Vers un budget vert
La remise du rapport de l’IGF et du CGEDD représente une première étape à une présentation verte du budget d’ici au PLF 2021.
Le rapport « Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale », que le Gouvernement a commandé à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a été remis le 25 septembre dernier. Il s’agit de la première étape vers un budget vert, qui consiste à évaluer les dépenses et les recettes de l’État français en fonction de ses objectifs environnementaux. Cette approche nouvelle de l’évaluation du budget de l’État et d’aide à la décision budgétaire, qui permet d’intégrer directement et systématiquement l’impact sur l’environnement dans les décisions de recettes et de dépenses publiques, constitue un outil de transformation majeur face aux enjeux climatiques. Ce rapport formule des propositions destinées à nourrir la concertation destinée à permettre l’élaboration du premier « budget vert » français dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Dans un communiqué commun, les ministres de la Transition écologique et solidaire, de l’Économie et des Finances et de l’Action et des Comptes publics se sont félicités que la France soit « un des tous premiers pays européens à prendre l’engagement d’élaborer un budget vert. Cette démarche inédite s’inscrit dans le cadre des objectifs environnementaux de la France qui s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050.La budgétisation verte est une approche nouvelle de l’évaluation du budget de l’État et d’aide à la décision budgétaire. En permettant d’intégrer directement et systématiquement l’impact sur l’environnement dans les décisions de recettes et de dépenses publiques, elle constitue un outil de transformation majeur face aux enjeux climatiques ».
Un rapport d’étape
Le rapport apporte une première contribution méthodologique à cette démarche, et propose une classification qui permet à la fois de prendre en compte les dépenses qui n’ont pas a priori de finalité environnementale, de s’appuyer sur plusieurs objectifs environnementaux (lutte contre les gaz à effet de serre, protection de la biodiversité, prévention des risques technologiques et naturels, gestion de la ressource en eau, gestion des déchets et lutte contre les pollutions) et d’indiquer qu’une dépense peut avoir un impact différencié sur l’environnement en fonction des objectifs retenus. Si ce rapport propose pour la première fois une classification des dépenses budgétaires et fiscales ayant un impact significatif sur l’environnement, de nombreux termes méthodologiques restent à affiner. C’est pourquoi les ministres concernés ont lancé dans la foulée une grande concertation avec les parlementaires, les universitaires, les organisations internationales, les ONG et la société civile pour établir ensemble des critères partagés par tous. Il s’agira de définir précisément les dépenses et les recettes qualifiées de « vertes » et celles de « brunes » afin d’évaluer l’impact environnemental des décisions budgétaires.
Un budget vert pour 2021
En matière de transition écologique, la France a souscrit certains engagements environnementaux internationaux, parmi lesquels l’accord de Paris de 2015, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans lequel la France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité carbone en 2050. D’autres objectifs ont également été fixés en matière de diversité écologique, d’économie circulaire, de pollution, de gestion des eaux ou encore de protection des espaces naturels. Dans ce contexte, il est apparu nécessaire de pouvoir retracer la contribution des politiques budgétaires et fiscales à la protection de l’environnement. Or les outils actuels des politiques publiques, parmi lesquels le budget de l’État qui est voté chaque année, ne prennent actuellement pas en compte l’impact des mesures votées au parlement sur l’environnement. Il s’agit également pour les pouvoirs publics d’être en mesure de répondre à l’initiative de l’OCDE pour une budgétisation environnementale (Paris collaborative on Green Budgeting) lancée lors du One Planet Summit en décembre 2017, destiné à faire évoluer la présentation des projets de loi de finances des pays membres, de sorte que tant les dépenses que les mesures fiscales fassent systématiquement l’objet d’une évaluation environnementale. En outre, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2019, il a été décidé de mettre en place rapport de synthèse sur le financement de la transition écologique, reprenant tous les éléments relatifs à l’ensemble des politiques environnementales. Enfin, la loi relative à l’énergie et au climat prévoit la remise d’un rapport au Parlement sur « les incidences positives et négatives du projet de loi de finances pour 2020 sur le réchauffement climatique et sur l’atteinte des objectifs de développement durable du programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Dans ce contexte, Bercy doit se doter d’une méthode susceptible de décrire l’impact environnemental des dépenses et des recettes, ce qui a motivé cette double commande à l’IGF et au CGEDD.
Et ailleurs ?
À la suite de l’appel de l’OCDE, le Mexique s’est aussi engagé en tant que pays pilote pour proposer sa méthodologie de « budget vert » nationale et l’appliquer à son propre budget. En Irlande, l’État utilise la classification mise en place pour les émissions d’obligations vertes souveraines, ce qui conduit à exclure les activités controversées ou celles dont l’impact est nuancé, ce qui représente un périmètre de 1,6 Mds€ sur les 66 Mds€ de budget. Si l’Italie n’a pas adopté en tant que tel une démarche de green budgeting, elle s’est doté d’une méthode ad hoc constituée par un centre de recherche, Quick Scan et publie un catalogue annuel des subventions ayant un impact environnemental significatif depuis 2016.
La Commission européenne utilise quant à elle la méthodologie des marqueurs de Rio, issue du champ du développement, qui mesure l’impact des dépenses dans le développement des pays. Son objectif consiste à consacrer 20 % du budget de l’Union au climat. Si l’OCDE a lancé cette initiative de comparaison internationale des dépenses favorables à l’environnement, elle n’a proposé aucune méthode à suivre. Et les premières réunions exploratoires, au cours desquelles chacun des pays a explicité ses mesures favorables ou défavorables à l’environnement, ont rendu apparent le besoin d’une méthode internationale.
Construire une méthode
La mission s’est donnée pour objectif d’identifier les recettes et les dépenses du budget de l’État possédant un impact significatif, positif ou négatif, sur l’environnement. La difficulté d’un tel exercice est majorée par le fait qu’il existe une pluralité d’objectifs environnementaux, même si on a tendance à mettre l’accent sur l’objectif climatique et que la mission n’a pas souhaité pondéré ces différents objectifs. Il est donc nécessaire de distinguer les différents impacts d’une même dépense, une même dépense pouvant être à la fois favorable sur un impact et neutre ou défavorable sur un autre. En outre, il convient de nuancer l’appréciation de certaines dépenses qui peuvent par exemple s’avérer favorables à court terme mais moins favorables, voire défavorables à moyen ou long terme. Concernant les dépenses, la mission a évalué les méthodes existantes ou répertoriées. Dans le cadre des recensements issus des données budgétaires françaises figurent un certain nombre de documents : le jaune « Protection de la nature et de l’environnement », le jaune « Transition énergétique », le document de politique transversale (DPT) « Lutte contre le changement climatique », tous les documents liés aux obligations vertes de l’État depuis 2017, ainsi que le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses fiscales. En matière de statistiques publiques, la mission a eu à sa disposition des données qui ont constitué le noyau dur de ses études, même si leur champ est restreint. La mission a également eu recours à I4CE – Institute for Climate Economics, l’Institut de l’économie pour le climat –, cofondé par la Caisse des dépôts et consignations et de l’Agence française de développement (AFD), le Think Tank climat, qui a publié un panorama des financements climat et vient de publier un document sur le budget. La mission s’est aussi intéressée à ce qui existe au niveau national et au niveau international en matière de finance verte, avec des méthodes développées pour les investisseurs sur les marchés financiers. Enfin, elle a examiné les travaux des organisations internationales, notamment l’OCDE, avec les marqueurs de Rio et les subventions aux énergies fossiles, ainsi que ceux qui sont menés dans certains pays, comme le green budgeting mis en place en Irlande ou le recensement des subventions favorables et défavorables à l’environnement en Italie. Au final, peu de méthodes embrassent l’ensemble des objectifs environnementaux que nous avions identifiés. Il n’y a pratiquement pas d’exemple de recensement de dépenses défavorables. Peu de méthodes sont applicables aux dépenses de fonctionnement et d’intervention. Il n’existe pas vraiment d’accord sur les finalités de ces méthodes. Enfin, le champ des dépenses fiscales va bien au-delà des seules exonérations sur la fiscalité environnementale.
Application d’un « nutri-core »
La mission a identifié six objectifs environnementaux : la lutte contre le changement climatique, l’adaptation au changement climatique, la gestion de la ressource en eau, l’économie circulaire et les déchets, la lutte contre les pollutions de l’air, des sols, les pollutions sonores. La mission a regroupé dans un seul axe la question de la biodiversité et, plus généralement, la question de la gestion durable des espaces naturels, agricoles et sylvicoles, ces questions étant intimement liées. Elle a choisi de coter chaque dépense via une sorte de nutri-score, chaque dépense devant être cotée sur chacun des objectifs environnementaux, car une dépense peut être favorable à l’un et défavorable à un autre. Peuvent être classées comme favorables, les dépenses ayant comme objectif la production d’un bien ou d’un service environnemental comme par exemple les dépenses de financement des agences de l’eau ou la gestion des forêts domaniales publiques ; à un degré moindre celles qui favorisent indirectement un objectif environnemental sans qu’il soit leur objectif principal, comme les dépenses en faveur des transports publics ainsi que les dépenses afférentes à des technologies considérées aujourd’hui comme favorables à court terme, mais qui pourraient induire un questionnement à plus long terme, comme le soutien aux biocarburants, qui réduisent les émissions, mais valident aussi le modèle des véhicules thermiques. Les dépenses n’ayant aucun impact en matière d’environnement et celles dont la mission n’a pas été en mesure de déterminer avec exactitude l’impact environnemental sont cotées zéro. La cotation –1 a été réservée aux dépenses constituant une atteinte directe à l’environnement ou incitant les consommateurs à adopter des comportements négatifs.
Quelle application ?
La mission ne s’est pas contentée de mettre en place une méthode, mais l’a appliquée afin de vérifier si elle est opérationnelle. Dans un souci d’efficacité dans le délai imparti, elle a concentré son analyse détaillée sur les missions « Agriculture », « Écologie, développement et mobilité durables » « Recherche » et « Cohésion des territoires » ainsi que sur la quarantaine d’opérateurs, les dépenses fiscales, les mesures déclassées et les comptes d’affectation spéciale qui leur sont rattachés. Elle a concentré son action sur le budget exécuté en 2019, et concernant les dépenses fiscales, sur les recettes de 2017 pour avoir une vision exhaustive. Pour les recettes, la mission s’est fondée sur la définition de la taxe environnementale retenue par Eurostat, une taxe susceptible d’avoir un effet comportemental, sans écarter l’objectif de rendement. En retenant cette définition, la fiscalité environnementale est évaluée à 53 Mds€ en 2017, dont 35 Mds€ entrant dans le champ du projet de loi de finances, soit les taxes environnementales sur le carburant, l’électricité, l’eau ou le gaz, le reste relevant du budget de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. Pour les dépenses, on trouve des dépenses favorables et des dépenses défavorables pour chaque objectif environnemental, pris séparément. Pour faciliter la lecture, nous proposons des méthodes d’agrégation qui aboutissent au graphique présenté détaillant la somme des dépenses au moins une fois favorable à un objectif environnemental – 35 Mds€ –, dont 30 Mds€ défavorables à aucun objectif. Environ 20 Mds€ de dépenses sont défavorables à l’environnement sans être favorables par ailleurs. Il est possible de ventiler les dépenses favorables par secteur : 10 Mds€ pour la production d’énergie, via le soutien aux énergies renouvelables, puis les transports avec le soutien aux transports moins émissifs que la route, puis 6 Mds€ pour la recherche en lien avec l’environnement, et 5 Mds€ en faveur de la protection de l’environnement au sens strict, c’est-à-dire les dépenses classées par l’Insee et par le système statistique public comme ayant pour objectif principal la protection de l’environnement ; enfin, environ 3 Mds€ correspondant aux bâtiments et 2 Mds€ à l’agriculture et à la protection des espaces naturels, notamment via l’Office national des forêts (ONF). Si on ventile les dépenses défavorables par nature, on constate une prédominance des dépenses fiscales qui représentent 15 des 25 Mds€ concernés.
L’évaluation de l’I4CE
Ces conclusions sont relativement en phase avec le recensement des impôts et des dépenses impactant l’environnement, présenté le 1er octobre dernier par l’I4CE (anciennement CDC Climat). Leur étude s’est concentrée uniquement sur l’objectif climatique et non sur l’ensemble de l’environnement. Autre différence notable, ils n’ont pas intégré les opérateurs de l’État dans le périmètre du budget. En outre le montant des niches fiscales étudiées s’appuie sur les chiffres de 2018. Plus de 250 mesures budgétaires ou fiscales liées au climat ont été identifiées. Ces 250 mesures cumulent plus de 80 milliards de recettes ou de dépenses liées au climat. Ainsi, 7 % des impôts levés par l’État français ont un impact climatique positif, dont les trois quarts n’ont pas été votés pour cette raison. Par ailleurs, les dépenses concourant à augmenter les émissions, d’un ordre de grandeur de 20 Mds, compensent presque exactement celles concourant à les réduire. La plupart des dépenses « anti-climat » sont en fait des niches fiscales, qui à elles seules amputent le budget de l’État de presque 16 Mds€, soit deux fois plus que les 8 Mds€ de revenus issus de la taxe carbone.