informations mises en place par DAC 6 n’imposent pas de nouvelles charges aux autorités fiscales nationales car les États membres échangent déjà automatiquement des informations sur certaines formes de revenus par l’intermédiaire de systèmes de l’Union bien développés. Depuis juillet 2017, les autorités ont commencé à échanger des informations sur leurs décisions fiscales et, depuis juin 2018, elles échangent des informations fiscales concernant des entreprises multinationales. Les nouvelles obligations pour les intermédiaires viennent s’intégrer dans ce cadre existant qui permet aux États membres d’utiliser l’ensemble des procédures et processus déjà en place, ce qui devrait leur permettre d’appliquer plus rapidement et plus facilement les nouvelles règles.

DAC 6 : de nouvelles obligations pour les conseils
Jérôme Rommé / AdobeStock

Un champ d’application très large

La directive a le champ d’application le plus large possible, qui couvre tous les types d’impôts directs (impôt sur le revenu, sur les sociétés, sur les plus-values, droits de succession, etc.) tous les intermédiaires possibles. Toute entreprise ou tout professionnel qui conçoit ou promeut un dispositif de planification fiscale ayant une dimension transfrontière et comportant l’un des marqueurs énoncés dans la directive entre dans le champ de DAC 6. Les intermédiaires visés peuvent être des personnes physiques  ou des personnes morales, comme des sociétés de conseil, des banques, des avocats, des conseillers fiscaux, des comptables etc. qui peuvent aider leurs clients à mettre en place des montages visant à réduire leurs impôts. Que se passe-t-il si un intermédiaire est établi dans un pays tiers ? La législation de l’Union ne peut pas être étendue pour couvrir les intermédiaires qui ne sont pas établis dans l’Union. Il serait impossible de faire respecter les règles et de sanctionner le non-respect de celles-ci par les intermédiaires n’ayant pas une présence suffisante dans l’Union. Par conséquent, si l’intermédiaire n’est pas situé dans l’Union ou est lié par les règles relatives au secret professionnel, l’obligation de déclarer le dispositif fiscal incombe alors au contribuable. En droit interne, si plusieurs intermédiaires participent à la mise en œuvre d’un même dispositif, chacun d’eux est soumis aux obligations déclaratives mises en place par DAC 6. En revanche, un intermédiaire a la possibilité de ne pas être soumis à l’obligation de déclaration s’il peut prouver par tout moyen qu’une déclaration comportant l’ensemble des informations requises a déjà été souscrite par un autre intermédiaire en France ou dans un autre État membre de l’UE Si l’intermédiaire est soumis à une obligation de secret professionnel, comme un avocat par exemple, il doit souscrire la déclaration avec l’accord du ou des contribuables concernés par le dispositif transfrontière. À défaut, il peut notifier à tout autre intermédiaire l’obligation déclarative qui lui incombe, ou au contribuable lui-même, en l’absence d’autre intermédiaire. Dans ce dernier cas, il doit lui transmettre également les informations nécessaires au respect de son obligation déclarative.

De nouvelles charges pour le secteur du conseil ?

Les nouvelles obligations en matière de déclaration et d’échange d’informations sont conçues afin d’éviter de faire peser des charges excessives sur le secteur du conseil. En matière de déclarations aux autorités fiscales, les intermédiaires peuvent réutiliser les résumés sur les dispositifs de planification fiscale qu’ils rédigent pour leurs clients. En outre, les mesures respectent les règles nationales en matière de secret professionnel étant donné que dans ces cas, l’obligation de déclaration n’incombe plus à l’intermédiaire, mais au contribuable. Bien qu’il n’existe pas de seuil minimal pour la divulgation d’informations, les marqueurs donnant lieu à une déclaration permettent généralement de déterminer des situations à haut risque qui font intervenir des dispositifs élaborés. Ce type de conseils fiscaux sophistiqués ne devrait pas, en principe, être financièrement à la portée de petites entreprises ou de particuliers. Dans la pratique, l’obligation de déclaration concernerait principalement de grandes entreprises ou des particuliers très fortunés. Il est à noter que les États membres qui appliquent déjà les règles de communication obligatoire d’informations, comme le Royaume-Uni, n’ont pas constaté de retombées négatives sur le secteur à la suite de l’introduction des obligations de transparence.

Les nouvelles obligations de déclaration

Les intermédiaires devront déclarer tout dispositif transfrontière de planification fiscale qu’ils conçoivent ou dont ils font la promotion si celui-ci comporte l’un des marqueurs définis dans la directive. Pour la France, doit être considéré comme transfrontière, tout dispositif prenant la forme d’un accord, d’un montage ou d’un plan ayant ou non force exécutoire et concernant la France et un autre État, membre de l’UE ou non, dès lors qu’au moins une des conditions fixées par la directive est remplie. Les intermédiaires devront se familiariser avec tous les marqueurs figurant dans la législation afin de s’assurer qu’ils respectent pleinement leurs obligations de déclaration. Ils doivent effectuer cette déclaration auprès de leurs autorités fiscales dans les trente jours suivant le jour où le dispositif est mis à disposition, est sur le point d’être mis en œuvre ou a été mis en œuvre après la première étape, selon ce qui se produit en premier. Les États membres auprès desquels ces dispositifs sont déclarés doivent automatiquement partager ces informations tous les trois mois avec tous les autres États membres par l’intermédiaire d’une base de données centralisée, comprenant des éléments détaillés sur l’intermédiaire, le ou les contribuables concernés et les caractéristiques du dispositif fiscal. La Commission aura accès à certaines des informations échangées entre les États membres de sorte qu’elle puisse assurer un suivi de la mise en œuvre des règles.

Les marqueurs

Les dispositifs transfrontière de planification fiscale qui être déclarés sont ceux comportant un ou plusieurs des marqueurs énumérés dans la directive. Ces marqueurs sont des éléments ou caractéristiques d’un dispositif de planification fiscale susceptible de permettre l’évasion fiscale ou des pratiques fiscales abusives. Ils sont aussi vastes que possible pour éviter toute lacune ou omission susceptible d’être exploitée par ceux qui se livrent à la planification fiscale agressive. À titre d’exemple de ces marqueurs, on peut citer les dispositifs qui comportent un paiement transfrontière en faveur d’un bénéficiaire résidant dans un pays à fiscalité nulle ou quasiment nulle, concernent une juridiction disposant d’une législation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux mal ou peu appliquée ou encore  sont créés pour éviter de devoir déclarer des revenus en application des règles de transparence de l’Union. Il peut également s’agir de dispositifs transfrontières qui établissent un lien direct entre les honoraires facturés par l’intermédiaire et les économies réalisées par le contribuable grâce à l’évasion fiscale, garantissent que les déductions pour le même amortissement d’un actif sont demandées dans plus d’une juridiction ou encore demandent un allègement au titre de la double imposition pour le même revenu ou capital dans plus d’un pays.

Des sanctions à mettre en place

Les États membres doivent s’assurer que des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives sont en place pour les intermédiaires qui ne respectent pas ces obligations de déclaration. Il revient aux États membres de déterminer la nature exacte de ces sanctions et chacun d’entre eux doit décider de ses propres sanctions nationales à appliquer. Ces dernières peuvent notamment prendre la forme d’amendes ou de sanctions administratives. En droit interne, les manquements à une obligation de déclaration ou de notification entraînent l’application d’une amende ne pouvant excéder 10 000 €. S’il s’agit de la première infraction de l’année civile en cours et des trois années précédentes, le montant de l’amende ne peut excéder 5 000 €. L’amende ne s’applique pas aux manquements à l’obligation de déclaration annuelle qui incombe au contribuable concerné par un dispositif transfrontière, de l’utilisation qu’il en a faite au titre de l’année précédente. Enfin, le montant de l’amende appliquée à un même intermédiaire ou à un même contribuable concerné ne peut excéder 100 000 € par année civile. Outre les sanctions nationales, les intermédiaires qui ne respectent pas les obligations de déclaration courent également le risque de voir entacher leur réputation.

X