Le contrôle de la flagrance fiscale

Publié le 05/05/2020

Le juge administratif apporte des précisions sur le contrôle de la régularité de la procédure de flagrance fiscale et des mesures conservatoires par le juge des référés. Si le juge des référés doit examiner la régularité de la procédure à la date à laquelle le procès-verbal de flagrance a été établi, il doit, en revanche, se placer à la date à laquelle il statue pour examiner le bien-fondé des mesures conservatoires prises dans le cadre de la procédure de flagrance.

Avec deux arrêts rendus le même jour, le Conseil d’État apporte des précisions inédites au contrôle de la procédure de la flagrance fiscale (CE, 12 févr. 2020, n° 422503 ; CE, 12 févr. 2020, n° 422362). Lorsqu’il est saisi d’un recours en référé contre un procès-verbal de flagrance fiscale, le juge des référés doit vérifier la régularité de la procédure à la date à laquelle le procès-verbal de flagrance a été établi. En revanche, pour examiner le bien-fondé des mesures conservatoires prises dans le cadre de cette procédure de flagrance, le juge des référés doit se placer à la date à laquelle il statue.

Un dispositif exceptionnel réservé à de cas spécifiques de fraudes fiscales

En place depuis le 1er janvier 2007 (L. n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative, JO n° 0301 du 28 décembre 2007, p 21 482), la flagrance fiscale permet notamment d’agir contre les pratiques des entreprises éphémères et leur capacité à organiser rapidement leur insolvabilité. Ce dispositif a été modifié à deux reprises par les lois n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 et n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 afin d’en améliorer l’efficacité. Jusque-là, il était assez peu mis en œuvre car jugé insuffisamment efficace. Pour mémoire, en 2011, seules 30 procédures de flagrance fiscale avaient été initiées pour déboucher sur des saisies pratiquées à hauteur de 1,4 million d’euros.

Ce dispositif s’applique dans des cas précis comme l’exercice d’une activité non déclarée ; la délivrance de fausses factures ou la comptabilisation de telles factures reçues ; la réitération d’opérations commerciales sans facture et non comptabilisées ou l’utilisation d’un logiciel de comptabilité ou de caisse de nature à priver la comptabilité de valeur probante ou encore des faits de travail dissimulé. La loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a encore étendu le périmètre de la procédure de flagrance qui peut désormais s’appliquer en cas de non-respect des plafonds de paiement en espèce ainsi qu’en cas de non-respect d’au moins deux obligations déclaratives. La procédure de flagrance donne à l’administration fiscale les moyens de réagir à une situation manifestement frauduleuse avant même qu’une obligation déclarative ne soit échue (LPF, art. 16 BA). Il s’agit d’une procédure dérogatoire du droit commun, dont le cadre d’application a été précisé par voie d’instruction au bout d’un an d’entrée en vigueur (BOI n° 109 du 31 décembre 2008, 13 L-12-0). « La procédure de la flagrance fiscale reste une mesure d’exception. L’administration fiscale n’y a recouru que 17 fois en 2018 », précise Delphine Ravon, avocate à Paris.

Le contrôle de la procédure de flagrance

Le recours à la procédure de flagrance ne peut intervenir que dans des cas précis. En effet, quatre conditions cumulatives doivent être réunies pour pouvoir y recourir : l’exercice d’une activité professionnelle assortie d’une obligation déclarative, la réalisation de certains faits frauduleux précisément définis, la constatation de ces faits sur une période bien déterminée et, enfin, la démonstration, par l’administration, de l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances. C’est à l’administration d’apporter la preuve de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement d’une créance fiscale. La doctrine administrative précise que la menace résulte de l’examen des circonstances de fait comme le comportement ou la situation du débiteur, la multiplication des créanciers, l’existence de biens grevés de plusieurs hypothèques pour des sommes importantes, ou tout acte préparatoire manifestant l’intention du redevable d’organiser son insolvabilité.

Il incombe au juge du référé, saisi d’une demande tendant à mettre fin à cette procédure, comme au tribunal administratif statuant sur l’appel de l’ordonnance de ce juge, de juger s’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure, en vérifiant notamment si, au vu des éléments qui lui sont soumis par les parties, l’existence de telles circonstances est suffisamment caractérisée par l’administration fiscale dans le procès-verbal de flagrance fiscale. Il n’appartient en revanche pas au juge du référé de statuer sur le bien-fondé de l’amende infligée en application de l’article 1740 B du Code général des impôts. « Les rares décisions rendues à ce jour en matière de flagrance fiscale ont permis de préciser l’office du juge des référés dans le contrôle de la procédure de flagrance fiscale », explique Delphine Ravon.

Le contrôle de la flagrance fiscale
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Des conséquences lourdes pour le redevable

La notification du procès-verbal de flagrance fiscale, dressé par les agents des finances publiques emporte des effets sur les régimes d’imposition et les procédures de contrôle et de reprise. Le délai de reprise ouvert à l’administration fiscale pour les impôts directs et la TVA est porté à dix ans. En outre l’administration est fondée, en cas de constat de flagrance, à faire application d’une amende variant de 5 000 euros à 20 000 euros selon le chiffre d’affaires du contribuable. Si des majorations de 80 % pour activité occulte (CGI, art. 1728, 1, c), manœuvres frauduleuses (CGI, art. 1729, b) ou l’amende de 50 % pour factures fictives (CGI, art. 1737) sont également encourues, elles ne s’appliquent que si leur montant est supérieur à celui de l’amende de l’article 1740 B. Dans ce cas, le montant de l’amende s’impute sur ces pénalités. Autres conséquences dommageables en termes de sécurité juridique : le constat d’une flagrance fonde l’administration à procéder à une nouvelle vérification de la comptabilité d’une période et d’un impôt déjà vérifiés et à procéder à des rectifications à l’impôt sur le revenu pour une période ayant fait l’objet d’un ESFP. En outre, l’administration peut, en cas de flagrance, taxer ou évaluer d’office le résultat de l’année ou de l’exercice au cours duquel le procès-verbal a été établi sans envoi préalable d’une mise en demeure (LPF, art L. 68 et L. 73).

La notification d’un procès-verbal de flagrance fiscale permet au comptable public, de prendre immédiatement des mesures de saisie conservatoire, sans autorisation préalable du juge (LPF, art. L. 252 B). Ces mesures conservatoires sont limitées aux droits corporels (stock, véhicule, meuble meublant, par exemple), incorporels (somme d’argent, valeurs mobilières, principalement) ou de créances (comptes bancaires, créances détenues auprès de clients, essentiellement). En revanche, aucune inscription d’hypothèque ou nantissement ne peut être effectuée. Le montant des mesures conservatoires est limité à un plafond calculé en fonction de la nature de chaque créance : IR, IS ou TVA (LPF, art. L. 252 B, I). « Paradoxalement à l’occasion de perquisitions fiscales qui pourraient donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal de flagrance accompagné de la mise en œuvre de mesures conservatoires codifiées à l’article L. 252 B du LPF, on observe plutôt une tendance de Bercy à recourir aux mesures conservatoires de droit commun », observe Delphine Ravon.

Deux voies de recours possibles

Le contribuable bénéficie de deux recours en référé, l’un contre le procès-verbal de flagrance fiscale et l’autre contre la mise en œuvre des saisies conservatoires. Ces deux recours distincts sont cumulatifs et peuvent être formés simultanément, ou l’un après l’autre. Le contribuable peut, dans un délai de quinze jours à compter de la réception du procès-verbal de flagrance fiscale, saisir le juge administratif pour obtenir l’annulation des effets du procès-verbal (LPF, art.16-0 BA, V). Le juge se prononce sur la régularité de la flagrance fiscale. Le référé est introduit par une simple requête du contribuable dans le délai franc de quinze jours suivant la date de réception par l’intéressé du procès-verbal de flagrance fiscale. La requête en référé est soumise à instruction contradictoire. Si le juge du référé décide que la procédure de flagrance fiscale est irrégulière, l’ensemble des effets attachés à la mise en œuvre de la procédure est annulé et l’administration procède à la mainlevée des saisies conservatoires éventuellement effectuées.

« Le débiteur ou le contribuable, peut, également, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la saisie conservatoire, saisir le juge administratif pour obtenir la mainlevée des saisies conservatoires (LPF, art. L. 252 B, II) », explique Delphine Ravon. Le juge se prononce sur le bien-fondé et la régularité de la saisie conservatoire. La requête en référé doit parvenir au greffe du tribunal administratif dans le délai franc de quinze jours suivant la date de la signification des saisies conservatoires. La requête est introduite et instruite selon les mêmes modalités que la requête en contestation de procès-verbal. Si le juge du référé décide que la saisie conservatoire est irrégulière, le comptable procède à la mainlevée des saisies conservatoires prises, mais la décision ne remet pas en cause les autres effets attachés à la mise en œuvre de la procédure de flagrance. Le contribuable peut introduire simultanément les deux référés. Cependant, seul celui visant à contester la régularité de la procédure de flagrance pourra emporter l’annulation de l’ensemble de ses effets, y compris la mainlevée des saisies conservatoires.

Date du contrôle de la régularité

Dans la première affaire soumise au Conseil d’État (CE, 12 févr. 2020, n° 422503), la procédure de flagrance fiscale a débuté dans le cadre d’une procédure de perquisition fiscale. La procédure de visite fiscale a été autorisée par une ordonnance du 30 mai 2018 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Pau, en application de l’article L. 16 B du LPF, destinée à rechercher les preuves de la présomption d’activité non déclarée en France de la société de droit suisse, Evolutec Ingenierie International. Au cours de cette opération, effectuée le 31 mai 2018, les agents de l’administration fiscale ont dressé un procès-verbal de flagrance à l’encontre de la société Evolutec Ingenierie International, en application des dispositions de l’article L. 16-0 BA du LPF. La société a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau de mettre fin à la procédure de flagrance fiscale et de prononcer la mainlevée des mesures de saisie conservatoire. Par une ordonnance du 21 juin 2018, le juge des référés a rejeté ces demandes. Le tribunal administratif de Pau, faisant droit à l’appel de la société Evolutec Ingenierie International contre cette ordonnance, a annulé l’article 2 de l’ordonnance du 21 juin 2018 et a mis un terme à la procédure de flagrance fiscale et a prononcé la mainlevée des saisies conservatoires prises à l’encontre de la société (TA Pau, 10 juill. 2018, n° 1801475). Le ministre de l’Action et des Comptes publics se pourvoit en cassation contre ce jugement. « Dans le cadre du contrôle exercé par le juge du référé, il est nécessaire d’apprécier  l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances fiscales nées de l’activité exercée par le contribuable, explique Delphine Ravon. Le Conseil d’État précise que pour établir ce contrôle, le juge du référé doit se placer à la date à laquelle l’administration fiscale a dressé le procès-verbal de flagrance fiscale ».

Contrôle de l’opportunité des mesures conservatoires

Le juge du référé contrôle en outre le bien-fondé de la prise de mesure conservatoire. En l’espèce, la société de droit suisse Evolutec Ingenierie International, qui dissimulait volontairement l’activité qu’elle exerçait en France et s’était soustraite à l’impôt dû en France, ne détenait en France aucun bien immobilier mais y disposait d’un compte bancaire et pouvait ainsi organiser rapidement son insolvabilité. En jugeant que la société était fondée à soutenir qu’un doute sérieux existait sur l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances fiscales du Trésor public au motif que l’administration n’établissait pas son intention d’adopter rapidement des mesures tendant à organiser son insolvabilité, alors qu’il lui incombait d’apprécier s’il était fait état d’un moyen de nature à créer un doute sérieux sur l’existence, à la date de l’établissement du procès-verbal de flagrance, compte tenu des circonstances dont se prévalait l’administration pour soutenir que la contribuable était en mesure d’organiser à bref délai son insolvabilité, d’un risque caractérisant une menace pour le recouvrement de la créance fiscale et, s’il n’était pas fait état d’un tel moyen, d’apprécier s’il était fait état d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la justification, à la date à laquelle il statuait, des mesures conservatoires, le tribunal a, eu égard à son office, commis une erreur de droit.

Une vérification de comptabilité

Dans la deuxième espèce (CE, 12 févr. 2020, n° 422362), la société par action simplifiée unipersonnelle (SASU) Mangalla, qui exerce une activité de sécurité et de gardiennage, s’est placée, lors de sa création en mars 2016, sous le régime réel simplifié d’imposition en matière de TVA. Dans le cadre d’une procédure de vérification de comptabilité, l’administration fiscale a estimé que la société relevait en réalité du régime réel normal d’imposition en matière de TVA et qu’elle avait manqué à ses obligations déclaratives en s’abstenant de lui transmettre ses déclarations mensuelles. L’administration a, le 13 avril 2018, dressé un procès-verbal de flagrance fiscale et réalisé des saisies conservatoires sur les deux comptes bancaires de la société et sur certains de ses comptes clients. La société a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles de mettre fin à la procédure de flagrance fiscale et, à défaut, d’ordonner la limitation des saisies conservatoires qui lui ont été infligées à la somme de 17 606 euros. Par une ordonnance du 3 mai 2018, le juge des référés a mis fin à cette procédure de flagrance et à l’exécution des mesures conservatoires. Le tribunal administratif de Versailles a confirmé cette solution (TA, Versailles, 3 juill. 2018, n° 1803364). Le ministre de l’Action et des Comptes publics s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de ce jugement. Le Conseil d’État réitère sa solution : le contrôle des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement des créances fiscales nées de l’activité exercée par le contribuable qui incombe au juge du référé, s’effectue à la date à laquelle l’administration fiscale a dressé le procès-verbal de flagrance fiscale. En présence de mesures conservatoires, le juge du référé doit apprécier s’il est fait état d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la justification de ces mesures conservatoires, à la date à laquelle il statue. En l’espèce, en se fondant sur un ordre de paiement d’une cotisation de TVA d’un montant de 15 771 euros enregistré le 2 mai 2018 pour un prélèvement le 7 mai 2018 pour juger que le moyen tiré de ce qu’il n’existait aucune circonstance susceptible de menacer le recouvrement des créances fiscales litigieuses était propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la procédure de flagrance fiscale alors que cette pièce était postérieure au procès-verbal de flagrance fiscale dressé par l’administration le 13 avril 2018, le tribunal administratif de Versailles a entaché son jugement d’erreur de droit. En effet, explique Delphine Ravon, « le juge administratif ne peut se fonder sur des pièces postérieures au procès-verbal de flagrance pour déterminer si le recouvrement de la créance fiscale litigieuse était ou non menacé. En revanche, pour se prononcer sur le bien-fondé des mesures conservatoires prises par le comptable, le juge doit se placer à la date à laquelle il statue, pour apprécier s’il est fait état d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la justification de ces mesures conservatoires », explique la fiscaliste.