La taxe de 3 % sur les dividendes invalidée par la CJUE

Publié le 15/06/2017

Une décision rendue par le juge communautaire conclut à l’incompatibilité de la taxe de 3 % sur les dividendes avec la directive mère-fille.

La Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que la contribution française de 3 % sur les revenus distribués était contraire à la directive mère-fille. La directive mères-filiales s’oppose à ce qu’un État membre, à l’occasion de la distribution des dividendes applique à une société-mère une imposition dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société, vient de préciser un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)1.

Une contribution de 3 % assise sur les distributions

L’article 6 de la loi de finances rectificative pour 2012 a instauré une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés (IS) au titre des montants distribués. Cette contribution dite taxe de 3 % est codifiée à l’article 235 ter ZCA du CGI. La contribution dont le taux est fixé à 3 % et calculée sur le montant des revenus distribués dont la mise en paiement est intervenue à compter du 17 août 2012. La contribution s’applique aux dividendes, aux acomptes sur dividendes, aux répartitions de réserves, et plus généralement à l’ensemble des revenus réputés distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI, qu’ils bénéficient à des personnes physiques ou morales, françaises ou étrangères. Les personnes morales redevables de la contribution additionnelle sont celles qui sont situées dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés au sens de l’article 206 du CGI. Le législateur a exclu de l’assiette de la contribution additionnelle les montants distribués entre sociétés d’un groupe intégré au sens de l’article 223 A du CGI. La contribution ne s’applique ni aux PME au sens communautaire ni aux Sicav, Sppicav et Sicaf. La contribution de 3 %, constitue une charge pour la société distributrice qui ne peut s’imputer sur les impositions dues par le bénéficiaire de ces distributions. Le paiement de la contribution doit s’effectuer, spontanément, au plus tard à l’échéance du premier acompte d’impôt sur les sociétés suivant le mois de la mise en paiement de la distribution, qui constitue le fait générateur de l’imposition. Rappelons que la contribution de 3 % a une double vocation. Elle a en outre été votée pour compenser les diminutions de recettes fiscales résultant de la suppression de la retenue à la source sur les dividendes versés à des OPCVM étrangers, due à la jurisprudence communautaire Santander Asset Management SGIIC SA2. Elle a en outre pour objectif de soutenir l’investissement au détriment du dividende. Depuis sa création, la validité de cette contribution a été régulièrement mise en doute, notamment au regard des principes du droit communautaire que ce soit sur le fondement de la directive mère-fille ou celui de la liberté d’établissement.

Une question préjudicielle

Saisi de contestations de la contribution additionnelle de 3 % (CGI, art. 235 ter ZCA), le Conseil d’État a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel et posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne3. Le Conseil d’État a en effet jugé que les critiques portant sur l’exonération relative aux groupes fiscalement intégrés soulevaient une question présentant un caractère sérieux a, par conséquent, renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 235 ter ZCA portant spécifiquement sur cette exonération. Cette QPC a conduit à l’annulation partielle de la taxe de 3 % à compter du 1er janvier 2007 et à la rédaction d’un nouvel article 235 ter ZCA du CGI afin d’étendre l’exonération de la taxe de 3 % aux distributions réalisées entre sociétés établies en France qui remplissent les conditions pour être membres d’un groupe fiscalement intégré, même si elles n’appartiennent effectivement pas à un tel groupe ainsi qu’aux distributions réalisées entre sociétés établies dans l’Union européenne ou dans un État ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés dans leur État d’implantation, qui, si elles avaient été établies en France rempliraient les conditions pour être membres d’un groupe fiscalement intégré avec la société distribuant les dividendes (v. encadré « Une décision d’annulation partielle du Conseil Constitutionnel »).

Concernant les critiques portant sur le principe même de la contribution additionnelle, le Conseil d’État s’est inscrit dans la ligne de sa jurisprudence et de celle du Conseil constitutionnel. Il a jugé qu’en l’état, les critiques n’étaient pas sérieuses, car le juge de l’impôt n’avait pas donné une interprétation du droit de l’Union le conduisant à écarter l’application de la loi aux redistributions de bénéfices provenant de filiales d’autres États membres de l’UE. La loi s’applique donc uniformément à toutes les distributions. Il a en revanche jugé que la question d’interprétation du droit de l’Union posait une difficulté sérieuse. Il a donc transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)4. Le Conseil d’État a précisé que, lorsque l’incertitude quant à l’interprétation de la loi et quant à sa conformité au droit de l’Union sera levée, à la suite de la réponse de la CJUE, une nouvelle QPC pourrait être posée si les requérants l’estiment utile. La première question préjudicielle visait à vérifier la compatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 4 de la directive n° 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011. La seconde question préjudicielle visait à vérifier l’incompatibilité de la contribution de 3 % avec l’article 5 de la directive n° 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011.

La position de la CJUE

L’article 4 de la directive mères-filiales, et notamment son paragraphe 1, sous a), s’oppose-t-il à une imposition telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du CGI qui est perçue à l’occasion de la distribution de bénéfices par une société passible de l’impôt sur les sociétés en France et dont l’assiette est constituée par les montants distribués ? En cas de réponse négative à la première question, une imposition, telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du CGI, doit-elle être regardée comme une retenue à la source, dont sont exonérés les bénéfices distribués par une filiale en vertu de l’article 5 de cette directive ? ». Pour le juge communautaire, il convient de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive mères-filiales doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure fiscale prévue par l’État membre d’une société-mère, telle que celle en cause au principal, prévoyant la perception d’un impôt à l’occasion de la distribution des dividendes par la société-mère et dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non résidentes de cette société. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question, précise encore le juge communautaire. Ainsi, selon la CJUE, l’application de la contribution additionnelle de 3 % est susceptible de créer une double imposition contraire aux objectifs de la directive mère-fille lorsqu’une société-mère française est soumise à la contribution lors de la redistribution des dividendes qu’elle a perçus de ses filiales européennes. Cet arrêt de la CJUE concluant à l’incompatibilité de la taxe de 3 % avec le droit communautaire pourrait donc fonder les sociétés ayant redistribué des revenus de filiales de l’Union européenne à demander la restitution de la contribution de 3 % acquittée au titre de ces redistributions. Les conséquences financières seraient très lourdes pour la France, la taxe rapportant environ 2 milliards d’euros chaque année.

Frédérique Perrotin

Le point sur l’incompatibilité de la contribution additionnelle de 3 % avec la directive mère-fille et ses conséquences pratiques avec Julien Monsenego, avocat associé et Thibaud Boucharlat, avocat senior du cabinet Gowling WLG.

Les Petites Affiches – Quelles sont les conséquences de cette nouvelle prise de position de la CJUE ?

Julien Monsenego – En application de cette décision, il est confirmé que les sociétés françaises qui ont reçu des dividendes de filiales de l’UE sont autorisées à réclamer le remboursement de la contribution additionnelle de 3 % prélevée sur ces distributions.

LPA – Et pour les autres distributions de dividendes ?

J. M. – Bien que cette décision ne s’oppose pas, en tant que tel, à la perception par un État membre d’une imposition lors d’une distribution de dividendes qui ne constitue pas une redistribution des dividendes reçus de filiales de l’UE (par exemple lors de la distribution du résultat opérationnel et/ou redistribution de dividendes provenant de filiales françaises ou situées dans un État non membre de l’UE), elle constitue un nouvel argument sérieux pour réclamer le remboursement de l’ensemble des contributions additionnelles de 3 % acquittées lors des distributions effectuées par une société française.

Thibaud Boucharlat – En effet, limiter l’exonération de contribution additionnelle aux redistributions de dividendes issus de filiales UE constituerait très certainement une rupture d’égalité contraire à la Constitution française, à la législation européenne et aux autres engagements internationaux de la France.

LPA – Quelles seront les suites de cette décision ?

J. M. – La position qui sera adoptée par l’administration fiscale est encore incertaine à ce stade. L’administration fiscale peut choisir d’adopter une position restrictive et limiter les remboursements aux sociétés qui sont en mesure de prouver que parmi les montants distribués et sur lesquels la contribution additionnelle a été assise, figurent des dividendes distribués par des sociétés situées dans un autre État membre. Dans cette hypothèse, de nouveaux contentieux sont à prévoir pour les sociétés qui ne sont pas en mesure d’apporter une telle preuve.

LPA – Quelle est l’alternative ?

J. M. – L’Administration peut reconnaître dès à présent l’illégalité de la contribution additionnelle et procéder à son remboursement immédiat à l’ensemble des sociétés qui en ferait la demande. Compte tenu des enjeux financiers, une telle position est cependant peu probable. Nous devrions en savoir plus dans les semaines à venir.

T. B. – En toute hypothèse, l’ensemble des entreprises ayant acquitté cette contribution ont intérêt à déposer dès à présent une réclamation contentieuse afin de préserver leur droit. À ce titre, nous vous rappelons qu’il est possible de contester jusqu’au 31 décembre 2017 la contribution payée en 2015 et jusqu’au 31 décembre 2018 pour la contribution payée en 2016.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CJUE, 17 mai 2017, n° C-365/16.
  • 2.
    CJUE, 10 mai 2012, nos C-338/11 à C-347/11, Santander Asset Management SGIIC SA.
  • 3.
    CE, 27 juin 2016, nos 398585, 399506, 399024 et 399757.
  • 4.
    Déc. Cons. const., 30 sept. 2016, n° 2016-571 QPC.
  • 5.
    CE, 29 mars 2017, n° 399506, Sté Layher.