Abus de droit : démembrement de propriété et article 238 bis K du CGI
Le Comité de l’abus de droit s’est penché sur un montage portant sur des cessions temporaires d’usufruit de société civile immobilière SCI à une société soumise à l’impôt sur les sociétés afin de bénéficier de l’application de l’article 238 bis K du CGI et éviter l’imposition des revenus fonciers sur la tête des associés personnes physiques.
Le Comité de l’abus de droit fiscal a rendu des avis intéressants, portant sur des cessions temporaires d’usufruit de parts sociales de société civile immobilière (SCI) dans le but de bénéficier des dispositions de l’article 238 bis K du Code général des impôts (CGI). Retour sur les avis rendus le 25 novembre 2019 dans le cadre d’une seule et même affaire (CADF/AC n° 9-2/2019) et qui rappellent aux contribuables qu’il faut manier le démembrement avec prudence.
Cession temporaire d’usufruit de parts de SCI
Dans l’affaire soumise au comité de l’abus de droit, concernant la société B, les membres d’une même famille, M. X et ses deux fils, X1 et X2, avaient créé plusieurs sociétés civiles immobilières (SCI) au capital de 1 000 euros, puis avaient cédé temporairement leur usufruit à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) dont ils avaient le contrôle.
Plus précisément, ils détenaient à proportion respectivement de 50 %, 25 % et 25 %, la totalité du capital de la société A. Le 2 juillet 2010, ils avaient créé la société par actions simplifiées (SAS) B, laquelle détenait des participations dans différentes SCI en pleine propriété ou en usufruit. Ainsi, courant 2010 et 2011, la société B avait acquis l’usufruit temporaire de 20 SCI auprès des consorts X.
Le prix de cession de ces usufruits a été inscrit au crédit de leurs comptes courants dans les dans la société B. Lors de la cession de ces usufruits, ces SCI possédaient déjà des immeubles.
En décembre 2011, la société A a cédé l’ensemble de ses filiales pour un prix de 42,5 millions d’euros et détenait alors 10 % du capital de la société B avant d’acquérir, en février 2012 la totalité de ce capital auprès des consorts X, et de transférer son siège au Luxembourg en octobre 2012. Suite à ces différentes opérations, les consorts X possédaient respectivement 50 %, 25 % et 25 % du capital de la société A, laquelle détenait l’intégralité du capital de la société B. Le 5 décembre 2011, la SCI E, relevant du régime des sociétés de personnes est créée avec un capital de 4 M€, composé de 40 000 parts de 100 euros chacune, les parts ayant été démembrées. Les consorts X en détiennent ensemble la nue-propriété et la société B en possède l’usufruit temporaire pour une durée de 15 ans expirant le 31 décembre 2026. La valeur de l’usufruit temporaire a été fixée à 1,84 M€, soit 45 % de la valeur en pleine propriété par application du barème de l’article 669 du CGI. Afin d’acquérir l’usufruit de ces parts, la SCI E a souscrit un emprunt bancaire de même montant et de même durée. Les nus-propriétaires n’ont pas libéré leur souscription de 2,16 M€ au capital de cette société.
La SCI E a acquis le 30 mars 2012 deux immeubles à usage de bureaux pour un prix de 4 M€ financés par l’apport de la société B usufruitière des parts et par un emprunt bancaire souscrit par la SCI pour un montant de 2,16 M€.
Entre le 30 juillet 2012 et le 4 novembre 2013, les consorts X ont créé 10 SCI, relevant du régime des sociétés de personnes visées à l’article 8 du CGI, selon le même schéma suivant : le capital, fixé à 1 000 € et composé de 100 parts d’une valeur nominale de 10 €, est détenu à hauteur de 98 % ou de 99 % par les consorts X et de 2 % ou de 1 % par la société B.
Peu de temps après la création de chaque SCI et avant que celle-ci procède à l’acquisition d’immeubles, les consorts X cèdent l’usufruit temporaire de leurs parts à la société B :
– pour une durée de 21 ans pour les 5 sociétés créées société entre le 30 juillet et le 28 novembre 2012, et
– pour une durée de 29 ans pour les 5 sociétés créées entre le 14 janvier et le 4 novembre 2013.
L’usufruit temporaire est évalué à 69 % de la valeur en pleine propriété, c’est-à-dire la valeur en capital.
Augmentation de capital et investissement immobilier
Puis, dans le mois ou les 2 mois suivant leur création, chacune des SCI procède à une augmentation de capital par accroissement de la valeur nominale des parts afin de porter le capital à la valeur de l’immeuble que chacune SCI envisage d’acquérir. Les consorts X et la société B y souscrivent dans le capital à concurrence de leurs droits en usufruit et/ou en nue-propriété.
La société B, ayant inscrit à son actif l’usufruit des parts des SCI et les augmentations de capital, finance sa quote-part de ces augmentations selon la même proportion de 69 % soit par emprunt bancaire soit par des fonds propres provenant de la société A, sa société mère luxembourgeoise dans le cadre d’avances partiellement rémunérées ou d’un prêt non rémunéré. Les nus-propriétaires n’ont pas libéré leur souscription à ces augmentations de capital.
Chaque SCI fait l’acquisition d’immeubles à usage professionnel (entrepôts, bureaux, murs de restaurants), financés par ses fonds propres compte tenu de l’augmentation de capital mais dans la mesure seulement de sa libération par la société B et pour le surplus par des emprunts ou par d’autres sources de financement rendus nécessaires en raison du défaut de libération par les consorts X de leurs souscriptions à l’augmentation de capital. Les 11 SCI ont procédé à l’amortissement des immeubles acquis et ont déterminé leur résultat selon les règles applicables en matière de bénéfices industriels et commerciaux (BIC), résultat imposé à l’IS au nom de la société B, en sa qualité d’usufruitière des parts de ces 11 SCI.
En vertu de l’article 238 bis K du CGI en effet « lorsque des droits dans une société [civile immobilière] (…) sont inscrits à l’actif d’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (…) la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l’entreprise qui détient ces droits ». En l’espèce, les résultats des SCI n’ont généré aucun IS, puisque les charges d’intérêts d’emprunts bancaires supportées par la société B et les amortissements comptabilisés par cette société, afférents à l’amortissement de l’usufruit temporaire des parts de chacune de ces SCI ont conduit à un résultat déficitaire pour l’ensemble des exercices soumis au contrôle de l’administration.
Échapper à l’imposition des revenus fonciers
Suite à une vérification de comptabilité de la société B sur les années 2012, 2013 et 2014, l’administration fiscale a remis en cause les opérations de démembrement des parts de ces 11 SCI et d’augmentations de capital de 10 d’entre elles au motif qu’elles participaient d’un montage n’ayant en réalité eu d’autre but que de permettre aux consorts X, dans le cadre de la constitution d’un patrimoine immobilier personnel en France, d’échapper à l’imposition des revenus fonciers générés par la location des immeubles exploités par chaque SCI dont ils auraient été redevables s’ils avaient conservé la pleine propriété des parts de ces SCI.
Mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit sur le fondement de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), l’administration a écarté, comme ne lui étant pas opposables, le démembrement temporaire des parts des 11 SCI et l’augmentation de capital de 10 d’entre elles, considérant que les consorts X comme étant les pleins propriétaires des participations dans chacune de ces SCI. Conséquence : elle a refusé la déduction des amortissements pratiqués sur les usufruits temporaires acquis ainsi que les intérêts relatifs aux emprunts souscrits pour leur acquisition, et corrigé les écritures extra-comptables afférentes aux quotes-parts déclarées des résultats des SCI. L’administration a procédé à un rappel d’IS, assorti de majoration pour abus de droit au taux de 40 %.
Montage artificiel
Le Comité des abus de droit conclut à un montage artificiel. En premier lieu, le comité raisonne sur l’absence de libération du capital prévu par l’augmentation de capital. Alors que la société B a libéré la fraction de capital lui incombant dans chacune des 11 SCI à raison de ses droits en usufruit, les consorts X, nus-propriétaires, s’en sont délibérément abstenus. Or ces apports étaient destinés à donner à chaque SCI le moyen de financer le prix de l’immeuble qu’elle envisageait d’acquérir. Privés de ces apports, les SCI ont été contraintes de recourir à d’autres modalités de financement qui ont aggravé leurs charges et diminué d’autant le résultat auquel la société B pouvait prétendre.
Ensuite, le comité souligne les effets de ce procédé, directement lié au démembrement : dans chacune des SCI, la charge du financement de la fraction du prix d’acquisition de l’immeuble incombant normalement aux nus-propriétaires a été transféré sur la société usufruitière. De la sorte, le procédé a concouru à la création pour la société B d’un déficit présentant un caractère structurel sur l’ensemble de la période considérée.
Il estime en conséquence « que les opérations de démembrement des parts et d’augmentation de capital des différentes SCI constituent, dans les circonstances de l’espèce, un montage artificiel, mis en place dans le seul but d’éviter l’imposition des revenus fonciers dont les consorts X auraient été redevables en l’absence de démembrement, qui n’est justifié, pour la société B, par aucun motif mais qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 238 bis K du CGI à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur, ne poursuivait ainsi à son niveau d’autre but que de lui permettre de déduire de son résultat les charges liées aux acquisitions temporaires d’usufruit et de pratiquer un amortissement de ces usufruits temporaires ».