Impôts et recette fiscales : le Covid-19 contraint les pouvoirs publics à revoir leur copie
2019 a été marquée par des recettes fiscales supérieures aux prévisions attendues, grâce notamment aux produits de l’impôt sur les sociétés et des droits de mutation. Le Covid-19 contraint les pouvoirs publics à revoir leur copie et à réduire leurs prévisions de recettes pour 2020.
Pour 2019, le total des recettes fiscales recouvrées s’est révélé supérieur au niveau attendu. Les recettes fiscales se situent à 2,1 Md€ au-dessus des prévisions réalisées dans le cadre de la loi de finances rectificative, du fait principalement de recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d’impôt sur les sociétés (IS) globalement en ligne avec les attentes, du décalage de certains contentieux et du dynamisme des droits de mutation. Pour 2020, la crise du Covid-19 déjoue tous les prévisionnels forçant l’exécutif à revoir ses chiffres à la baisse dans le cadre d’une nouvelle loi de finances. Alors que les recettes fiscales attendues s’élevaient à 282, 3 milliards d’euros, le gouvernement revoit ses précisions à la baisse et anticipe une baisse de recettes fiscales de 10,7 milliards d’euros, du fait de la crise sanitaire actuelle.
Une audition de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, le 28 janvier 2020, permet de faire le point sur les résultats de l’exercice 2019. Le recouvrement des recettes fiscales a été plus dynamique que prévu dans la loi de finances rectificative (LFR) pour 2019. L’impôt a rapporté 2,1 milliards d’euros de plus que prévu, essentiellement en raison de la bonne tenue de l’impôt sur les sociétés (IS) et des droits de mutation, soutenus par le dynamisme du marché immobilier.
Impôt sur le revenu : recouvrement en hausse
Les recettes de l’impôt sur le revenu s’établissent, pour 2019, de manière définitive, à 71,7 milliards d’euros, contre 70,4 milliards d’euros en loi de finances initiale (LFI), soit une amélioration nette de 1,3 milliard d’euros. 75, 5 de milliards d’euros de recettes ont été initialement budgétées pour 2020. Le prélèvement à la source est entré en vigueur le 1er janvier 2019. Cette réforme de l’impôt sur le revenu qui visait à moderniser les modalités de recouvrement de l’impôt et rendre contemporains la perception des revenus et leur imposition, s’est accompagnée de la création d’un crédit d’impôt spécifique : le crédit d’impôt exceptionnel de modernisation du recouvrement (CIMR). Afin d’éviter un risque de double imposition en 2019 avec une retenue à la source correspondant aux revenus de 2019 et un impôt à acquitter sur les revenus 2018, il a été décidé de ne pas imposer les revenus de 2018. Le CIMR a permis d’annuler l’impôt sur les revenus non exceptionnels de 2018, ce qui a conduit à qualifier l’année 2018 d’année blanche. Avec, la réforme du prélèvement à la source, le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu atteint désormais un record, y compris par rapport aux pays voisins, puisqu’il s’élève à 99,1 %. Il s’établissait à un peu plus de 95 % jusqu’alors. En outre, l’instauration du prélèvement à la source a conduit un certain nombre de contribuables, éloignés de la vie administrative, à déclarer leur situation fiscale, leur permettant ainsi de recourir plus fréquemment à des aides comme le chèque énergie. « L’existence de l’impôt à la source et l’obligation de disposer d’un taux conduisent donc à améliorer le taux de recours », a souligné à cet égard le ministre du Budget. En effet, nombre d’aides sont soumises à une preuve de non-imposition. L’éloignement de la vie administrative est souvent responsable du non-recours. Or depuis l’année dernière, 133 000 contribuables, fraudeurs ou éloignés de la vie administrative, ont créé leur taux d’imposition.
Un délai de reprise allongé pour le contrôle de l’impôt sur le revenu
Si ce taux de recouvrement est déjà très satisfaisant, « il sera sans doute encore amélioré à la suite des contrôles fiscaux que nous allons engager au début de l’année 2020 », a précisé Gérald Darmanin. Bercy a mis en place un dispositif exceptionnel de contrôle fiscal pour s’assurer de la bonne utilisation de ce crédit d’impôt et en a précisé les modalités en février dernier (BOFiP du 10 février 2020). Les équipes du contrôle fiscal bénéficient d’un délai de reprise allongé, soit une durée totale de reprise de quatre ans, un an de plus que la normale. Elles ont en effet, jusqu’au 31 décembre 2022 pour effectuer ces contrôles fiscaux, alors que le droit de reprise de l’administration fiscale au titre de l’impôt sur le revenu ne peut s’exercer en principe que jusqu’au 31 décembre de la 3e année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. Et les délais de reprise de l’administration fiscale vont encore s’allonger du fait de la crise du Covid-19. En effet, les contrôles fiscaux engagés à la date du 12 mars 2020 sont suspendus jusqu’à l’issue de la crise. Bien entendu, les contribuables gardent la possibilité de répondre à une demande d’information ou à une proposition de rectification mais s’ils ne sont pas en mesure de le faire ils ne courent aucun risque de voir leurs délais de recours ou de réponses à l’administration prescrits. Par ailleurs, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (JO 26 mars 2020) allonge le droit de reprise de l’administration fiscale. Les délais de prescription du droit de reprise de l’administration fiscale et de façon générale, l’ensemble des délais applicables en matière de recouvrement et de contestation des créances publiques prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité ou déchéance d’un droit ou d’une action sont suspendus pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de 3 mois.
Des recettes en léger recul
Les recettes de l’impôt sur le revenu connaissent toutefois un léger recul, de 900 millions d’euros par rapport aux prévisions de la loi de finances rectificative pour 2019, qui anticipaient des recettes de 72,6 milliards. Le ministre du Budget a donné trois explications essentielles à cette baisse des recettes. La première correspond à la tendance observée pour les contribuables à moduler leur impôt davantage à la baisse qu’à la hausse. On compte environ 1,4 million d’euros de modulations à la baisse contre un million à la hausse. « Les contribuables profitent de l’impôt à la source pour différer une partie du paiement de leur impôt et s’en acquitter l’année suivante si jamais leurs prévisions ne sont pas vérifiées », analyse Gérald Darmanin. En outre, le taux moyen d’imposition était légèrement surévalué. Évalué initialement à 6,3 %, il n’est finalement que de 6 %. Les équipes manquaient de recul, en cette première année de la réforme, pour calculer le taux moyen d’imposition avec suffisamment d’exactitude. « Enfin, les heures supplémentaires défiscalisées ont fait l’objet d’un véritable engouement, ce qui a également pesé sur les recettes », souligne le représentant de Bercy.
Le pari gagné de la Flat Tax
Afin de favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises, de stimuler l’investissement et l’innovation, le gouvernement a profondément rénové la fiscalité sur le capital en instaurant un prélèvement forfaitaire unique et en remplaçant l’impôt de solidarité sur la fortune par un impôt recentré sur la fortune immobilière. À cet égard, le premier rapport du comité d’évaluation des réformes de la Ffscalité du capital a dressé un bilan plutôt satisfaisant de la flat tax de 30 % sur les revenus financiers (12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux). Le coût budgétaire de cette réforme avait fait l’objet d’estimations entre 1,4 et 1,7 milliard d’euros hors effets de comportement. En 2018, les recettes tirées du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ont généré 3,45 milliards d’euros, dépassant de 600 millions d’euros les prévisions du ministère des Comptes publics. Ce prélèvement forfaitaire attractif a favorisé les distributions de dividendes. En effet, les dividendes reçus par les ménages en 2018 ont nettement augmenté (+ 60 % par rapport à 2017), générant un surcroît de recettes fiscales et sociales. « En ce qui concerne la fiscalité du capital, on a un peu trop tendance à débattre des taux sans bien anticiper l’évolution des assiettes. C’est pourquoi, il est intéressant d’avoir les chiffres, souligne Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la commission. Cela permet de montrer, s’agissant par exemple du prélèvement forfaitaire unique (PFU), ou flat tax, qu’une baisse du taux d’imposition ne signifie pas de moindres recettes fiscales. Cela dépend aussi de l’évolution spontanée de l’assiette ».
IFI : le nombre d’assujettis augmente
La réforme de l’IFI a eu pour effet mécanique de réduire le nombre d’assujettis à l’impôt sur le capital. Mais 2019 marque une augmentation du nombre d’assujettis à l’IFI. « Le passage de l’ISF à l’IFI a réduit le nombre d’assujettis de 360 000 à 130 000. Il a eu en effet pour conséquences d’exonérer d’impôt sur le stock de patrimoine l’essentiel des contribuables ISF les moins fortunés (quatre sur cinq parmi la moitié basse des patrimoines imposables à l’ISF). À l’inverse parmi les à 0,1 % très fortunés en 2017, seul un sur 10 n’est pas contribuable à l’IFI en 2018 », précisent les auteurs du premier rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Le nombre de foyers assujettis à l’IFI est passé de 132 722 en 2018 à 139 149 en 2019, soit une augmentation du nombre de foyers imposables. En 2017, 358 198 foyers étaient imposés à l’ISF. C’est Paris qui abrite le plus grand nombre de contribuables assujettis à l’IFI, devant Neuilly-sur-Seine, Lyon, Boulogne-Billancourt, Bordeaux et les non-résidents. 36 715 foyers parisiens ont acquitté l’IFI pour un montant total de 455 262 003 euros. C’est le XVIe arrondissement de Paris qui arrive en tête pour le nombre de contribuables, puis le VIIe, le XVIIe, la ville de Neuilly-sur-Seine, et le XVe arrondissement.
Hausse des recettes des droits de mutation
En matière de recettes, les prévisions de rendement des impositions pesant sur le capital, notamment des droits de mutation, ont été largement dépassées dans les faits. La réforme de l’IFI a permis aux contribuables de bénéficier de baisse d’impôt significatives. « Quel que soit le niveau de patrimoine déclaré en 2017, les contribuables à l’ISF ont bénéficié de baisses d’impôt importantes, y compris ceux qui sont aujourd’hui imposables à l’IFI : en moyenne, l’impôt acquitté a été divisé par trois et demi », précisent les auteurs du premier rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital. En 2018, les recettes d’IFI s’étaient élevées à 1,3 milliard d’euros au lieu des 850 millions d’euros prévus dans le budget la loi de finances pour 2019 avait prévu 1,5 milliard d’euros de recettes pour l’IFI et la loi de finances rectificative avait prévu des recettes de 2 milliards d’euros. Au final, l’IFI a rapporté 2,1 milliards d’euros en 2019, contre 1,9 milliard en 2018. Cette augmentation peut notamment s’expliquer par la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes agglomérations. Ce phénomène conduit Émilie Cariou, la coordonnatrice des députés LREM à la commission des finances à s’interroger sur la nécessité d’une révision de l’assiette de l’IFI. « Au vu du nombre d’assujettis à l’IFI, on peut en effet s’interroger eu égard à la hausse de l’immobilier dans certaines régions françaises et à l’endettement immobilier qui en découle ». Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) s’établissent, quant à eux, à 15,3 milliards d’euros, en hausse de 1,2 milliard d’euros par rapport au budget initial. Cette augmentation est due au dynamisme du marché immobilier.
Impôt sur les sociétés et TVA : des recettes en hausse
Le produit de l’impôt sur les sociétés était budgété pour 31,5 milliards d’euros. Les recettes sont en réalité supérieures, puisqu’elles se sont élevées à 33, 5 milliards d’euros. Pour 2020, ces recettes étaient initialement prévues à hauteur de 48, 2 milliards d’euros. Mais ces recettes doivent être mises au regard du coût du contentieux de l’impôt sur les sociétés. En effet, des contentieux de place pèsent lourdement sur les finances publiques. Le contentieux de l’impôt sur les sociétés s’élevait à 3,2 milliards d’euros en 2018. Il était estimé à 2 milliards dans la loi de finances pour 2019, puis porté à 3,8 milliards dans la loi de finances rectificative (LFR) pour 2019, car il devait intégrer le volume de contentieux finalement reporté sur l’année 2020. En exécution, il devrait finalement ateindre 2 milliards d’euros en 2019, conformément aux prévisions de la loi de finances initiale. Début 2020, la prévision du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) revenant à l’État en 2020 s’établit à 126,1 milliards d’euros, contre 129,2 milliards d’euros en 2019 et 156,7 milliards d’euros en 2018. Au total 129 milliards d’euros de recettes ont été recouvrés en 2019. Les recettes pour 2020 étaient budgétées à hauteur de 126 milliards d’euros.
2020 : des baisses de recettes fiscales attendues
Pour 2020, la crise sanitaire contraint le gouvernement à revoir ces prévisions de recettes fiscales à la baisse. Un budget rectificatif a été présenté afin d’anticiper le choc économique généré par la pandémie. Avec cette loi de finances rectificative, le gouvernement anticipe une baisse de recettes fiscales de 10, 7 milliards d’euros, du fait de la dégradation du contexte économique. La majeure partie de cette baisse est due à l’impôt sur les sociétés qui devrait rapporter 6,6 milliards d’euros de moins que prévu. Les recettes de la TVA, qui dépendent avant tout de la consommation, devraient diminuer de 2,2 milliards d’euros par rapport aux prévisions initiales. Quant aux recettes générées par l’impôt sur le revenu, elles devraient être inférieures de 1,4 milliard aux estimations de départ. Les autres recettes fiscales devraient également afficher une légère dégradation : – 0, 4 milliards d’euros environ par rapport aux prévisions initiales, tandis que la prévision de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TCPE) serait stable en raison des transferts entre affectataires. Ces prévisions reposent sur l’hypothèse que le choc est temporaire et que l’économie connaîtra un rebond une fois les mesures de confinement levées.