Taxe de 3 %, le feuilleton se poursuit
Le Conseil d’État vient de transmettre une nouvelle QPC relative à la taxe de 3 % qui s’applique aux distributions de dividendes.
La question de la conformité à la Constitution du premier alinéa du I de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, vient d’être renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État1. Cette question prioritaire de constitutionnalité vise à s’assurer de la conformité à la Constitution de la contribution de 3 % sur les revenus distribués. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est la procédure, prévue par l’article 61-1 de la Constitution, par laquelle tout justiciable peut soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est transmise par une juridiction administrative au Conseil d’État ou qu’elle est soulevée directement devant lui, le Conseil d’État procède, dans un délai de trois mois, à son examen. Il renvoie la question au Conseil constitutionnel si la loi contestée est applicable au litige, si elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Une taxe de 3 % sur les distributions
La contribution codifiée à l’article 235 ter ZCA du CGI est calculée au taux de 3 % sur le montant des revenus distribués dont la mise en paiement est intervenue à compter du 17 août 2012. Elle s’applique aux dividendes, les acomptes sur dividendes, les répartitions de réserves, et plus généralement à l’ensemble des revenus réputés distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI, ce qu’ils bénéficient à des personnes physiques ou morales, françaises ou étrangères. Les personnes morales redevables de la contribution additionnelle sont celles qui sont situées dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés au sens de l’article 206 du CGI. Le législateur a exclu de l’assiette de la contribution additionnelle les montants distribués entre sociétés d’un groupe intégré au sens de l’article 223 A du CGI. La contribution ne s’applique ni aux PME au sens communautaire ni aux SICAV, Sppicav et Sicaf. La contribution de 3 %, constitue une charge pour la société distributrice qui ne peut s’imputer sur les impositions dues par le bénéficiaire de ces distributions. Le paiement de la contribution doit s’effectuer, spontanément, au plus tard à l’échéance du premier acompte d’impôt sur les sociétés suivant le mois de la mise en paiement de la distribution, qui constitue le fait générateur de l’imposition.
Une taxe régulièrement remise en cause
Dès son origine, la contribution de 3 % a répondu à un double objectif. Elle a été votée afin de soutenir l’investissement au détriment du dividende. Mais elle a également vocation à compenser les diminutions de recettes fiscales résultant de la suppression de la retenue à la source sur les dividendes versés à des OPCVM étrangers, due à la jurisprudence communautaire Santander Asset Management SGIIC SA2. Depuis sa création, la validité de cette contribution a été régulièrement mise en doute, notamment au regard des principes du droit communautaire que ce soit sur le fondement de la directive mère-filles ou celui de la liberté d’établissement. Et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé en mai dernier que la contribution française de 3 % sur les revenus distribués était contraire à la directive mère-fille3. La directive mères-filiales s’oppose à ce qu’un État membre, à l’occasion de la distribution des dividendes applique à une société mère une imposition, dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non-résidentes de cette société. Pour la CJUE, l’application de la contribution additionnelle de 3 % est susceptible de créer une double imposition contraire aux objectifs de la directive mère-fille lorsqu’une société mère française est soumise à la contribution lors de la redistribution des dividendes qu’elle a perçus de ses filiales européennes. L’arrêt de la CJUE concluant à l’incompatibilité de la taxe de 3 % avec le droit communautaire peut fonder les sociétés ayant redistribué des revenus de filiales de l’Union européenne à demander la restitution de la contribution de 3 % acquittée au titre de ces redistributions, avec à la clé des conséquences financières très lourdes pour la France, la taxe rapportant environ 2 milliards d’euros chaque année.
La position du Conseil constitutionnel
Saisi de contestations de la contribution additionnelle de 3 %, le Conseil d’État a, en juin 2016, renvoyé une QPC au Conseil constitutionnel et posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne4. Les requérants critiquaient en premier lieu l’exonération spécifique relative aux groupes fiscalement intégrés. Ils estimaient que le fait de réserver cette exonération aux seules sociétés bénéficiant du régime de l’intégration fiscale méconnaît les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. En second lieu, des requérants critiquaient le principe même de la contribution additionnelle. Ils estimaient que le juge, pour assurer le respect du droit de l’Union européenne (UE), n’appliquerait pas la loi aux redistributions de bénéfices provenant de filiales d’autres États membres de l’UE, qui sont dans le champ d’application de ce droit, mais continuerait de l’appliquer aux autres distributions, qui ne sont pas dans son champ d’application. Ils en déduisaient que l’article 235 ter ZCA, dans son entier, conduit à une violation des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Le Conseil d’État a jugé que les critiques portant sur l’exonération relative aux groupes fiscalement intégrés soulevaient une question présentant un caractère sérieux. Il a, par conséquent, renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 235 ter ZCA portant spécifiquement sur cette exonération. Pour les critiques portant sur le principe même de la contribution additionnelle, le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence et à celle du Conseil constitutionnel a jugé qu’en l’état, les critiques n’étaient pas sérieuses, car le juge de l’impôt n’avait pas donné une interprétation du droit de l’Union le conduisant à écarter l’application de la loi aux redistributions de bénéfices provenant de filiales d’autres États membres de l’UE. La loi s’applique donc uniformément à toutes les distributions. Il a ensuite jugé que la question d’interprétation du droit de l’Union posait une difficulté sérieuse. Il a donc transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), précisant que, lorsque l’incertitude quant à l’interprétation de la loi et quant à sa conformité au droit de l’Union sera levée, à la suite de la réponse de la CJUE, une nouvelle QPC pourrait être posée si les requérants l’estiment utile. Cette QPC a conduit à l’annulation partielle de la taxe de 3 % à compter du 1er janvier 2007. La contribution de 3 % qui frappe les organismes français ou étrangers relevant de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés sur tout ou partie de leur activité ne s’applique pas aux distributions réalisées à l’intérieur d’un groupe intégré. La contribution frappe les distributions de dividendes des filiales françaises à destination des sociétés mères établies dans un État membre de l’UE, alors qu’elle ne s’applique pas si ces sociétés mères appartiennent à un groupe fiscal intégré en France. Cette inégalité de traitement « n’est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général », a conclu le Conseil constitutionnel.
Une nouvelle rédaction de la contribution de 3 %
Le Conseil constitutionnel a choisi de reporter au 1er janvier 2017 les effets de sa décision d’inconstitutionnalité afin de laisser au législateur le temps d’adapter les dispositions de l’article 235 ter ZCA. Le législateur, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2016, a élargi l’exonération de taxe de 3 % aux distributions réalisées entre sociétés établies en France qui remplissent les conditions pour être membres d’un groupe fiscalement intégré, même si elles n’appartiennent effectivement pas à un tel groupe ainsi qu’aux distributions réalisées entre sociétés établies dans l’Union européenne ou dans un État ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés dans leur État d’implantation, qui, si elles avaient été établies en France rempliraient les conditions pour être membres d’un groupe fiscalement intégré avec la société distribuant les dividendes. La réforme s’applique aux montants distribués dont la mise en paiement intervient à partir du 1er janvier 2017.
La position du Conseil d’État
Le Conseil d’État, saisi dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir, d’une question relative à la contribution de 3 % a été plus loin que le Conseil constitutionnel et a annulé la totalité du paragraphe 130 de l’instruction attaquée relative à la contribution additionnelle due au titre des montants distribués de 3 %5. Ce paragraphe exclut du bénéfice de l’exonération de contribution additionnelle les distributions réalisées entre sociétés d’un même groupe lorsqu’il ne relève pas du régime de l’intégration fiscale même si la condition de détention du capital de 95 % fixée par l’article 223 A du CGI est remplie. Cependant, le Conseil d’État n’a pas apporté les précisions demandées par la société requérante sur la portée de cette annulation. L’arrêt ne comporte donc pas d’indications, sur la solution à donner aux demandes en restitution ou en décharge. D’après les commentateurs de cet arrêt, le Conseil d’État a vraisemblablement considéré qu’un recours pour excès de pouvoir n’était pas une voie de procédure appropriée pour se prononcer sur la solution à donner aux demandes en restitution ou en décharge.
Une nouvelle QPC posée dans le cadre d’un REP
Le présent arrêt du Conseil d’État intervient également dans le cadre d’une procédure de recours pour excès de pouvoir (REP). La société de participations financière (SOPARFI) demande au Conseil d’État, à l’appui de sa requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des paragraphes nos 1 et 70 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-IS-AUT-30-20160504, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts. À l’appui de sa demande d’annulation, la société SOPARFI soutient que ces dispositions doivent être lues comme ne s’appliquant pas aux bénéfices en provenance de ses filiales redistribuées par une société mère, que ces filiales soient situées en France, dans un autre pays de l’Union européenne, ou dans un État tiers à l’Union européenne. La société s’appuie pour ce faire sur le précédent jugement de la CJUE sur la question. À la lecture de la décision de renvoi rendue par le Conseil d’État, il apparaît que la question posée à la CJUE portait sur le point de savoir si les dispositions de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts devaient être regardées comme incompatibles avec la directive du 30 novembre 2011 en tant qu’elles ne prévoyaient pas de règles spécifiques pour les redistributions de bénéfices reçus par une société mère française d’une filiale établie dans l’Union européenne relevant du régime mère-fille prévu par la directive. En réponse à cette question, la Cour a jugé, dans l’arrêt mentionné au point 3, que la contribution prévue à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts ne pouvait être appliquée aux bénéfices redistribués par une société mère en provenance d’une filiale établie dans l’Union européenne relevant du régime mère-fille au sens de la directive du 30 novembre 2011. Elle n’a, en revanche, pas entendu juger que cette taxe ne pouvait être appliquée aux bénéfices redistribués par cette société mère en provenance d’une filiale résidente de France ou d’un État tiers à l’Union européenne. La société SOPARFI soutient, à titre subsidiaire, qu’à supposer même que la CJUE ne se soit prononcée que sur la question des bénéfices redistribués par une société mère en provenance de ses filiales entrant dans le champ de la directive du 30 novembre 2011, il y a lieu, afin d’assurer sa conformité avec cette directive, d’adopter une interprétation de l’article 235 ter ZCA du CGI selon laquelle il ne vise pas les redistributions par une société mère de bénéfices provenant de ses filiales, quel que soit l’État dans lequel ces dernières sont situées. Il résulte, toutefois, des termes mêmes de l’article 235 ter ZCA du CGI, qui n’a pas été adopté pour la transposition de la directive et qui prévoit que la contribution s’applique aux montants distribués au sens des articles 109 à 117 du CGI, qu’il n’établit aucune distinction selon l’origine des bénéfices distribués, notamment selon qu’ils correspondent ou non à des bénéfices en provenance des filiales de la société distributrice.
La position du Conseil d’État
La société SOPARFI soulève une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 235 ter ZCA du CGI. Ces dispositions sont applicables au présent litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. Pour le Conseil d’État, contrairement à ce que soutient la société SOPARFI, les dispositions de l’article 235 ter ZCA du CGI ne peuvent être appliquées aux bénéfices redistribués par une société mère provenant d’une filiale établie dans un pays de l’Union européenne autre que la France relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011, mais peuvent, en revanche, être appliquées à l’ensemble des autres bénéfices distribués par cette société mère. Pour la haute juridiction, les dispositions litigieuses créent une différence effective de traitement entre les sociétés mères, selon que les bénéfices qu’elles redistribuent proviennent ou non de filiales relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011. Le moyen tiré de ce qu’elles portent ainsi atteinte aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques découlant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 présente donc un caractère sérieux. En outre, le moyen tiré de ce que ces mêmes dispositions méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques, au motif que, en tout état de cause, sont imposables les dividendes distribués par la société provenant de son propre profit d’exploitation, soulève également une question qui présente un caractère sérieux. Il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée. Il est donc sursis à statuer sur la requête de la société SOPARFI jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée. Une décision du Conseil constitutionnel très attendue. En effet, ce contentieux est lourd de conséquences pour les contribuables concernés comme pour l’État.