Encadrement des loyers : le bras de fer se poursuit

Publié le 28/08/2019

Alors que l’encadrement des loyers des baux d’habitation prévu par la loi ALUR a été validé a posteriori par le Conseil d’État, le dispositif prévu par la loi ELAN est entré en vigueur à Paris à raison des baux signés à compter du 1er juillet 2019. L’UNPI entend à nouveau contester le texte en justice.

Le bras de fer entre la Ville de Paris et les propriétaires bailleurs de logements vides ou meublés, pourrait connaître un nouveau rebondissement autour du nouveau dispositif d’encadrement des loyers issu de la loi ELAN. Ses détracteurs s’alarment d’une baisse de revenus propre à décourager les investisseurs immobiliers, voire à les inciter à affecter leurs biens à des locations de courte durée.

Le précédent de la loi ALUR

Un premier dispositif avait été adopté en 2014 par la loi ALUR (L. n° 2014-366, 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové : JORF n° 0072, 26 mars 2014) et appliqué à Paris entre 2015 et 2017.

Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP), la mesure a atteint l’objectif recherché par les pouvoirs publics puisqu’elle aurait permis de stabiliser les prix, lesquels avaient connu une hausse continue de 50 % de 2005 à 2015.

Ce bilan ne fait pas l’unanimité. Selon l’Observatoire des loyers du marché locatif privé Clameur, les loyers de marché avaient déjà commencé leur baisse en mai 2015 dans toute la France, et en particulier à Paris (- 2 %). Ainsi, s’agissant de l’indice des loyers de marchés annuel de Clameur, entre 2014 et 2015, il a varié de – 0,5 % en France et de – 1,3 % à Paris.

L’expérience avait été écourtée par l’annulation des arrêtés préfectoraux par le tribunal administratif à Paris (TA Paris, 28 nov. 2017, n°s 1511828, 1513696, 1514241, 1612832, 1711728) comme à Lille (TA Lille, 17 oct. 2017, n° 1610304). La cour administrative d’appel de Paris a confirmé l’annulation des trois arrêtés parisiens (CAA de PARIS, 3e ch., 26 juin 2018, 17PA03805, 17PA03808, 18PA00339, 18PA00340). Et la cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 2e ch., 3 juill. 2018, n° 17DA02260) avait rejeté la demande du ministre de surseoir à l’annulation de l’arrêté lillois.

Motif de l’annulation : le dispositif aurait dû être étendu à l’ensemble des communes de l’agglomération. Pour Paris, c’est toute l’Ile-de-France qui aurait dû être concernée.

Finalement, le Conseil d’État vient de se prononcer favorablement sur le pourvoi en cassation du ministre de la Cohésion des territoires concernant les arrêtés parisiens (CE, 5e et 6e ch. réun., 5 juin 2019, n° 423696). Il invoque les « spécificités du marché locatif à Paris » pour juger qu’il n’y avait en l’espèce aucun risque sérieux de distorsion avec la banlieue.

Loi ELAN : expérimentation pour 5 ans

L’article 140 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN (L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JORF n° 0272, 24 nov. 2018) a prévu la possibilité de mettre en place un dispositif expérimental d’encadrement du niveau des loyers, pour une durée de cinq ans à compter de la publication de la loi, donc jusqu’au 23 novembre 2023.

L’expérimentation peut être mise en œuvre dans les zones tendues sur le territoire des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d’habitat ou de collectivités comme la ville de Paris. Si elles entrent dans les critères fixés par la loi, ces collectivités peuvent demander la mise en place de l’encadrement des loyers, en proposant le périmètre d’application qui leur paraît pertinent, sur la base des conclusions qu’elles tirent de l’observation des loyers et de leurs perspectives de développement en matière de logement.

Fixation des loyers et logements concernés

À Paris, le décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 (JORF n° 0088, 13 avr. 2019) a mis en place le dispositif expérimental d’encadrement des loyers « sur l’intégralité du territoire de la ville de Paris ». Le dispositif est donc opérationnel depuis le 1er juillet dernier, à raison des baux signés de logement à titre d’habitation principale à compter de cette date.

L’arrêté du préfet d’Ile-de-France et préfet de Paris du 28 mai 2019 (A. n° 2019-05, 28 mai 2019) fixe quant à lui les loyers de référence pour la ville de Paris. Il s’agit de trois types de montant : un loyer de référence, un loyer minoré (équivalent au loyer de référence – 30 % de ce dernier) et un loyer majoré (équivalent au loyer de référence + 20 % de ce dernier). Le propriétaire ne peut pas demander un loyer supérieur au loyer de référence majoré.

Entre deux locataires successifs, le propriétaire ne peut augmenter le loyer au-delà de l’actualisation par l’indice de référence des loyers (IRL) qui sert de base pour réviser le loyer d’un logement. Enfin, le contrat de location doit préciser le loyer de référence et le loyer de référence majoré.

La Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL) a mis en ligne une carte interactive répertoriant l’ensemble des quartiers : quatorze secteurs géographiques sont identifiés. Pour connaître les prix des loyers privés à Paris, il faut renseigner les caractéristiques du logement : nombre de pièces principales, époque de construction, type de location (location meublée ou vide) et l’adresse du logement ou le quartier.

L’encadrement s’applique également aux locations de courte durée via un bail « mobilité ». Il n’est fait aucune distinction selon que le logement loué est neuf ou ancien, qu’il ait fait l’objet de travaux ou non, qu’il s’agisse d’une première location ou d’une relocation.

Cumul de l’encadrement et du blocage des loyers

L’encadrement des loyers issu de la loi ELAN se cumule avec le dispositif de blocage des loyers de relocation et de renouvellement. À Paris, il faut donc respecter à la fois les loyers de références fixés par l’arrêté préfectoral du 28 mai et le décret de blocage des loyers de relocation et renouvellement applicable dans toutes les zones « tendues » (D. n° 2017-1198, 27 juill. 2017, modifié en 2018).

En principe, il n’est pas possible d’augmenter le loyer à l’occasion d’un changement de locataire. Toutefois, si aucune révision de loyer n’est intervenue au cours des douze mois précédant la conclusion du nouveau contrat de location, le propriétaire peut augmenter le loyer suivant l’évolution annuelle de l’indice de référence des loyers, en prenant en compte le dernier indice publié à la date de signature du contrat de location.

Une augmentation limitée est possible dans trois situations : en présence de travaux d’amélioration ou visant à rendre un logement décent équivalent à la moitié de la dernière année de loyer, ou si le propriétaire démontre que le loyer précédent était manifestement sous-évalué, ou encore si le logement a fait l’objet depuis moins de six mois de travaux d’amélioration d’un montant au moins égal à la dernière année de loyer. En tout état de cause, le nouveau loyer ne doit pas dépasser le loyer de référence majoré.

En cas de renouvellement de bail, le décret de blocage des loyers permet en principe d’augmenter le loyer d’un locataire en place si le propriétaire a effectué des travaux très importants ou s’il démontre que le loyer actuel est manifestement sous-évalué. Cette possibilité est écartée depuis que l’encadrement préfectoral des loyers, issu de la loi ELAN s’applique de nouveau. Six mois au moins avant l’échéance du bail, le propriétaire peut demander l’application du loyer de référence minoré. C’est au locataire d’apporter des références s’il entend freiner la demande d’augmentation du propriétaire.

Sanction du propriétaire

La loi ELAN a prévu des sanctions administratives en cas de non-respect par le bailleur du loyer de référence majoré. Selon le décret en Conseil d’État du 13 mai 2019 (D. n° 2019-437, 13 mai 2019 : JORF n° 0111, 14 mai 2019) qui en a précisé les modalités, en cas de non-respect, le préfet de Paris peut demander au bailleur dans un délai de deux mois de mettre le bail en conformité et de procéder à la restitution des trop-perçus au locataire. Le bailleur dispose d’un mois pour répondre. Si la mise en demeure reste infructueuse, le préfet peut prononcer une amende dans la limite de 5 000 euros pour un bailleur personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.

Craintes des propriétaires

Déjà, l’UNPI (Union nationale de la propriété immobilière) a lancé plusieurs recours contre les dispositions issues de l’article 140 de la loi ELAN afin d’obtenir à nouveau l’annulation de ce dispositif de fixation administrative des loyers. Elle pourrait être rejointe dans ses actions par l’Unis (Union des syndicats de l’immobilier) et la Fnaim (Fédération nationale de l’immobilier).

La crainte de la fédération porte sur le risque de destruction de l’offre locative. En effet, l’encadrement comme l’excès de réglementation, participe des mauvais signaux pour les propriétaires bailleurs, qui peuvent se sentir découragés de louer leurs biens. Paradoxalement, la mesure conduirait donc à l’érosion du parc locatif.

En outre, l’UNPI fait valoir l’effet sur la dégradation du bâti. Les loyers médians calculés par l’OLAP et pris en compte par le préfet ne distinguent pas entre la qualité des logements, leur état d’entretien, leur niveau de confort ou encore leur niveau de performance énergétique. Par conséquent, les propriétaires ayant effectué d’importants travaux de rénovation pour offrir un logement de grande qualité se voient appliqués des loyers médians qui prennent en compte les loyers de tous types de logement, du plus moderne au plus dégradé. Un propriétaire ne peut donc pas récompenser son effort via le complément de loyer. Dans ce contexte, le report ou l’abandon des travaux réalisés dans les logements seraient envisagés. En réponse à ce grief, la ville de Paris a indiqué qu’à l’issue de l’expérimentation dans cinq ans soit proposé, l’ajout de critères relatifs à l’état du logement et à ses performances thermiques dans le calcul des loyers de référence.

Les différents recours

En premier lieu, l’UNPI a engagé une action devant le tribunal administratif de Paris, pour obtenir l’annulation de l’arrêté préfectoral du 28 mai 2019 fixant les loyers de référence. L’union dénonce une catégorisation arbitraire des logements et selon des critères insuffisants.

Si l’article 2 du décret n° 2015-650 du 10 juin 2015 modifié énonce que « les catégories de logement sont déterminées en fonction au moins des caractéristiques du logement relatives au type de location, meublée ou non meublée, au nombre de pièces principales (..) et à l’époque de construction », cela ne signifie pas que le préfet ne doit retenir que les critères évoqués. Au contraire, l’article 140 de la loi ELAN, l’invite à prendre les critères pouvant traduire la structure du marché : « les catégories de logements et les secteurs géographiques sont déterminés en fonction de la structuration du marché locatif ». Ainsi, les loyers de référence auraient dû prendre en compte l’état du bien, et notamment le confort, la propreté, ou encore sa classification énergétique.

De plus, l’arrêté s’appuie sur un découpage en quartiers administratifs datant de 1860 ce qui ne permet pas, selon l’UNPI de distinguer des secteurs selon des « zones homogènes en termes de niveaux de loyer constatés sur le marché locatif », comme l’impose le décret du 10 juin 2015.

Enfin, l’UNPI conteste une majoration arbitraire (+ 13 %) pour les loyers de référence des meublées. « Cette majoration est censée être « déterminée à partir des écarts constatés entre les loyers des logements loués nus et les loyers des logements loués meublés observés par l’observatoire local des loyers ». Palliant l’insuffisance de valeurs « constatées » de l’OLAP en matière de logements meublés, le préfet a appliqué aux 224 loyers de référence fixés pour les locations vides une majoration d’environ 13 % à chaque fois. Cette majoration arbitraire est évidemment impropre à traduire la réalité des loyers des logements meublés à Paris.

En second lieu, l’UNPI a saisi le Conseil d’État d’un recours en excès de pouvoir contre le décret du 12 avril 2019 qui met en place l’encadrement des loyers à Paris, en s’appuyant sur la non-publication du rapport du ministre du Logement et sur une réunion des conditions qui selon elle « fait débat ». L’Union conteste l’irrégularité des données de l’OLAP, tant dans ses méthodes de calcul, la sous-représentation des propriétaires, le recours à des valeurs « estimées » et non « constatées » qu’en raison des regroupements de quartiers critiquables.

Enfin, l’UNPI envisage de faire valoir ses arguments quant à l’inconstitutionnalité de l’encadrement des loyers par la loi ELAN, devant le Conseil constitutionnel en posant une question prioritaire de constitutionnalité. « En tout état de cause, le fait que la loi ELAN ait déjà été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 novembre 2018 (DC n° 2018-772) n’empêche pas un examen d’une QPC relative à l’encadrement des loyers. En effet, dans leur décision, les juges du Palais-Royal n’ont pas abordé la question de l’encadrement des loyers. Or comme l’a rappelé le Conseil d’État récemment, même si une disposition fait partie d’une loi ayant été validée par le Conseil constitutionnel, cette disposition peut encore faire l’objet d’une QPC dès l’instant « qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif » de cette décision (CE, 26 janv. 2018, n° 415512).

Enfin, l’UNPI ne s’interdit pas, en dernier recours de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté contractuelle. « Si les voies de recours internes sont épuisées sans succès, c’est devant la CEDH que l’UNPI et ses partenaires tenteront de combattre l’encadrement des loyers. De son point de vue, cet encadrement porte en effet atteinte à plusieurs droits et libertés protégés par la Cour européenne des droits de l’Homme, en particulier le droit de propriété. Cependant, pour faire valoir l’épuisement des voies de recours internes, l’UNPI entend bien sûr invoquer la Convention EDH au stade des contentieux menés en France. Les tribunaux français sont en effet eux-mêmes habilités à appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme ».