Location d’établissements commerciaux ou industriels équipés : éligible au pacte Dutreil ?
Dans un arrêt du 1er juin 2023, la Cour de cassation semble ouvrir la voie à l’éligibilité de l’activité de location d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation au dispositif Dutreil.
Les conditions relatives au bénéfice du pacte Dutreil et leur interprétation par l’administration fiscale continuent de nourrir la jurisprudence. La Cour de cassation vient d’ouvrir la voie à l’éligibilité de l’activité de location d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation au dispositif Dutreil (Cass. com., 1er juin 2023, n° 22-15152).
L’exonération partielle du pacte Dutreil
Le dispositif Dutreil, codifié à l’article 787 B du Code général des impôts (CGI), prévoit un abattement de 75 % sur la valeur transmise imposable aux droits de mutation à titre gratuit des transmissions d’entreprise. De nombreuses conditions entourent le dispositif, que ce soit des engagements de conservation des titres par les donateurs et les donataires (le fameux pacte Dutreil), des conditions d’exercice de fonctions de direction, ou avant tout, des conditions sur la nature de l’activité exercée par l’entreprise dont les titres sont cédés.
Les activités éligibles
La loi (CGI, art. 787 B) vise les transmissions des parts ou les actions de société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Concernant les activités commerciales, elles sont mentionnées à l’article 966 du CGI : sont ainsi considérées comme des activités commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exception de l’exercice par une société ou un organisme d’une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier. Sont également considérées comme des activités commerciales les activités de sociétés qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Cette définition vise les holdings animatrices.
Suite aux dernières modifications du dispositif apportées par le législateur (L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018, de finances pour 2019), l’administration a commenté la nature des activités éligibles (BOFiP du 21 décembre 2021) renvoyant aux règles applicables à l’IFI (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30).
L’administration rappelle que sont ainsi exclues toutes les activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, et précise que c’est notamment le cas :
– des activités de location de locaux nus, quelle que soit l’affectation des locaux ;
– des activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;
– des activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaires à leur exploitation ;
– des activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles.
Elle précise également que « les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation et de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation peuvent en revanche, dans certains cas, être considérées comme commerciales pour l’application de l’exonération prévue à l’article 975 du CGI, en application du V de cet article » (BOI-PAT-IFI-30-10).
Un parlementaire interroge Bercy
L’exclusion de la location meublée des activités éligibles au pacte Dutreil résulte d’une interprétation de l’administration contestée par la place. Un parlementaire s’est saisi du sujet et a adressé une question écrite au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, sur le sujet précis des locations meublées à usage d’habitation, type locations saisonnières (Question n° 8362, JOAN 30 mai 2023, p. 4784). Le parlementaire s’étonne de cette exclusion au motif que l’activité para-hôtelière intègre, quant à elle, le champ d’application de l’article 787 B du CGI et que les activités para-hôtelières sont éligibles à ce régime de faveur. « Or aujourd’hui, pour transformer une location meublée saisonnière en para-hôtellerie, les propriétaires de logements meublés doivent simplement proposer à leur clientèle trois des services suivants :
– le nettoyage régulier des locaux,
– le service du petit-déjeuner directement dans les chambres ou dans un local dédié,
– la fourniture du linge de maison,
– la réception, même non personnalisée, de la clientèle.
Aussi, le client d’un établissement hôtelier ou para-hôtelier n’élit pas domicile dans le bien loué. Cette activité concerne exclusivement des locations pour des séjours de courtes durées ».
Pour pouvoir entrer dans le champ d’application de l’article 787 B du CGI et ainsi bénéficier du pacte Dutreil, les propriétaires de logements meublés priorisent donc la location saisonnière à la location annuelle. « Par ce biais, ils contribuent à amplifier le phénomène de crise du logement. Il est nécessaire de rappeler que le rapport sur le mal logement présenté par la Fondation Abbé Pierre en date du 1er février 2023 fait le constat de 4 150 000 personnes mal logées en France. Il pointe également l’incidence de la multiplication de l’offre de locations meublées à court terme sur la diminution du nombre de locations annuelles disponibles sur le marché locatif ».
Il lui apparaît donc opportun de demander le renouvellement par l’administration fiscale de ses commentaires relatifs au pacte Dutreil, en procédant à des modifications incluant les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation dans son dispositif. Cette modification aurait pour conséquence la diminution des locations saisonnières au profit des locations annuelles, ce qui entraînerait une augmentation considérable d’offres de locations de longue durée et serait constitutif d’une opportunité pour un grand nombre de personnes mal logées de pouvoir élire domicile dans des logements meublés.
Donations-partages
Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2023 (Cass. com., 1er juin 2023, n° 22-15152), Monsieur et Madame Y avaient procédé en 2008 ensemble, et en 2010 (pour Madame Y seulement) à une donation-partage à titre de partage anticipé de toutes les parts sociales des SARL Comaco, CFI et FVH en faveur de leurs quatre enfants. Les actes notariés de 2008 et 2010 demandaient à bénéficier du régime Dutreil. Le 4 décembre 2013, l’administration fiscale a remis en cause l’activité commerciale des trois sociétés fondant l’exonération partielle dont les parties avaient déclaré bénéficier et a rectifié l’assiette des droits d’enregistrement. Elle a considéré que les sociétés exerçaient une activité au caractère exclusivement civil et non une activité commerciale de marchand de biens. Le tribunal judiciaire de Paris puis la cour d’appel (CA Paris, 21 févr. 2022, n° 20/08155) ont donné raison à l’administration fiscale, contre la position des contribuables qui considéraient que la prescription triennale s’appliquait à l’action remettant en cause le statut de marchand de biens de la société. La cour d’appel a jugé la proposition de rectification justifiée en tant qu’elle a écarté la qualification d’activité de marchand de biens des sociétés Comaco, CFI et FVH.
En cassation, les donataires font grief à l’arrêt de rejeter la contestation portant sur le fond de la proposition de rectification du 4 décembre 2013, alors que « sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale transmises entre vifs ; qu’exerce une activité commerciale la société qui donne en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation ; qu’en se bornant à relever que l’activité principale de marchand de biens des sociétés CFI, Comaco et FVH n’était pas démontrée pour en déduire que les consorts [C] ne pouvaient bénéficier de l’exonération partielle en cause, sans rechercher, comme elle y était invitée si la société CFI n’exerçait pas une activité de location équipée, constituant une activité commerciale à part entière au sens de l’article 35, I, 5° du Code général des impôts, la rendant éligible au régime de faveur de l’article 787 B du code ».
La Cour de cassation a entendu l’argumentation défendue par les contribuables. Selon elle, il résulte de l’article 35 du CGI que « constitue une activité commerciale l’activité de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d’industrie ». Or les juges d’appel avaient retenu que la proposition de rectification était justifiée en tant qu’elle avait écarté la qualification d’activité de marchand de biens des sociétés Comaco, CFI et FVH. elle avait ajouté que les donataires ne se prévalaient ni d’une activité commerciale indépendamment de celle de marchand de biens ni d’une activité mixte susceptible d’autoriser l’exonération partielle litigieuse.
En se déterminant ainsi, « sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date des donations-partage, la société CFI n’exerçait pas l’activité commerciale de loueur d’établissements commerciaux ou industriels munis d’équipements nécessaires à leur exploitation, susceptible de rendre la transmission des parts de cette société éligible au régime de faveur de l’article 787 B du même code, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision », en a conclu la Cour de cassation. La lecture de cet arrêt laisse penser que la Cour de cassation est favorable à considérer que l’activité de location d’établissements commerciaux ou industriels meublés (munis du mobilier ou du matériel nécessaires à leur exploitation) est éligible au dispositif Dutreil.
Référence : AJU009h6