« Il faudra bien que quelqu’un paye ! »
C’était une promesse de campagne phare du candidat Emmanuel Macron : la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables. Estimant cet impôt injuste, le nouveau président de la République a promis qu’il serait allégé dès 2018 jusqu’à un dégrèvement total en 2020 pour les foyers concernés. Cette annonce a provoqué un tollé à l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité. Son secrétaire général, Philippe Laurent, maire de Sceaux depuis 1977, dénonce avec véhémence cette promesse qu’il estime « démagogique ». Entretien.
Les Petites Affiches – Que vous inspire la promesse faite par Emmanuel Macron de supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des ménages ?
Philippe Laurent – Le gouvernement promet une diminution d’impôts. Forcément, l’idée est séduisante pour les contribuables qui se disent qu’ils vont payer moins d’impôts. Le problème, c’est que si personne ne paye d’impôts, les communes n’auront plus de ressources pour financer les services dont elles ont la charge. La taxe d’habitation sert, comme les autres ressources des communes, à financer les crèches, les bâtiments scolaires, les cantines, les gymnases, les associations, la voirie, les espaces verts. Tous ces services vont être affectés. C’est une annonce extrêmement démagogique. Le gouvernement dit aux gens qu’ils ne paieront plus, mais il faudra bien que quelqu’un paye. Si l’État compense la suppression de cet impôt, comme il le dit, il devra trouver de l’argent pour cela. Si l’État ne compense pas, comme nous le craignons, le contribuable devra faire face à une diminution du service. Dans beaucoup de communes, on réduit déjà les heures d’ouverture des crèches, qui, afin de faire des économies, ferment à 18 heures 30 au lieu de 19 heures. C’est une autre manière de faire payer le contribuable. Mais cela, nos députés, qui sont généralement des CSP + qui font garder leurs enfants à domicile, n’ont pas l’air de le réaliser. Il est dommage qu’il n’y ait pas plus de maires à l’Assemblée nationale. Malheureusement, cela ne changera pas avec l’élection de la nouvelle Assemblée.
LPA – Vous défendez l’impôt, pas uniquement pour des raisons financières, mais aussi comme lien entre l’élu et le contribuable.
P. H. – Oui, contribuer au budget de sa commune est un acte citoyen. Si plus personne ne paye d’impôt, cela ne risque pas de responsabiliser quiconque : ni les usagers qui ne paieront plus pour les équipements, ni les élus. Lever l’impôt, pour un maire, c’est aussi une responsabilité. C’est une responsabilité politique directe. Vous avez la liberté de faire varier les taux, d’augmenter ou de baisser le montant de l’impôt. Recevoir une dotation de l’État n’est pas du tout équivalent. C’est comme gagner ses propres ressources ou recevoir de l’argent que l’on vous donne. Cela n’implique pas le même investissement, ni la même responsabilité.
LPA – Vous craignez que les ressources de la taxe d’habitation ne soient pas compensées ?
P. H. – L’État nous dit qu’il va compenser le manque à gagner induit par cette suppression partielle de la taxe d’habitation. Mais nous savons bien, nous, les maires de France, que l’État a pour habitude de diminuer les sommes allouées pour compenser des suppressions d’impôts. Les impôts qui disparaissent ne sont jamais compensés sur le long terme. Souvenez-vous de l’époque où on achetait des vignettes automobiles. Ces vignettes rapportaient des milliards aux départements ! Elles ont été supprimées. Au début, le manque à gagner a été compensé, mais la compensation de l’État a baissé au fil des années. Les départements auraient eu beaucoup plus de moyens si la vignette avait été conservée. Les contribuables ont été contents lorsqu’ils ont appris la suppression de la vignette. Ils n’en sont pas toujours conscients, mais ils ont payé cette suppression par une diminution du service.
LPA – Quelle est l’importance de la taxe d’habitation dans le budget des communes ?
P. H. – Dans certaines communes, c’est la toute première ressource. Dans toutes les communes, c’est une des principales ressources, avec la taxe sur le foncier bâti, les dotations de l’État, et les recettes des services proposés mais celles-ci sont anecdotiques, car les services ne sont jamais facturés à hauteur de ce qu’ils coûtent, comme on peut le voir en regardant le prix de la cantine scolaire pour les élèves, qui est bien inférieur à son coût réel. Supprimer la taxe d’habitation engendrerait un manque à gagner de dix milliards d’euros pour les communes. Cela priverait les communes de 15 à 20 % de leurs ressources, ce qui est considérable. Nous sommes dans un contexte où les maires doivent déjà se serrer la ceinture. L’investissement a fortement diminué ces dernières années : il est passé de cinquante milliards par an il y a quatre ans, à quarante seulement aujourd’hui. Cela engendre une dégradation des équipements des communes, et notamment de la voirie, qui coûte très cher à entretenir. Cela se traduit aussi par un manque de dix milliards d’euros dans les comptes des entreprises de travaux publics et de bâtiments qui travaillent sur les chantiers communaux.
LPA – Vous estimez que c’est une vision politique qui s’exprime…
P. H. – Au-delà des baisses de ressources auxquelles les communes vont devoir faire face, c’est en effet une vision politique qui s’exprime. Cette promesse pose des questions concernant la répartition du pouvoir entre le centre et le local. Cela veut dire que le gouvernement ne considère pas les collectivités locales comme des pouvoirs avec une autonomie de décision. C’est extrêmement préoccupant. C’est à la fois un problème financier et philosophique. Cela témoigne d’une vision de philosophie politique, qui va complètement à rebours de la politique de décentralisation.
LPA – Vous reconnaissez pourtant que la taxe d’habitation est particulièrement injuste. Ne fallait-il pas faire quelque chose ?
P. H. – C’est en effet un impôt qui n’est pas corrélé au revenu des familles. La taxe d’habitation est basée sur la valeur supposée des logements dans les années soixante-dix. Depuis lors, on procède par comparaison, c’est très approximatif. Le système actuel est très mauvais car il ne prend pas en compte l’évolution des quartiers. Or, en quarante ans, il y a évidemment des quartiers qui sont montés et d’autres qui ont connu l’évolution inverse. Aujourd’hui, dans certaines communes, les habitants d’un appartement neuf de trois pièces paient davantage que ceux d’une maison ancienne rénovée. C’est en effet injuste, et les maires de France réclament depuis 20 ans que la taxe d’habitation soit repensée. Il est possible de rendre cet impôt plus juste.
LPA – Comment faudrait-il procéder selon vous ?
P. H. – Il faut que l’État engage une révision des bases d’imposition. Il a commencé à le faire en 2010, en s’intéressant d’abord aux locaux professionnels. Depuis l’année dernière, les locaux d’habitations de cinq départements ont été analysés. Il faut poursuivre ce travail de remise à plat, reprendre ces bases pour faire évoluer l’impôt. Ce travail ne peut être engagé que par l’État. L’État a traîné à réformer et maintenant ils disent qu’il faut supprimer cet impôt parce qu’il est injuste. J’estime que ces méthodes relèvent de la manipulation.