Violences au sein de la famille : suppression de la pension de réversion et décharge de pension alimentaire

Publié le 07/05/2020

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 contre les violences faites au sein de la famille supprime le versement de la pension de réversion à l’auteur des violences. Une proposition de loi contre les violences conjugales en cours de discussion, prévoit, quant à elle, la décharge de l’obligation alimentaire des ascendants et descendants à l’égard du parent reconnu coupable de crime sur l’autre parent. Parallèlement, une proposition de loi vise à décharger de plein droit de l’obligation alimentaire les débiteurs envers leur parent en cas de meurtre, d’assassinat, d’empoisonnement, ou de violences ayant entraîné la mort de l’autre parent.

Le législateur multiplie les textes préventifs et répressifs pour lutter contre les violences conjugales et familiales. Parmi les dispositifs adoptés ou en cours d’adoption parlementaire deux mesures comportent un volet patrimonial.

La loi contre les violences au sein de la famille et pension de réversion

La loi n° 2019-1480, 28 déc. 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille (JO, 29 déc. 2019) adoptée le 18 décembre en procédure accélérée a prévu, en son article 9, le non-versement de la pension de réversion en cas de condamnation du conjoint survivant pour violences commises sur l’autre conjoint, ayant entraîné ou non la mort. Cette mesure introduite par les sénateurs se limitait au régime général de la sécurité sociale des salariés du secteur privé (CSS, art. L. 353-1). Les députés ont élargi le dispositif en l’étendant à toutes les pensions de réversion. Désormais, la loi prévoit que « La pension de réversion n’est pas due dans le cas où le conjoint survivant est ou a été condamné pour avoir commis à l’encontre de l’époux assuré un crime ou un délit ».

Indignité successorale

En revanche, un amendement sénatorial visant à prévoir un nouveau cas d’indignité successorale à l’article 726 du Code civil, n’est pas allé au bout du parcours parlementaire. Il consistait à exclure de la succession le conjoint qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences envers le défunt, même si celles-ci n’ont pas entraîné sa mort. Selon le dispositif envisagé, la victime conservait la possibilité de confirmer sa volonté de maintenir son conjoint dans sa succession en application de l’article 728 du Code civil.

La garde des Sceaux s’est déclarée défavorable à cet amendement, au motif qu’ « il tend à créer une exception légale aux droits de succession du conjoint qui est condamné à une peine criminelle pour des faits de violence », a-t-elle estimé en séance publique. « Aujourd’hui, les causes d’indignité successorale sont prévues lorsque l’auteur des faits est directement responsable du décès de la victime. Or il est prévu par cet amendement de retenir des faits de violence sans lien nécessairement direct avec le décès et sans limite de temps. Si je conçois l’intérêt d’une telle proposition, j’estime que sa rédaction est incomplète. Il conviendrait de mener une expertise juridique un peu plus précise ». Malgré cette opposition, l’amendement a été adopté dans un premier temps par les sénateurs mais les députés ont estimé que la réflexion n’avait pas suffisamment mûri sur ce point, qui pourra cependant être réexaminé dans le cadre de la prochaine proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposées par les députés Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.

La proposition de loi n° 285 visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposée le 30 janvier 2020, a été adoptée  en première lecture par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée le 29 janvier. Pour l’heure, aucun article ne reprend les propositions relatives à l’extension de l’indignité.

Décharge d’obligations alimentaires

En revanche, la proposition de loi, en son article 6, décharge de leur obligation alimentaire les ascendants et descendants de la victime d’un meurtre, d’un assassinat, d’un empoisonnement ou de violences ayant entraîné la mort.

Cette mesure est issue d’un amendement de la rapporteure, la députée Bérangère Couillard, élargissant la décharge de plein droit de l’obligation alimentaire à l’ensemble des cas dans lesquels une condamnation criminelle a été prononcée à l’encontre de l’auteur des faits.

Pour mémoire, l’article 205 du Code civil prescrit que « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ». Selon la Cour de cassation, il faut entendre par aliments tout ce qui est nécessaire à la vie (Cass. civ., 28 févr. 1938 : DH 1 938), donc la nourriture, mais aussi le logement, les vêtements ou les soins médicaux.

Depuis un décret-loi de 1935, l’obligation alimentaire n’a plus de caractère systématique et le législateur a prévu plusieurs situations dans lesquelles le débiteur ayant subi des fautes graves de la part du créancier peut en être déchargé. Le droit en vigueur compte 5 hypothèses : dispositions en ce sens, qui laissent toutes un certain pouvoir d’appréciation au juge.

L’article L. 228‑1 du Code de l’action sociale et des familles : sous réserve d’une décision judiciaire contraire, les pupilles de l’État élevés par le service de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire sont dispensés de l’obligation alimentaire, à moins que les frais de son entretien n’aient été remboursés au département. L’article L. 132‑6 du Code de l’action sociale et des familles dispense de fournir des aliments à leurs ascendants les enfants retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période d’au moins 36 mois cumulés au cours des 12 premières années de leur vie, sauf décision contraire du juge aux affaires familiales. L’article 367 du Code civil décharge, sans exception possible, l’adopté simple de son obligation alimentaire à l’égard de ses père et mère par le sang, dès lors qu’il a été admis en qualité de pupille de l’État. L’article 379 du Code civil prévoit que le retrait total de l’autorité parentale prononcé en raison d’un crime ou d’un délit sur la personne de l’enfant ou sur celle de l’autre parent, ou à la suite de la mise de l’enfant en danger par de mauvais traitements, emporte dispense de l’obligation alimentaire (sauf disposition contraire dans le jugement de retrait).

Enfin, l’article 207 du Code civil prévoit que « quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire ». Cette décharge est prononcée en cas de fautes commises à l’égard de l’enfant, et non envers l’autre parent.

Selon la commission des lois, les enfants dont l’un des parents a attenté à la vie de l’autre ne sont pas clairement libérés de leur obligation d’aliments à son égard. La décharge pourrait intervenir suite au retrait de l’autorité parentale prononcé par le juge pénal chargé de connaître du crime, ou par une juridiction civile postérieurement à l’arrêt de la cour d’assises. Mais, selon la commission, ce retrait de l’autorité parentale n’est pas des plus fréquents et, de surcroît, il ne peut être prononcé qu’au bénéfice d’enfants mineurs au moment de la décision définitive. La décharge pourrait aussi résulter d’un manquement grave du parent à ses obligations. Si la présence des enfants lors des scènes de violence au sein du couple constituant une circonstance aggravante, la jurisprudence n’a pas encore qualifié ces faits comme un manquement au sens de l’article 207 du Code civil.

Pourtant, les enfants d’un parent victime de meurtre peuvent se trouver sollicités pour assurer les vieux jours de l’auteur des faits. Cela pourrait se produire lorsque l’obligation est invoquée par les collectivités territoriales et les établissements d’accueil de personnes âgées.

C’est dans ce contexte que la proposition de loi entend lever l’ambiguïté en créant un 6e cas de décharge de plein droit de l’obligation alimentaire : les débiteurs en seront libérés envers leur parent en cas de meurtre, d’assassinat, d’empoisonnement, ou de violences ayant entraîné la mort de l’autre parent. La commission a adopté un amendement qui conditionne la décharge de l’obligation alimentaire à l’existence d’une condamnation prononcée par la juridiction répressive, de façon à donner un caractère objectif et incontestable au fait justifiant la fin de la dette alimentaire. Elle privilégie également la liste des infractions susceptibles de décharger les ascendants et descendants de la victime de leur obligation alimentaire à l’égard de l’auteur, la notion plus claire et plus englobante de « crime ».