Pacte Dutreil : le Conseil d’État annule le Bofip sur le caractère prépondérant
Le Conseil d’État a annulé les critères fixés par l’administration fiscale du caractère prépondérant qui lui permet d’apprécier l‘éligibilité d’une société à l’exonération des droits de mutation à titre gratuit offertes par les Pacte Dutreil. La haute juridiction lui substitue le recours à un « faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».
Par un arrêt du 23 janvier 2020, le Conseil d’État a annulé une partie de la doctrine administrative relative aux Pactes Dutreil (CE, 8e et 3e ch. réun., 23 janv. 2020, n° 435562). En cause : les critères d’appréciation de la prépondérance retenue par l’administration fiscale.
Activités éligibles à l’exonération : quid de l’activité mixte ?
Les transmissions à titre gratuit, de parts ou actions de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale artisanale, agricole ou libérale peuvent bénéficier d’une exonération de droits, à concurrence de 75 % de leur valeur. L’article 787 B du Code général des impôts (CGI), qui prévoit le principe et pose les conditions de cette exonération – dont les engagements de conservation –, n’envisage pas le cas des entreprises qui poursuivent une activité mixte, c’est-à-dire une activité éligible et une activité civile purement patrimoniale.
La question a été posée par un député au ministre de l’Économie et des Finances. Dans sa réponse, le ministre avait précisé au sujet des sociétés ayant une activité mixte, « qu’il n’est pas exigé, pour l’application du dispositif d’exonération partielle, que ces sociétés exercent à titre exclusif une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Dès lors, le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts ou actions d’une société qui exerce à la fois une activité civile, autre qu’agricole ou libérale, et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n’est pas prépondérante » (Rép. min Bobe n° 94047, JOAN, 24 oct. 2006, p. 11064).
Comment déterminer la prépondérance ?
Dans son instruction publiée le 19 mai 2014, l’administration fiscale a défini le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la façon suivante. Elle l’apprécie « au regard de deux critères cumulatifs que sont :
– le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et,
– le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut) » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°20).
C’est cette méthode d’appréciation qui a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Un faisceau d’indices
M. A. et Mme B demandaient au Conseil d’État de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et parallèlement d’annuler ce passage de la doctrine administrative relatif aux critères d’appréciation du caractère prépondérant.
Selon le Conseil d’État, il résulte des dispositions de l’article 787 B du CGI « que sont susceptibles de bénéficier, dans les conditions et limites qu’elles prévoient, de la mesure d’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit ainsi instituée, les parts ou actions d’une société qui, ayant également une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ».
Il propose d’apprécier cette prépondérance « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».
La haute juridiction écarte les critères utilisés par l’administration. « La faiblesse du taux d’immobilisation de l’actif brut n’est pas davantage l’indice d’une activité civile autre qu’agricole ou libérale, que son importance celui d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » indique-t-elle. Ces dispositions de l‘article 787 du CGI « ne subordonnent pas l’avantage qu’elles instituent, s’agissant des parts et actions d’une société d’activité mixte, à la condition que le montant de l’actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l’actif brut ». Dès lors, estimant que le texte de la loi ne subordonne pas l’entrée dans le champ de la mesure d’exonération à une telle condition, le texte n’encourt pas de grief d’inconstitutionnalité tiré de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, qui consacrent les principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques. Il n’y a donc pas motif sérieux pour de transmettre une QPC sur la loi.
En revanche, et « pour les mêmes motifs, l’interprétation que ces commentaires administratifs prescrivent d’adopter méconnaît le sens et la portée des dispositions du premier alinéa de l’article 787 B du Code général des impôts ». En cela, le recours pour excès de pouvoir formé à leur encontre doit être accueilli.
La haute juridiction administrative prononce l’annulation du dernier alinéa du paragraphe n° 20 de l’instruction publiée au BOFiP-impôts sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10.
Une décision saluée
La communauté fiscale et patrimoniale salue cette décision qui invalide les critères de l’administration inadaptés, qui ne permettaient pas de prendre en compte les actifs circulants, qui pouvaient pourtant être exclusivement affectés à une activité éligible, comme les stocks pour l’activité d’achat-revente. Pas plus, les critères administratifs désormais annulés ne tenaient compte de l’actif brut immobilisé, comme un immeuble de rapport, qui n’est pas nécessairement affecté à l’activité éligible de la société.
La grille d’analyse proposée par le Conseil d’État – un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice – devrait permettre une appréciation sur mesure de l’éligibilité de la société au dispositif Dutreil, et notamment des holdings animatrices mixtes.