Adoption : vers un droit d’accès aux origines ?

Publié le 28/05/2020

Le projet de loi Biotéthique remet en lumière la question de l’accès aux origines, une demande portée par les personnes nées d’un don de gamète, comme par les personnes adoptées. Pour les personnes adoptées, une réversibilité du secret des origines a été prévue par le législateur en 2002.

« La recherche des origines est un besoin essentiel pour réaliser son processus de construction identitaire et favoriser l’élaboration et la construction de son projet de vie », souligne en octobre 2019, le rapport Limon Imbert sur l’adoption, (M. Limon, C. Imbert, Rapport sur l’adoption, Vers une éthique de l’adoption : donner une famille à un enfant – octobre 2019). Ce constat qui rencontre désormais un très large consensus n’a pas toujours fait l’unanimité et la France peine encore à transcrire cette quête identitaire en un véritable droit aux origines.

L’apport des textes internationaux

Les textes internationaux posent pourtant la nécessité d’un accès aux origines. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) de 1989 prévoit à son article 7 que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Les États parties doivent veiller à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride. Conformément à l’article 8 de la CIDE, ils s’engagent également à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. La convention internationale de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale du 29 mai 1993 prévoit, quant à elle, dans son article 30 que « les autorités compétentes de l’État contractant veillent à conserver les informations qu’elles détiennent sur les origines de l’enfant, notamment celles relatives à l’identité de sa mère et de son père (…). Elles assurent l’accès de l’enfant ou de son représentant à ces informations, avec les conseils appropriés, dans la mesure permise par la loi de leur État ». Ces textes s’ils sont essentiels ne créent pas de droits directs dont peut se prévaloir la personne adoptée pour connaître ses origines.

La jurisprudence Odièvre

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a considéré, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Conv. EDH) affirmant le droit au respect de la vie familiale que tout requérant a un intérêt primordial à recevoir tout renseignement qui lui est nécessaire pour connaître et comprendre son enfance. Elle a cependant précisé que l’accord des parents d’origine devait être recueilli (7 juillet 1989, Gaskin c/Royaume-Uni). La jurisprudence de la CEDH n’a pas donné à ce texte une interprétation permettant la création d’un véritable droit d’accès aux origines. La jurisprudence Odièvre (CEDH, 13 février 2003, n° 42326/98, Odièvre c/ France) en est révélatrice à cet égard. Saisie par une requérante française qui n’est pas parvenue à accéder à ses origines biologiques, la Cour constate que le droit de connaître ses origines relève de l’article 8 de la Conv. EDH. Le droit de connaître l’identité de ses parents de naissance relève du champ du droit au respect de la vie privée. Le refus opposé à la requérante constitue une ingérence de l’État. Si ce principe a fait l’unanimité au sein des juges, son application a mis en lumière de graves divergences qui ont amené 7 des 17 juges amenés à se prononcer sur cette affaire à communiquer sur celles-ci. Les 7 juges minoritaires ont rédigé une opinion dissidente commune, dans laquelle ils ont notamment précisé que le droit à l’identité, comme condition essentielle du droit à l’autonomie (CEDH, 29 avril 2002, n° 2346/02, Pretty c. Royaume-Uni) et à l’épanouissement (CEDH, 6 février 2001, n° 44599/98, Bensaid c. Royaume-Uni) fait partie du noyau dur du droit au respect de la vie privée, réduisant d’autant l’ampleur de la marge d’appréciation d’un État dans le choix des mesures propres à garantir le respect de l’article 8 de la CEDH. La Cour s’appuie sur la réforme de 2002, qui prévoit une réversibilité du secret de la naissance, pour considérer toutefois que la France apporte une réponse équilibrée. La loi de 2002, « d’application immédiate, (…) peut désormais permettre à la requérante de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de sa mère sous réserve de l’accord de celle-ci », souligne la Cour. Et « la législation française tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause ». Ce faisant, la Cour tente d’équilibrer la protection de la vie privée garantie par l’article 8 de la CEDH dont peut se prévaloir l’enfant adopté et celle garantie à la mère d’origine, qui implique que soit respecté son droit au secret. En filigrane, se dessine également la nécessité de protéger la famille adoptive qui se voit aussi garantir le respect de sa vie privée.

L’arrêt Godelli

Une dizaine d’années plus tard, la jurisprudence Godelli (CEDH, 25 septembre 2012, n° 33783/09, Godelli c/ Italie), condamne, le mécanisme d’anonymat adopté en Italie, et semble marquer une certaine évolution. Pour fonder cette nouvelle solution, la Cour relève toutefois des différences marquées entre la situation des requérantes et l’état des législations respectives de la France et de l’Italie. En l’espèce, la requérante n’avait aucun moyen « d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers. Sans une pesée des droits et des intérêts en présence et sans aucune possibilité de recours, la requérante s’est vue opposer un refus absolu et définitif d’accéder à ses origines personnelles ». Alors que le système français tente d’instaurer un équilibre entre les différentes parties en cause, dans le cadre de la législation italienne, « en l’absence de tout mécanisme destiné à mettre en balance le droit de la requérante à connaître ses origines avec les droits et les intérêts de la mère à maintenir son anonymat, une préférence aveugle est inévitablement donnée à cette dernière ».

La législation en matière d’adoption avant la réforme de 2002

« Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé », conformément à l’article 341-1 du Code civil, dans sa rédaction, issue du vote de la loi du 8 janvier 1993. Avec l’accouchement sous X, la mère se voit reconnaître un droit au secret indépendant du type d’établissement dans lequel l’accouchement se produit et toute action de recherche en maternité est impossible. L’article L. 224-5 du Code de l’action sociale et des familles prévoit également la possibilité pour des parents remettant un enfant au service de l’aide sociale à l’enfance en vue d’une adoption de demander que le secret de leur identité soit préservé. Cette possibilité est limitée par la loi du 5 juillet 1996 sur l’adoption aux enfants âgés de moins d’un an. Ce texte apporte une évolution en permettant le recueil de renseignements non-identifiants. En l’absence de décret d’application, ce recueil s’effectue de façon très hétérogène d’un département à l’autre. Ce n’est donc pas le mécanisme de l’adoption plénière qui entrave l’accès aux origines, puisqu’il substitue une filiation à une autre sans créer pour autant de secret.

Adoption : vers un droit d’accès aux origines ?
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La lente affirmation d’un droit d’accès aux origines

En France, l’idée qu’il est nécessaire de permettre aux personnes adoptées d’accéder à leurs origines commence à se répandre à partir des années 1980-1990. Ce mouvement est sans doute facilité par la prise croissante de l’importance du biologique au sein de la filiation, amorcée dès les lois de 1972 et de 1993, une approche juridique facilitée par les progrès réalisés en matière d’analyses biologiques. L’ordonnance du 4 juillet 2005 qui modifie l’article 310-3, alinéa 2 du Code civil, afin de prévoir qu’en matière d’actions relatives à la filiation, celle-ci se prouve et se conteste par tous moyens, y compris l’expertise biologique, parachève cette évolution en faveur du biologique. Les associations d’enfants adoptés commencent à faire entendre leurs arguments, aidés par les médecins, les psychologues, les psychanalystes qui démontrent les conséquences délétères du secret sur les origines. Les rapports et les propositions sur la question de la facilitation de l’accès aux origines se multiplient entre 1990 et 2002. Cette réflexion aboutit à une évolution majeure avec l’adoption de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002, relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État.

La réforme de 2002, un texte de compromis

Ce texte introduit dans le Code de l’action sociale et des familles, à l’article L. 222-6 « l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire ». Mais il ne s’agit pas pour le législateur de créer un véritable droit à connaître ses origines pour l’enfant adopté, mais plutôt d’organiser la réversibilité du secret. Texte de compromis, la loi du 22 janvier 2002, crée un équilibre entre le droit des enfants à connaître leurs origines et celui de la mère d’accoucher en sécurité et de voir respecter sa vie privée. Il prend le pari de maintenir l’accouchement sous X tout en mettant en place un dispositif destiné à favoriser la réversibilité du secret. S’il réaffirme sans ambiguïté la possibilité pour une femme d’accoucher en gardant secrète son identité, il renforce aussi l’éventail des possibilités d’information laissées pour l’enfant. La mère peut laisser des renseignements non-identifiants permettant à l’enfant de comprendre les circonstances de sa naissance. Il lui est en outre possible de laisser son identité sous pli fermé à l’intention de l’enfant. Ce pli ne sera ouvert que si l’enfant en fait la demande. Toute information laissée dans le pli fermé ne peut être ni supprimée, ni retirée du dossier de l’enfant. La mère conserve cependant le droit de refuser tout contact et de conserver son anonymat. La mère de naissance peut également laisser son identité dans le dossier afin que l’enfant puisse l’obtenir. Enfin, la mère de naissance garde la possibilité de lever le secret de son identité à tout moment, comme cela existait déjà, avant le vote de la loi de 2002.

Le rôle du CNAOP

Pour les personnes nées sous X, le législateur met en place un dispositif d’accompagnement dans la quête de leurs origines grâce à̀ la création du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), codifié aux articles L. 147-1 à L. 147-11 du CASF. Le CNAOP accompagne les personnes nées sous X dans la recherche de l’identité de la mère de naissance. En cas de découverte, il se place en médiateur dans le plus grand respect de la vie privée et familiale de la mère de naissance, afin de savoir si elle accepte que son identité soit révélée à l’enfant, voire que soit organisée une rencontre. Le CNAOP peut communiquer l’identité des parents de naissance dans quatre cas : si les parents ont levé le secret de leur identité spontanément, si le dossier de l’enfant ne comporte pas de demande de secret d’identité des parents, après avoir vérifié leur volonté, si le consentement des parents à la levée du secret a été recueilli par un membre du CNAOP dans le respect de leur vie privée et si les parents recherchés sont décédés et qu’ils ne se sont pas opposés à la levée du secret lors d’une demande de l’enfant d’accéder à ses origines. Si les parents maintiennent leur volonté de garder leur identité secrète, le CNAOP ne les sollicitera plus. L’enfant est informé du résultat de sa démarche et des éléments non-identifiants que ses parents biologiques auront éventuellement accepté de lui communiquer. L’article L. 147-7 du CASF précise que l’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit.

L’activité du CNAOP

Le CNAOP identifie chaque année entre 250 et 300 parents de naissance. Près de la moitié d’entre eux choisit de lever le secret et de rencontrer la personne née dans le secret. Depuis 2002, 2 843 personnes nées dans le secret de leurs parents de naissance ont eu accès à l’identité d’au moins un de leurs parents de naissance par l’intermédiaire du CNAOP. Alors que le nombre d’accouchements dans le secret signalé au CNAOP est stable, soit près de 600 accouchements en 2018, l’activité du CNAOP est en augmentation (CNAOP, Rapport d’activité 2019, 20 juin 2018), avec un haut niveau de demandes d’accès aux origines enregistrées (920 contre 869 en 2017). L’identité d’un ou des parents de naissance a été communiquée à 158 demandeurs en 2018. La répartition des demandeurs majeurs selon leur âge est relativement équilibrée. Le CNAOP reçoit peu de demandes émanant de personnes mineures (1, 4 %). Les demandeurs sont en très grande majorité nés en France. Les demandes d’accès aux origines émanant de personnes nées à l’étranger sont peu nombreuses depuis 2002 (8,27 %). Plus d’un tiers de ces demandes émanent de personnes nées en Algérie avant 1962 (38 %). Ces dossiers sont particulièrement difficiles à faire aboutir, car les archives des hôpitaux locaux sont lacunaires.

Et demain ?

« Les personnes auditionnées déplorent le manque d’accompagnement et de médiation du CNAOP. La relation entre les adoptés et le CNAOP est compliquée », souligne le rapport Limon Imbert. Le rapport préconise d’étendre la mission du CNAOP pour l’international et de renforcer ses moyens avec un personnel pluridisciplinaire (santé, éducation, psychologue). Le rapport préconise également de faciliter la recherche d’origine pour les adoptés internationaux. Les organismes autorisés pour l’adoption (OAA) qui ont accompagné l’adoption (OAA) ont l’obligation de communiquer aux intéressés, qui en font la demande, les dossiers individuels qu’ils détiennent (CASF, art. L. 225-14-1). Aucun accompagnement n’est obligatoire, même si majoritairement les OAA ont mis en place des structures pour accompagner les demandeurs. Le rapport préconise de limiter au maximum les adoptions individuelles, celles-ci empêchant de remonter le fil des origines, contrairement aux cas où un OAA est utilisé. Soulignant la multiplicité des interlocuteurs, le rapport appelle à centraliser la recherche des origines, par exemple, en intégrant le CNAOP dans une agence résultant de sa fusion avec l’AFA et le GIPED. En revanche, aucune réforme de fond  n’est proposée pour créer un véritable droit d’accès aux origines.

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