Comment assurer l’efficacité des actes notariés à l’international ?
Mandat de protection future, acte bilingue, risque de double imposition en matière de taxation des plus-values et assurance-vie : le 115e Congrès des notaires a identifié plusieurs leviers pour améliorer la rédaction de l’acte notarié dans un contexte international.
Lors du Congrès des notaires, qui s’est tenu à Bruxelles du 2 au 5 juin derniers, la deuxième commission, présidée par Jean-Christophe Rega, notaire à Saint-Martin-Laguépie et son rapporteur Olivier Lecomte, notaire à Paris, s’est penchée sur les enjeux internationaux de la rédaction d’actes. Comment assurer l’efficacité des actes notariés dans un contexte international ?
Trois propositions d’interventions législatives, toutes adoptées par les congressistes, portent sur l’efficacité du mandat de protection future à l’étranger, la nécessité d’éliminer certaines doubles impositions, et l’emploi d’une langue étrangère dans l’acte notarié.
Mandat de protection future et effets internationaux
La première proposition concerne le mandat d’inaptitude, qui a pris la forme en France du mandat de protection future (MPF), créé par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2009, en même temps que la convention internationale de La Haye n° 35 du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.
Cette convention prévoit que la protection de la personne relève des autorités de l’État de résidence de l’adulte. Les mesures prises par un État contractant « sont reconnues de plein droit dans les autres États contractants ». Le mandat d’inaptitude revêt donc une portée universelle.
Plusieurs États membres ont instauré dans leur système juridique respectif un tel mandat d’inaptitude : la Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, et l’Espagne. Lorsque le mandat a été conclu à l’étranger plusieurs questions se posent : dans quelles conditions peut-il circuler, être accepté et appliqué sur tous les territoires, à commencer par celui de l’Union européenne ?
Alors que les auteurs de la convention de La Haye s’attendent à la rédaction de 9 millions de mandats d’inaptitude dans les années qui ont suivi sa création, la France n’en compte que 7 000 depuis 2009 ! La raison de ce relatif échec est à rechercher du côté de son absence de publicité.
La France a prévu que doit être créé un registre spécial des mandats permettant de faire connaître leur existence, au niveau européen, auprès des autorités comme le juge et des tiers. Selon la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, « le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l’accès sont réglés par décret en Conseil d’État », (C. civ., art. 477-1).
Le décret d’application tarde à paraître. Pourtant, l’établissement du registre permettrait au juge des tutelles, saisi d’une demande d’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle, de vérifier l’existence du mandat, afin de respecter la volonté exprimée par le mandant, qui se trouve alors dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts.
Le mandat d’inaptitude créé par la convention de La Haye ne bénéficie pas non plus d’une publicité, une absence préjudiciable à son développement. L’exemple du Québec illustre le rayonnement attendu du mandat d’inaptitude : en 2014, un million de mandats étaient enregistrés dans le registre spécifique, sur une population totale de sept millions d’habitants.
Dans ce contexte, le 115e Congrès des notaires considère que « le vieillissement de la population et sa conséquence directe, la vulnérabilité des adultes, pourraient constituer une réelle entrave à la libre circulation des citoyens européens dans les années à venir, si l’autorité ayant à le connaître, ne peut savoir que l’adulte a pu, en son temps établir un mandat d’inaptitude dans un autre État ».
Pour la deuxième commission, « le mandat d’inaptitude consacre le respect de l’autonomie de la volonté, permet le désengorgement des juridictions à la protection, qui continuent cependant à exercer un contrôle sur le mandataire et peuvent faire cesser le mandat s’il y a lieu ». Enfin, elle rappelle que « la primauté du mandat sur une mesure judiciaire, instaurée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est une manifestation de l’importance programmée de cet instrument ».
Dès lors, le 115e Congrès des notaires propose d’assurer l’interconnexion du registre français des mandats de protection future avec les autres registres nationaux des États connaissant le mandant ou qui pourraient reconnaître les effets d’un mandat établi à l’étranger afin de garantir, au niveau international, une mesure de publicité accessible aux personnes et aux autorités habilitées. Il préconise que préalablement, soit publié, le décret en Conseil d’État, sur la mise en œuvre et les modalités d’accès du registre national des mandants de protection future sans plus attendre, conformément à la loi du 28 décembre 2015 qui l’a instauré.
À propos du registre franco-français, le notariat a rappelé avoir su mettre en place le fichier central des dernières volontés. Il n’en réclame pas pour autant la responsabilité de la tenue du registre des MPF, tout en rappelant le besoin impérieux de respecter la confidentialité des mandats. La proposition a été adoptée à l’unanimité des notaires.
Éviter les doubles impositions : plus-value immobilière et assurance-vie
La deuxième proposition s’attaque aux risques de double imposition qui subsistent dans les relations économiques avec certains États et que seul un texte de loi peut éliminer. Ainsi les plus-values immobilières font-elles souvent l’objet d’une double imposition économique.
Certains États dans lesquels se situent les biens immobiliers s’estiment en effet légitimes à taxer ces gains en capital. De son côté, la France soumet ses résidents à une obligation fiscale illimitée. Ils sont donc imposés sur une base mondiale (selon l’article 4 A du Code général des impôts). Les plus-values immobilières réalisées à raison d’un immeuble situé à l’étranger sont donc susceptibles d’être imposées par la France et par l’État de la source, à moins qu’une convention fiscale internationale n’ait prévu cette situation.
Olivier Lecomte, rapporteur de la deuxième commission et notaire à Paris évoque ainsi le cas des États sud-américains, avec lesquels la France a signé trop peu de conventions (Pérou, Uruguay), de même qu’avec l’Asie du Sud-Est (Cambodge, Birmanie). De plus, la France ne s’est pas dotée de règle matérielle, du type crédit d’impôt égal à l’impôt payé à l’étranger, pour neutraliser l’impôt supporté dans l’État de la source. Ce type de dispositif existe en matière de droits de succession et d’impôt sur la fortune immobilière, mais trop rarement en matière de taxation des gains en capital.
Pour mettre fin à ces situations, le Congrès propose qu’en matière d’imposition des plus-values immobilières, soit créé un nouvel article dans le Code général des impôts qui pourrait être ainsi rédigé : « Le montant des impôts de la plus-value immobilière acquitté, hors de France à l’occasion de la vente de biens ou droits immobiliers situés à l’étranger est imputable sur l’impôt exigible en France ».
Autre risque de double imposition repéré par le Congrès : les capitaux d’assurance-vie. Lors du décès du souscripteur, les fonds sont soumis en France à des droits de succession ou au prélèvement sui generis de l’article 990 I du CGI, selon la date de souscription, le lieu de résidence du bénéficiaire et l’âge de l’assuré au moment de la souscription.
Le bénéficiaire est assujetti au prélèvement de 20 % (après abattement de 152 500 €) puis 31,25 % (au-delà 700 000 €), dès lors qu’il a, au moment du décès, son domicile fiscal en France et qu’il l’a eu pendant au moins six années au cours des dix années précédant le décès ou dès lors que l’assuré a, au moment du décès, son domicile fiscal en France.
À l’étranger, le capital versé ne bénéficie pas toujours d’une exonération des droits de succession. Quid si les capitaux sont intégrés dans l’actif successoral entraînant l’exigibilité de droits de succession à l’étranger, et en France l’exigibilité de la taxe sui generis ? Comment éliminer la double imposition ? Ce prélèvement ne constituant pas un droit de mutation à titre gratuit, aucun mécanisme interne d’élimination de la double imposition n’est applicable à cette situation. Et en présence d’une convention, le dispositif d’élimination ne peut s’appliquer car le prélèvement 990 I du CGI n’est pas visé par les conventions. La double imposition ne peut être évitée.
Considérant que les cas de double imposition identifiés ne sont pas justes et sont contraires à l’objectif européen visant à favoriser la mobilité des personnes, que les cas de doubles impositions doivent être éliminés, le 115e Congrès propose, de modifier l’alinéa 1 de l’article 990 I du CGI, qui pourrait être ainsi rédigé : « I. Lorsqu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 757 B, les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un ou plusieurs organismes d’assurance et assimilés, à raison du décès de l’assuré, sont assujetties à un impôt de succession payable sous forme de prélèvement à concurrence de la part revenant à chaque bénéficiaire de ces sommes » ; le reste inchangé.
Selon Olivier Lecomte, « idéalement, il faudrait procéder à une modification des conventions bilatérales et de la convention modèle OCDE. Faute de temps, on a choisi d’introduire l’imputation dans la loi française. »
L’emploi d’une langue étrangère dans l’acte notarié français : l’acte bilingue établi en double colonne
Quand les deux parties à une convention ne parlent pas la même langue, est-il possible de rédiger l’acte authentique dans une autre langue que le français ? Le 115e Congrès souligne le volume toujours croissant des actes publics étrangers établis dans la langue du pays de leur réception dans les dossiers traités par les offices notariaux français. Est-il possible de recevoir en France un acte notarié dans une autre langue que le français ?
Lors de la réception de l’acte, le notaire doit vérifier que le consentement exprimé est non équivoque. À cet égard, se pose la question de l’intervention de l’interprète : soit le notaire maîtrise la langue étrangère et peut à lui seul traduire l’acte et s’assurer de sa bonne réception, soit il invite les parties à se faire assister d’un interprète et s’assure de l’impartialité et de la probité de celui-ci. Le notaire doit également prendre soin de vérifier que le choix de l’interprète présente les garanties suffisantes de maîtrise du langage juridique dans la langue concernée. Dans tous les cas, le notaire engage sa responsabilité si le client ne comprend pas parfaitement la qualité et l’étendue de l’engagement qu’il s’apprête à prendre.
Si l’article 2 de la Constitution énonce que « la langue de la République est le français », le français comme langue officielle est enraciné dans les tréfonds de l’histoire de France. Cet attachement commence par l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 ; puis le décret Thermidor an II (20 juillet 1794) impose le français comme seule langue de toute l’administration. Un décret de 1803 a ensuite étendu l’obligation aux territoires conquis (Belgique, Italie et rive gauche du Rhin).
Toutefois, des textes et des pratiques connaissent des actes en deux langues. Ainsi, les États de la Commission internationale de l’état civil peuvent délivrer des actes d’état civil plurilingues, en matière de testament ; la convention de Washington du 26 octobre 1973 entrée en vigueur en France le 1er décembre 1994 permet au notaire français dans le cadre d’un testament authentique international de recevoir un testament écrit dans une langue étrangère ; en matière fiscale, certains centres des impôts correspondent en anglais avec certains contribuables. À noter également que la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation ainsi que la cour d’appel de Paris depuis 2018 rendent des arrêts en plusieurs langues.
La langue utilisée pour la rédaction de l’acte doit évoluer sous certaines conditions, notamment parce que le notariat français est placé en situation de décalage par rapport à la concurrence internationale.
C’est pourquoi, le 115e Congrès préconise le recours à l’acte bilingue, en double colonne, réunissant la langue choisie par les parties et celle de la République pour satisfaire aux différentes contraintes exposées.
« Considérant que les actes notariés sont des écritures publiques, que pour autant leur circulation efficace peut nécessiter l’usage d’une traduction à mi-marge ; que la méthode de la rédaction adoptée par les institutions judiciaires produisant actuellement les décisions en double (voire triple) version, pourrait être transposable à l’acte notarié français établi en double version ; que les notaires sont confrontés de plus en plus souvent à une clientèle internationale qui ne comprend pas forcément les obstacles à une circulation bilingue de l’acte étranger, le Congrès propose que soit confirmée par la loi la possibilité de recourir à une version bilingue, à la demande des parties, à condition que la langue française continue à faire foi ».
« Par cette mesure, nous voulons confirmer ce qui se pratique déjà dans nos offices, explique Jean-Christophe Rega. De plus, cet acte bilingue est destiné à voyager, donc la mesure a également pour objectif de faciliter sa réception par l’utilisateur local ».