Les notaires se mettent à l’heure du DIP

Publié le 13/05/2019

Du 2 au 5 juin prochain à Bruxelles, les notaires consacreront leur congrès à l’international, plaçant le droit international privé au cœur de leurs travaux. Outre le travail en commission, des formations et ateliers seront proposés aux congressistes pour parfaire leur pratique dans un environnement mondial.

Mondialisation oblige, le notariat français doit répondre aux problématiques juridiques internationales et pratiquer quotidiennement le droit international privé (DIP). Pour la première fois, les notaires lui consacrent leur congrès. Pour sa 115e édition, l’événement, qui se tiendra à Bruxelles du 2 au 5 juin prochain, s’est donné pour objectif de faire le point sur la pratique du DIP dans ses offices. « Ce congrès sera à double titre historique, car c’est la première fois qu’il se tiendra hors de nos frontières », précise Marc Cagniart, son président.

« Mondialisation des destins »

Union, désunion, succession, filiation, investissement, transmission : l’activité notariale reflète la mondialisation des destins, celles tout d’abord des Français vivant à l’étranger. Ils sont plus de 1,8 million de citoyens à être enregistrés dans les consulats, un chiffre en progression de 28 % sur les 10 dernières années. Selon une estimation de Bercy, ils seraient en réalité entre 2 et 2,5 millions. L’Insee avance un maximum théorique de 3,5 millions de personnes.

En 2018, le service d’État civil d’expatriés qui dépend du ministère des Affaires étrangères a enregistré 450 000 demandes de pièces provenant des études de notaires, 43 800 mariages et 52 800 naissances à l’étranger.

En outre, 45 % des expatriés français ont une double nationalité, 11 % des Français ont au moins un parent d’origine étrangère. 1 mariage sur 7 est un mariage mixte, 1 retraité de droit français sur 10 vit à l’étranger et 4 000 jeunes font des études à l’étranger. Inversement, les notaires ont également à traiter les intérêts des étrangers résident en France. Notre pays est la 4e terre d’accueil au monde pour les étudiants étrangers : 300 000 jeunes font tout ou partie de leur cursus dans nos universités (+ 12 % sur 5 ans).

«  Auparavant, les dossiers présentant des éléments d’extranéité se présentaient tous les 4 ou 5 ans, nous avions le temps de réfléchir pour le traiter, indique Marc Cagniart. Aujourd’hui, ils se présentent tous les 4 ou 5 jours. Il nous faut donc acquérir des automatismes. Certes, l’Union européenne dispose de règlements qui harmonisent de nombreux principes du droit de la famille, des successions ou de la propriété. Mais ces textes laissent beaucoup d’options ouvertes et chaque dossier demeure un cas particulier. Le rôle du notaire est donc décisif. Il agit en trois temps : d’abord qualifier le cas, ensuite rattacher les éléments en droit ; enfin, authentifier les actes ».

4 commissions et une trentaine de formations

Le DIP sera donc au cœur des travaux. Comme chaque année, les travaux du Congrès se composent en 4 commissions. « S’orienter », thème de la première commission, animée par Mes Caroline Gingliger Poyard et Marianne Sevindik, fera le point sur la matière. Convention, règlement européen, conflits de loi : la commission aidera les notaires à s’orienter entre les différentes sources, leurs interprétations et leur hiérarchie. Elle présentera également les outils, sites et plates-formes collaboratives au niveau français, européen et mondial.

La deuxième commission « Rédiger », animée par Mes Jean-Christophe Rega et Olivier Lecomte, analysera l’impact des éléments d’extranéité sur la façon de travailler. Le conseil du notaire ne s’arrête pas à l’instrumentalisation de l’acte, il s’étend à ses effets. Donation-partage, contrat de mariage, etc. le notaire doit désormais anticiper la circulation et l’efficacité de l’acte au-delà des frontières. La deuxième commission consacrera également une large partie de ses travaux à la fiscalité.

La troisième commission, « Vivre », animée par Mes Valérie Marmey Ravau et Frédéric Varin, abordera la famille dans tous ses états : s’unir, se séparer, hériter, adopter dans un monde globalisé et ses problématiques. Pour le notaire : régler, organiser et anticiper, l’enjeu sera de mettre en place des solutions pratiques souples et faciles à comprendre par un juge français.

La quatrième commission, « Contracter », animée par Mes Antoine Desnuelle et Cécile Sainte Cluque Godest, se penchera sur les ventes immobilières, le financement, la publicité foncière : comment publier un acte qui vaut à l’étranger ? Le notaire conseil à l’international doit rechercher une sécurité optimale pour son client.

Enfin, ce 115e congrès sera au plus près de la pratique en proposant à ses congressistes près de 30 masterclass et ateliers de formations de 30 ou 60 minutes, sur des thèmes précis. Exemples de questions pratiques abordées : les effets en France d’un trust, règlement d’une succession franco-suisse, notaire et lutte contre le blanchiment.

Les notaires ont décidé de dévoiler des cas concrets qu’ils ont pu rencontrer. Revue des détails.

Mariage, enfants, divorce

En matière de mariages, la question la plus fréquente concerne le droit applicable aux couples binationaux : régimes matrimoniaux, mariage, union, séparation. Rappelons que le règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux est entré en vigueur le 29 janvier 2019.

Les notaires illustrent les problématiques qui se posent dans leurs offices. Un couple de français se rencontre à Tokyo et veut s’y marier : quelle loi s’appliquera : celle de la nationalité ou du lieu de résidence ? En l’absence de contrat de mariage, la réponse dépend du pays du notaire. Si le couple va voir un notaire français, il voudra appliquer la loi japonaise, car ce pays est le premier lieu de résidence du couple après le mariage. S’il s’adresse à un notaire japonais, celui-ci estimera qu’ils relèvent de la loi française, car ils sont tous les deux Français. Avec un contrat de mariage, la question est résolue à l’avance.

En matière de divorce, le cas suivant semble symptomatique. « Je souhaite me séparer de mon époux. Nous sommes mariés depuis 14 ans et avons quitté la France pour la Belgique il y a 7 ans. Faut-il mieux que je saisisse le juge français ou le juge belge pour mon divorce ». Selon le notaire, il est possible de choisir l’un des deux juges par application d’un règlement européen nommé Bruxelles II bis. Il est également possible de choisir la loi de son divorce. Ce n’est pas neutre. À titre d’exemple, en France, il peut être demandé une prestation compensatoire par l’époux qui a moins de revenus et de patrimoine que l’autre. Cela n’existe pas en Belgique mais il existe dans ce pays une possible pension alimentaire post-divorce si l’un a plus de revenus que l’autre, dont le montant peut être élevé.

Immobilier à l’étranger : achat, location, quelles précautions ?

L’immobilier occupe une place importante dans les dossiers internationaux traités par les notaires. Acheter à l’étranger, vendre, là aussi, quelles règles s’appliquent ?

Deux résidents français s’accordent, l’un pour acheter à l’autre son appartement en Espagne. Ils se demandent s’ils peuvent confier la signature de l’acte à un notaire en France et s’ils doivent appliquer la loi sur les diagnostics immobiliers. Dans cette situation, si la signature de l’acte chez un notaire français est possible, elle est déconseillée. « Il y aurait une double formalité en France et en Espagne, donc une double taxation fiscale ». Une simple consultation permettra toutefois d’expliquer pourquoi la loi française ne s’applique pas à un appartement en Espagne et donnera les règles applicables à la transmission de cet immeuble.

Autre exemple : un propriétaire français loue un appartement à une étudiante grecque. Sa mère se porte caution ; elle vit en Italie. En cas d’impayé, le propriétaire s’interroge sur les moyens de récupérer le loyer auprès de la caution à l’étranger et de l’éventuelle nécessité de saisir un juge français. Le notaire préconise dans cette situation de rédiger un bail notarié, qui rendra possible l’exécution forcée plus rapide en Italie le cas échéant.

 Des successions internationales toujours plus fréquentes

Évidemment, la question des successions est au cœur des préoccupations des clients des offices. Avec le mouvement d’expatriation des retraités français au Portugal, la situation d’un décès sur le sol lusitanien est fréquente. « Ma femme vient de décéder au Portugal où nous vivons depuis le début de notre retraite, dans une maison que nous avons achetée. Nous avons eu trois enfants, dont Pierre avec qui nous sommes fâchés. À qui revient la maison désormais ? ».

Les notaires préconisent d’être consultés dès l’acquisition immobilière, pour anticiper les conséquences d’une telle situation. Depuis le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, applicable à compter de décès intervenus le 17 août 2015, il est possible de choisir la loi applicable à sa succession : soit la loi du pays de résidence, soit la loi de la nationalité. Dans le cas ci-dessus, si rien n’a été prévu, c’est la loi successorale portugaise qui s’applique car la dernière résidence était au Portugal. Cela peut être plus favorable pour le conjoint : si l’épouse a fait un testament au profit de son époux, la part réservée aux enfants au Portugal est plus faible qu’en France (les deux tiers au Portugal au lieu des trois quarts en France en présence de trois enfants).

L’enfant d’une personne fortunée qui vivait à plein temps dans un pays anglo-saxon vient consulter un notaire pour savoir quelle loi va s’appliquer au partage de l’héritage. « En France, le principe de la « réserve successorale » s’impose ; les enfants ont droit de facto à une part d’héritage déterminée par la loi. Sans enfant un pourcentage est réservé au conjoint survivant. Dans les pays anglo-saxons, cette réserve n’existe pas » !

Les incertitudes du Brexit

Témoins des inquiétudes suscitées par la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les notaires parlent de « saut dans l’inconnu » pour les 300 000 Français expatriés sur le sol britannique. Seule certitude : ils continueront de bénéficier du statut actuel de résident à condition de justifier de 5 années de présence sur le territoire au 1er janvier 2020.

En attendant l’issue des négociations, des questions se posent en matière de droit de la famille. « Les couples expatriés ou binationaux qui divorcent risquent d’être soumis à des décisions contradictoires en fonction des juridictions ; les droits pourraient produire des effets très différents. Par exemple, si le juge anglais peut prononcer un partage forcé des biens du couple. Par ailleurs, un risque existe de voir le juge français statuer sur un divorce tandis que le sort des enfants dépendrait de son homologue britannique ».

Par ailleurs, le Brexit pourrait avoir un impact sur les transactions immobilières en France. On estime que 500 000 Anglais possèdent un bien immobilier en France, représentant 40 % des acquéreurs étrangers. « Au sein de l’UE, ils bénéficiaient d’un dispositif fiscal harmonisé en matière de mutation. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? », s’interrogent les notaires.

Autant de questions qui seront traitées par le Congrès en juin prochain.

Un Congrès ouvert au monde

Résolument ouvert à l’international, le Congrès accueillera plusieurs personnalités internationales dont Koen Lenaerts, président de la CJUE, et Christophe Bernasconi, secrétaire général de la Conférence de La Haye.

Les interventions en commission seront simultanément traduites en anglais, allemand et espagnol, pour permettre à tous les notaires quelle que soit leur nationalité, de suivre les travaux. Autre signe d’ouverture, le rapport, qui compte près de 1 400 pages, sera traduit en anglais dans une version numérique, disponible à partir du 15 avril.

Enfin, le grand débat de clôture sera animé par Christine Ockrent, avec pour thème : « Quelles alliances dans le monde de demain » ?

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