Focus sur les comptes bancaires inactifs et les contrats d’assurance-vie en déshérence : le bilan
Les premiers résultats de la nouvelle politique destinée à régler le sort des comptes bancaires inactifs et des contrats d’assurance-vie non réclamés apparaissent positifs. Les contrats de retraite supplémentaire non réclamés posent des difficultés spécifiques qui pourraient conduire à en faire évoluer la législation.
Le législateur s’est saisi à plusieurs reprises du sujet des contrats d’assurance-vie non réclamés : en 2005 à travers la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine des assurances, en 2006 à travers la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale qui a prévu que les montants des contrats non réclamés seraient reversés au terme d’un délai de 30 ans au Fonds de réserve des retraites, en 2007 avec la loi n° 2007-1175 du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurances sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. Ce dernier texte a constitué une importante avancée en matière de protection des épargnants, puisque les assureurs ont désormais l’obligation explicite d’identifier leurs assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats, alors qu’auparavant il revenait, de facto, aux bénéficiaires de se manifester auprès de l’assureur au moment du décès de l’assuré. La loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, dite loi Eckert en application depuis le 1er janvier 2016, a encore renforcé la protection des épargnants. Le notaire chargé de déterminer l’actif successoral doit désormais obligatoirement consulter le Fichier national des comptes bancaires et assimilés, le FICOBA, le Fichier national des comptes bancaires et assimilés et le FICOVIE, Fichier national des contrats d’assurance-vie, alimenté par les assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance.
Des premiers résultats positifs
En 2017, les premiers chiffres de la mise en œuvre de la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, ont été livrés. L’entrée en vigueur du texte a fortement amélioré l’identification des comptes bancaires inactifs et contrats d’assurance-vie non réglés, en imposant aux banques, aux entreprises d’investissement ainsi qu’aux assureurs un recensement annuel des comptes inactifs et contrats d’assurance-vie non réclamés et l’information annuelle des titulaires des comptes ou de leurs ayants-droit et des souscripteurs et bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Les comptes de dépôt ou comptes courants sont considérés comme inactifs après 12 mois consécutifs sans mouvement ou sans aucune manifestation de leur titulaire sous quelque forme que ce soit, sur l’ensemble des comptes détenus au sein d’un même établissement.
Les comptes sur livret, comptes-titres, comptes à terme, comptes d’épargne salariale, etc. sont considérés comme inactifs après 5 ans consécutifs sans mouvement ou sans aucune manifestation de leur titulaire sous quelque forme que ce soit, sur l’ensemble des comptes détenus au sein d’un même établissement. Pour les contrats d’assurance-vie, la loi du 13 juin 2014 dispose que les sommes non réglées sont transférées à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), à l’issue d’un délai de 10 ans à compter de la date de connaissance par l’assureur du décès ou du terme du contrat. La CDC conserve les sommes non-réclamées dans l’attente de retrouver leurs bénéficiaires. Par ailleurs, la loi a permis de mettre en place un encadrement des frais et commissions applicables à ces comptes bancaires et contrats d’assurance-vie. Près de 3,7 milliards d’euros, ont ainsi été transférés à la CDC au 31 décembre 2016, attendant d’être réclamés par les bénéficiaires.
La provenance de ces 3,7 milliards d’euros se répartit comme suit :
– 1,9 milliard d’euros, soit 52 % des sommes, proviennent de comptes bancaires inactifs (incluant les comptes titres ordinaires, PEA et PEA-PME) ;
– 938 millions d’euros, soit 25 % des sommes, proviennent de l’épargne salariale (plan épargne entreprise) ;
– 843 millions d’euros, soit 23 % des sommes, proviennent des produits d’assurance.
En 2016, les banques et assurances ont transféré près de 6,5 millions de comptes inactifs ou de contrats d’assurance-vie en déshérence à la CDC (soit : 5,5 millions de comptes bancaires, 408 000 produits d’épargne salariale et 550 000 produits d’assurance). Le montant moyen des sommes transférées s’élève à près de 570 euros par compte. Ils proviennent de 253 établissements différents (banques, assureurs, sociétés de gestion d’épargne salariale).
Le site ciclade.fr est ouvert depuis le 2 janvier 2017. Ce site, mis en œuvre par la CDC, permet à chacun de rechercher gratuitement les sommes issues de comptes inactifs et de contrats d’assurances-vie non réclamés et transférés à la CDC. La recherche sur Ciclade s’effectue sur la base des données transmises par les établissements financiers à la CDC, à partir du nom du titulaire ou du souscripteur, de son prénom, de sa nationalité, de sa date de naissance et, le cas échéant, de sa date de décès. Déjà plus de 300 000 euros ont été reversés aux épargnants depuis l’ouverture du site.
Le sujet des contrat de retraite supplémentaires
La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin 2) a renforcé le dispositif réglementaire existant visant à prévenir le phénomène de déshérence en assurance-vie en ce qui concerne les contrats de retraite supplémentaire. Les contrats de retraite supplémentaire ont pour objet la fourniture de prestations liées à la cessation d’activité professionnelle, servies en supplément des régimes de retraite de base et complémentaires légalement obligatoires. La loi Sapin 2 a posé une obligation annuelle et spécifique d’information des assurés de contrats d’assurance-vie dont les prestations sont liées à la cessation d’activité professionnelle, qui ont dépassé la date de liquidation de leur pension dans un régime obligatoire d’assurance vieillesse ou, à défaut, l’âge de départ à la retraite. Ces contrats de retraite supplémentaire représentent, à fin 2016, un encours global d’environ 220 milliards d’euros, soit approximativement 12 % du marché des contrats d’assurance-vie et de capitalisation de type épargne. Pour contrôler la bonne mise en œuvre de cette obligation, le législateur a demandé à l’ACPR la remise au Parlement d’un rapport présentant les actions qu’elle a menées en 2016 et 2017.
Un risque important de deshérence
L’ACPR a poursuivi son accompagnement des organismes intégrés à son plan d’actions « contrats non réglés », qui avait fait l’objet d’un premier bilan en avril 2016. Elle a également mené une enquête spécifique à la retraite supplémentaire, portant sur 17 organismes d’assurance, représentant environ 80 % des encours totaux du marché de la retraite supplémentaire en France. Elle a a également mené des contrôles sur place d’acteurs de la retraite supplémentaire, portant, parmi d’autres thèmes, sur les questions de déshérence spécifiques à ce type de garanties. L’ACPR a ainsi relevé dans le cadre de ces actions qu’une minorité d’organismes interrogés n’avait pas, en 2017, mis en œuvre le dispositif d’information prévu par la loi Sapin 2, les autres organismes ayant déclaré avoir exécuté cette obligation dès 2017, par l’envoi d’un courrier d’information dédié et une insertion dans le relevé de situation annuel ou seulement par le relevé de situation annuel. Sur ce point, l’ACPR considère que le recours à un support d’information dédié, suffisamment clair et explicite, correspond le mieux à l’objectif poursuivi par le texte. À fin 2016, les contrats de retraite supplémentaire à adhésion obligatoire ou facultative non liquidés passé l’âge de 62 ans représentent, sur les 17 organismes interrogés, environ 10,6 milliards d’euros. Ils atteignent un montant de 5,4 milliards d’euros si on prend comme référence l’âge de 65 ans et s’élèvent encore à 21,8 milliard d’euros pour les assurés âgés de plus de 70 ans. Il s’agit, en très grande partie, de contrats pour lesquels aucune cotisation n’a été versée pour l’année considérée. Ces montants sont en augmentation entre 2015 et 2016, cette tendance s’accentuant avec l’ancienneté des contrats (augmentation nette des encours non liquidés pour les assurés ayant passé l’âge de 65 et 70 ans, par exemple), ce qui révèle l’existence de stocks de contrats problématiques, pour lesquels le contact avec l’assuré a été rompu. Ces contrats nécessitent des actions de remédiation, d’autant plus importantes pour les organismes ayant tardivement pris la mesure des insuffisances de leurs portefeuilles (manque de données nécessaires pour identifier et localiser l’assuré).
Trop d’assurés non identifiés
Les situations individuelles des organismes suivis par l’ACPR sont en effet variables en fonction des caractéristiques de leurs portefeuilles, de l’ancienneté de la prise de conscience du phénomène de déshérence et des actions engagées, ce qui se traduit dans les indicateurs communiqués à l’ACPR. Ainsi, la comparaison de l’encours des contrats mis en liquidation sur un exercice, rapporté au stock de début d’année, permet de constater des taux de mise en liquidation des provisions mathématiques évoluant de 1 % à 48 % en fonction des sociétés et qui s’avèrent particulièrement faibles pour les stocks les plus anciens. En outre, au sein des portefeuilles de contrats de retraite supplémentaire, la situation des contrats d’entreprise à adhésion obligatoire apparaît particulièrement problématique de ce point de vue. En effet, les assureurs ne détiennent pas systématiquement, avec un niveau de fiabilité suffisant, l’ensemble des informations nécessaires pour identifier et localiser leurs assurés ; phénomène aggravé par l’ancienneté de l’adhésion, la mobilité professionnelle, la disparition de l’entreprise contractante, etc. L’absence d’acte individuel volontaire d’adhésion participe également à ce que les assurés n’aient pas spécifiquement conscience des droits qui leur sont attachés. Autre indicateur important, le taux de plis non distribués observé par l’ACPR sur les contrats de retraite à adhésion obligatoire peut atteindre, pour certains organismes, 50 % des assurés. Le phénomène de perte de contact est particulièrement révélateur dans le cas des assurés les plus âgés qui sont les plus susceptibles d’être en mesure de faire valoir leurs droits à la retraite. Ainsi, passé l’âge de 70 ans, le nombre d’assurés pour lesquels l’envoi de courriers n’est pas possible faute d’adresse fiable peut s’élever, sur certains portefeuilles, à plus de 90 %. Ce phénomène inquiétant s’aggrave nécessairement si des actions importantes de traitement ne sont pas entreprises : enrichissement et fiabilisation des informations détenues sur les assurés, recherche des adresses manquantes, consultation du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) pour identifier les décès éventuels. Ces actions supposent de mettre en place et de suivre des indicateurs pertinents pour mesurer l’ampleur des difficultés, identifier les actions prioritaires et suivre leurs résultats dans le temps, dans le cadre d’une organisation et de procédures d’ensemble adaptées et cohérentes. En l’état, les mesures mises en œuvre par certains assureurs paraissaient insuffisantes. Dans ces conditions, l’ACPR s’est engagée dans un suivi rapproché des organismes interrogés et a formalisé des demandes d’actions de remédiation.
Un appel au législateur
Pour l’ACPR les portefeuilles de contrats de retraite supplémentaire présentent des spécificités les rendant particulièrement sensibles au phénomène de déshérence, pour des stocks très conséquents. La bonne application, par les organismes d’assurance, de leurs obligations d’information des assurés suppose ainsi la résolution de difficultés liées à la fiabilité même des informations détenues sur les assurés, impliquant des actions de remédiation sur les stocks de contrats identifiés comme problématiques ainsi que des actions de prévention visant à éviter la formation de stocks futurs. Compte tenu de ces difficultés spécifiques mises en évidence, il lui paraît opportun de s’interroger dès maintenant sur les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour une prévention et un règlement plus efficaces des situations de déshérence des contrats de retraites supplémentaire. Le droit régissant les contrats pourrait évoluer, par exemple pour favoriser la liquidation des contrats de faible montant, avec une révision du seuil en dessous duquel le règlement du contrat peut se faire en capital et non en rente (seuil actuellement fixé à 480 euros maximum). Favoriser le versement d’un capital en une fois permettrait en effet, selon les assureurs interrogés, à la fois d’accroître l’incitation pour les assurés à liquider leur contrat et de faciliter la gestion de ces prestations, tant gérer une rente s’avère plus complexe que de verser un capital. De la même manière, il conviendrait que soit clarifié le sort des contrats ne comportant pas de terme fixe, en l’absence de preuve du décès de l’assuré, afin que les provisions mathématiques de ces contrats ne demeurent pas indéfiniment au bilan des assureurs mais puissent, le cas échéant, faire l’objet d’un transfert à la Caisse des dépôts et consignations. En second lieu, pour l’ACPR il paraît indispensable de faciliter la fiabilisation et la mise à jour, par les assureurs, des données dont ils disposent sur leurs assurés. À cet égard, il est certain que les dispositions citées de la loi Sapin 2 auront un effet bénéfique. Cependant leurs effets pourront davantage être mesurés à moyen et long terme. Toutefois, des solutions complémentaires, comme la possibilité pour les assureurs d’accéder à des bases de données tierces, dans le respect des principes s’attachant à l’utilisation des données personnelles (par exemple des organismes de sécurité sociale), le cas échéant via un tiers de confiance concentrant les informations mériteraient d’être étudiées. La possibilité de consulter des données personnelles de bases de données tierces permettrait de rendre plus fiable, l’identification même de l’assuré, pour éviter le risque d’homonymie, notamment dans le cadre de la consultation du RNIPP, sa localisation et la connaissance de sa situation au regard des régimes de retraite obligatoire. Un interlocuteur unique comme l’Union Retraite, qui a succédé au groupement d’intérêt public GIP-Info Retraite notamment pourrait servir de socle à un système permettant de délivrer une information centralisée en matière de retraite supplémentaire.