Des précisions attendues sur l’appréciation de la notion de prépondérance immobilière

Publié le 20/07/2020

Dans un avis, le Conseil d’État prend position sur la date à laquelle doit être apprécié le caractère de prépondérance immobilière d’une société dans le cadre de la constatation d’une provision pour dépréciation de titres.

Le juge de l’impôt vient de se prononcer sur la délicate définition de la notion de société à prépondérance immobilière, et plus particulièrement, sur la date à laquelle devrait s’apprécier cette prépondérance immobilière, dans une espèce relative à la constatation d’une provision pour dépréciation de titres de sociétés à prépondérance immobilière (CE, avis, 22 nov. 2019, n° 432053). Pour le Conseil d’État, il convient de se placer soit à la clôture du dernier exercice précédant la constitution de la provision, soit à la date à laquelle la provision est constituée, c’est-à-dire à la date de clôture de l’exercice de la société qui détient les titres. Cet avis vient mettre fin à plusieurs années d’incertitude pour les entreprises et leurs conseils.

Une coexistence de plusieurs définitions

Le concept de prépondérance immobilière permet de bénéficier de régimes fiscaux spécifiques ou de se voir appliquer des règles fiscales particulières, qu’il s’agisse de la cession de parts sociales de société à prépondérance immobilière, de provisions pour dépréciations de titres de participations de sociétés à prépondérance immobilière, de droits d’enregistrements sur des cessions de parts sociales de société à prépondérance immobilière, de l’application de la taxe de 3 % assise sur la valeur vénale des immeubles détenus en France par des entités juridiques, du régime fiscal Dutreil Transmission, voire de l’IFI ou si la notion de prépondérance immobilière n’est pas utilisée en tant que telle, il existe une exonération réservée aux contribuables détenant moins de 10 % du capital et des droits de votes d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, dans la mesure où cette activité est significativement prépondérante, ce qui s’apprécie au regard des éléments de l’actif immobilisé, et donc de la proportion des biens immobiliers non affectés à l’exploitation éventuellement présent ainsi que du chiffre d’affaires. Seul bémol, il n’existe aucune définition unifiée de la notion de prépondérance immobilière, ce qui augmente d’autant les risques de requalification éventuels par l’administration fiscale, en cas de contrôle. « On dénombre une pluralité de définitions différentes de la notion de société à prépondérance immobilière, analyse Jean-Luc Raffy, associé du cabinet DS Avocats. Ces définitions génèrent des règles d’imposition spécifiques. Cette complexité fait de la notion de prépondérance immobilière un sujet récurrent en droit fiscal ». En effet, le droit fiscal réserve un traitement particulier aux cessions ou à la détention des titres de ces sociétés par rapport aux titres de sociétés qui ne présentent pas ce caractère. Il existe donc une définition de la notion de société à prépondérance immobilière en matière de droit d’enregistrement codifiée à l’article 726 du CGI. Les cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière se voyant appliquer un droit d’enregistrement de 5 % sur la valeur des immeubles diminués des emprunts d’acquisition et majorés de la valeur des autres actifs. Pour les droits de succession et donation (CGI, art. 750 ter 2°), il existe également une définition spécifique de la société à prépondérance immobilière. En outre, il existe une autre définition de la notion de société à prépondérance immobilière en matière de taxe de 3 % (CGI, art. 990 E), l’impôt étant assis sur la valeur vénale brute de l’immeuble.

Un facteur d’insécurité juridique

En matière de plus-values, il n’existe pas moins de quatre définitions spécifiques : celle prévue pour les non-résidents (CGI, art. 244 bis A-I 3 h et 164 B), celle des plus-values à long terme réalisées par une société soumise à l’IS (CGI, art. 219-I a sexies 0 bis), celle des plus-values professionnelles réalisées par les entreprises individuelles et les sociétés ou groupements translucides (CGI, art. 151 septies B) et celle pour les plus-values des particuliers codifiée à l’article 150 UB du CGI. « Logiquement, pour les dirigeants d’entreprises comme les particuliers, ces différentes définitions donnent lieu à de véritables difficultés d’interprétation nuisant à la lisibilité de la loi fiscale, explique Jean-Luc Raffy. En fonction de l’impôt considéré, des titres de participations peuvent être ou non considérés comme à prépondérance immobilière. C’est un réel facteur de complexité, y compris pour les conseils aguerris qui y voient à tout le moins une source d’insécurité juridique ». Ces définitions diffèrent en effet profondément qu’il s’agissent de la date d’appréciation de la prépondérance immobilière qu’elles retiennent, ou des actifs à placer au numérateur et au dénominateur, ou encore de la localisation géographique des actifs, de l’exclusion ou non des immeubles affectés à une activité professionnelle, etc. « Le récent avis du Conseil d’État qui se prononce sur la date à laquelle apprécier la prépondérance immobilière en matière de provisions pour dépréciation de titre de sociétés à prépondérance immobilière illustre parfaitement ces nombreuses divergences », explique Jean-Luc Raffy.

Une incertitude

Si les textes sur la prépondérance immobilière d’une société sont clairs lorsqu’il s’agit de déterminer la date d’appréciation de la prépondérance immobilière en cas de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière détenus par une entité soumise à l’impôt sur les sociétés, tel n’était pas le cas en ce qui concerne les provisions passées sur ces mêmes titres. Conformément à l’article 219, I a sexies-0 bis du Code général des impôts, sont considérées comme des sociétés à prépondérance immobilière, les sociétés dont l’actif est constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur ces immeubles, des droits afférents à un crédit-bail immobilier, ou des titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière, à l’exception des actifs immobiliers que l’entreprise affecte à sa propre exploitation, qui ne sont pas pris en compte pour ce calcul. « Cette définition revêt une grande importance pratique, explique Jean-Luc Raffy, car les plus-values sur titres de sociétés à prépondérance immobilière ne sont pas éligibles au régime d’exonération des plus-values professionnelles à long terme qui exonère d’impôt sur les sociétés les plus-values sur titres de participation détenus depuis plus de deux ans sous réserve d’une quote-part de frais et charges fixée à 12 % qui reste incluse dans l’assiette du bénéfice imposable au taux de droit commun. En revanche, pour les cessions de titres à prépondérance immobilière, les gains sont taxés à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun et les moins-values éventuelles sont déductibles du bénéfice imposable, ce quelle que soit leur durée de détention ». En conséquence, les provisions pour dépréciation de titres de sociétés à prépondérance immobilière en cas de constitution d’une provision par la société détentrice de tels titres sont déductibles du bénéfice imposable dans les conditions de droit commun. En cas de reprise, elles sont taxables à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun.

Des précisions attendues sur l’appréciation de la notion de prépondérance immobilière
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La doctrine de l’administration battue en brèche

« En cas de cession, l’article 219 I a sexies O bis du CGI précise que la qualité de prépondérance immobilière doit s’apprécier à la date de la cession de ces titres, ou à la clôture du dernier exercice précédant cette cession. En revanche, le législateur n’a pas précisé à quelle date devait s’apprécier cette qualité lorsqu’il s’agit de passer ou de reprendre une provision pour dépréciation de titres de sociétés immobilières », constate Jean-Luc Raffy. L’administration fiscale a considéré que le caractère immobilier prépondérant devait être apprécié à la date de clôture de l’exercice de l’entreprise détenant les titres (BOI-IS-BASE-20-20-10-30 § 70). La position de Bercy a été censurée par le Conseil d’État, qui a jugé que la doctrine administrative ajoutait à la loi (CE, 14 oct. 2015, n° 387249, Société L’Auxiliaire). Dans cette affaire, une société mère détenant 99,97 % des titres de l’une de ses filiales, une société à prépondérance immobilière non cotée, a constitué et déduit de son résultat imposable une provision pour dépréciation des titres de participation détenus dans sa filiale. Dans le cadre d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale a constaté que ladite société avait cédé la totalité de ses actifs immobiliers, ce qui venait remettre en cause, selon elle, le caractère immobilier prépondérant des titres détenus par la société mère. Pour l’administration fiscale lorsque les titres des sociétés à prépondérance immobilière, qu’ils fassent l’objet d’une cession ou non, font l’objet d’une dotation ou d’une reprise au compte de provisions pour dépréciation, le caractère immobilier prépondérant de ces sociétés devait s’apprécier à la date de clôture de l’exercice de l’entreprise qui détient les titres. Or la loi prévoit que, pour les titres qui font l’objet d’une cession, le caractère immobilier prépondérant des sociétés concernées s’apprécie à la date de la cession des titres ou à la clôture du dernier exercice précédant cette cession. Et aucune disposition prise par le législateur ne précise comment s’apprécie le caractère immobilier prépondérant des sociétés en l’absence de cession des titres. La société demandait donc que soit annulée la règle posée par l’administration fiscale et que soit demandé à Bercy de prendre une nouvelle position conforme à la loi. Le Conseil d’État rappelant qu’« aucune disposition de la loi ne précise comment s’apprécie le caractère immobilier prépondérant des sociétés en l’absence de cession des titres », a partiellement accueilli cette demande en annulant la doctrine litigieuse pour incompétence, mais n’a pas enjoint à l’instruction fiscale de publier de nouveaux commentaires. « Bercy ne s’était pas borné à expliciter la loi mais y a ajouté des dispositions nouvelles. Le paragraphe 70 de l’instruction fiscale BOI-IS-BASE-20-20-10-30 du 31 décembre 2013 a donc été annulé. Cet arrêt rendu dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir n’a en revanche pas précisé comment déterminer la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier la prépondérance immobilière dans le cadre de la constitution d’une provision, laissant les praticiens dans l’incertitude. Face à ce silence, l’administration fiscale a quant à elle maintenu sa position initiale », explique Jean-Luc Raffy.

Une solution très attendue

Cette incertitude a duré quelques années jusqu’à ce que l’affaire revienne devant la cour administrative d’appel de Versailles et que le Conseil d’État soit saisi pour avis par application des dispositions de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative. La cour administrative d’appel de Versailles, avant de statuer sur la requête du ministre de l’Action et des Comptes publics, dirigée contre le jugement du 8 juin 2017, par lequel le tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société anonyme (SA) l’Auxiliaire, la réduction qu’elle sollicitait, à hauteur de 294 928 euros en droits, de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2008, a en effet décidé de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d’État (CAA Versailles, 27 juin 2019, n°17VE03022), afin que soit précisé à quelle date devait s’apprécier le caractère immobilier d’une société dans le cadre de la constitution d’une provision. « L’avis du Conseil d’État est très clair, commente Jean Luc Raffy. Dans le cadre d’une provision pour dépréciation sur des titres de société à prépondérance immobilière, le caractère immobilier de cette société s’apprécie soit à la clôture du dernier exercice de la société dont les titres sont détenus précédant la constitution de la provision, soit à la date à laquelle la provision est constituée, c’est-à-dire à la date de clôture de l’exercice de la société qui détient les titres, en l’espèce, la société mère. La position adoptée par le Conseil d’État apparaît relativement favorable pour l’administration fiscale, car la présence de deux dates lui donne plus de latitude », analyse l’avocat. Cependant cet arrêt ne répond pas à toutes les interrogations des praticiens. « Le Conseil d’État ne prend pas position sur le sujet des reprises de provisions constatées pour dépréciation de titres de société à prépondérance immobilière, analyse Jean Luc Raffy. Les mêmes règles doivent-elles s’appliquer ? De façon plus générale, les règles données par le Conseil d’État lorsque la société mère et la filiale ont des dates d’exercice qui ne coïncident pas peuvent générer des difficultés d’application, précise le fiscaliste.

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