Transmettre une location meublée professionnelle avec le pacte Dutreil : le signal favorable de la jurisprudence

Publié le 29/09/2021
Location bureau
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En raisonnant sur la condition relative à l’exercice d’une activité individuelle et non sur la nature de l’activité, dans un arrêt du 11 mai dernier, la cour d’appel de Grenoble n’exclut pas la location meublée professionnelle du champ de l’exonération partielle de droit de mutation à titre gratuit prévue par l’article 787 C du CGI contrairement à la nouvelle doctrine administrative.

En raisonnant sur les conditions d’application de l’article 787 C du Code général des impôts (CGI) et non sur le champ de son application en présence d’une location meublée professionnelle (LMP), un récent arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 11 mai 2021 envoie un signe positif sur l’éligibilité au Dutreil de location meublée professionnelle (LMP) que l’on croyait condamné par les évolutions de la doctrine administrative. Qu’en est-il ?

La transmission d’une entreprise individuelle

Les entreprises individuelles sont éligibles à l’exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit nommée Pacte Dutreil (malgré l’absence de pacte d’associés, faute d’associés). Pour bénéficier de cette exonération spécifique aux entreprises individuelles prévue par l’article 787 du CGI (CGI, art. 787), l’entreprise transmise doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Est donc exclue du régime de faveur l’activité patrimoniale, telle que la location nue.

Les autres conditions sont relatives à la détention et l’exercice de l’activité. Ainsi, au moment de la transmission, si l’entreprise a été acquise à titre onéreux par le défunt ou le donateur, elle doit avoir été détenue depuis au moins deux ans par lui. Si elle a été créée par lui, cette condition n’est pas requise. Enfin, il n’est pas exigé que l’entreprise soit exploitée par le défunt au moment du décès. Une fois la transmission effectuée, chacun des héritiers, donataires ou légataires doit prendre l’engagement (dans la déclaration de succession ou l’acte de donation) pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver l’ensemble des biens affectés à l’exploitation de l’entreprise pendant une durée de quatre ans à compter de la date de transmission.

L’entreprise peut faire l’objet d’une donation sans que cette transmission remette en cause l’exonération partielle accordée au titre de la mutation à titre gratuit à condition que le ou les donataires soient le ou les descendants du donateur et que le ou les donataires la poursuivent de quatre ans jusqu’à son terme. Enfin, l’un des héritiers, donataires ou légataires doit poursuivre effectivement pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, l’exploitation de l’entreprise.

La location meublée professionnelle

La question de l’éligibilité de l’activité de location meublée au régime Dutreil pose question. Jusqu’à présent, la doctrine administrative en vigueur jusqu’au 6 avril 2021, (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°10) renvoyait, pour apprécier la nature de l’activité de l’entreprise transmise à la doctrine administrative relative à l’impôt sur la fortune et ses développements sur la notion de biens professionnels (BOI-PAT-ISF-30-30-10-10, § 180). Pour que les activités de location en meublée soient considérées comme professionnelles, plusieurs conditions devaient être remplies. L’activité n’était donc pas par principe exclue.

D’ailleurs, le Comité de l’abus de droit fiscal a eu l’occasion de prendre position sur la question dans trois arrêts rendus en 2015. L’affaire ne portait pas sur la nature de l’activité exercée par une SARL mais sur un montage ayant permis l’application du régime de faveur prévu à l’article 787 B du CGI à la transmission de biens privés par un couple à ses enfants alors que le législateur réserve l’application de ce régime aux transmissions d’entreprises (CADF, avis n° 2015-07 à 2015-09, 6 nov. 2015).

Au contraire, la nouvelle doctrine administrative mise en consultation publique jusqu’au 6 juin 2021, l’exclut expressément du champ de l’exonération partielle : « Sont ainsi exclues toutes les activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, y compris celles mentionnées à l’article 34 du CGI ou à l’article 35 du CGI. Tel est le cas notamment (…) des activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ». À cet égard, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 11 mai dernier prend le contre-pied des nouvelles positions de Bercy (CA Grenoble, 1ère ch., 11 mai 2021, n° 19/01583).

La gestion des biens déléguée

À son décès, Madame A. laisse pour lui succéder ses deux filles, Madame F. épouse X et Madame B. Sa succession comprend un studio situé à Paris évalué à 310 000 euros, une maison située en Corse estimée à 500 000 euros , ainsi qu’un chalet dans l’Isère situé et donné à la location, évalué à de 300 000 euros. La déclaration de succession a été enregistrée en février 2013. En mai 2015, les héritières ont reçu une proposition de rectification de la valeur vénale du chalet à la somme de 793 000 euros avec, suite à la remise en cause de l’exonération partielle de l’article 787 C du CGI, un rappel des droits de mutation à titre gratuit de 273 503 euros pour l’une et de 267 986 euros pour l’autre. Les services des impôts ont accepté d’appliquer une décote de 15 % à la valeur vénale du chalet, mais a maintenu la remise en cause du bénéfice de l’exonération de l’article 787 C du CGI. En première instance, le tribunal de grande instance de Grenoble les a déchargées des rappels de droits de succession.

L’administration fiscale conteste cette décision au motif que pour bénéficier du régime de l’article 787 C du CGI, il faut que l’entreprise individuelle soit détenue par le défunt, exploitée par ce dernier et que les biens affectés en cause soient affectés à cette entreprise. Elle soutient que la condition de l’exercice effectif implique que la personne exerce, à titre habituel et principal, son activité au sein de cette entreprise. Or la défunte, qui avait exercé jusqu’en 2010, sous forme individuelle, une activité de LMP, avait, avant son décès, confié la poursuite de l’exploitation de l’activité de loueur en meublé à la SARL M. à qui elle louait les biens non meublés. Madame A. ne déclarait dont pas de bénéfice industriel et commercial (BIC). Elle en a conclu que Madame A. n’exerçait plus l’activité de location meublée avant son décès.

De plus, les héritières ont conservé le bien dans leur patrimoine privé sans reprendre l’exploitation de l’activité de LMP réalisée par la SARL M. Elles ne justifient donc d’aucun bénéfice industriel et commercial correspondant à l’activité de LMP. Les biens transmis par la défunte n’ont pas été apportés à la SARL M. par les héritières et la condition tenant à la poursuite de l’activité par un héritier n’est pas remplie. Enfin, l’administration soutient que la condition de poursuite de l’activité par un héritier n’est pas davantage remplie puisque seule la SARL M. exerce cette activité de loueur et qu’elle le faisait avant le décès de Madame A. Selon elle, la condition imposée par l’article 787 C du CGI n’est pas remplie puisque la poursuite effective de l’exploitation ne peut s’effectuer par le biais d’une personne morale.

Le signal positif envoyé par la cour d’appel

Dans un premier temps, la cour d’appel de Grenoble rappelle le texte de l’article 787 C du CGI. Elle en conclut que pour bénéficier du régime d’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de ces dispositions, « il faut que l’entreprise individuelle soit détenue par le défunt, exploitée par ce dernier et que les biens affectés en cause soient affectés à cette entreprise ». Or elle constate qu’à compter de 2011, Madame A. a confié la gestion de son activité de loueur professionnel de meublé à la SARL M. Ainsi, Madame A n’exerçait plus, à la date de son décès, un contrôle sur une entreprise individuelle à laquelle étaient affectés les biens transmis par succession. Ses héritières ne peuvent donc pas bénéficier de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit de l’article 787 C du CGI.

En raisonnant sur la condition de l’exercice de l’activité individuelle et non sur la nature de l’activité, la cour d’appel de Grenoble assimile bien la location meublée aux activités éligibles au régime de l’article 787 C du CGI en tant qu’activité commerciale. Un signal positif pour les propriétaires qui exploitent leur bien sous cette forme.