Le Conseil d’État valide les règles d’encadrement des loyers
La plus haute juridiction administrative a confirmé la légalité du dispositif d’encadrement des loyers à Paris et à Lille. Un coup rude pour les associations de propriétaires à l’origine de ces recours.
Le Conseil d’État vient de valider le plafonnement des loyers à Paris et à Lille, rejetant les recours de plusieurs associations de propriétaires. « Une bonne nouvelle pour les locataires et pour les Parisiens », saluée par Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris chargé du logement qui a rappelé que la ville est composée pour les deux tiers de locataires. « Il est très important de continuer à encadrer les loyers. Nous allons nous atteler à mieux faire respecter cet encadrement », a-t-il poursuivi. L’UNPI et la Chambre nationale des propriétaires ont demandé au Conseil d’État d’annuler, pour excès de pouvoir, le décret du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers prévu à l’article 140 de la loi du 23 novembre 2018 (CE, 10 mai 2022, n° 454450). Le Conseil d’État a rejeté leur requête. Le même jour, la haute juridiction a également opposé une fin de non-recevoir à la requête introduite par la FNAIM Nord demandant l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 22 janvier 2020 destiné à fixer le périmètre où s’applique l’encadrement des loyers à Lille (CE, 10 mai 2022, n° 442698). De nouveaux arrêts du Conseil d’État sont attendus prochainement pour les villes de Lyon, Montpellier et Villeurbanne.
Une expérimentation
Prévu par la loi Alur en 2014, le dispositif d’encadrement des loyers, a été mis en place de façon expérimentale pour une durée de cinq ans, dans le cadre de la loi Élan, en 2018. La loi Elan a ouvert ce dispositif expérimental d’encadrement des loyers du secteur privé sur un périmètre défini par les collectivités, au regard de quatre critères : un écart important entre le niveau de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social, un niveau de loyer médian élevé, un taux de logements commencés, rapportés aux logements existants sur les cinq dernières années faible et des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements et de faibles perspectives d’évolution de celles-ci. Le dispositif s’est d’abord appliqué à Paris, puis à Lille, dans plusieurs communes de Seine-Saint-Denis et du territoire Est Ensemble, puis à Lyon, Villeurbanne, Bordeaux et Montpellier. Après l’avoir envisagé, Marseille et Strasbourg ont finalement renoncé à se porter candidates pour intégrer le dispositif. En revanche, les candidatures de Grenoble et de plusieurs communes situées sur le territoire de Grand-Orly Seine Bièvre ainsi que la ville de Grigny, ont été rejetées, l’exécutif estimant qu’elles ne réunissaient pas les conditions nécessaires pour mettre en place un encadrement des loyers, le marché n’y étant pas jugé suffisamment tendu. La Loi 3DS de février 2022 a prolongé cette expérimentation de trois années supplémentaires. Le législateur a prévu sa prolongation jusqu’en 2026, dans le cadre dupProjet de loi 4 D (projet de loi relatif à la différenciation, décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale adoptée au Sénat en juillet dernier).
Lille, une zone tendue
Le Conseil d’État a été amené à vérifier la pertinence de ce dernier critère, relative à la tension observée sur le marché immobilier des villes concernées. Il souligne que dans la commune de Lille, qui rassemble près de 50 % du parc locatif privé de la métropole, le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif privé est plus de deux fois supérieur à celui du parc social, ce qui constitue un écart important. En outre, le niveau du loyer (13 euros par mètre carré en 2017) est élevé au regard notamment du niveau des loyers de l’ensemble de la métropole. Le taux de logements commencés rapporté aux logements existants, ne dépasse pas 1,2 % sur la période 2011-2016. Il s’agit d’un des taux les plus bas des grandes villes françaises excepté Paris. Et la production effective de logements présente, en raison de la densité de logements sur le territoire communal, troisième le plus élevé de France après Paris et Lyon, des perspectives limitées. Par suite, les requérantes, qui se bornent à alléguer que ces données seraient contestables et que des données actualisées auraient été nécessaires, ne sont pas fondées à soutenir que le décret litigieux a fait une inexacte application des dispositions du I de l’article 140 de la loi du 23 novembre 2018.
Trois tarifs de référence
Le dispositif d’encadrement des loyers repose sur trois tarifs : un loyer de référence, un loyer de référence majoré (supérieur de 20 %) et un loyer de référence minoré (diminué de 30 %). Ces tarifs sont déterminés en fonction du marché locatif observé et déclinés par secteurs géographiques (regroupant un ou plusieurs communes ou quartiers et par catégories de logement (appartement/maison, nombre de pièces, nu/meublé et époque de construction du bâtiment). Le loyer hors charges d’un logement mis en location, ne peut excéder le niveau du loyer de référence majoré. Dans le cadre du dispositif d’encadrement des loyers, le propriétaire peut cependant opter pour un complément de loyer si la qualité de son bien le justifie. Ce complément de loyer doit être expressément mentionné, chiffré et justifié dans le bail. Il s’applique à des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort déterminantes, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique. D’après la jurisprudence, de simples travaux de rénovation du logement ne peuvent suffire à asseoir l’application d’un complément de loyer. En revanche, si le bien loué se démarque parce qu’il possède des équipements très spécifiques ou de grand standing comme une grande terrasse par exemple ou une vue sur un monument de Paris un complément de loyer peux être appliqué. Le loyer de référence minoré permet au bailleur d’augmenter le montant du loyer s’il est inférieur à ce seuil, notamment en cas de relocation. Cependant, le dispositif de plafonnement doit s’articuler avec le mécanisme de limitation de la hausse des loyers à l’indice de référence des loyers (IRL) appliqué depuis 2012 dans les 28 zones tendues, dont l’agglomération parisienne. Le dispositif de plafonnement s’applique aux villes de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. Il prévoit que lorsqu’un locataire quitte les lieux, le propriétaire n’a pas la possibilité de fixer librement le loyer applicable au nouveau locataire.
Une atteinte au droit de propriété ?
Le Conseil d’État conclut à la légalité du décret fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif expérimental d’encadrement des loyers prévu à l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018. Ce décret a été pris en application de l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 qui vise à lutter contre les difficultés importantes, notamment d’ordre financier, d’accès au logement qui résultent, dans certaines zones urbanisées, du déséquilibre entre l’offre et de la demande de logements. Pour le Conseil d’État si ces dispositions permettent aux préfets de fixer des loyers de référence susceptibles de limiter l’exercice du droit de propriété, une telle atteinte n’a été introduite par la loi qu’à titre expérimental. En outre, elle présente un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’exigence d’intérêt général qu’elle poursuit. Dès lors, cette réglementation ne peut être jugée incompatible avec la protection du droit de propriété conformément de l’article 1er du premier protocole additionnel (1P1) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La mise en œuvre de ces dispositions peut avoir pour conséquence que des territoires présentant les mêmes caractéristiques n’en sont pas tous soumis au dispositif d’encadrement des loyers, puisqu’il résulte d’un choix de la collectivité concerné et non d’une obligation. Le texte litigieux n’introduit donc pas une discrimination incompatible avec les stipulations combinées de l’article 14 de la Convention EDH et de l’article 1P1 à cette convention. Ces arguments n’ont pas nécessairement convaincu les associations de propriétaires concernés, qui n’excluent pas un recours devant le juge communautaire.
Un dispositif encore partiellement appliqué
Dans les faits, le dispositif d’encadrement des loyers n’est encore qu’imparfaitement respecté. D’après le Baromètre de l’Observatoire de l’Encadrement des Loyers de la Fondation Abbé Pierre, publié en octobre 2021, à Paris, 35 % des annonces ne respectent pas ce dispositif. Le dépassement est chiffré en moyenne à 196 euros par moi. Il concerne majoritairement les petites surfaces (47 % des logements de moins de 30 m2) et les biens situés dans le centre et l’ouest parisien. À la rentrée 2022, l’Observatoire étendra son étude aux autres territoires concernés par le dispositif. Le législateur a prévu des sanctions pour les propriétaires qui ne respectent pas l’encadrement des loyers. Ils peuvent se voir contraints de mettre le contrat en conformité et de rembourser au locataire les trop-perçus. Ils encourent en outre une amende administrative plafonnée à 5 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale. Dans les faits peu de locataires agissent. En décembre 2021, la Commission départementale de conciliation (CDC) n’avait reçu que 252 signalements et seule une dizaine d’amendes avait été notifiée aux bailleurs pour des montants n’excédant jamais 1 500 euros. Cependant, la loi 3DS de février 2022, qui prévoit la possibilité de transférer le pouvoir de sanction du préfet au maire afin de mieux faire respecter la réglementation, pourrait changer la donne. La ville de Paris a d’ailleurs demandé cette délégation du pouvoir de contrôle et sanction en matière d’encadrement des loyers pour lutter plus efficacement contre les abus.
Référence : AJU005b3