Dons de gamètes : vers un droit d’accès aux origines ?

Publié le 26/05/2020

La loi Bioéthique, en cours d’examen prévoit un droit d’accès aux origines pour les enfants nés d’un don de gamètes. Elle constitue une évolution majeure du régime d’anonymat qui prévaut pour les donneurs et les donneuses en AMP. Le point sur cette avancée en matière d’accès aux origines avec Pierre Dauptain, notaire à Cachan.

Un droit d’accès aux données non-identifiants et à l’identité du donneur égal pour tous c’est toute l’ambition initiale de projet de loi de bioéthique, présenté le 24 juillet 2019 en conseil des ministres et déposé pour seconde lecture à l’Assemblée nationale. « L’application rigide du principe d’anonymat, si elle protège le donneur et les familles, est susceptible, à long terme, d’avoir des effets préjudiciables chez certains enfants, qui ont le sentiment d’être privés d’une dimension de leur propre histoire », constatait le Conseil d’État dès 2018 (CE, 28 juin 2018, Révision de la loi de bioéthique, quelles options pour demain ?). Si le Conseil d’État se prononçait alors pour le maintien de l’anonymat du don au moment où il est effectué, il préconisait la création d’ « un nouveau droit, celui d’accéder à ses origines, à sa majorité ». Le projet de loi Bioéthique entend permettre la levée de l’anonymat, pour les enfants nés d’un don qui souhaiteraient accéder à leurs origines. Les avis favorables du Comité consultatif national d’éthique (CCNE, avis n° 129, du 25 septembre 2018) et du Conseil d’État (CE, 18 juillet 2019, n° 397993) à la levée de l’anonymat pour les personnes issues d’un don de gamètes ont contribué à faire évoluer favorablement le consensus en faveur de l’ouverture d’un droit aux origines.

Enfants nés d’un don de gamètes ou d’embryons : principe d’anonymat

Depuis le vote de la loi du 29 juillet 1994 qui est venue encadrer l’assistance médicale à la procréation (AMP), le législateur a posé comme principe que les dons de gamètes et d’embryons sont soumis au même principe d’anonymat que les autres dons d’éléments ou de produits du corps humain. Ce faisant le législateur a adopté une solution en conformité avec la pratique des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). L’anonymat des donneurs s’impose non seulement aux couples receveurs du don bénéficiant de l’AMP, mais également aux enfants qui pourraient être conçus grâce à ce don. Ce principe d’anonymat est codifié à l’article 16-8 dans le Code civil et à l’article L. 1211-542 du Code de la santé publique. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 1994, a jugé que l’interdiction de donner les moyens aux enfants ainsi conçus de connaître l’identité des donneurs ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé telle qu’elle est garantie par le Préambule de la Constitution. En 2011, le principe d’anonymat a été conservé lors de la révision de la loi relative à la bioéthique, alors même que la gouvernement avait initialement proposé d’intégrer un titre V intitulé : « Accès à des données non-identifiants et à l’identité du donneur de gamètes » dans le projet de loi. Pourtant dès 1994, il paraissant évident que la règle d’anonymat constituait une solution par défaut. Lors des débats, le professeur Mattéi, alors député, résumait le dilemme du législateur en ces termes : « Ni l’une, ni l’autre solution ne sont bonnes. Si nous nous en tenons à la règle de l’anonymat, il est clair que nous prenons le risque d’une quête d’identité chez l’adolescent. Si inversement, on lève l’anonymat, on remplace sa quête identitaire par l’ambiguïté d’une référence identitaire et au lieu de régler le problème, on lui en substitue un autre, qui est tout aussi grave ».

L’accès aux informations médicales facilitées

Le principe d’anonymat connaît depuis le vote de la loi de 1994 une seule exception destinée à ménager un accès aux informations médicales du donneur dans l’intérêt de l’enfant. En application de l’article L. 1244-6 du Code de la santé publique, un médecin peut ainsi accéder aux informations médicales non identifiantes du donneur en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu à partir de gamètes issus de son don. Le même dispositif est prévu à l’article L. 2141-6 en cas de don d’embryons. Ces informations sont transmises de médecin à médecin et l’anonymat est respecté, tant vis-à-vis de l’enfant issu du don que de ses parents. En outre, un donneur peut autoriser son médecin prescripteur à communiquer les résultats d’un test génétique au CECOS où il a procédé à un don, en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, une possibilité ouverte depuis la deuxième loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011. Dans ce cas, le personnel médical du CECOS invite les personnes issues de son don à se rendre à une consultation de génétique.

La jurisprudence du Conseil d’État

Dans une décision contentieuse du 12 novembre 2015, (CE, 12 novembre 2015, n° 372121), le Conseil d’État a confirmé que la règle de l’anonymat des donneurs de gamètes n’est pas incompatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Le Conseil d’État s’est prononcé principalement sur la compatibilité entre les dispositions législatives sur le fondement desquelles l’accès aux données sur les origines de la requérante avait été refusé et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), notamment son article 8, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. S’agissant de l’accès aux données permettant d’identifier l’auteur d’un don de gamètes, le Conseil d’État a relevé que la règle de l’anonymat du donneur de gamètes répond à l’objectif de préservation de la vie privée du donneur et de sa famille. Il a jugé que cette règle ne porte en elle-même aucune atteinte à la vie privée et familiale de la requérante. Le Conseil d’État en a conclu que le législateur, en fixant la règle de l’anonymat du donneur de gamètes, n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il dispose en vue d’assurer un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, à savoir ceux du donneur et de sa famille, du couple receveur, de l’enfant issu du don de gamètes et de la famille de l’enfant ainsi conçu. La conciliation opérée par le législateur entre les intérêts en cause relève de la marge d’appréciation que l’article 8 de la CEDH réserve au législateur national. Au regard des exceptions strictement encadrées par la loi à la règle d’interdiction de communiquer des informations relatives au donneur et au receveur de gamète, le juge a précisé que des actions de prévention peuvent entrer dans le champ du concept de nécessité thérapeutique, ce qui permet à un couple de personnes issues l’une et l’autre de dons de gamètes de prévenir tout éventuel risque de consanguinité en faisant interroger leurs centres d’AMP par leur médecin.

En 2017, le Conseil d’État (CE, 28 décembre 2017, n° 396571) a jugé que ce principe d’anonymat était opposable à toutes les demandes de communication d’informations présentées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1994, y compris à celles qui se rapportaient à un don effectué antérieurement. Il a précisé que le refus d’un CECOS de communiquer des documents relatifs au donneur de gamètes à l’origine de la conception du demandeur ne portait pas une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la CEDH, rappelant que « plusieurs considérations d’intérêt général ont conduit le législateur à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d’un donneur de gamètes puis à écarter toute modification de cette règle de l’anonymat, notamment la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque majeur de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes, ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps ».

Des requêtes transmises à la CEDH

En juin 2018, la CEDH a communiqué deux affaires relatives à l’impossibilité légale pour une personne née d’un don de gamètes de connaître l’identité du donneur (Gauvin-Fournis c/ France, n°21424/16 et Silliau c/ France, n°45728/17). Les requérants sont nés d’une insémination artificielle à partir d’un don de sperme. À l’âge adulte, leurs parents les ont informés de leur mode de conception. Ils ont alors engagé des démarches visant à connaître l’identité de leurs donneurs ou certaines informations non identifiantes, mais se sont heurtés au régime légal du don de gamètes, qui interdit de communiquer l’identité du donneur et réserve aux médecins la communication de certaines informations à des fins thérapeutiques. Pour les requérants, ce régime méconnaît leur droit à la connaissance de leurs origines et revêt un caractère discriminatoire. Ces affaires ont été communiquées sous l’angle de l’article 8 de la Conv. EDH pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la Convention.

Dons de gamètes : vers un droit d’accès aux origines ?
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Les avancées prévues dans le cadre du projet de loi Bioéthique

Le projet de loi remplace la notion de nécessité thérapeutique par celle de nécessité médicale et crée une obligation pour un donneur d’informer les personnes conçues grâce à son don des résultats d’un test génétique détectant une anomalie grave. Cette dernière modification n’a pas été retenue dans le cadre de la version du projet de loi présenté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, qui se contente de préciser que les informations médicales non identifiantes peuvent être actualisées par le donneur de gamètes ou la personne conçue de gamètes issues d’un don.

Surtout, le projet de loi, même s’il maintient le principe de l’anonymat du don entre les donneurs et les receveurs, les personnes, couples ou femmes célibataires qui ont donné leur consentement à l’AMP, prévoit un accès possible aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur pour les personnes issues d’un don de gamète ou d’embryon qui en ferait la demande. Avec ce projet de loi, toute personne conçue par AMP avec tiers donneur peut si elle le souhaite accéder aux données non identifiantes de ce tiers donneur (âge, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivation de leur don rédigées par leurs soins en concertation avec le médecin. Elle peut également si elle le souhaite accéder, à sa majorité, à l’identité du tiers donneur sous réserve du consentement exprès de celui-ci exprimé au moment de la demande qu’elle formule. Les demandes exprimées par les personnes issues d’un don pour connaître les données identifiantes du tiers donneur ou de son identité sont adressées au CNAOP. Le CNAOP informe et accompagne les demandeurs tiers donneurs. Le CNAOP a notamment pour mission de recueillir le consentement du tiers donneur et de demander à l’Agence de biomédecine la communication des données non identifiantes et l’identité des tiers donneurs.  Si la demande concerne des donneurs qui ont fait un don antérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi Bioéthique, le CNAOP a la possibilité de contacter ces tiers donneurs afin de solliciter et recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité ainsi qu’à la transmission de ces données à l’Agence de biomédecine. Le CNAOP comporterait désormais deux formations, l’une compétente pour traiter les demandes des personnes pupilles de l’État ou adoptées qui ne connaissent pas leurs origines et l’autre compétente pour traiter les demandes des personnes conçues par AMP avec tiers donneur.

Explications avec Pierre Dauptain, notaire à Cachan.

Les Petites Affiches : Peut-on dire que le projet de loi Bioéthique crée véritablement en France un droit aux origines ?

Pierre Dauptain : Incontestablement ce projet de loi constitue un grand pas vers un droit aux origines. Mais il ne crée pas un droit universel aux origines, les personnes nées de gamètes avant la loi ou celles qui ont été adoptées ne sont pas concernées par ce texte. Pour elles, la notion d’anonymat perdure.

LPA : En tant que notaire, quelle est votre expérience de la quête identitaire des personnes nées d’un don de gamètes ou de personnes adoptées ?

P. D. : J’observe que les familles communiquent facilement sur la notion d’adoption. Le recours à une procédure d’AMP me paraît plus du ressort de l’intime.

LPA : On pense que sur les 70 000 personnes issues de don, environ 90 % ne savent pas qu’elles sont issues d’un don. Le notaire a-t-il un rôle à jouer ?

P. D. : Les médecins et les psychologues incitent généralement les parents à informer leurs enfants des conditions de leur naissance. Lorsque nous recueillerons le consentement des futurs parents, notre rôle consistera à leur expliquer tous les enjeux de leur geste au regard des nouvelles dispositions.

LPA : L’évolution de la jurisprudence européenne pourrait-elle faire évoluer la législation relative à l’accès aux origines ?

P. D. : Pour le moment, la CEDH a plutôt eu tendance à entériner les positions prises par la France, notamment en matière d’adoption. En revanche, les deux contentieux pendant devant la CEDH, qui concernent des enfants nés d’un don de gamètes, ne sont peut-être pas étrangers aux dispositions relatives à l’accès aux origines incluses dans le projet de loi Bioéthique.

LPA : Quel impact anticipez-vous pour ce projet de loi ?

P. D. : Je pense qu’il faut s’attarder sur les éventuelles conséquences psychologiques pour les familles des donneurs, notamment leurs enfants. Le consentement du conjoint n’est pas requis malgré la levée de l’anonymat : est-ce une bonne chose ? Enfin, il me paraît essentiel d’insister sur la différence entre filiation et origines.

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