La Cour, l’insincérité et le budget : vers l’avènement de PLF régénérés ?

Publié le 19/01/2018

En juin dernier, la Cour des comptes a marqué les esprits en qualifiant la loi de finances initiale pour l’année 2017 d’« insincère ». Au-delà des débats que l’emploi de ce qualificatif a suscités, il est intéressant d’analyser le projet de loi de finances (PLF) pour 2018, faisant suite à ce rapport, afin d’évaluer les éventuels progrès de l’exécutif dans la construction des textes budgétaires soumis au vote du Parlement. Il ressort de l’analyse que si la loi de finances initiale pour 2017 est qualifiée d’insincère, la loi de finances initiale pour 2018 le sera également selon toute vraisemblance, malgré des améliorations indéniables mais d’ampleur limitée.

Si l’examen du projet de loi de finances par le Parlement constitue l’un des passages obligés de la vie budgétaire de notre pays et qu’il n’est pas toujours aisé de déceler des innovations ou à tout le moins des modifications significatives sur le plan de la méthodologie de construction des documents et prévisions budgétaires, l’exercice 2018 et la présentation des textes budgétaires afférents intervient sans contexte dans un moment très particulier pour ne pas dire unique.

Premier exercice budgétaire pour le gouvernement Philippe, la construction du projet de loi de finances a notamment été perturbée, ou tout du moins influencée, par le rapport rendu public par la Cour des comptes le 29 juin 2017 sur la situation et les perspectives des finances publiques. Il s’agit là également d’un moment classique de l’année en matière de finances publiques qui fut marquée par un fait unique. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, a largement insisté sur l’insincérité de la loi de finances initiale pour 2017 et sur les conséquences concrètes de cette dernière.

L’objet du présent article n’est pas de déterminer si le qualificatif retenu par les sages de la rue Cambon, « insincère », était opportun. Tant le milieu politique que les spécialistes des finances publiques ont eu l’occasion de traiter ce point. De plus, et si la question du rôle de la Cour des comptes demeure, cette contribution n’est pas axée sur ce point sensible. L’objet n’est pas tant de prendre parti ou de déterminer si le projet de loi de finances était ou non insincère que d’analyser les conséquences de ce rapport qui fut sans conteste le plus médiatisé de la Cour depuis longtemps.

Si l’on retient la logique de la Cour et que, à défaut de qualifier d’insincère la construction du budget 2017, on relève les principaux griefs formulés à l’encontre du gouvernement, il est intéressant de déterminer si le budget présenté au Parlement par le gouvernement pour 2018 a intégré des correctifs de nature à rendre caducs les reproches formulés.

De manière plus générale, ce sera là un angle pour déterminer si l’évolution de la stratégie de communication de la Cour des comptes, plus offensive que jamais, a permis une réelle amélioration de la construction des documents budgétaires, entre deux exercices marqués par un changement de gouvernement, ou si la virulence de la charge et la polémique s’en étant suivi ont au contraire nui à l’appropriation des recommandations adressées par la Cour.

Dans cette perspective, et avant d’analyser dans le détail les points qui ont fait l’objet des critiques de cette dernière, il n’est pas inutile de revenir à l’idée générale qui prévaut dans ce rapport. Durant la conférence de presse tenue par le premier président de la Cour des comptes le 29 juin dernier, ce dernier a pu estimer que : « Notre juridiction constate un risque significatif de dérapage du déficit par rapport aux objectifs retenus [par] les pouvoirs publics. (…) En 2017, il résulte quasi exclusivement de sous-estimations des dépenses de l’État, qui se sont traduites par des sous-budgétisations importantes dès l’adoption de la loi de finances initiale, à un niveau supérieur à ce qui avait déjà été critiqué par la Cour dans ses rapports récents sur l’exécution du budget de l’État. (…) La préparation des prochaines lois doit être l’occasion de marquer une rupture avec les pratiques récurrentes de sous-budgétisations ».

Didier Migaud appelle donc de ses vœux à la mise en place de nouvelles pratiques, c’est-à-dire à l’adoption de nouveaux réflexes budgétaires dont l’objectif est de mieux évaluer les dépenses qui peuvent l’être et en ce sens de renforcer la sincérité des prévisions transmises par le gouvernement à la représentation nationale dans la perspective de l’examen et du vote du projet de loi de finances.

Si l’on revient aux griefs plus précis formulés par la Cour il convient de distinguer ceux ayant trait à la trajectoire pluriannuelle retenue par le gouvernement et ceux découlant de prévisions macroéconomiques. Ce dernier point est régulièrement relevé par la Cour dans ses rapports et ne semble pas avoir induit le qualificatif d’insincérité retenu par les sages. C’est plus spécifiquement les sous-budgétisations, estimées à un montant de 4,2 milliards d’euros qui sont contestées1. Ces sous-budgétisations initiales concernent principalement quatre missions qu’il est possible d’analyser2 (I). Il conviendra de compléter ces analyses ciblées par une approche sans doute plus globale qui renseignera utilement sur la visée du gouvernement et de l’Administration centrale en matière de prévision budgétaire (II). De ces analyses découlera une réponse à la problématique soulevée : la stratégie de communication retenue par la Cour des comptes a-t-elle permis dans les faits une amélioration des pratiques en matière de construction des projets de loi de finances et de sincérité budgétaire ?

I – Analyse du budget 2018 à l’aune du rapport de la Cour des comptes : la persistance des pratiques budgétaires contestables et insuffisamment atténuées

Dans son rapport, la Cour des comptes estime, en hypothèse moyenne, que le risque de dépassement des dépenses pour l’année 2017 s’élève à 5,6 milliards d’euros, dont : 4,2 milliards au titre des sous-budgétisations, 0,9 milliard de reports de charges, 0,4 milliard d’aléas et 0,1 milliard de dépenses nouvelles.

Il s’agit dès lors de déterminer si ces critiques ont été intégrées par l’exécutif dans la construction de son projet de loi de finances pour l’année 2018.

A – Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales : la persistance de sous-budgétisations questionnables

Il est aisé de retracer l’évolution du budget de la mission AAFAR (Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales) entre le PLF 2017 et le PLF 2018 dans la mesure où les lignes budgétaires faisant l’objet des critiques de la Cour des comptes existent encore et où une ligne budgétaire nouvelle, consacrée aux aléas, a été insérée pour un montant de 300 millions d’euros.

En juin dernier, la Cour estimait en matière de sous-budgétisation que « la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales présente le risque le plus élevé, du fait notamment des contentieux relatifs aux refus d’apurement des aides communautaires, de la sous-budgétisation du coût des exonérations de cotisations sociales et des conséquences de l’épidémie d’influenza aviaire (H5N8 et H5N1) et du versement des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) »3.

À l’Assemblée nationale, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Émilie Carriou et Hervé Pellois, estiment que « cette hausse s’explique, pour l’essentiel, par la création d’une provision de 300 millions d’euros, pour le financement des refus d’apurement et l’octroi d’aides de crises, qui témoigne d’un effort de sincérité budgétaire de la part du gouvernement. Les crédits de paiement (CP) alloués aux mesures agroenvironnementales et au soutien à l’agriculture biologique sont revalorisés, ainsi que plusieurs petits dispositifs sensibles (aide au foncier, soutien aux agriculteurs en difficulté, lutte contre la prédation du loup). Une enveloppe supplémentaire à la filière canne à sucre est également allouée dans les départements d’outre-mer. À l’inverse, le montant de 438 millions d’euros correspondant à la compensation par le budget de l’État de la réduction de 7 points des cotisations d’assurance maladie des exploitants qui figurait dans le budget pour 2017 et qui était liée au plan de soutien aux agriculteurs en difficulté n’est pas reconduit en 2018, en raison de l’achèvement du plan correspondant »4. Il semblerait de prime abord que le gouvernement ait tenu largement compte des remontrances de la Cour des comptes et ait mis en œuvre une pratique de budgétisation permettant de stopper lesdites pratiques afin d’accroître la sincérité budgétaire de la mission.

Néanmoins, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat, Alain Houpert et Yannick Botrel, analysant le montant des enveloppes allouées à ces postes budgétaires, émettent des réserves assez marquées quant au réel progrès de la sincérité budgétaire du projet de loi de finances. Selon eux : « [l’] ampleur [des risques financiers encourus par la mission] peut aisément être mise en rapport avec la provision de 300 millions d’euros inscrite au budget 2018. Cumulés, les sous-budgétisations de 2017 et les risques quasi certains pour 2018 dépassent la réserve ainsi constituée de plus de 70 millions d’euros. Si le qualificatif d’insincérité budgétaire est retenu pour l’exercice 2017, il doit dans ce sens également l’être pour le projet de loi de finances soumis pour l’année 2018 au Parlement »5.

Sur la mission AAFAR, il n’est pas contestable que le gouvernement a intégré les critiques de la Cour des comptes dans sa maquette budgétaire. En pratique, si la sincérité formelle de la mission ne fait pas de doute, sa sincérité réelle ne semble que peu ou prou avoir progressé. En effet, l’enveloppe apparaît d’ores et déjà comme sous-budgétée d’une part6, et parce qu’elle remplit une fonction très (trop) souple de réponse à des aléas de nature très différente d’autre part, en regroupant la gestion d’aléas qui ne sont pas de même nature et qui répondent à des logiques différentes d’autre part.

Enfin, il conviendra d’analyser le moment venu si les pratiques de report de charge perdureront dans le temps, mais il n’apparaît pas à ce stade pertinent de traiter cette question du fait du manque de recul dont nous disposons.

B – Travail et emploi : la contraction budgétaire au service d’une sous-budgétisation conjoncturellement moindre

En ce qui concerne la mission Travail et emploi, le rapport de juin 2017 fait apparaître une logique de budgétisation plus ancienne puisqu’également constatée en 2016 et centrée sur une action : « Le plan de formation des “500 000 chômeurs” devrait connaître un dépassement d’environ 0,6 milliard avec une dépense estimée à 0,8 milliard pour une budgétisation en LFI [loi de finances initiale] de 0,2 milliard »7. De plus, le calibrage très modeste de l’enveloppe allouée aux contrats aidés engendre un dépassement estimé par la Cour entre 0,3 et 0,6 milliard d’euros.

Le premier enseignement à retenir du point de vue de la sincérité budgétaire est sans conteste le solde des plans de formation engagés en 2016 et 2017 par le gouvernement, comme le notent les deux rapporteurs spéciaux de l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre et Marie-Christine Verdier-Jouclas : « En 2017, l’État continue de payer les engagements du plan de 2016 (plan 500 000 formations) pour 507 millions d’euros en CP. Pour mémoire, la loi de finances initiale de 2017 ne prévoyait que 196,48 millions d’euros en CP. Le PLF pour 2018 prévoit ainsi le règlement du solde dû par l’État au titre des réalisations des deux plans, en application des stipulations conclues avec les régions et Pôle emploi et au vu d’une part des réalisations définitives qui seront connues en 2018 et des dépenses réellement engagées par les régions et Pôle emploi »8.

À cela s’ajoute le fait que le plan d’investissement dans la formation mis en œuvre par le gouvernement en remplacement des dispositifs précédant se voit crédité de 755 millions d’euros en autorisation d’engagement et de 653 millions en crédits de paiements (dont 225 millions d’euros de reste à charge). S’il est là également trop tôt pour indiquer si ce montant sera suffisant au vu de l’ambition conséquente du gouvernement en la matière, force est de constater que le niveau de budgétisation est supérieur à ce qu’il était dans le passé, sans doute à la suite des préconisations de la rue Cambon. Cependant, et c’est à cet égard qu’il est possible d’émettre des réserves, Sophie Taillé-Polian, co-rapporteure spéciale de la mission pour la commission des finances du Sénat, estime que « l’évaluation du “plan 500 000 formations supplémentaires” laisse apparaître que l’effort a essentiellement été porté par Pôle emploi. Si la trajectoire inscrite dans le projet de loi de programmation des finances publiques se traduisait par une poursuite de la diminution de la subvention pour charges de service public versée à l’opérateur, celui-ci ne serait certainement pas en capacité de tenir les objectifs ambitieux fixés par le gouvernement, comme il l’a fait dans le cadre du précédent plan de formation »9.

Enfin notons, en ce qui concerne les crédits alloués aux contrats aidés, que s’il semblerait que le niveau de budgétisation soit davantage adapté, les rapporteurs spéciaux de l’Assemblée nationale appellent à une certaine vigilance en la matière : « Malgré le redimensionnement d’un certain nombre de dispositifs, les rapporteurs spéciaux veilleront à s’assurer que le niveau programmé des crédits de paiement demeurera suffisant pour honorer les engagements de l’État sur ces dispositifs dans les années à venir »10. Le co-rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, Emmanuel Capus, voit dans le niveau de dotation de cette ligne une évolution notable des pratiques budgétaires : « Votre rapporteur spécial estime enfin que le choix du gouvernement de se tenir à l’enveloppe votée par le Parlement va dans le sens d’une amélioration de la sincérité du budget, qui était appelée de ses vœux par le Sénat. Il constate ainsi que l’enveloppe consacrée aux contrats aidés était jusqu’alors systématiquement dépassée, se traduisant par un coût très significativement supérieur aux prévisions »11.

Au-delà des modifications de périmètre des actions publiques engagées par le gouvernement, il apparaît que les phénomènes de sous-budgétisation sont très largement atténués dans le contexte de révision à la baisse des volumes dédiés aux politiques publiques incriminées par la Cour des comptes dans son rapport de juin 2017 et qu’il est possible de déceler une réponse structurelle aux pratiques de sous-budgétisation dans le nouveau projet de loi de finances. Cette limitation à l’enveloppe votée par le Parlement semble, à ce stade du moins, n’être cantonnée qu’à la politique publique des emplois aidés et il est possible de noter le caractère partiel de cette réponse structurelle pour autant indubitablement bénéfique.

C – Défense : une budgétisation en progrès mais insuffisamment sincère

En matière de défense, la Cour des comptes avait pointé du doigt la sous-budgétisation, récurrente à ses yeux, des opérations extérieures et intérieures. Dans son rapport spécial12, le député Olivier Gaillard estime que « le projet de loi de finances pour 2018 porte cette dotation à 650 millions d’euros, renouant ainsi avec les niveaux fixés pour 2011, 2012 et 2013 ». Il ajoute à cet égard : « Votre rapporteur spécial salue cette initiative qui améliore la lisibilité et la sincérité du budget de la défense. S’il est souhaitable que la solidarité interministérielle intervienne pour le financement des Opex [opérations extérieures] afin de manifester la participation de la nation tout entière à la défense de ses intérêts vitaux, il n’en reste pas moins que cette solidarité peut se concilier avec l’exigence constitutionnelle de sincérité budgétaire et s’opérer, au moins en partie, dès les arbitrages rendus lors de la phase de préparation du projet de loi de finances ».

Néanmoins le rapport spécial de l’Assemblée nationale précise par le biais d’un schéma que le montant fixé pour l’exercice 2018 est à mettre en parallèle avec les réalités passées de la mission : on constate que depuis 2008, le surcoût des opérations extérieures excède les 800 millions d’euros chaque année quand la dotation initiale oscille, quasi indépendamment, entre 450 et 650 millions d’euros. Ainsi, les dépassements apparaissent conséquents eu égard au vote en loi de finances initiales.

Le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, Dominique de Legge, confirme cette appréciation mitigée dans l’intitulé même d’un chapitre de son rapport : une budgétisation plus sincère mais qui n’éteint cependant pas les critiques antérieures13. Dans ses développements, il rappelle, et la précision méthodologique est intéressante eu égard aux données chiffrées évoquées ci-dessus, que cette ligne budgétaire n’a pas vocation à financer les opérations extérieures en tant que telles mais uniquement les surcoûts de ces dernières. La hausse de 200 millions d’euros est incontestablement positive selon lui et il rejoint en cela son homologue de l’Assemblée nationale : « Cette évolution, qui tend à renforcer la sincérité du budget présenté, va dans le sens préconisé tant par votre rapporteur spécial que par la Cour des comptes ». Il développe cependant à la suite de cela trois éléments qui conduisent à relativiser la portée du progrès atteint : « En premier lieu, les 200 millions d’euros supplémentaires inscrits au titre du financement du surcoût des Opex seront insuffisants pour couvrir l’intégralité de ce montant, supérieur à un milliard d’euros chaque année. En deuxième lieu, l’augmentation de la provision Opex ne règle pas la question des modalités de financement du dépassement de celle-ci. (…) En troisième lieu, l’amélioration de la budgétisation du surcoût des Opex ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de la provision au titre des surcoûts liés aux Missint [missions intérieures], qui demeure fixée à 41 millions d’euros, soit un montant très significativement inférieur au montant réel (de l’ordre de 200 millions d’euros en 2017). Il apparaît par conséquent indispensable que la prochaine loi de programmation militaire fixe une trajectoire financière sincère, (…) en inscrivant une provision au titre des Opex et des Missint qui ne saurait être inférieure à un milliard d’euros chaque année ».

En définitive, et si dans certains cas de figure le mieux est sans conteste l’ennemi du bien, il découle de l’analyse de la mission Défense du PLF pour 2018 deux points difficilement contestables. La programmation budgétaire de la mission est objectivement moins insincère que lors du budget précédent. Ce progrès ne signifie pas que l’on puisse qualifier de sincère la budgétisation proposée, dans la mesure où elle n’est que partielle par le non-traitement d’une des deux problématiques soulevées par la Cour des comptes, le financement des opérations intérieures, où a fortiori les niveaux de crédits inscrits apparaissent objectivement insuffisants pour couvrir les dépenses, indépendamment du caractère aléatoire de la dépense en la matière. Le Haut Conseil des finances publiques estime à cet égard que « des sous-budgétisations demeurent toutefois pour certaines dépenses (opérations extérieures, en dépit d’une augmentation de 200 M € par rapport à la LFI 2017) »14, ce qui atteste du caractère limité des progrès de la budgétisation mise en œuvre par le gouvernement dans le cadre de ce PLF 2018.

D – Solidarité, insertion, égalité des chances : illustration de la difficulté à définir un modus operandi satisfaisant

Enfin, le juge financier a estimé que la mission Solidarités, insertion, égalité des chances intégrait des sous-budgétisations manifestes. Dans son rapport de juin 2017, la Cour des comptes estimait que les sous-budgétisations sur les crédits des prestations sociales n’étaient pas nouvelles. Ce sont principalement les fonds programmés au titre de l’allocation aux adultes handicapés et au titre de la prime d’activité qui ont été remis en cause dans ce contexte.

Stella Dupont, rapporteure spéciale de la commission des finances de l’Assemblée nationale, estime dans ses observations principales que « le projet de loi de finances pour 2018 prévoit 19,4 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), en très nette augmentation par rapport aux 17,8 milliards d’euros prévus en AE et CP en loi de finances initiale pour 2017. Cette revalorisation exceptionnelle des dotations de la mission (+ 1,6 milliard d’euros) traduit, d’une part, une meilleure sincérité budgétaire et, d’autre part, les revalorisations des prestations de prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés prévues par le gouvernement »15. Il apparaît qu’il n’est pas forcément aisé d’établir un comparatif précis, du point de vue de la sincérité de la programmation budgétaire, dans la mesure où le périmétrage des fonds n’est pas le même entre les deux exercices budgétaires. Quelques éléments de comparaison permettent de nourrir l’analyse. Le Haut Conseil des finances publiques partage l’analyse de la rapporteure spéciale de l’Assemblée nationale et note « un effort visant une budgétisation plus réaliste de certaines dépenses (allocation aux adultes handicapés, prime d’activité, hébergement d’urgence, aide médicale d’État …) »16.

Les co-rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, estiment pour leur part que : « Pour 2018, l’enveloppe budgétaire de 5,140 milliards d’euros a été prévue sur la base d’une hypothèse de 2,65 millions de foyers bénéficiaires. D’après les éléments fournis en première partie du rapport, tout laisse à penser que cette enveloppe ne sera pas suffisante, malgré les efforts de sincérisation du gouvernement. Il en est de même pour l’AAH »17. Se pose ici encore la question de la méthodologie de chiffrage avec une acuité particulièrement prégnante.

En définitive, les efforts du gouvernement en vue de faire progresser la sincérité budgétaire à l’occasion du PLF pour 2018 sont manifestes et ne sauraient être niés. Il convient néanmoins de noter le caractère probablement insuffisamment systémique de l’approche d’une part, qui se traduit par un traitement différencié des points ayant fait l’objet de critique par la Cour des comptes, et par une approche sans doute encore trop timorée de la problématique, les sous-budgétisations de l’exercice 2017 n’étant que partiellement corrigées. Cela appelle une détermination plus générale des processus de constructions budgétaires ayant un impact sur l’information des parlementaires et sur la sincérité budgétaire.

II – La construction des projets de loi de finances et l’architecture budgétaire : une information des parlementaires susceptible d’amélioration

Les études de cas ci-dessus témoignent d’un mouvement contradictoire entre amélioration de la sincérité budgétaire et maintien de pratiques ou de processus empêchant l’avènement de projets de loi de finances répondant pleinement à l’impératif de sincérité budgétaire, du moins tel que défini par la Cour des comptes. Cette situation contrastée invite à s’interroger de manière plus large sur un certain nombre de points constitutifs de ce que l’on pourrait nommer la mécanique de construction budgétaire utilisée au niveau de l’État dans le cadre de la loi organique de 2001.

A – La sous-budgétisation : un biais de la construction budgétaire qu’il est possible de stopper

Un premier point appelle une interrogation qui, si elle est assez théorique, n’en revêt pas moins une importance pratique capitale, il s’agit de l’intégration budgétaire de la notion d’aléa.

Au sens littéral du terme, un aléa est un événement imprévisible. Intégrer de tels aléas dans un projet de loi de finances, donc a priori, est aporétique. Au-delà de ces éléments somme toute théoriques, il apparaît que l’anticipation de telles dépenses, si elle est possible, n’en demeure pas moins aléatoire à bien des égards, et ceci sur un nombre conséquent de lignes budgétaires, représentant parfois des parts importantes du budget de la Nation.

C’est dans cette perspective qu’il faut appréhender la problématique retenue pour le présent article, à l’aune des réserves émises par la Cour des comptes dans son rapport de juin 2017.

Concrètement, il n’existe pas véritablement de méthodologie pour définir le périmètre budgétaire de prise en considération de ces aléas. Pour la mission AAFAR, les crédits ouverts pour 2018 ont vocation à prendre en charge des aléas juridictionnels (refus d’apurement des aides communautaires), économiques (fluctuations des prix de marchés), climatiques (sécheresses ou inondations) ou encore sanitaires (présence de foyers de contamination). Ainsi, dans une ligne budgétaire unifiée, se retrouvent concentrés des aléas de natures diverses et aux mécanismes distincts, a fortiori sans véritable cohérence en matière de conduite de l’action publique. Il s’agit là d’un écueil premier en matière de transparence de l’action publique et d’un certain point de vue de sincérité de la programmation budgétaire.

De plus, il n’existe pas non plus de méthodologie en matière de provisionnement de ces lignes, comme le font apparaître les crédits consacrés aux refus d’apurement des aides communautaires ou encore aux opérations extérieures pour ce qui est de la mission Défense. Cela se traduit de facto par la latitude totale, sur le plan juridique, laissé au gouvernement pour provisionner ces lignes. La Cour des comptes a d’ailleurs indiqué qu’il n’existait pas à ce stade de procédure « standardisée » en la matière. La question de la définition de procédures de budgétisation des aléas, qui pourrait par ailleurs être plus ou moins souples ou adaptables, se pose en ce sens aujourd’hui véritablement et serait sans conteste de nature à accroître la transparence des constructions budgétaires et, partant, la sincérité des projets de textes budgétaires soumis au vote du Parlement. À ce niveau, il reste encore du chemin à parcourir pour assurer une sincérité budgétaire réelle.

B – Un encadrement des reports de crédits largement souhaitable mais difficile à mettre en œuvre en l’état

La Cour des comptes insiste également, en ce qui concerne l’exécution budgétaire de l’année 2016, sur l’impact des reports de crédits sur la sincérité de la loi de finances initiale. Cette réalité, difficilement contestable, amène à s’interroger en profondeur sur la portée même du vote du Parlement. Schématiquement, ce dernier autorise en effet des dépenses qui n’ont in fine pas lieu, ceci remettant en cause pour partie la sincérité budgétaire par un mécanisme de décorrélation, parfois très conséquent, entre autorisation budgétaire votée et dépense effective.

Là également, les sages de la rue Cambon dénoncent sans préconiser de solutions in concreto pour remédier à cette situation dommageable. Il apparaît, il ne s’agit pas d’un élément novateur ou original, que le déséquilibre du temps parlementaire entre un examen long et approfondi du projet de loi de finances initial et un examen succinct et rapide du projet de loi de règlement n’est pas favorable à un examen suffisamment précis et donc contraignant pour l’État de ces reports de crédits.

Sur un niveau plus concret, l’autorisation parlementaire d’engagement des crédits peut être analysée comme étant asymétrique. Le Parlement autorise le gouvernement à dépenser des fonds dans le respect d’un plafond fixé, mais ne l’y oblige nullement. Ainsi, strictement, le Parlement vote une dépense potentielle et non une dépense réelle. C’est la nature de cette autorisation qui permet au gouvernement la pratique des reports de crédits.

Contraindre le gouvernement à dépenser à l’euro près ce que le Parlement a voté aurait certes des conséquences nettes sur les finances de l’État en ce que cela engendrerait une tendance haussière des dépenses par rapport aux pratiques actuelles et aboutirait probablement, du moins sur le plan théorique, soit à la multiplication des projets de loi de finances rectificative, soit à une hausse des dépenses accompagnées d’une diminution de la fongibilité des crédits en cours d’exercice. Cependant, la modification de ce système afin de limiter les reports de crédits et d’accroître dans cette perspective le respect du cadre de l’annualité budgétaire serait de nature à renforcer la sincérité budgétaire au moment du vote du projet de loi de finances.

C – La remise en cause de la spécialité budgétaire : une pratique à la prégnance inquiétante

S’attarder sur les grands principes budgétaires amène également à s’interroger sur une pratique ciblée mais très révélatrice : le financement interministériel. Dans un contexte marqué par un risque terroriste sans précédent et par l’engagement de dépenses supplémentaires au titre des opérations extérieures (et intérieures) visant à assurer la sécurité des Françaises et des Français, l’audition de Florence Parly, ministre des Armées, par la commission des finances du Sénat dans le cadre du projet de budget 2018 amène à s’interroger. Concrètement, il est convenu qu’une partie des opérations extérieures engagées par la France, ou plus précisément de leurs surcoûts, sont désormais financées « en interministériel ». Cette pratique est aujourd’hui la traduction de l’article 4 de la loi n° 2013-1168 de programmation militaire 2014-2019, bien que son existence soit plus ancienne que cela. La manœuvre est parfaitement intelligible, et par ailleurs entendable sur un registre plus politique. Dans son rapport, Dominique de Legge estime d’ailleurs qu’il s’agit là d’un garde-fou contre une éventuelle sous-budgétisation des crédits et que ce financement interministériel est en quelque sorte un garant de la sincérité budgétaire.

Il est possible de développer l’argumentaire inverse. Un financement interministériel d’une action publique s’insérant précisément dans la maquette budgétaire lolfienne est questionnable. En l’espèce, cette pratique est une remise en cause franche et directe du principe de spécialité budgétaire. Les parlementaires votent donc les différentes missions budgétaires sans connaître à l’avance ce qui sera ponctionné sur chacune des lignes au titre de la solidarité avec l’effort militaire de la Nation. S’il ne saurait s’agir de nier l’enjeu du financement des opérations extérieures, le mécanisme budgétaire y pourvoyant pourrait sembler de nature à renforcer, ou a minima à cautionner plus ou moins tacitement, une certaine insincérité budgétaire.

En définitive, la communication appuyée de la Cour des comptes à l’occasion de la publication de son rapport de juin 2017 semble avoir porté quelques fruits dans la mesure où le gouvernement et les parlementaires ont intégré dans leur réflexion et dans leurs pratiques une attention particulière à la problématique de la sincérité budgétaire. Pour autant, il apparaît difficile de considérer que les progrès réalisés dans le cadre de la préparation du budget 2018 épuiseront les griefs formulés précédemment par la Cour des comptes. En ce sens, nul doute que la prochaine édition sur la situation et les perspectives des finances publiques sera scrutée avec la plus grande attention !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cour des comptes, « La situation et les perspectives des finances publiques », Audit, juin 2017, p. 14 : « Ainsi, la loi de finances comporte des sous-budgétisations à hauteur de 4,2 milliards d’euros, selon une hypothèse centrale, alors même que la fin de gestion 2016 a conduit à des reports de charge importants sur 2017. Le programme de stabilité d’avril, en durcissant de 1,7 milliard la norme de dépenses de l’État en 2017 sans arrêter de mesures nouvelles d’économies, a, en pratique, accru les risques de dépassement ».
  • 2.
    Auxquelles pourrait s’ajouter la problématique de la recapitalisation d’Areva qui n’apparaît cependant pas pertinente pour la comparaison entre les deux exercices budgétaires du fait de sa nature exceptionnelle.
  • 3.
    Cour des comptes, « La situation et les perspectives des finances publiques », Audit, juin 2017, p. 61-62.
  • 4.
    AN, « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales : politiques de l’agriculture, forêt, pêche et aquaculture – Développement agricole et rural », Rapp. n° 273, 12 oct. 2017, p. 12-13.
  • 5.
    Sénat, « Mission : Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », Note de présentation, 8 nov. 2017, p. 43.
  • 6.
    Cette analyse étant corroborée par le Haut Conseil des finances publiques : HCFP, Avis n° 2017-4, 24 sept. 2017, relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, p. 11.
  • 7.
    Cour des comptes, « La situation et les perspectives des finances publiques », Audit, juin 2017, p. 62.
  • 8.
    AN, « Travail et emploi : Financement du développement et de la modernisation de l’apprentissage », Rapp. n° 273, 12 oct. 2017, p. 34.
  • 9.
    Sénat, « Mission : Travail et emploi », Note de présentation, 7 nov. 2017, p. 40.
  • 10.
    AN, « Travail et emploi : Financement du développement et de la modernisation de l’apprentissage », Rapp. n° 273, 12 oct. 2017, p. 16.
  • 11.
    Sénat, « Mission : Travail et emploi », Note de présentation, 7 nov. 2017, p. 32.
  • 12.
    AN, « Défense : budget opérationnel de la défense », Rapp. n° 273, 12 oct. 2017, p. 22.
  • 13.
    Sénat, « Mission : Défense », Note de présentation, 8 nov. 2017, p. 17.
  • 14.
    HCFP, Avis n° 2017-4, 24 sept. 2017, relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, p. 11.
  • 15.
    AN, « Solidarité, insertion et égalité des chances », Rapp. n° 273, 12 oct. 2017, p. 7.
  • 16.
    HCFP, Avis n° 2017-4, 24 sept. 2017, relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, p. 11.
  • 17.
    Sénat, « Mission : Solidarité, insertion et égalité des chances », Note de présentation, 14 nov. 2017, p. 28.
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